Texte intégral
Monsieur le Président,
Je vous remercie de m'accorder quelques minutes sur un problème important. Je vais m'efforcer de répondre à cette attente mais, d'avance, veuillez pardonner ma brutalité parce que le problème de l'Afghanistan, de notre engagement en Afghanistan, mériterait un peu plus de temps.
Nous sommes dans un mauvais moment, et notre engagement en Afghanistan a mauvaise presse, l'opinion publique ne comprend pas. Il y a, évidemment, eu la fraude électorale. Hier, le Représentant spécial de M. Ban Ki-moon, Kai Eide, a parlé de "fraude massive". Que voulait-il dire par cette expression ? Que nous allons avoir un deuxième tour ? Peut-être, peut-être pas. Il y a eu des attentats, le trafic de drogue, etc... Le moment est donc difficile, et il est temps de réfléchir plus avant à notre engagement. J'aborderai quelques points.
Le premier qui me vient à l'esprit, c'est évidemment l'intervention militaire et les qualificatifs que l'on entend. L'intervention militaire est juste et nécessaire, mais il n'y aura pas de solution militaire dans ce pays. L'intervention est un exercice de légitime défense, si l'on pense au 11 septembre, et c'est une intervention autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Elle est donc juste et nécessaire. Mais cette intervention, aussi juste soit-elle, est extrêmement difficile pour ceux qui connaissent le pays. Beaucoup s'y sont "cassés les dents". Maintenant, on semble découvrir des spécialistes de l'Afghanistan dans tous les endroits du monde, et il y a des articles de presse qui nous conseillent une voie ou une autre. C'est très bien qu'on le découvre, et c'est très bien aussi que l'on découvre que malheureusement 'la guerre est un exercice dangereux, qui fait des morts, beaucoup de morts. Je pense bien sûr aux soldats qui tous les jours tombent pour un pays qui n'est pas le leur et pour une idée de la démocratie, pour une certaine démocratie et une certaine protection de la population afghane.
Pour nous les Français - je ne parle pas pour les autres -, il n'est donc pas question de partir aujourd'hui.. 22 pays européens combattent aux côtés des Américains, des Canadiens et de bien d'autres nationalités : cette opération est une opération de l'OTAN. Conseil de sécurité, OTAN et puis "enduring freedom". Il y a eu beaucoup d'additions, beaucoup de commandements, ce qui ne facilite pas les choses. Mais il n'est pas question de partir aujourd'hui et, si nous en avions l'intention, il suffirait, pour nous en dissuader, de penser à ceux qui ont été assez courageux en Afghanistan pour aller voter. Les femmes qui sont allé voter sont très courageuses. Peut-être n'étaient-elles pas assez nombreuses ? Il est certain qu'il y a eu des fraudes mais ne balayons pas l'ensemble des élections qui, parce qu'elles ont eu lieu, furent un succès.
Peut-on réussir militairement ? Non. Mais, malheureusement, pour réussir le plus simplement possible, il faut non pas se livrer à la chasse aux Taliban, même si c'est indispensable, mais il faut s'approcher au plus près des populations afghanes. Ce sont elles qui exigent notre succès, notre obstination, notre constance. Je dis qu'il n'y aura pas de succès militaire mais il faut cependant des opérations militaires suffisantes pour sécuriser les zones où les projets sont proposés aux populations afghanes. Il y a là une contradiction permanente et, pourtant, il faut maintenir cet effort de sécurisation sans lequel les populations afghanes - particulièrement les pères et les mères de famille qui voudraient que leurs enfants puissent connaître un meilleur avenir - sont perdus et menacés par les Taliban dès que nos troupes se retirent.
Il y a là un cercle très difficile à rompre. Je ne m'imagine pas une seconde que les élections vont amener un régime démocratique à l'occidentale. Ceux qui ne connaissent pas l'Afghanistan peuvent y rêver, ceux qui connaissent l'Afghanistan ne demandent pas cela. Ils demandent que l'accès aux populations soit plus facile, ils veulent mettre les populations afghanes au centre de notre dispositif militaire, au centre de notre dispositif civil et tourner tous nos efforts vers ces populations civiles.
C'est le sens de la Conférence de Paris qui s'est tenue sur l'Afghanistan l'année dernière. Après avoir entendu de très nombreuses ONG afghanes, françaises et internationales - mais surtout afghanes -, nous avons commencé de parler d'"afghanisation". Le mot a été employé dans bien d'autres guerres mais je crois que maintenant tous les contingents, tous les chefs militaires, y compris M. McChrystal, non seulement tiennent compte de cet élément, de la population, mais c'est l'essentiel de son message. Je ne prends pas partie dans cette interrogation qui consiste à avoir des buts militaires sans avoir de stratégie civile et politique. Le président Obama l'a dit très justement, c'est aux Américains de se déterminer sur les demandes de M. McChrystal. J'ai vu Hillary Clinton pendant deux longues heures avant hier. Je crois que les décisions vont être prises après des consultations extrêmement nourries. Nous verrons bien, mais d'abord il va falloir un résultat à ces élections.
Quelle que soit l'issue, il faudra l'accepter. Quelles que soient les conclusions des deux commissions, une commission indépendante avec les Afghans et une autre commission dirigée par un Canadien, nous devrons l'accepter. Soit le président Karzaï sera élu parce qu'il aura obtenu plus de 50% des voix, soit il faudra un deuxième tour.
Le deuxième tour, si j'ai bien compris, on n'envisage pas de le reporter à l'année prochaine. Au contraire, il devrait être organisé tout de suite, c'est-à-dire au mois de novembre quand il y aura déjà de la neige. Cela ne va pas faciliter la compréhension de nos opinions publiques, il sera encore plus difficile de les convaincre. C'est de la politique, mais sans l'opinion publique on ne continuera pas la guerre longtemps. Il faut convaincre nos opinions publiques de la nécessité d'aider les Afghans, il faut les convaincre que nous ne faisons pas la guerre aux Afghans mais qu'au contraire nous les aidons à affronter différemment un terrorisme, une vision de la société extrémiste qu'ils refusent pour une part.
Je résume : la guerre est très difficile, personne n'a jamais gagné en Afghanistan. Nous sommes engagés dans une opération de longue haleine, il n'est pas question de partir maintenant. Il est question de créer les meilleures conditions pour le gouvernement, qui dans un premier temps doit sortir de cette élection, puis autour de lui une administration, une armée, une police qui pourrait elle-même prendre en charge les affaires. C'est un petit exemple concernant l'armée, la police - je le répète à chaque fois et Thierry Mariani, notre ambassadeur pour l'Afghanistan m'a entendu maintes fois là-dessus : comment voulez-vous que nous gagnions alors que les policiers que nous formons sont payés trois fois moins que les combattants payés par les Taliban ? Ce pays dans sa réalité est un pays de pierres. C'est l'un des pays les plus pauvres du monde, avec quelques dollars, les Taliban font vivre une famille. Nous, nous disons nous allons former l'armée. Il est vrai que l'armée est mieux formée que la police mais elle n'est pas assez payée non plus, et par ailleurs il n'y a que 120.000 soldats, or il en faudrait 240.000.
Si l'on ne prend pas conscience de ces réalités, nous courons à la lassitude des deux côtés. Car, et c'est mon dernier point, quelle que soit la couleur de l'uniforme, quelle que soit la nationalité du soldat qui passe, il y a maintenant plus de trente ans que les Afghans voient passer des hommes en armes dans leurs villages jour et nuit et pour eux cela ne fait pas de différence. Ils sont toujours aussi malheureux, toujours aussi opprimés par les Taliban eux-mêmes, ils sont fatigués de cette guerre et veulent la paix pour leur famille.
Je n'en ai pas parlé, mais vous savez bien sûr qu'il y a le problème des voisins, nous les avons réunis à Paris, à La Celle Saint-Cloud. Depuis tout le monde parle aux voisins mais ce n'est pas suffisant. Le problème ne sera pas réglé seulement en Afghanistan mais avec ce qui l'entoure, avec son environnement. Quand je dis "environnement", il y a évidemment le Pakistan, ce n'est pas parce que l'on a dit "Afpak" que l'on a réglé le problème, il y a maintenant des menaces très précises et très fortes. C'est tout de même la première fois que le "numéro un" de l'armée pakistanaise est attaqué directement. Ne confondons pas les deux pays. Il faut gagner le coeur des Afghans pour leur laisser la possibilité d'administrer leur pays tous seuls.
Q - (Concernant la possibilité d'une union nationale autour des différentes communautés afghanes)
R - La communauté la plus importante vivant en Afghanistan est la communauté pachtoune. Les pachtounes sont des éléments-clés de la situation actuelle afghane. Il y a d'autres communautés comme les Tadjiks. Il s'avère que le président Karzaï est pachtoune et que M. Abdullah Abdullah est tadjik. Souvenez-vous, il y a vingt ans une guerre sanglante opposait Tadjiks et Pachtounes. Il faut un gouvernement d'union nationale. Nous devons tous faire pression pour qu'ils travaillent ensemble. Nous verrons après la proclamation du résultat des élections. Il me semble que la communauté internationale doit faire pression sur ces deux personnes, même si la communauté internationale ne partage pas les mêmes points de vues. Nous devons en parler et nous réunir, je viens de rencontrer Hillary Clinton et dans les jours qui viennent les vingt-deux nations européennes qui se battent sur place vont se retrouver pour aborder cette question.
Ensuite, s'agissant du Pakistan et de l'Iran. Nous sommes tous conscients que les frontières sont ouvertes et laissent passer drogues, armes... mais elles ne sont pas ouvertes à la politique. Nous avons réuni l'ensemble des voisins de l'Afghanistan en vue de travailler ensemble, et nous devons continuer à le faire.
J'ai proposé à la diplomatie russe, à M. Medvedev, il y a quatre jours, de faire partie des négociations de l'OTAN concernant l'Afghanistan et ils ont accepté. Hillary Clinton l'a également accepté. Il y a de grands avantages à parler avec eux. N'oubliez pas qu'il y avait près de 130.000 soldats russes en Afghanistan et ils ont perdu. Ils nous conseillent sur les stratégies à adopter. Il ne s'agit pas d'occuper le pays mais de travailler auprès des populations afghanes, dans les villes en vue de leur donner l'espoir d'un avenir meilleur, comme envoyer les petites filles à l'école. Nous devons développer une relation de confiance avec eux. La nouvelle stratégie doit donc être consacrée à l'approche de la population afghane. Il ne faut pas éluder le problème des pays voisins, nous savons que l'argent, l'aide provient de nombreux pays dont principalement le Pakistan, l'Iran. La situation se résoudra aussi à travers une approche régionale.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 octobre 2009