Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le rôle de l'UNESCO et l'urgence de son renforcement, Paris le 8 octobre 2009.

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Circonstance : Réception au Quai d'Orsay à l'occasion de la Conférence générale de l'UNESCO en présence de Bernard Kouchner et de Luc Chatel, ministre de l'éducation, à Paris le 8 octobre 2009

Texte intégral

Madame le Directeur général désigné,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Devant vous, gardiens de ce temple de la culture et de la connaissance qu'est l'UNESCO, permettez-moi d'abord de saluer le Prix Nobel de littérature, Herta Mueller, récompensée pour avoir, "avec la densité de la poésie et la franchise de la prose, dépeint l'univers des déshérités". En cette année de commémoration des 20 ans de la chute du mur de Berlin, quel beau symbole que de décerner ce prix - véritable institution ! - à une allemande née (en 1953) dans les enclaves des minorités allemandes de Roumanie. Restituant dans ses textes les "détails ciselés (...) de la vie quotidienne dans une dictature pétrifiée", elle était interdite de publication sous le régime est-allemand et finit par émigrer en Allemagne de l'Ouest en 1987. Puis, elle continua à évoquer "les paysages de l'abandon", la vie et l'exode des populations germanophones d'Europe de l'Est ; gardienne de la richesse de leur culture.
En tant qu'Européens et Vous en tant que citoyens du monde, nous partageons la fierté et la joie de nos amis allemands. Ce Prix Nobel est bienvenu.
Paris a de nombreux privilèges. Il a celui d'accueillir l'organisation qui, depuis 60 ans, ancre dans l'esprit des hommes la défense de la paix. Et Paris a le privilège de vous accueillir ce soir.
Il y a deux jours, l'UNESCO a ouvert sa 35ème conférence générale. Les chefs de délégation ont eu l'occasion de prendre la parole et d'exprimer la vision de leur pays. Pour la France, c'est mon collègue et ami Luc Chatel, ministre de l'Education nationale et porte-parole du gouvernement, qui s'est exprimé hier devant vous. C'est avec lui que j'ai le plaisir de vous recevoir ce soir, au Quai d'Orsay.
C'est une grande fierté pour la France d'abriter l'UNESCO sur son territoire. La conviction de mon pays, ma conviction, c'est que nous ne pourrons pas atteindre l'objectif ambitieux que les Nations unies se sont données - celui d'un monde plus sûr, plus prospère et plus libre - si nous ne mettons pas au premier plan de nos préoccupations l'éducation, la culture, la science.
Comment parvenir à la paix, si l'on n'a pas crée les conditions de cette paix dans l'esprit des hommes ? Comment atteindre un développement partagé et durable si l'on n'accorde pas la priorité à l'éducation et à la recherche? Comment renforcer les droits de la personne si l'on n'encourage pas la diffusion des connaissances, la communication des informations, la circulation des livres des oeuvres de l'esprit ?
Mais pour mon pays, dont je me plais à rappeler qu'il fut l'un des grands artisans de ce siècle des "Lumières", et qui appelle aujourd'hui de ses voeux une politique de civilisation - l'éducation, la science et la culture doivent aussi être recherchées pour elles-mêmes. Il y a dans notre volonté d'apprendre, de connaître, dans notre tentative de comprendre le sens de notre expérience quelque chose de fondamental, qui doit être protégé et développé. "Vivre, c'est transformer en conscience une expérience aussi large que possible" écrivait Malraux dans la Voix Royale. L'UNESCO, nous le pensons, est là pour rappeler, en permanence, cette vérité.

Mesdames et Messieurs, l'UNESCO vit, à l'occasion de cette 35ème conférence générale, un changement important. Une page se tourne avec le départ de son directeur général. C'est l'occasion pour moi de rendre hommage à M. Matsuura, de rendre hommage à son action tout au long des dix années qu'a duré son mandat à la tête de l'UNESCO. M. Matsuura a d'abord relevé une mission difficile : la réunification de la "famille UNESCO". Il a su reconquérir le coeur de nos amis américains, qui avaient quitté l'organisation en 1984. Ils sont de retour parmi nous depuis 2003. C'était nécessaire. Il a travaillé à l'affirmation de l'UNESCO sur la scène internationale et, partant, la défense de nos valeurs communes : convention sur la diversité des expressions culturelles, convention sur le dopage dans le sport, déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'Homme, convention sur la sauvegarde du patrimoine immatériel. Ce sont des acquis considérables ; une nécessité dans un monde qui tourne à une vitesse accélérée avec le risque, parfois, de perdre ses repères, d'être pris de vertige. Enfin, M. Matsuura a inscrit l'UNESCO dans l'indispensable réforme des Nations unies - j'y reviendrai - et renforcé la nécessaire coopération avec les autres agences.
Avec votre désignation par le Conseil exécutif au poste de directeur général, Chère Mme Bokova, c'est une nouvelle ère qui s'annonce. Pour la première fois, une femme est désignée à ce poste prestigieux. Il était temps ! Et pour la première fois aussi une personnalité originaire d'Europe orientale, riche de l'expérience des réconciliations pacifiques - ce qui n'est pas nécessairement inutile après les turbulences récentes.
L'UNESCO doit désormais regarder vers l'avenir et se remettre au travail.
Chère Madame Bokova, je vous présente mes très chaleureuses félicitations et m'emploierai à vous apporter le soutien de la France dans la mise en oeuvre du "nouvel humanisme" dont vous vous réclamez.
Mesdames et Messieurs, je répète : plus de soixante ans après sa création, le mandat de l'Organisation reste plus que jamais pertinent. Aussi la France appelle-t-elle l'UNESCO à affirmer davantage son rôle, sa visibilité, sur la scène mondiale. Elle souhaite que l'UNESCO contribue à réaliser des avancées sur un certain nombre de sujets fondamentaux.
Le premier de ces sujets fondamentaux est celui de l'éducation. L'UNESCO doit poursuivre ses efforts en faveur de la réalisation des Objectifs du Millénaire relatifs à l'éducation. L'"Education pour tous", pour lequel elle s'impose comme chef de file au sein du système des Nations unies, doit rester son horizon et son objectif. Des progrès inédits ont été réalisés dans certains pays ; j'ai plaisir à citer le Bénin, la Tanzanie, le Gabon. Nous pouvons nous en féliciter, mais ne pouvons nous en contenter : nous sommes encore très loin des résultats escomptés. Je sais que les voeux des Objectifs du Millénaire sont des voeux pieux mais, finalement, cela s'ancre dans l'esprit des gens, aussi bien l'éducation que bien d'autres sujets et finalement cela a été très bénéfique.
Et, il ne faut pas nous leurrer, l'aide publique au développement ne pourra seule faire face aux besoins - gigantesques - auxquels l'Organisation doit répondre dans ce domaine ; pas plus d'ailleurs qu'elle ne pourra seule couvrir la réalisation des autres Objectifs du Millénaire.
Il nous faut être inventif. C'est pourquoi la France s'engage activement dans la recherche de sources innovantes de financement du développement et appelle de ses voeux l'instauration d'une contribution volontaire assise sur les transactions financières internationales - je répète, c'est assez simple, sur toutes les transactions financières internationales. On peut discuter du chiffre, mais il conviendrait de prélever, par l'intermédiaire des banques, 0,005%, c'est-à-dire sur 1 000 euros, 5 cts d'euros ; ce qui représenterait au moins 25 milliards d'euros par an. Ceci fut accepté au G20 et confié pour une part au FMI. L'UNESCO doit, je vous le demande, relayer ce message et se mobiliser pour cette cause.
Je réaffirme l'engagement de la France à respecter, en dépit - et encore plus, à cause - de la crise économique et financière qui nous ébranle tous, ses ambitions en matière d'aide publique au développement.
Mesdames et Messieurs, L'UNESCO doit naturellement poursuivre sa mission de protection du patrimoine mondial. Elle en est la gardienne. Le travail accompli jusqu'ici pour la préservation et la valorisation des sites naturels et des monuments reste remarquable. C'est ce dont témoigne l'exposition que vous pouvez voir ce soir dans les salons du Quai d'Orsay et qui présente les sites français classés par l'UNESCO. Ce travail de protection doit être poursuivi et approfondi, notamment avec le patrimoine culturel immatériel.
Nous attendons aussi de l'UNESCO qu'elle joue pleinement son rôle dans le dialogue des cultures. Ce dialogue est consubstantiel au mandat de l'organisation, organisation qui a oeuvré depuis sa création à la reconnaissance de l'égale dignité des cultures - qui est un grand acquis des travaux des anthropologues des années 1960 ! - et combattu la thèse du conflit entre les civilisations. Dans ce domaine, les initiatives se multiplient. Il va de soi que l'UNESCO a vocation à en être l'enceinte privilégiée.
Bien sûr, je souhaite également mentionner devant vous la Convention sur la diversité des expressions culturelles, dont le groupe francophone et la France furent d'ardents défenseurs. Nous continuerons à agir en faveur de sa mise en oeuvre effective et j'appelle les pays qui ne l'ont pas encore fait à adhérer à ce texte, fondamental pour l'échange des idées et des oeuvres, primordial pour le respect et l'enrichissement mutuels. La mondialisation ne doit pas être synonyme d'uniformisation. Et c'est le rôle de l'UNESCO de porter cette exigence de diversité culturelle.
Le troisième sujet sur lequel la France souhaite voir l'UNESCO s'investir : la société du savoir et de l'information. A l'heure où le monde des médias est en pleine mutation, il est du devoir de l'UNESCO d'oeuvrer pour la libre circulation des idées, l'accès de tous à l'information et au savoir. Il est surtout de sa responsabilité de ne jamais transiger pour protéger et garantir constamment la liberté d'expression. Mais l'avènement de cette société de l'information pose aussi des questions éthiques : l'UNESCO offre un forum de réflexion privilégié pour en débattre.
Enfin, dernier sujet : le développement durable. L'UNESCO en a fait sa priorité scientifique au travers notamment de la mise en oeuvre de grands programmes tels que L'Homme et la Biosphère, le Programme hydrologique international, la Commission océanographique internationale. Félicitations ! Il faut aller plus loin. Il est indispensable que l'UNESCO soit pleinement impliquée dans la réflexion que mènent les Nations unies sur les questions fondamentales de l'environnement, notamment sur le changement climatique. Nous le savons, il y a urgence. La crise économique ne nous autorise pas à remettre à plus tard le devoir de préserver notre planète, au contraire, elle nous oblige à réfléchir différemment : à penser une croissance durable et verte. C'est pourquoi nous devons tous être mobilisés en vue d'aboutir, en décembre prochain, à Copenhague.

Mesdames et Messieurs, Je vous assure de l'engagement permanent de la France en faveur de l'UNESCO et, au-delà de cette organisation, en faveur du multilatéralisme. Nous souhaitons une UNESCO renforcée dans un système multilatéral rénové ; un grand travail, indispensable et urgent. Il faut réinventer un système multilatéral efficace, capable de se saisir et de relever les grands défis globaux. Je pense aux questions environnementales et c'est l'objectif du projet d'organisation mondiale de l'environnement, porté par le président Sarkozy. Je pense aussi à la bioéthique, à l'Internet, aux questions sociales, à la régulation économique, etc.
Ce système international doit aussi être plus cohérent. Il importe de mieux articuler le travail des institutions internationales entre elles, tout en réaffirmant le caractère central de l'ONU. Ne perdons pas de vue que la seule organisation internationale de la planète s'appelle l'Organisation des Nations unies. Je renouvelle mes félicitations à l'UNESCO pour ses efforts en faveur d'une meilleure harmonisation de ses actions avec celles des autres agences.
Enfin, et ce point est capital, le système multilatéral doit voir sa légitimité améliorée. Produit de l'histoire du XXème siècle, il doit devenir celui du XXIème siècle. Il doit être plus représentatif de la diversité du monde. Il doit prendre en compte le bouleversement des équilibres de l'Ouest vers l'Est ; du Nord vers le Sud ; du national vers le local et le mondial. Aujourd'hui, il s'agit de faire place aux nouveaux venus dans les enceintes et forums internationaux. C'est la raison pour laquelle la France prône, en particulier, l'élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies. C'est également cette logique qui a conduit la France à proposer la création du G20.
Mesdames et Messieurs, toutes les évolutions du monde, dans ses progrès, mais aussi dans ses régressions et ses crises appelle à plus de solidarité et, oserais-je dire à plus d'intelligence. Je pense plus particulièrement à ce qui se passe en ce moment en Guinée. Permettez-moi de vous dire qu'un massacre comme celui-là ne doit pas rester impuni. Ne l'oublions pas aujourd'hui, sous prétexte qu'il a eu lieu la semaine dernière. Il faut savoir - et surtout oser - penser le monde pour en relever les défis. Tout appelle donc à mettre l'éducation et la culture au coeur de notre action. Et pour cela, plus que jamais, nous avons besoin de l'UNESCO.
Bonne chance Madame Bokova,
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 octobre 2009