Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'entrée en vigueur et la mise en oeuvre du Traité de Lisbonne, Paris le 14 octobre 2009.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration à l'Assemblée nationale, à Paris le 14 octobre 2009

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires européennes,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Depuis juin 2007, lorsque nous avons posé les bases du Traité de Lisbonne, sur l'initiative de Mme Angela Merkel et du président de la République, j'ai eu, à plusieurs reprises, l'occasion de m'exprimer devant vous sur l'avenir institutionnel de l'Europe. Cette évolution de l'Union vers de nouvelles institutions plus efficaces est une nécessité, mais il est temps maintenant de tourner cette page, de ne plus parler du Traité de Lisbonne et de le mettre en oeuvre.
Grâce au vote irlandais, nous sommes sur le point de le faire et je remercie nos amis irlandais.
Désormais, l'ensemble des Parlements ou des peuples des vingt-sept Etats membres se sont exprimés en faveur de ce Traité. Il nous faut attendre la réponse de la Cour constitutionnelle tchèque pour qu'une dernière ratification ait lieu, ce qui nécessitera quelques jours ou quelques semaines supplémentaires.
La Cour a déjà eu l'occasion de trancher cette question, je reste donc confiant ; nous espérons que cela ne sera l'affaire que de quelques semaines. Dès lors, il reviendra au président Klaus de signer. Il aurait demandé de nouvelles garanties sur la non-rétroactivité de la Charte des droits fondamentaux. La position de la France et de tous les partenaires qui se sont exprimés jusqu'ici est claire : toute renégociation du Traité qui entraînerait une nouvelle ratification des Vingt-sept est exclue.
Il revient donc à la Présidence suédoise de voir avec les autorités tchèques et l'ensemble des partenaires européens comment cette question peut être résolue. Cela devrait être possible entre partenaires de bonne foi puisque le Premier ministre tchèque, lui-même, a affirmé que la question soulevée par le président Klaus avait été prise en compte par son gouvernement lors de la négociation du Traité.
Aujourd'hui, nous sommes à quelques semaines de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Il s'agit d'un moment historique. En ces temps de "désenchantement européen", ce Traité offre à l'Europe une opportunité - j'en suis profondément convaincu - pour répondre aux attentes et aux inquiétudes, parfois légitimes, de ses citoyens.
Il conduit à une Europe plus démocratique et plus proche d'eux. En donnant plus de poids aux Parlements nationaux et au Parlement européen, le Traité redonne la parole aux citoyens et renforce leur contrôle sur les décisions.
Il conduit à une Europe qui ouvre de nouveaux domaines de compétences pour mener une politique commune sur l'énergie, le domaine spatial, le tourisme, le sport : autant de domaines dans lesquels les citoyens européens peuvent se reconnaître ou se projeter dans l'avenir.
Il conduit à une Europe plus efficace en facilitant la prise de décision grâce à l'extension du champ de la majorité qualifiée.
Enfin, il conduit à une Europe incarnée qui pèse et fait entendre sa voix sur la scène internationale parce qu'elle sera plus efficace et visible avec un président du Conseil européen stable - deux ans et demi - et doté d'une capacité d'entraînement, avec un Haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité bénéficiant de moyens d'action renforcés, dont une véritable politique de défense européenne, condition d'une diplomatie de grande puissance. Le diplomate peut-il se passer du soldat, pour reprendre les deux figures symboliques des relations internationales ? Je ne le crois pas.
Le fonctionnement effectif des institutions dépendra beaucoup du choix des personnalités nommées à ces postes clefs et des équilibres qui seront trouvés. Le choix des profils à privilégier renvoie à notre conception de l'Europe et à des enjeux politiques déterminants, en termes de pouvoir et d'influence. C'est pourquoi nous estimons que ces postes requièrent tous des personnalités fortes et influentes.
De nouveaux défis émergent, les équilibres du monde ont changé. L'Europe doit disposer des outils et des moyens pour en dessiner les contours avec ses grands partenaires.
Nous avons montré la voie sous la Présidence française en intervenant comme médiateurs et pacificateurs du conflit en Géorgie, en lançant le G20 face à la crise économique et en faisant adopter le paquet énergie-climat...
Le Traité de Lisbonne est donc le fondement sur lequel pourra progresser cette Europe du XXIème siècle, forte et influente, en mesure de répondre aux attentes qu'elle suscite dans le monde comme auprès de ses citoyens.
Depuis le vote irlandais, il ne s'agit donc plus, je l'ai dit, de savoir si, mais quand, le Traité de Lisbonne entrera en vigueur. Les travaux préparatoires à cette entrée en vigueur s'accélèrent à Bruxelles.
Une quinzaine de jours seulement nous sépare du Conseil européen des 29 et 30 octobre. Il est encore difficile aujourd'hui de savoir si, à cette date, la Présidence suédoise aura suffisamment de garanties et de certitudes pour engager les consultations sur les futures nominations politiques aux "grands postes européens" : les membres de la Commission, le président stable du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique étrangère. En tout état de cause, les chefs d'Etat et de gouvernement devront confirmer la prolongation de quelques semaines de la Commission sortante.
Lors de ce Conseil, seront également fixées les grandes lignes de ce que sera le Service européen d'action extérieure, c'est-à-dire le futur "ministère des Affaires étrangères" de l'Union européenne. Cette nouvelle force de frappe diplomatique exigera le plus grand et le meilleur service diplomatique au monde. Dès l'entrée en vigueur du Traité, nous devrons très vite en former l'embryon, au service du Haut représentant, ce qui lui permettra d'exercer un véritable pilotage de l'ensemble de l'action extérieure de l'Union, y compris de ses instruments financiers. Ce service devra puiser ses membres au sein de la Commission, du secrétariat général du Conseil, mais aussi des vingt-sept Etats. Nous nous y préparons pour renforcer notre politique d'influence. C'est sur sa capacité d'analyse et d'action que se joueront l'efficacité et la crédibilité de la diplomatie européenne. La plus grave erreur serait d'en faire une nouvelle bureaucratie européenne.
Il s'agit donc désormais pour nous de poser les principes permettant de mener une politique européenne plus efficace et plus cohérente. Je pense à l'action de l'Europe en Afghanistan, très présente, mais trop dispersée entre la Commission, le représentant spécial de l'Union européenne et les Etats membres, ce qui nous prive de l'exercice du leadership politique auquel nous pourrions prétendre. Le Traité de Lisbonne nous aidera à nous prendre notre juste place.
J'en viens maintenant à un deuxième sujet essentiel de ce Conseil européen : la préparation de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique, qui aura lieu en décembre prochain, c'est-à-dire dans moins de deux mois.
Le changement climatique constitue un énorme bouleversement, un changement dans l'histoire du monde qui nous concerne tous. Mais l'effort ne peut et ne doit pas être le même pour tous et c'est aux plus démunis que l'effort apparaîtra le plus coûteux. En cette journée mondiale de l'alimentation, cette injustice supplémentaire nous est rappelée. Comment demander aux plus démunis de ne pas polluer alors même qu'ils luttent pour leur survie et, surtout, comment convaincre nos partenaires, notamment les pays émergents, qui sont en passe de rattraper voire de dépasser les pays développés en matière d'émission de gaz à effet de serre, de partager le fardeau ? Il s'agit d'un véritable exercice diplomatique, mais aussi et surtout d'un défi politique, pour lequel mes homologues européens et moi-même sommes totalement mobilisés. Il nécessitera la mise en oeuvre de mécanismes de financement innovants - la taxation mondiale des mouvements de capitaux figure dans ce programme. Je le répète, la France est à l'initiative de cette contribution qui figure au programme du Fonds monétaire international.
La lutte contre le changement climatique : voilà un domaine dans lequel l'Europe a su montrer la voie depuis le Conseil européen de mars 2007 et l'adoption du paquet énergie-climat en décembre, sous Présidence française, en s'accordant sur des objectifs ambitieux et en définissant les grandes orientations à suivre pour limiter, à l'horizon de l'année 2050, à 2 degrés maximum la hausse de la température moyenne mondiale par rapport au niveau de l'époque pré-industrielle.
L'Europe a orchestré le mouvement de la négociation internationale. Celle-ci progresse. Nos partenaires évoluent. Le nouveau gouvernement japonais vient de définir des objectifs ambitieux. L'administration Obama a décidé de revenir sur ce sujet et améliore ses propositions. Nous devons profiter des sommets entre l'Union européenne et les grands pays émergents pour faire avancer ce dossier. Une session de négociation s'est achevée il y a quelques jours à Bangkok ; une autre se tiendra dans la deuxième semaine de novembre à Barcelone.
Des progrès ont été accomplis, mais nous sommes encore très loin d'un accord. Nous avons besoin d'un engagement renouvelé de l'ensemble des partenaires de la négociation, au plus haut niveau. C'est dans cet esprit que le président de la République a appelé à une nouvelle réunion des chefs d'Etat et de gouvernement dans le courant du mois de novembre pour obtenir un succès à Copenhague.
Nous attendons que l'Union fasse preuve d'ambition mais elle doit également faire preuve de réalisme et défendre ses intérêts.
Sur le financement des efforts internationaux d'adaptation et d'atténuation, l'Union européenne ne peut être seule à annoncer des engagements chiffrés pas plus qu'elle ne doit être seule à porter de 20 % à 30 % en 2020 la réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 : ses partenaires, pays développés ou nations émergentes, doivent consentir des réductions comparables pour les uns, proportionnelles pour les autres.
Enfin, l'Union européenne doit se prémunir contre le risque de délocalisation de certaines activités dans des pays qui ne consentiraient pas des efforts appropriés en la matière. C'est précisément pour limiter ce risque que nous défendons l'idée d'un mécanisme d'inclusion carbone.
Un dernier mot, Mesdames et Messieurs les Députés, sur les mesures prises par l'Union pour répondre à la crise économique mondiale. Là encore, nous avons été leader pour créer le G20 et en orienter les travaux. Continuons à nous montrer exemplaires en renforçant la régulation financière, la transparence et la responsabilité des opérateurs au sein de l'Union. La France n'acceptera pas le statu quo. Il nous faut conférer aux futures autorités européennes de supervision des pouvoirs contraignants. Une Europe incarnée, une Europe efficace, une Europe qui agit et qui entraîne, une Europe offrant un véritable espace de dialogue politique, une Europe capable de se positionner sur les grands défis globaux, climatiques et économiques, telle est l'Europe que nous devons construire ! Nous sommes, je le crois, sur la bonne voie. Le prochain Conseil européen doit nous faire progresser en ce sens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2009