Texte intégral
Q - Quel est votre point de vue sur la décision de la Justice française de laisser de nouveau M. Prokhorov aller à Courchevel ?
R - Je ne peux pas, au nom du gouvernement, contester une décision de justice. Il me faudrait, sinon, protester très souvent car il y a beaucoup de décisions de justice qui m'indignent. Un procès a lieu en ce moment, qui nous trouble tous et sur lequel nous devons toutefois nous exprimer.
D'une manière générale, il est très difficile d'être ministre des Affaires étrangères quand vous êtes un défenseur des droits de l'Homme. Souvent, la question se pose : "Peut-être devrait-on renoncer à la fonction de ministre et redevenir un militant pour les droits de l'Homme ?" C'est plus facile. Mais tout le monde en France n'est pas de cet avis, et c'est normal. Si on est d'accord pour être ministre, cela veut dire qu'on doit être certain qu'à ce moment-là, on sera plus utile. Mais c'est aujourd'hui. Demain, ce sera peut-être différent. C'est pour cela qu'il ne faut pas confondre les fonctions d'activiste de la société civile et d'homme politique. Avant-hier, il y a eu un terrible massacre en Guinée : 1.200 blessés, quelques centaines de tués, des viols et des formes extrêmes de violence. Je voulais obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. J'ai demandé qu'une telle résolution soit adoptée, j'ai évoqué le droit d'ingérence. Dois-je démissionner pour exprimer ma protestation, parce que je n'ai pas atteint mon objectif ?
Q - Monsieur le Ministre, y a-t-il souvent au sujet de la Russie des contradictions entre le ministre des Affaires étrangères et le militant des droits de l'Homme ? N'y a-t-il pas de dédoublement de personnalité ?
R - Par rapport à la Russie aussi. Pensez-vous que je n'ai pas éprouvé un tel dédoublement de la personnalité en Géorgie ? C'était difficile, car là-bas il y avait aussi des fautes grossières et sérieuses de la part de la partie géorgienne. Et là, j'ai pris une décision dans laquelle m'a énormément aidé le président Sarkozy. L'essence en était que nous pourrions être plus utiles en continuant à travailler entre professionnels, pour nous efforcer d'arrêter la guerre au lieu de protester, comme aurait fait tout militant associatif.
Q - Vous avez rencontré aujourd'hui le président Medvedev. Avez-vous essayé d'évaluer comment est respecté l'accord conclu, il y a un an, entre MM. Medvedev et Sarkozy au sujet du conflit géorgien ?
R - Tout a été fait très vite à l'époque. J'étais prêt à réagir de cette façon dans ces conditions, mais je ne pensais pas que le président Sarkozy serait lui aussi réactif. Il était à Pékin aux Jeux Olympiques et est rentré immédiatement à Paris. J'ai commencé à négocier avec M. Saakachvili sur le premier document. Ensuite, il y a eu un second document, sur lequel il y a eu accord négocié avec MM. Poutine, Medvedev, Prikhodko et Lavrov. Et ensuite, nous avons préparé, en une journée, un document qui n'était parfait pour toute une série de raisons que je ne vais pas expliquer maintenant. Certains n'étaient pas satisfaits du fait que c'était moi qui avais préparé ce document. Il a fallu en préparer un nouveau. Ensuite, il y a eu des problèmes de traduction.
Qu'attendions-nous ? Nous demandions l'arrêt de l'avancée des troupes russes sur le territoire géorgien, le départ de tous les soldats de la zone du conflit. Nous demandions l'envoi sur place d'observateurs européens. Nous avons obtenu tout cela. Mais nous n'avons pas demandé ce qu'il y avait dans mon premier document : le maintien de l'intégrité territoriale de la Géorgie. Si nous l'avions demandé, nous n'aurions pas obtenu la signature de M. Poutine et de M. Medvedev. Le même soir, il a fallu s'accorder avec M. Medvedev sur une phrase dans ce document, phrase qui voulait dire la même chose que le maintien de l'intégrité territoriale de la Géorgie. Et parce que tout cela n'était pas parfait, il a fallu dans la lettre préciser la compréhension de "territoires adjacents" et de "zone transfrontalière". Il a fallu de nouveau écrire une lettre de Paris, que Mme Condoleezza Rice a remise.
Qu'avons-nous obtenu ? Très rapidement, près de 300 observateurs des 27 Etats membres sont arrivés sur les lieux. Nous sommes partis de la région et, le lendemain, nous avons présenté ce texte à Bruxelles aux 27 ministres européens des Affaires étrangères, pour que ce soit une action européenne. N'oubliez pas que les Américains n'étaient pas là. Les chefs d'Etat ont donné leur approbation et, avant la fin du moins d'août, les observateurs s'étaient mis au travail. De cette façon nous sommes parvenus à arrêter la marche en avant des armées russes, des tanks, qui étaient sur la route de Tbilissi et avançaient sans aucun obstacle sur leur route. Pourtant, nous avons perdu sur la question d'intégrité territoriale de la Géorgie. Mais nous avons obtenu que commencent à se tenir des pourparlers à Genève, qui se poursuivent jusqu'ici.
Q - Est-ce une impasse ? Il est peu probable que la Russie renonce à la reconnaissance de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Nord.
R - C'était la fin du conflit et le refus de la marche en avant des armées russes sur Tbilissi. Il est vrai que M. Medvedev nous avait dit qu'il ne s'apprêtait pas à marcher sur Tbilissi. Il est difficile d'évaluer ce que nous avons et n'avons pas obtenu.
Q - Avec les observateurs, nous sommes aussi dans une impasse ?
R - Nous continuons à évaluer la situation. J'ai demandé aujourd'hui à M. Medvedev que les observateurs puissent travailler. On m'a dit que cela concerne la zone transfrontalière, mais du côté géorgien. Et j'ai parlé de la zone transfrontalière des deux côtés. Les négociations se poursuivent à Genève. C'est un petit progrès, mais c'est un mécanisme de prévention de crise, et tout le monde est d'accord là-dessus. Les négociations sur le Vietnam et les Balkans ont duré de nombreuses années. A Tbilissi certains militants de droits de l'Homme ont dit que nous les avions trahis.
Q - Mais des négociations sont toujours mieux que la guerre.
R - Je pense que oui. Je suis allé en Ossétie du Nord pour rencontrer les réfugiés de Tskhinvali, du côté russe. Ce sont des gens qui ont tout perdu. J'ai été dans leurs camps de réfugiés, pas par intérêt, mais parce qu'il est très important de tout voir des deux côtés. Je ne sais pas si ces gens sont revenus chez eux, mais les réfugiés du côté géorgien ne sont par rentrés chez eux.
Q - Cet automne nous célébrons le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. Nous nous sommes tous alors réjouis, vous y compris, Monsieur le Ministre, de la chute des barrières à l'intérieur de l'Europe, et nous avons espéré qu'il n'y en aurait jamais plus. Etes-vous toujours optimiste à ce sujet ?
R - Je pense que la situation est maintenant meilleure. Même pour la Russie, malgré les nombreux problèmes que vous affrontez. Je me rappelle parfaitement le moment où le mur s'est écroulé, c'était pour moi inattendu. Car, un mois avant, Mitterrand avait visité l'Allemagne de l'Est et avait salué l'existence de deux Allemagne, et non d'une seule. Et comme toujours avec les grands bouleversements historiques, personne n'avait prévu cela. De même, d'ailleurs, que la crise économique. Il y avait des experts, qui gagnaient des salaires énormes avec leurs conseils en matière de placement, et ils n'ont pas discerné cette crise.
Aujourd'hui votre pays est beaucoup plus libre. Bien sûr, il y a beaucoup de rudesse, beaucoup de victimes, mais pour la majorité des gens aujourd'hui cela va mieux. Je ne dis pas que la vie quotidienne est plus facile, je sais qu'il y a des gens qui souffrent, que le système de santé publique s'est effondré, mais dans l'ensemble la situation a évolué vers le mieux.
Q - A l'époque de Malraux le budget du ministère français de la Culture a augmenté trois fois plus vite que le budget des autres ministères. Quelle attention porte aujourd'hui votre pays à la culture ?
R - Une attention nettement moindre. En fait, à cause de la crise il y a moins d'argent. Moins de 1% est consacré à la culture. J'ai plus d'argent, au ministère des Affaires étrangères, pour développer les relations internationales dans le domaine de la culture que n'en a le ministre de la Culture. Mais le ministère de la Culture reste très important pour l'image du pays. En outre, un système de financement indépendant du ministère de la Culture a été préservé. Il y a des mécanismes d'avances sur recettes pour les films et de soutien à la production qui ne sont pas gérés par l'Etat, mais par les structures administratives du cinéma. Chez nous, 150 films sont réalisés chaque année (parmi eux, il y en a beaucoup de mauvais), ce n'est pas un petit chiffre, même comparé à Hollywood.
Q - Une question sur la lutte contre la corruption. Pensez-vous que cette lutte est possible sans la participation d'un autre pays si, comme c'est le cas avec la Russie, il y a toujours de tels intérêts en jeu ? Un petit exemple. Un ancien fonctionnaire du Fonds russe de la propriété fédérale a investi en France près d'un million d'euros dans une agence immobilière française. Les services secrets français en ont informé leurs collègues russes mais, pour autant que nous sachions, aucune suite n'a été donnée à l'affaire. En conséquence, en France, on ne s'est pas non plus intéressé à la provenance de l'argent. Cela n'illustre-t-il pas le fait que l'" égoïsme financier " et les intérêts nationaux l'emportent sur l'idée de la lutte contre la corruption ?
R - Bien sûr, dans les moments de crise nous nous réjouissons des investissements, mais il y a au ministère des Finances un département dont la mission est d'enquêter sur la provenance des crédits. On n'admet pas en France le moindre investissement frauduleux. En l'occurrence, je pense que nos avocats pourraient organiser une enquête internationale. J'essaye de trouver des exemples de cas où nous avons refusé des investissements, j'essaye...
Q - Surtout sur la Côte d'Azur et à Biarritz....
R - Les Français ne vont plus là-bas, c'est démodé. Et les plus beaux terrains et maisons ont été achetés par des gens qui "se sont enrichis très vite". Tenez, un exemple : on a refusé un investissement d'Afrique, car il y avait des informations négatives sur la provenance des fonds...
Vous savez, les paradis fiscaux, c'est là où investissent ceux qui opèrent avec de l'argent sale. Maintenant ces "paradis fiscaux" disparaissent, c'est la demande de la France, avec laquelle Mme Merkel et le G20 ont été d'accord. L'un après l'autre, ces pays quittent la liste noire pour accepter les contrôles internationaux. Pour la première fois, en Suisse, les banques ont accepté de transmettre à l'inspection des impôts américaine 1.500 noms. Il n'y a pas longtemps, ils nous ont également permis de savoir qui dépose son argent en Suisse.
Q - Mais ne risque-t-il pas d'arriver que des pays, qui ne disposent pas de ressources naturelles et pas d'autres moyens d'attirer les investissements étrangers que le secret bancaire et un bas taux d'imposition, perdent d'importantes ressources ? Par cette transparence internationale, vous les réduisez de facto à la mendicité.
R - Quel malheur ! Je ne les plains pas vraiment. Non, ils doivent respecter les standards internationaux. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont élaboré des règles communes. Les banquiers ne seront pas vexés mais il est nécessaire que le contrôle ait lieu de façon ouverte, comme en Suisse.
Le Luxembourg, la Suisse et Monaco vont sortir de cette liste. Il ne faut pas dire que c'est déjà fait, mais un mouvement a lieu, et ils prennent le chemin de la transparence internationale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2009
R - Je ne peux pas, au nom du gouvernement, contester une décision de justice. Il me faudrait, sinon, protester très souvent car il y a beaucoup de décisions de justice qui m'indignent. Un procès a lieu en ce moment, qui nous trouble tous et sur lequel nous devons toutefois nous exprimer.
D'une manière générale, il est très difficile d'être ministre des Affaires étrangères quand vous êtes un défenseur des droits de l'Homme. Souvent, la question se pose : "Peut-être devrait-on renoncer à la fonction de ministre et redevenir un militant pour les droits de l'Homme ?" C'est plus facile. Mais tout le monde en France n'est pas de cet avis, et c'est normal. Si on est d'accord pour être ministre, cela veut dire qu'on doit être certain qu'à ce moment-là, on sera plus utile. Mais c'est aujourd'hui. Demain, ce sera peut-être différent. C'est pour cela qu'il ne faut pas confondre les fonctions d'activiste de la société civile et d'homme politique. Avant-hier, il y a eu un terrible massacre en Guinée : 1.200 blessés, quelques centaines de tués, des viols et des formes extrêmes de violence. Je voulais obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. J'ai demandé qu'une telle résolution soit adoptée, j'ai évoqué le droit d'ingérence. Dois-je démissionner pour exprimer ma protestation, parce que je n'ai pas atteint mon objectif ?
Q - Monsieur le Ministre, y a-t-il souvent au sujet de la Russie des contradictions entre le ministre des Affaires étrangères et le militant des droits de l'Homme ? N'y a-t-il pas de dédoublement de personnalité ?
R - Par rapport à la Russie aussi. Pensez-vous que je n'ai pas éprouvé un tel dédoublement de la personnalité en Géorgie ? C'était difficile, car là-bas il y avait aussi des fautes grossières et sérieuses de la part de la partie géorgienne. Et là, j'ai pris une décision dans laquelle m'a énormément aidé le président Sarkozy. L'essence en était que nous pourrions être plus utiles en continuant à travailler entre professionnels, pour nous efforcer d'arrêter la guerre au lieu de protester, comme aurait fait tout militant associatif.
Q - Vous avez rencontré aujourd'hui le président Medvedev. Avez-vous essayé d'évaluer comment est respecté l'accord conclu, il y a un an, entre MM. Medvedev et Sarkozy au sujet du conflit géorgien ?
R - Tout a été fait très vite à l'époque. J'étais prêt à réagir de cette façon dans ces conditions, mais je ne pensais pas que le président Sarkozy serait lui aussi réactif. Il était à Pékin aux Jeux Olympiques et est rentré immédiatement à Paris. J'ai commencé à négocier avec M. Saakachvili sur le premier document. Ensuite, il y a eu un second document, sur lequel il y a eu accord négocié avec MM. Poutine, Medvedev, Prikhodko et Lavrov. Et ensuite, nous avons préparé, en une journée, un document qui n'était parfait pour toute une série de raisons que je ne vais pas expliquer maintenant. Certains n'étaient pas satisfaits du fait que c'était moi qui avais préparé ce document. Il a fallu en préparer un nouveau. Ensuite, il y a eu des problèmes de traduction.
Qu'attendions-nous ? Nous demandions l'arrêt de l'avancée des troupes russes sur le territoire géorgien, le départ de tous les soldats de la zone du conflit. Nous demandions l'envoi sur place d'observateurs européens. Nous avons obtenu tout cela. Mais nous n'avons pas demandé ce qu'il y avait dans mon premier document : le maintien de l'intégrité territoriale de la Géorgie. Si nous l'avions demandé, nous n'aurions pas obtenu la signature de M. Poutine et de M. Medvedev. Le même soir, il a fallu s'accorder avec M. Medvedev sur une phrase dans ce document, phrase qui voulait dire la même chose que le maintien de l'intégrité territoriale de la Géorgie. Et parce que tout cela n'était pas parfait, il a fallu dans la lettre préciser la compréhension de "territoires adjacents" et de "zone transfrontalière". Il a fallu de nouveau écrire une lettre de Paris, que Mme Condoleezza Rice a remise.
Qu'avons-nous obtenu ? Très rapidement, près de 300 observateurs des 27 Etats membres sont arrivés sur les lieux. Nous sommes partis de la région et, le lendemain, nous avons présenté ce texte à Bruxelles aux 27 ministres européens des Affaires étrangères, pour que ce soit une action européenne. N'oubliez pas que les Américains n'étaient pas là. Les chefs d'Etat ont donné leur approbation et, avant la fin du moins d'août, les observateurs s'étaient mis au travail. De cette façon nous sommes parvenus à arrêter la marche en avant des armées russes, des tanks, qui étaient sur la route de Tbilissi et avançaient sans aucun obstacle sur leur route. Pourtant, nous avons perdu sur la question d'intégrité territoriale de la Géorgie. Mais nous avons obtenu que commencent à se tenir des pourparlers à Genève, qui se poursuivent jusqu'ici.
Q - Est-ce une impasse ? Il est peu probable que la Russie renonce à la reconnaissance de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Nord.
R - C'était la fin du conflit et le refus de la marche en avant des armées russes sur Tbilissi. Il est vrai que M. Medvedev nous avait dit qu'il ne s'apprêtait pas à marcher sur Tbilissi. Il est difficile d'évaluer ce que nous avons et n'avons pas obtenu.
Q - Avec les observateurs, nous sommes aussi dans une impasse ?
R - Nous continuons à évaluer la situation. J'ai demandé aujourd'hui à M. Medvedev que les observateurs puissent travailler. On m'a dit que cela concerne la zone transfrontalière, mais du côté géorgien. Et j'ai parlé de la zone transfrontalière des deux côtés. Les négociations se poursuivent à Genève. C'est un petit progrès, mais c'est un mécanisme de prévention de crise, et tout le monde est d'accord là-dessus. Les négociations sur le Vietnam et les Balkans ont duré de nombreuses années. A Tbilissi certains militants de droits de l'Homme ont dit que nous les avions trahis.
Q - Mais des négociations sont toujours mieux que la guerre.
R - Je pense que oui. Je suis allé en Ossétie du Nord pour rencontrer les réfugiés de Tskhinvali, du côté russe. Ce sont des gens qui ont tout perdu. J'ai été dans leurs camps de réfugiés, pas par intérêt, mais parce qu'il est très important de tout voir des deux côtés. Je ne sais pas si ces gens sont revenus chez eux, mais les réfugiés du côté géorgien ne sont par rentrés chez eux.
Q - Cet automne nous célébrons le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. Nous nous sommes tous alors réjouis, vous y compris, Monsieur le Ministre, de la chute des barrières à l'intérieur de l'Europe, et nous avons espéré qu'il n'y en aurait jamais plus. Etes-vous toujours optimiste à ce sujet ?
R - Je pense que la situation est maintenant meilleure. Même pour la Russie, malgré les nombreux problèmes que vous affrontez. Je me rappelle parfaitement le moment où le mur s'est écroulé, c'était pour moi inattendu. Car, un mois avant, Mitterrand avait visité l'Allemagne de l'Est et avait salué l'existence de deux Allemagne, et non d'une seule. Et comme toujours avec les grands bouleversements historiques, personne n'avait prévu cela. De même, d'ailleurs, que la crise économique. Il y avait des experts, qui gagnaient des salaires énormes avec leurs conseils en matière de placement, et ils n'ont pas discerné cette crise.
Aujourd'hui votre pays est beaucoup plus libre. Bien sûr, il y a beaucoup de rudesse, beaucoup de victimes, mais pour la majorité des gens aujourd'hui cela va mieux. Je ne dis pas que la vie quotidienne est plus facile, je sais qu'il y a des gens qui souffrent, que le système de santé publique s'est effondré, mais dans l'ensemble la situation a évolué vers le mieux.
Q - A l'époque de Malraux le budget du ministère français de la Culture a augmenté trois fois plus vite que le budget des autres ministères. Quelle attention porte aujourd'hui votre pays à la culture ?
R - Une attention nettement moindre. En fait, à cause de la crise il y a moins d'argent. Moins de 1% est consacré à la culture. J'ai plus d'argent, au ministère des Affaires étrangères, pour développer les relations internationales dans le domaine de la culture que n'en a le ministre de la Culture. Mais le ministère de la Culture reste très important pour l'image du pays. En outre, un système de financement indépendant du ministère de la Culture a été préservé. Il y a des mécanismes d'avances sur recettes pour les films et de soutien à la production qui ne sont pas gérés par l'Etat, mais par les structures administratives du cinéma. Chez nous, 150 films sont réalisés chaque année (parmi eux, il y en a beaucoup de mauvais), ce n'est pas un petit chiffre, même comparé à Hollywood.
Q - Une question sur la lutte contre la corruption. Pensez-vous que cette lutte est possible sans la participation d'un autre pays si, comme c'est le cas avec la Russie, il y a toujours de tels intérêts en jeu ? Un petit exemple. Un ancien fonctionnaire du Fonds russe de la propriété fédérale a investi en France près d'un million d'euros dans une agence immobilière française. Les services secrets français en ont informé leurs collègues russes mais, pour autant que nous sachions, aucune suite n'a été donnée à l'affaire. En conséquence, en France, on ne s'est pas non plus intéressé à la provenance de l'argent. Cela n'illustre-t-il pas le fait que l'" égoïsme financier " et les intérêts nationaux l'emportent sur l'idée de la lutte contre la corruption ?
R - Bien sûr, dans les moments de crise nous nous réjouissons des investissements, mais il y a au ministère des Finances un département dont la mission est d'enquêter sur la provenance des crédits. On n'admet pas en France le moindre investissement frauduleux. En l'occurrence, je pense que nos avocats pourraient organiser une enquête internationale. J'essaye de trouver des exemples de cas où nous avons refusé des investissements, j'essaye...
Q - Surtout sur la Côte d'Azur et à Biarritz....
R - Les Français ne vont plus là-bas, c'est démodé. Et les plus beaux terrains et maisons ont été achetés par des gens qui "se sont enrichis très vite". Tenez, un exemple : on a refusé un investissement d'Afrique, car il y avait des informations négatives sur la provenance des fonds...
Vous savez, les paradis fiscaux, c'est là où investissent ceux qui opèrent avec de l'argent sale. Maintenant ces "paradis fiscaux" disparaissent, c'est la demande de la France, avec laquelle Mme Merkel et le G20 ont été d'accord. L'un après l'autre, ces pays quittent la liste noire pour accepter les contrôles internationaux. Pour la première fois, en Suisse, les banques ont accepté de transmettre à l'inspection des impôts américaine 1.500 noms. Il n'y a pas longtemps, ils nous ont également permis de savoir qui dépose son argent en Suisse.
Q - Mais ne risque-t-il pas d'arriver que des pays, qui ne disposent pas de ressources naturelles et pas d'autres moyens d'attirer les investissements étrangers que le secret bancaire et un bas taux d'imposition, perdent d'importantes ressources ? Par cette transparence internationale, vous les réduisez de facto à la mendicité.
R - Quel malheur ! Je ne les plains pas vraiment. Non, ils doivent respecter les standards internationaux. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont élaboré des règles communes. Les banquiers ne seront pas vexés mais il est nécessaire que le contrôle ait lieu de façon ouverte, comme en Suisse.
Le Luxembourg, la Suisse et Monaco vont sortir de cette liste. Il ne faut pas dire que c'est déjà fait, mais un mouvement a lieu, et ils prennent le chemin de la transparence internationale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2009