Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la contribution de l'Ecole polytechnique à la formation d'un pôle scientifique de niveau mondial sur le plateau de Saclay, dans le cadre du projet du Grand Paris, à Palaiseau le 17 octobre 2009.

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Circonstance : Déplacement du Premier ministre à l'occasion de la présentation des élèves entrés en 2008 à Polytechnique, à Palaiseau le 17 octobre 2009

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mon Général,
Mesdames et messieurs les Ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames et messieurs,
Je remercie Madame Guillou pour ses mots de bienvenue.
Je veux vous dire tout le plaisir que j'ai de participer à cette cérémonie qui est si importante pour chacun des élèves et leurs familles, dont je mesure la fierté.
Ici, chaque année, une nouvelle génération prête allégeance à la Nation.
Aimer et servir la France, cela n'est pas seulement être digne de l'héritage national qui nous a été transmis, c'est aussi être conscient que l'avenir de chacun d'entre-nous dépend de notre capacité à nous inscrire dans une destinée commune.
La mondialisation n'efface pas le rôle des nations, bien au contraire. Les peuples fiers de leur histoire et de leurs valeurs sont aussi ceux qui sont ouverts, généreux et entreprenants.
Nous sommes Français. Et forts de notre identité, nous sommes aussi européens et acteurs du monde.
Nous sommes Français, de toutes confessions, de toutes origines.
Français, dit-on, divisés mais pourtant indivisibles.
Français, unis par le même passé.
Unis pour le même avenir.
Cette fierté nationale qui est la nôtre, est aussi celle de tous les élèves étrangers, qui, dans les murs de cette grande école militaire, honorent leurs pays.
Il y a deux siècles, l'Empereur Napoléon, remettait à l'élève Arago le premier drapeau de l'Ecole polytechnique.
Inscrite en lettres d'or dans les plis de ce drapeau, on pouvait lire pour la première fois la devise qui rallie les polytechniciens: "Pour la patrie, les sciences et la gloire".
Cette triade républicaine concerne bien sûr l'ensemble de la société française. Mais elle oblige particulièrement ses élites.
Vous ne serez pas tous des serviteurs de l'Etat, je le sais bien.
Mais il est des responsabilités singulières, des responsabilités républicaines, dont je vous demande de ne jamais vous départir.
Dans un monde de compétition accrue, la force de la France dépendra essentiellement de son potentiel scientifique et technique.
En ces temps d'incertitude et de scepticisme, notre foi dans le progrès est essentielle parce que c'est elle qui nourrit notre volonté et notre capacité de bâtir l'avenir.
Bien sûr, l'humanité peut, par inconscience et égoïsme, emprunter les chemins de sa destruction. Le lent processus de réchauffement de la planète et l'épuisement de ses ressources naturelles constituent un avertissement sans appel.
Mais pour autant, la peur de l'avenir ne peut guider nos actes. Nous devons croire au progrès, nous devons croire dans la puissance de la science. Nous devons y croire avec passion mais aussi avec raison.
Sous l'impulsion du Président de la République, nous voulons faire de notre nation l'une des plus rayonnantes d'Europe en matière de recherche et d'innovation.
Nous avons la conviction que l'avenir des savoirs scientifiques passe par la solidarité entre formation et recherche, entre université et entreprise, entre vitalité intellectuelle et croissance économique.
Le temps des cloisonnements est révolu !
Le progrès scientifique est une oeuvre collective, et c'est la raison pour laquelle nous avons réformé nos universités et modernisé nos organismes de recherche pour essayer de mieux les ancrer dans notre paysage économique et social.
A Palaiseau, l'Ecole Polytechnique s'est engagée à participer activement à la constitution d'un consortium scientifique et technologique de l'envergure du MIT.
L'Ecole Polytechnique a déjà commencé à conclure des partenariats. Elle devra encore les multiplier avec les acteurs présents et à venir du plateau de Saclay.
Son niveau d'excellence l'appelle à jouer un rôle moteur auprès de ses partenaires.
Tous les acteurs du Plateau sont concernés par la construction de ce pôle scientifique que nous voulons de niveau mondial.
La variété des personnalités rassemblées ici prouve que la dynamique est enclenchée.
Elle doit impérativement se poursuivre, et principalement dans deux directions :
- D'abord, en direction de la recherche et de la technologie.
D'ici 2011, nous avons prévu de doubler le potentiel de recherche du campus. Il représente déjà 1600 personnes, réparties dans 21 laboratoires conjoints à l'Ecole Polytechnique et d'autres organismes.
Le campus va accueillir de nouveaux centres d'enseignement et de recherche.
Demain, l'ENSTA, Digiteo, l'AgroParis Tech, et l'INRA pourront s'ajouter à ceux qui sont déjà présents comme Thalès et l'Institut d'Optique. Parallèlement, une nouvelle dynamique vient d'être engagée par l'ENSAE, Telecom ParisTech, et Mines ParisTech.
Je souhaite qu'elle aboutisse.
Et pour cela, nous ne laisserons aucune complexité administrative entraver cette nouvelle dynamique positive.
Depuis mai dernier, la collaboration de l'Ecole Polytechnique avec l'université Paris Sud a débouché sur la création d'un double diplôme. C'est une avancée dans le décloisonnement des universités et des grandes écoles ; elle doit être poursuivie.
Enfin, le regroupement des pôles de recherche partagé en quatre domaines va dans le bon sens.
L'un d'eux, consacré à l'Optique et aux nano sciences, vient d'être doté d'un nouveau bâtiment dédié aux nanotechnologies à proximité du campus, financé pour une large part par le plan de relance
- Deuxième direction, pour faire émerger un grand campus dédié à la technologie : l'Ecole Polytechnique doit développer des partenariats privilégiés avec les entreprises.
C'est tout ce qu'attendent les entreprises comme Renault, Danone, Thalès, ou Air Liquide, qui ont choisi d'établir sur le Plateau leurs centres de Recherche et Développement.
Le rapprochement avec des pôles de compétitivité comme SYSTEM@TIC, Médicen Santé, et Finance Innovation doit être poursuivi.
Parallèlement au rapprochement entre écoles d'ingénieurs sur le Plateau, celui de l'Ecole Polytechnique avec HEC me paraît constituer une étape importante vers l'émergence d'un grand campus interdisciplinaire comme cela se fait partout ailleurs dans le monde.
La généralisation des chaires d'enseignement et de recherche soutenues par les entreprises répond à la même logique.
L'exemple de la chaire « Modélisation Mathématique et biodiversité » qui convoque Ecole Polytechnique-Muséum d'histoire naturelle-Véolia, qui sera inaugurée le 30 novembre prochain, doit être suivi.
Mais les vertus de cette logique de solidarité ne porteront tous leurs fruits que si on les marie à une solide intégration dans l'environnement local.
Avec le projet du plateau de Saclay, nous voulons prendre de l'avance.
Nous avons adopté la logique de « clusters » encouragée au niveau européen et international. C'est en concentrant tous les acteurs de la chaîne de l'innovation que l'on peut susciter découvertes, transferts de technologie et création de richesses et d'emplois.
Le Plateau a la capacité de devenir un pôle de réputation internationale.
Le potentiel exceptionnel constitué par la présence simultanée de l'Ecole Polytechnique, de l'Ecole Centrale, Supelec, du CEA, de Paris XI, du CNRS, de l'ENS Cachan, d'HEC, a de quoi en faire l'un des plus importants au monde.
En tout, ce sont 47 000 étudiants, et 17 000 chercheurs spécialisés dans des technologies figurant parmi les plus porteuses d'avenir.
Plusieurs laboratoires du Plateau sont déjà au plus haut niveau d'excellence internationale, comme en témoignent les cinq dernières médailles Fields françaises et deux des trois derniers prix Nobel de Physique français.
Toutes les qualités sont réunies.
Il s'agit maintenant de faire émerger ce « cluster » sur la scène mondiale. C'est tout l'objectif de l'Opération campus que supervise la Fondation de Coopération Scientifique avec le délégué ministériel au secrétariat d'Etat à la région capitale.
Dans le cadre du Projet de loi sur le Grand Paris, nous avons sélectionné 9 « clusters » stratégiques.
Le Plateau de Saclay en fait partie.
Pour activer son potentiel, il faut maintenant développer l'aménagement et les transports.
Nous allons donc créer un syndicat mixte entre les collectivités concernées et l'établissement public de Paris-Saclay.
Il sera chargé de créer un plan local de transport et, le cas échéant, de le mettre en oeuvre, en veillant à ce que le principe de libre administration des collectivités territoriales soit respecté.
Ensuite, il faut valoriser l'immobilier existant, notamment universitaire, pour créer une véritable unité de lieu.
Nos aménagements devront s'adapter à la réalité locale, économiser de l'espace et être écologiquement exemplaires. Là-dessus, nous comptons sur l'implication forte des collectivités locales et du futur établissement public.
Si nous voulons que les premiers bâtiments sortent de terre d'ici 2 ans, il va falloir ensemble accélérer le mouvement !
Mesdames et messieurs,
Dans le grand bouleversement de la mondialisation, la France a plus que jamais besoin que ses élites soient conscientes de leur responsabilité éthique et sociale au service de la Nation.
Le jour venu, soyez des dirigeants éclairés et ouverts.
Ne cherchez pas à vous entourer uniquement des gens qui vous ressemblent.
La diversité des points de vue, des cultures, des tempéraments, des formations est une richesse pour toutes les organisations dans lesquelles vous serez amenés à exercer vos talents.
La solidarité historique qui anime le réseau des polytechniciens est fondamentale ; mais sachez aussi aller plus loin, et oser recruter des collaborateurs d'origines diverses, cette diversité est un investissement que vous ne regretterez pas.
Mesdames et messieurs,
Je crois nécessaire d'encourager les femmes à s'engager dans les sciences. Ce n'est pas parce que c'en est une qui dirige votre Conseil d'administration que l'on peut ignorer qu'elles sont seulement autour de 18 % à l'Ecole Polytechnique
Ce n'est naturellement pas un problème d'aptitude, c'est un problème culturel !
En tolérant que les filles soient détournées de branches professionnelles porteuses d'emploi, nous privons notre société de ressources indispensables à son développement.
Pour que les comportements changent, nous avons ensemble une action de sensibilisation décisive à mener auprès de nos concitoyens.
La formation qui vous est dispensée est une formation d'excellence.
En vous distinguant par vos capacités intellectuelles, vous avez montré que vous étiez à même de la recevoir, et capables de la faire fructifier. Mais elle ne prendra tout son sens que par ce que vous en ferez !
La sélection n'est pas une fin en soi.
Votre "gloire" sera celle des réussites collectives auxquelles vous aurez contribué, dans vos laboratoires, vos entreprises ou vos administrations. Comme ingénieurs, comme chercheurs, comme entrepreneurs, mais toujours et surtout comme innovateurs.
Le prestige de la France, ne se défend plus depuis longtemps et fort heureusement à coup de conquêtes territoriales.
Contribuer à sa gloire, c'est aujourd'hui rayonner individuellement et collectivement au profit de la France.
C'est susciter l'excellence en l'incarnant soi-même.
Je pense aux élèves de nationalité étrangère qui composent une part très importante de chaque promotion de l'Ecole Polytechnique.
Eux aussi sont invités à être des vecteurs d'excellence et à essaimer les valeurs que nous avons en commun à travers le monde.
Dans cette mission, la campagne de levée de fonds conduite par les anciens élèves afin de permettre à des élèves étrangers de financer leur scolarité à l'Ecole Polytechnique doit être saluée comme un bel exemple de mobilisation collective.
A l'issue de votre formation, une grande part d'entre vous choisira la Recherche et l'expertise technique. Je ne peux que vous y encourager à le faire, et durablement.
Près des deux tiers d'entre vous s'orienteront vers les grandes entreprises.
Je veux vous rappeler que la France manque d'entreprises de taille moyenne innovantes, et que ce sont elles qui seront nos grandes entreprises de demain.
Le Gouvernement s'est engagé en faveur de l'innovation, en proposant le Crédit d'impôt recherche et en développant les pôles de compétitivité.
N'ayez pas peur de profiter de cette dynamique et de devenir des créateurs d'entreprises. Avec un incubateur d'entreprises sur le campus, vous avez les moyens de le faire dès maintenant.
A la sortie de l'Ecole, bien des carrières vous seront offertes.
C'est le résultat d'une spécialité française : tandis que dans d'autres pays, les diplômes juridiques tiennent le haut du pavé, chez nous, le diplôme d'ingénieur reste l'un des modes d'accès reconnu à des postes de responsabilité.
Cette spécificité a largement contribué à la prospérité de la France.
Mais aujourd'hui, paradoxalement, à l'heure du débat sur l'exclusivité de la Terminale S et la prépondérance des mathématiques, nous manquons d'ingénieurs.
Pourtant, les ingénieurs jouent un rôle décisif dans le développement de notre pays. En confortant sa situation industrielle, c'est eux, en partie, qui assurent sa prospérité.
C'est eux qui sont au coeur de la bataille que nous livrons dans la compétition internationale.
Nous avons besoin d'ingénieurs pour porter nos investissements du futur !
Nous avons besoin d'ingénieurs pour développer des innovations et assurer la place des entreprises françaises sur la scène internationale !
Nous avons besoin d'ingénieurs pour défendre nos emplois et inventer ceux de demain !
Nous avons besoin d'ingénieurs pour mener des projets complexes et, par la maîtrise parfaite de leurs différents métiers, éviter à l'Etat des erreurs qui peuvent être ruineuses.
Dans ce domaine, l'Ecole a un rôle à jouer, puisque c'est elle qui aiguille les élèves vers des spécialisations et des carrières futures.
Dans l'intérêt de tous, elle doit les éclairer sur les besoins réels des différentes branches de l'économie nationale.
Les élèves ont notamment besoin d'êtres dirigés vers les spécialisations qui deviennent de plus en plus impératives pour les besoins de notre pays : l'énergie nucléaire, les nanotechnologies, ou les recherches de ruptures, comme, par exemple, les interfaces biologiques.
Chaque année à la sortie de l'Ecole, une petite centaine d'entre vous rejoint les «corps techniques» de l'Etat.
Comme jadis certains s'étaient demandés si «la République avait besoin de savants», certains se demandent aujourd'hui si l'Etat a encore besoin d'ingénieurs.
Oui nous avons besoin d'ingénieurs au service de l'Etat.
Parce qu'il existe des missions régaliennes, comme la défense ou le financement des grandes infrastructures.
Parce que l'Etat doit pouvoir se reposer sur les capacités d'analyse et de programmation de ses ingénieurs.
Je reconnais que la gestion des carrières des ingénieurs au sein de l'Etat est encore imparfaite.
Un gros travail a été fait par le gouvernement pour faciliter les échanges entre administrations : il concerne tous les corps techniques de l'Etat, et doit encore mieux cerner la question de la mobilité des ingénieurs.
Au final, quoi que vous choisissiez au sortir de l'Ecole, vous participerez au rayonnement de la France par vos qualités individuelles.
Il y en a une que vous avez tous en partage : la connaissance personnelle des sciences, et la conscience que leur exercice est exigeant.
Il y a 50 ans, Laurent Schwartz ouvrait son cours d'analyse en 1e année à l'Ecole Polytechnique sur ces mots: « Il n'y a pas de mathématiques sans larmes à l'usage des physiciens et des ingénieurs ». Que les sciences soient difficiles, vous le savez car vous l'avez expérimenté.
Vos qualités font de vous des femmes et des hommes capables de relever ce qui est à mon sens l'un des grands défis actuels : réconcilier les Français avec le progrès scientifique et technologique.
Nous devons réussir à faire la synthèse des nouveaux enjeux environnementaux et économiques.
Nous devons convaincre nos concitoyens que le progrès scientifique est source d'avancées pour l'ensemble de la société, que la qualité de vie, la médecine, et même le développement durable s'en nourrissent.
Mesdames et messieurs,
Je vous souhaite d'aller chacun planter votre drapeau sur les territoires que vous choisirez de conquérir.
Je vous souhaite d'être audacieux, parce qu'après tout, il n'est pas de gloire sans courage ni prise de risques.
Et quoi que vous fassiez par la suite, souvenez-vous des mois passés au sein des services des armées ou des services de l'Etat, et «demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays», car sa grandeur dépend de l'engagement de chacun d'entre-nous.Source http://www.gouvernement.fr, le 20 octobre 2009