Texte intégral
Monsieur le Directeur général, Cher Thierry de Montbrial,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier de l'honneur que vous me faites au travers de votre invitation à venir ouvrir cette Matinée RAMSES. Co-fondateur, aux côtés de Thierry de Montbrial, il y a un peu plus de 30 ans, de l'Institut français des Relations internationales, j'ai beaucoup de plaisir à me retrouver aujourd'hui ici parmi vous, à l'occasion de cette présentation du Rapport annuel mondial 2010 sur les Systèmes économiques et les Stratégies.
Mon propos sera, vous le comprendrez, sans doute plus politique que celui des autres intervenants de la suite de cette matinée. Il sera le reflet, aussi, des responsabilités qui sont les miennes, en tant que secrétaire d'Etat chargé, sous l'autorité de mon ami Bernard Kouchner, de la mise en oeuvre de notre politique européenne, dans la ligne des orientations fixées par le président de la République et le Premier ministre.
Nous sommes aujourd'hui, en cette fin d'année 2009, à un tournant décisif : nous allons changer d'époque. Et je partage sur ce point votre analyse, cher Thierry de Montbrial : le XXIe siècle commence aujourd'hui. Le XXe siècle s'était achevé un peu avant l'heure, en 1989, avec la chute du Mur de Berlin dont nous célébrerons, dans quelques semaines, le 20ème anniversaire, avec l'effondrement du système communiste en Europe centrale et orientale, puis la disparition de l'URSS elle-même en 1991.
Les vingt années qui nous séparent de 1989 ont été, effectivement, des années de transition, qui ont vu, immense succès, la réunification dans la paix de l'Allemagne et de l'ensemble du continent. Qui aurait pu prévoir, il y a seulement 20 ans, que l'Union soviétique s'effondrerait sans un coup de feu, et que les anciens satellites de ce que l'on nommait à l'époque le "glacis soviétique" nous rejoindraient au sein de la famille européenne, pour être aujourd'hui nos partenaires et nos alliés au sein de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique ? Cette réunification du continent, j'y reviendrai, est aujourd'hui quasiment achevée, après les élargissements de 2004 et de 2007.
Une nouvelle ère s'ouvre donc aujourd'hui. La question que, nous autres Français et Européens, devons nous poser est de savoir si nous serons acteurs de l'histoire du XXIe siècle, ou simplement spectateurs.
Cette question, l'Amérique nous la pose : à la fin du mois de juillet dernier, à Washington, le président Obama, alors qu'il recevait plus de 150 dirigeants chinois venus assister à la 1ère réunion du dialogue économique et stratégique entre les deux pays, a qualifié la relation bilatérale avec la Chine de "peut-être la plus importante au monde" et prédit que le XXIe siècle serait sino-américain. Serions-nous donc condamnés à passer sans transition du condominium soviéto-américain qui a marqué toute la seconde moitié du XXe siècle, au condominium d'un G-2 sino-américain que l'on nous annonce pour le XXIe siècle ?
Cette question, la crise nous la pose également. Elle nous oblige à regarder la réalité en face, à "penser fort" et sans tabou, à sortir du politiquement correct et des fausses certitudes du monde d'avant. A ne pas nous laisser inhiber lorsqu'il s'agit, par exemple, de défendre le respect des normes sociales et environnementales qui, comme l'a rappelé le président de la République, doivent être envisagées sur un pied d'égalité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce.
Je mesure, bien sûr, le scepticisme face à l'affirmation d'un tel volontarisme. Jusqu'à une date récente, l'Europe ne nous avait guère habitués à la voir prendre à bras le corps nos problèmes quotidiens, toute concentrée qu'elle était sur ses problèmes institutionnels, quand elle ne se préoccupait pas de légiférer, de manière parfois étrange, sur le hamster alsacien ou le vin rosé. Rongée par l'euro-scepticisme, l'Europe, qui s'était divisée sur l'Irak, a toujours, 10 ans après les objectifs proclamés d'Helsinki, une politique de défense qui reste faible (une fraction de l'effort de défense des seuls Etats-Unis d'Amérique). Quant aux opinions publiques, elles se détournent de l'idée européenne.
Et pour vous faire une confidence, quand je me rase le matin, je pense d'abord aux 60% d'électeurs français et allemands qui ne sont pas allés voter aux élections de juin dernier, 60% c'est-à-dire une moitié de plus qu'il y a trente ans lors des premières élections au Parlement européen.
Et pourtant, plusieurs développements récents doivent nous amener à regarder avec espoir la potentialité de l'Europe dans la gouvernance mondiale, qui est le thème de cette matinée.
* Tout est affaire de volonté
D'abord la gouvernance précisément, c'est-à-dire le G20 lui-même demeure la principale source de débats politiques et économiques à travers la planète. De Washington à Londres et demain à Pittsburgh. Or, sans la France, sans le franco-allemand, sans l'Europe, nous n'aurions pas Pittsburgh. Et nous n'aurions pas non plus progressé sur toute une série de dossiers.
Ainsi, sur les paradis fiscaux : il y a un an, on pensait difficile de faire reculer le secret bancaire; nous y sommes parvenus. On ironisait sur la possibilité de reconstruire le capitalisme mondial; on y est, alors que va s'ouvrir demain le Sommet de Pittsburgh. Sans la France, sans le franco-allemand, sans l'Europe, Pittsburgh ne se serait pas fait : c'est nous qui l'avons voulu.
On mesure donc le chemin parcouru, qui montre bien que quand l'Europe veut, elle peut. Et la volonté, elle est là, elle existe.
La volonté au service d'une vision, celle du président de la République, Cette vision, Nicolas Sarkozy a commencé à en tracer les grandes lignes. C'est celle d'une Europe organisée et forte à 27, avec en son sein une zone euro essentielle pour la stabilité économique et financière du monde, qui forgerait un partenariat de sécurité et de prospérité avec la Russie, qui construirait une véritable Union avec "notre" Sud méditerranéen, qui bâtirait à travers le Partenariat oriental un réseau de relations stratégiques avec nos voisins de l'Est, le tout en préservant notre relation d'alliance, elle aussi renouvelée, avec les Etats-Unis d'Amérique. Et dans le même temps, c'est aussi celle d'une Europe qui ferait avancer la réforme du capitalisme international, introduirait des règles pour mettre la finance, qui est à l'origine de cette crise, au service de l'investissement et de la croissance. Voilà notre feuille de route géopolitique pour l'Europe du XXIe siècle, en même temps qu'une vraie ambition politique pour l'Europe. C'est cette vision que j'ai la charge de mettre en oeuvre. C'est aussi l'opportunité qui se présente, pour l'Europe, à l'aube du XXIe siècle.
Ensuite, deuxième raison d'espérer : nous allons connaître cet automne, quoi que décident les Irlandais la semaine prochaine, l'achèvement du long processus institutionnel lancé au cours des 15-20 dernières années, où l'Europe, de traité en traité, de référendum en référendum, n'a pas arrêté de courir derrière ses institutions. Nous allons pouvoir bientôt clore ce chapitre institutionnel, qui avait fini par éloigner, par sa longueur et sa technicité, les citoyens de l'idée européenne.
Nous allons avoir bientôt, avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la boîte à outils qui permettra à l'Europe de faire face aux défis de la mondialisation.
Il y a tout juste une semaine, c'est le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, qui recevait l'investiture du Parlement européen. Investi à la majorité absolue, avec 382 voix, supérieur à la majorité qui aurait été nécessaire avec le Traité de Lisbonne. Il bénéficiera donc d'une légitimité renforcée. C'est à l'évidence une bonne nouvelle pour l'Europe, qui avec les votes de ratification en Allemagne, crée une dynamique favorable.
La prochaine étape sera dans un peu plus de deux semaines : le 2 octobre prochain, le peuple irlandais se déterminera.
Je me suis moi-même rendu en Irlande fin juillet : le débat reste ouvert, nous verrons ce qu'il adviendra.
En attendant, je ne trahirai pas un grand secret si je vous disais que nous avons besoin du Traité de Lisbonne.
Avec lui :
- l'Europe verra sa capacité de décision facilitée ;
- elle verra sa légitimité démocratique renforcée, au travers de l'extension de la co-décision et des pouvoirs du Parlement européen, mais aussi par le renforcement des prérogatives des parlements nationaux ;
- elle disposera d'institutions nouvelles avec un président du Conseil européen ; avec aussi un Haut Représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité qui sera en même temps vice-président de la Commission ;
- elle disposera aussi, avec le Traité de Lisbonne, de moyens nouveaux, avec la mise en place du nouveau Service européen pour l'Action extérieure et une Politique européenne de sécurité et de défense renforcée.
Mais quelle que soit l'issue du vote irlandais, laissez-moi vous dire ma conviction : nous en aurons fini, pour longtemps, avec le volet institutionnel. Il sera temps, tout simplement, de passer à autre chose.
Nous allons également mettre un terme à un autre débat anxiogène sur les frontières de l'Europe.
La fin de la Guerre froide avait imposé le nécessaire élargissement vers l'Est, car il y allait d'abord de la paix - la raison d'être majeure de l'idée européenne - mais aussi de la morale, à l'égard des peuples européens victimes de l'Histoire, et singulièrement de Yalta.
Mais comme je l'indiquais, cette époque est pour l'essentiel derrière nous. L'heure est venue d'achever les élargissements prévus, notamment dans les Balkans (où 7 pays sont actuellement candidats, déclarés ou non), en vertu de la même exigence de consolidation de la paix sur l'ensemble du continent, mais surtout de présenter notre vision de l'espace européen de demain.
Vous connaissez la position de la France et le préalable que constitue pour nous l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne : il va de soi qu'une Union européenne qui n'aurait pas su réformer ses institutions ne saurait non plus accueillir de nouveaux membres.
En outre, nous aurons une approche exigeante de l'élargissement. Il est hors de question, en effet, d'accepter des adhésions au rabais, ce qui ne serait pas un service à rendre aux pays candidats, pas plus qu'à l'Union. Cela vaut pour les Balkans, où le passé n'est pas totalement soldé, mais également pour l'Islande, dont le système financier doit impérativement être assaini.
* Reste alors le dossier de la candidature turque
La position française sur ce sujet est sans ambiguïté : Le président Nicolas Sarkozy s'était engagé en ce sens avant son élection, et les Français ont approuvé ce choix. Nous souhaitons entretenir et enrichir encore avec nos amis turcs une relation bilatérale pluriséculaire ; nous sommes favorables au lien le plus fort entre la Turquie et l'Europe ; mais nous sommes opposés à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Cette position n'a pas varié. C'est aujourd'hui celle du gouvernement, c'est aussi la mienne. Je l'ai résumée par la formule : "la Turquie avec l'Europe, mais pas dans l'Europe". Les négociations vont donc se poursuivre, mais pas sur les cinq chapitres qui relèvent directement de l'adhésion. La Turquie, enfin reste une amie, un partenaire économique et stratégique important : nous souhaitons renforcer nos relations bilatérales avec ce pays ami et allié de la France.
Ces frontières une fois tracées, l'Europe va pouvoir se réapproprier sa géopolitique et avoir, vis-à-vis de ses voisins, à l'Est et au Sud, une politique cohérente, avec une intelligence claire de nos intérêts et des moyens de les faire avancer.
A l'Est, tout d'abord : nous avons une Politique européenne de voisinage qui a trouvé son prolongement régional dans le Partenariat oriental, adopté en mai dernier à Prague entre l'Union européenne et six Etats situés sur sa périphérie immédiate : Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. Ce Partenariat oriental, nous devons, nous Français, nous l'approprier pleinement. Il fait pleinement partie de notre politique européenne, de la même manière que l'Union pour la Méditerranée concerne aujourd'hui aussi les Allemands, les Suédois ou les Polonais. Le président de la République a d'ailleurs tracé le chemin en préparant, puis en lançant, durant la Présidence française de l'Union européenne, la négociation d'un nouveau partenariat avec l'Ukraine, sous la forme d'un accord d'association ambitieux. Dans le Partenariat oriental, il s'agit de promouvoir, par la coopération tant bilatérale que régionale, l'influence stabilisatrice de l'Union européenne en Europe orientale et dans le Caucase, par une intégration progressive aux politiques et pratiques de bonne gouvernance de l'Union. Car nous avons tout intérêt à avoir pour voisins des démocraties stables et prospères.
L'avenir des relations avec la Russie appelle aussi une nécessaire clarification : nous souhaitons développer une relation de coopération constructive et de long terme avec elle, pour donner corps à l'espace économique et humain commun que le président de la République a appelé de ses voeux. Au moment où le président Obama annonce la fin du "bouclier anti-missiles" qui devait être déployé en Pologne et en République tchèque, il appartient à la Russie de faire preuve de responsabilité et de répondre à cette main tendue.
* Au Sud, ensuite, c'est le projet d'Union pour la Méditerranée
A l'initiative du président de la République, l'Union pour la Méditerranée a été lancée lors du Sommet de Paris du 13 juillet 2008, qui a rassemblé 43 chefs d'Etat et de gouvernement. Elle vient combler une urgente nécessité, celle de bâtir une maison commune entre l'Union européenne et son Sud.
Dans un premier temps, l'approche opérationnelle par le biais de projets concrets a été privilégiée.
Mais les événements de Gaza, rappelant la centralité du conflit israélo-palestinien, sont venus ralentir la dynamique initiale. D'aucuns ont pensé que l'Union pour la Méditerranée n'allait pas y survivre. Bien au contraire ! Les avancées institutionnelles se sont poursuivies. Le siège du Secrétariat a été fixé à Barcelone. Des réunions ministérielles se sont tenues et d'autres sont prévues d'ici la fin de cette année.
Les statuts du Secrétariat sont en en cours de finalisation. Sa mise en place permettra de dissocier l'approche des grands défis communs à la région des problèmes politiques.
Mais, au-delà, en vertu de sa dimension régionale et de sa capacité à rassembler toutes les parties, l'Union pour la Méditerranée peut et doit aider au processus de paix au Proche-Orient.
C'est tout le sens de la proposition du président de la République, faite au nom de la France et de l'Egypte, co-présidentes de l'Union pour la Méditerranée, avec l'aval de la Présidence européenne et en concertation avec les Etats-Unis, de tenir un sommet extraordinaire de l'Union pour la Méditerranée, cet automne, en accompagnement de la relance des négociations de paix.
La volonté, les institutions, une vision de notre environnement géopolitique : nous allons pouvoir, dans ce nouveau contexte, et c'est la troisième raison d'espérer, nous concentrer sur les projets, refaire de la politique en Europe sur les sujets qui préoccupent nos concitoyens et qui ont une incidence directe sur leur vie quotidienne: la sortie de crise ; l'énergie ; l'environnement et le climat ; l'immigration ; la sécurité et la défense.
* La première des priorités, c'est bien sûr la sortie de crise et le G20
Le G20 qui se réunira demain et après-demain à Pittsburgh, après ceux de Washington et de Londres, devra permettre, selon la volonté de l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, d'aboutir sur une réforme concrète du système financier international et la réforme des institutions financières internationales, telles que le FMI. Comme vous le savez, les conclusions du Conseil européen exceptionnel du 17 septembre ont repris dans leur quasi-intégralité les propositions écrites de Nicolas Sarkozy, d'Angela Merkel et de Gordon Brown. Cette vision commune de la régulation financière est une avancée indéniable pour l'Union européenne. Comme l'a dit le président de la République, notre objectif de demain est d'élargir aux pays du G20 les règles que nous appelons de nos voeux.
Sur le plan des rémunérations, l'Union européenne appelle à une limitation des bonus. Plusieurs idées sont sur la table : bonus-malus, paiement différé, prise en compte de la rentabilité à moyen terme des opérations financières. L'annonce ce lundi par les Etats-Unis qu'ils pourraient proposer de confier à la Réserve Fédérale un nouveau pouvoir de contrôle et d'encadrement des bonus démontre que des convergences de vue entre Américains et Européens sont en train de naître sur le sujet.
Par ailleurs, l'Europe doit prendre d'elle-même un certain nombre de décisions, dont certaines ont d'ores et déjà été actées.
J'insisterai sur deux volets principaux.
Tout d'abord, la mise en oeuvre des décisions de juin 2009 sur la supervision financière donnera à l'Europe une longueur d'avance. La Commission présentera aujourd'hui même des dispositions législatives sur le sujet. Sont prévues, d'une part, la création d'un Conseil européen des risques systémiques, chargé de surveiller les grands risques financiers, et d'autre part, la création d'un Système européen des contrôleurs financiers, rassemblant les superviseurs nationaux de chaque pays. Nous soutiendrons les efforts de la présidence suédoise pour faire adopter le plus rapidement possible ces textes, afin que le nouveau cadre institutionnel soit pleinement opérationnel dès 2010.
Ainsi, il est nécessaire de faire appliquer, au niveau mondial, les normes prudentielles de Bâle II, déjà adoptées par l'Europe en matière bancaire ; je rappelle que leur objectif est de déterminer des ratios entre les fonds propres et l'exposition aux risques, et d'appliquer ces ratios, non seulement à l'institution mère, mais aussi à l'ensemble de ses filiales.
Il faut également réformer les normes comptables, qui doivent découler d'un même standard international. Il s'agit d'un enjeu de sécurité financière majeur. La crise a montré les limites du système actuel de la "fair value".
Nous allons également continuer à avancer sur le front de la lutte contre les paradis fiscaux - qui semblait impossible lorsque Nicolas Sarkozy l'a engagée, il y a moins d'un an. Des sanctions sont prévues contre les pays de la zone grise qui n'auront pas mis en oeuvre les standards de l'OCDE d'ici mars 2010.
Enfin, deuxième grand volet, nous souhaitons que l'Europe adopte une stratégie de sortie de crise, immédiatement opérationnelle, de façon à fournir un agenda sur les grands défis de demain : l'innovation, la Recherche et Développement, la politique industrielle et la maîtrise des finances publiques. En France c'est le Grand Emprunt. En matière industrielle, nous avons l'espoir d'avancer avec l'Allemagne, notamment sur les technologies vertes, la voiture électrique et sur ITER.
* L'énergie et le climat, ensuite
Avec le Traité de Lisbonne, la politique de l'énergie sera enfin communautarisée. Cette question est en effet essentielle. Faut-il rappeler que l'Europe est née dans les années 50 avec la CECA et l'Euratom ? 60 ans plus tard, la croissance des besoins mondiaux en énergie, liée à l'émergence d'Etats comme l'Inde, la Chine ou le Brésil, nécessite d'introduire en Europe une véritable vision géopolitique de l'énergie.
Cela suppose de faire le point sur notre dépendance, de rechercher les moyens de la limiter, de nous préparer à mieux gérer les futures crises énergétiques d'où qu'elles viennent et de disposer de fournisseurs diversifiés et crédibles. L'Europe doit aussi parler d'une seule voix face à la Russie et trouver avec elle les voies d'un partenariat équilibré.
Cela passe par :
- La diversification des approvisionnements gaziers à travers notamment le recours croissant au gaz naturel liquéfié, qui constitue la principale réponse à la "géopolitique des tuyaux".
- La mise en place d'une centrale européenne d'achat du gaz, comme l'a proposé le président de la République ;
- Le développement des énergies renouvelables (éolien, solaire) et du nucléaire civil qui ne produisent pas d'émissions de CO2. Dans ces deux domaines, nous disposons de savoirs-faire d'excellence qui peuvent constituer autant d'atouts pour la France et l'Europe.
Sur le climat, l'autre grand rendez-vous de cet automne, c'est bien sûr la conférence de Copenhague. L'enjeu est d'obtenir une réduction d'au moins 50% des émissions mondiales de CO2 en 2050, en prenant 1990 comme année de référence, pour limiter le réchauffement de moins de 2 degrés par rapport à l'ère préindustrielle. Il faut obtenir des engagements chiffrés des pays développés sur des objectifs à moyen terme de réduction de 25 à 40% de leurs émissions d'ici à 2020.
L'Union européenne a pris des engagements exemplaires : ses émissions de CO2 ne représentent que 14% du total des émissions de la planète, mais elle s'est engagée unilatéralement à les réduire de 20%, voire de 30% si les autres pays développés fournissent un effort comparable.
Comme il n'est pas question de pénaliser nos propres industriels en leur imposant des obligations supérieures à leurs compétiteurs qui n'en auraient aucune, le président de la République et la chancelière fédérale allemande ont récemment fait connaître, dans un courrier commun adressé au Secrétaire général des Nations unies, leur souhait d'instaurer un "mécanisme d'inclusion carbone" aux frontières de l'Union à l'encontre des pays qui ne prendraient pas d'engagement chiffré pour réduire leurs émissions de CO2.
Sur ces deux questions, intimement liées, que sont l'énergie et le climat, l'Europe peut et doit être leader.
* L'immigration, autre enjeu majeur pour l'avenir de l'Europe
L'Europe ne doit pas hésiter à prendre à bras le corps cette problématique et aller au-delà du "Pacte européen pour l'immigration et l'asile" adopté en octobre 2008 grâce à l'action de Brice Hortefeux. Les pays de l'Union européenne sont tous confrontés au problème des migrations illégales, mais certains sont en première ligne.
La Grèce, par exemple, où je me suis rendu le mois dernier, a appréhendé en 2008 environ 150.000 migrants illégaux et peine à les renvoyer vers leur pays d'origine. La vérité, c'est que la Turquie est devenue aujourd'hui la principale porte d'entrée de l'immigration illégale dans l'Union européenne. Cela fait peser un risque sur les relations de l'Union avec la Turquie : c'est ce que j'ai dit à une délégation de parlementaires turcs que je recevais il y a quelques semaines. Je l'ai redit vendredi dernier à mon ami Egemen Bagis, ministre d'Etat en charge des négociations avec l'Union européenne.
L'Espagne, de son côté, a vu ses moyens renforcés grâce à l'agence Frontex depuis 2006. Certains Etats membres ont fourni une aide à l'Espagne, avec notamment une corvette de la marine portugaise et un avion finlandais. Cette action de Frontex a été efficace, mais les flux de migrants se sont reportés vers d'autres membres de l'Union comme Malte, ne faisant donc que repousser le problème.
A ce problème de dimension européenne, il faut se préparer à répondre dans un cadre européen. Il nous faut mieux armer l'agence Frontex, développer la surveillance des frontières maritimes des Etats membres méditerranéens ou négocier des accords communautaires de réadmission avec les principaux pays d'origine et de transit. C'est toute l'ambition du programme de Stockholm qui doit être adopté au Conseil européen de décembre.
* La sécurité et la défense
Sur le plan institutionnel, avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, nous aurons enfin les avancées qui permettront à la défense européenne, qui n'a progressé que lentement depuis dix ans, d'aller de l'avant.
Le climat favorable que représente le retour plein et entier de la France dans le commandement intégré de l'OTAN ne pourra que contribuer à une telle évolution. Ce retour clarifie notre position vis-à-vis de nos partenaires : on ne pourra plus nous faire le mauvais procès de vouloir faire une défense européenne contre l'OTAN ! Je rappelle que sur les 27 Etats membres de l'Union européenne, 21 font partie de l'OTAN. Comme l'a rappelé le président la République devant nos ambassadeurs, "la France dans l'OTAN, c'est une Europe plus forte dans l'Alliance".
Dans le même temps, nous avons des opérations qui marchent. L'engagement sans précédent de l'Union européenne en Géorgie, décidé il y a un an sous Présidence française, a démontré une véritable capacité d'action en cas de crise mettant en jeu la paix et la sécurité en Europe, dès lors qu'une impulsion politique est au rendez-vous.
Autre exemple du rôle de l'Union européenne dans la promotion active de la paix et de la sécurité internationale, l'opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Somalie, qui est la première opération navale menée par les Européens.
Mais je reste lucide sur le chemin qui reste à parcourir en matière de défense européenne :
En Somalie, précisément, nous sommes encore très seuls lorsque nous proposons de former les forces de sécurité somaliennes et les garde-côtes des pays de la région pour compléter l'opération Atalante. Je me rendrai moi-même à Djibouti dans deux semaines pour étudier les suites à donner à l'opération Atalante.
Deuxième constat : l'effort budgétaire qui reste très insuffisant. Je rappelle pour mémoire que les budgets de la défense du Royaume-Uni et de la France représentent à eux seuls 40 % de l'effort de défense des 27, celui-ci ne représentant lui-même que moins de la moitié du budget de Défense des Etats-Unis.
Troisième constat, la défense européenne doit s'appuyer sur une industrie de défense et d'armement européenne puissante, et sur le développement de capacités de recherche et développement, or l'écart entre l'Europe et les États-unis dans ce domaine s'aggrave, de 1 à 5.
Parce que je suis attaché à la Défense européenne depuis de nombreuses années et que je crois à la nécessité pour les Européens de prendre en charge leur sécurité, je vous le dis : je ne serai pas le ministre qui fera semblant que tout va bien dans ce domaine.
Je suis conscient que la Défense européenne reste un projet et qu'il appartient plus que jamais à la France de redoubler d'efforts pour le faire progresser. J'y travaillerai activement.
* Au coeur de cette vision, de cette ambition il y a le franco-allemand
Au-delà de la réconciliation et de l'amitié franco-allemande, l'unité entre nos deux pays sera capitale au cours des mois et des années à venir. Dans cette nouvelle configuration européenne, la relation franco-allemande sera centrale, car elle seule allie une volonté politique et la capacité d'impulser de grands projets.
Cette coopération franco-allemande, elle doit s'exercer avant tout au service de l'Europe. Cela ne doit pas léser nos autres partenaires, au contraire : la France et l'Allemagne ont certes des responsabilités particulières, mais aussi un devoir de coopération à l'égard des autres membres de l'Union, qui, le président de la République l'a rappelé devant la Conférence des ambassadeurs, "sont égaux en droit". Mais il faut avoir la lucidité de le reconnaître : aucune ambition n'est possible sans une concertation étroite entre nos deux pays. A contrario, s'il y a une position franco-allemande, l'Europe existe. C'est ce que nous avons vu au G20 de Londres et c'est vrai pour tous les dossiers-clés : les institutions, l'élargissement - y compris la Turquie - la régulation financière, le climat et les questions énergétiques.
Je souhaite qu'à la suite des élections allemandes de dimanche prochain, 27 septembre, nous puissions marquer un nouvel élan franco-allemand.
Symboliquement, d'abord : je souhaiterais faire en sorte que le 20ème anniversaire de la chute du Mur du Berlin, le 9 novembre prochain, soit un événement partagé entre l'Allemagne et la France, une sorte de cadeau que nous pourrions faire à nos amis allemands pour leur montrer que nous prenons aujourd'hui toute la mesure d'un événement qui fait désormais pleinement partie de notre histoire commune. Et alors que les derniers combattants de la Grande Guerre ne sont plus de ce monde, je souhaiterais aussi que nous puissions honorer leur mémoire en faisant à l'avenir du 11 novembre une "journée de la réconciliation en Europe".
Politiquement, ensuite. Le moment sera venu, en effet, avec l'arrivée aux affaires d'une nouvelle équipe, de préparer un nouvel "agenda franco-allemand pour l'Europe". C'est pourquoi j'ai lancé, dès le mois de juillet dernier, un exercice interministériel afin que nous ayons des propositions concrètes à présenter au nouveau gouvernement allemand dès après l'élection.
La France et l'Allemagne doivent bâtir ensemble un agenda stratégique pour l'Europe. Comme l'a rappelé le Premier ministre, François Fillon, en ces temps nouveaux, "la simple poursuite de la coopération institutionnelle entre nos deux pays ne suffit plus". L'Allemagne et la France doivent être capables de répondre aux besoins de l'Europe de demain : promouvoir une stratégie industrielle capable de faire émerger des "champions" européens, préparer la sortie de crise en investissant dans les secteurs d'avenir et la promotion des technologies "propres", bâtir enfin l'indispensable indépendance énergétique de l'Europe, en parallèle à une croissance dé-carbonée.
Ces thèmes doivent structurer l'agenda franco-allemand dans la perspective du prochain Conseil des ministres franco-allemand, dont j'assure, en tant que Secrétaire général, la préparation et qui devrait se tenir d'ici la fin de l'année.
Quelle gouvernance globale doit émerger de tout cela, dans ce monde nouveau qui s'ouvre à nous ? Une certitude émerge déjà du grand désordre actuel : comme l'a rappelé le président de la République devant nos ambassadeurs il y a moins d'un mois, "au sortir de la crise que nous traversons, la hiérarchie des puissances ne sera plus la même que lorsque nous y sommes entrés".
Plutôt que d'espérer un nouveau leadership américain ou d'assister en spectateurs à la mise en place d'un G2 américano-chinois, je crois que nous avons eu raison d'oeuvrer à l'avènement d'une nouvelle gouvernance mondiale, en passant du G8 au G14, puis comme maintenant au G20, formule qui devrait se pérenniser après Washington, Londres et Pittsburgh.
Le moment est venu pour nous, j'en suis persuadé, de reconquérir notre avenir.
Dans la planète multipolaire qui émerge autour de nous avec ses dangers, mais aussi ses opportunités, l'Europe aujourd'hui réunifiée avec ses 500 millions d'hommes et de femmes, la première économie du monde, son industrie, son agriculture, mais aussi ses valeurs démocratiques plus indispensables au monde que jamais, cette Europe-là peut s'imposer comme l'un des 3 ou 4 pôles fondamentaux du système mondial de demain.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2009