Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "Canal Plus" le 16 octobe 2009, sur les perpectives d'emploi en Lorraine, la fermeture du site d'Arcelor-Mittal à Gandrange et les suicides à France Télécom.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : Nous allons recevoir maintenant L. Wauquiez, le secrétaire d'Etat à l'Emploi, que nous recevons au lendemain du 25e suicide chez France Télécom. Lui aussi doit gérer le dossier du stress au travail. Les fonctionnaires et les salariés de l'ANPE et de l'ASSEDIC ont été contraints à la fusion pour créer le Pôle emploi. Ils défileront mardi pour dénoncer leurs conditions de travail, le stress, la pression après un suicide et plusieurs tentatives, alors que dans le même temps, N. Sarkozy retrouve le chemin de Gandrange. Bienvenue.

Bonjour.

C. Roux : Bonjour. Alors, c'est vrai, N. Sarkozy a fait une visite surprise à Gandrange après avoir évité le site la semaine dernière. Il avait promis qu'il éviterait la fermeture du site. Que répondez-vous à ceux qui lui disent il n'a pas tenu ses promesses puisque le site a fermé ?

Il avait promis d'abord de se battre pour éviter des licenciements sur Gandrange.

C. Roux : Il n'a pas pu éviter les licenciements.

Il n'y a pas eu de licenciements, c'est-à-dire il n'y a pas eu de personnes qui aient perdu leur emploi sans qu'il y ait des propositions alternatives qui aient été faites. La deuxième chose qu'il avait dite, c'est : « je me battrai pour faire en sorte que Arcelor-Mittal continue à investir et puisse créer de nouveaux emplois sur la Lorraine ». Ca, c'est en cours de travail, notamment avec tout le staff d'Arcelor-Mittal. Il en a parlé hier. Et puis, la troisième chose, il a dit : « je vais essayer d'apporter de nouveaux emplois sur ce secteur », et c'est ce qu'il a annoncé hier avec un investissement de 300 millions d'euros sur des rames de TGV, les nouvelles grandes lignes qu'on va faire, sur les infrastructures au sol, et qui devraient quand même permettre de créer plusieurs centaines d'emplois.

C. Roux : Plusieurs centaines, vous pouvez être plus précis ce matin ou pas ?

Non, parce que le but ce n'est pas de faire une annonce comme ça en se faisant plaisir.

C. Roux : Ah si, si, je vous assure !

Désolé, mais non, parce que c'est quand même des emplois qui sont en cause. Donc, 300 millions d'euros c'est un montant qui est considérable pour la région, et surtout ça permet de la repositionner sur des marchés d'avenir. Si on prend un peu de champ sur cette polémique, je la trouve surréaliste. La semaine dernière, j'étais sur le plateau d'I-Télé, et la seule question c'était : N. Sarkozy n'ira pas Gandrange, il ne tient pas ses promesses, il a fui Gandrange.

C. Roux : En l'occurrence, il est passé à côté, il ne s'est pas arrêté. M. Biraben : 15 km !

Oui, sauf que cette semaine, sept jours plus tard, il est venu. Sauf qu'il n'était pas venu juste pour venir avec des caméras, il est venu avec des annonces et des choses qui étaient claires et précises.

C. Roux : Donc, vous dites "Gandrange : promesses tenues".

Oui, je dis : un, Gandrange promesses tenues ; et deux, je dis : attention à ces espèces de polémiques qu'on voit fleurir jour après jour et qui sont tournées comme des pages de feuilles mortes la semaine d'après. Et je trouve que Gandrange c'est un peu ça.

C. Roux : Certaines de ces polémiques sont entretenues par des membres de la majorité, même des ministres du Gouvernement.

Oui !

C. Roux : C'est vrai qu'il y a une forme de grogne qui s'est exprimée de la part de la majorité qui a été portée, par exemple, par R. Yade au sein du Gouvernement. Qu'est-ce que vous leur répondez ? On voit que N. Sarkozy a dû prendre la parole pour faire taire un petit peu les états d'âme de sa majorité.

N. Sarkozy a fait une grosse interview dans Le Figaro, vous en avez parlé. Le but c'est quoi ? Si on prend un peu de champ sur les quinze jours qui se sont passés, on a parlé vraiment d'affaires de fond, super importantes ? On a parlé de la polémique sur le livre de F. Mitterrand édité i l y a cinq ans.

C. Roux : C'est important l'honneur d'un homme !

L'honneur d'un homme c'est peut-être important mais que ça occupe à ce point-là, en raison d'attaques purement personnelles, l'actualité pendant plus de dix jours alors que dans le même temps, on a à s'occuper de questions d'emploi, Gandrange, ça c'est une vraie question. Que dans le même temps, on a à s'occuper de questions sur l'écologie avec le rendez-vous de Copenhague, ça c'est des vraies questions. Et, enfin, moi qui suis en charge dans le Gouvernement de la politique de l'emploi, quand je regarde ça, honnêtement ça me donne juste envie de vomir. C'est-à-dire, je trouve que c'est totalement absurde, et je pense que les Français qui le regardent se disent « non mais attendez, là, ils sont totalement à côté de la plaque ».

C. Roux : L'élection-nomination du fils de N. Sarkozy à la tête de l'EPAD, ça aussi ça vous écoeure ?

Ce qui m'écoeure c'est le fait que ça ait occupé la une de l'actualité à ce point-là pendant sept jours alors que dans le même temps on a par exemple de batailles à faire pour faire en sorte que Renault préserve tous ses emplois, qu'on a des batailles à faire pour améliorer Pôle emploi, qu'on a la question de l'avenir de la Lorraine.

C. Roux : Alors, c'est intéressant ce que vous nous dites, ça veut dire que tous ceux, y compris, encore une fois, au sein du Gouvernement, qui disent qu'il peut y avoir des conséquences auprès de l'électorat, sont à côté de la plaque ?

Non, ce n'est pas ça ! C'est-à-dire les conséquences auprès de l'électorat, à mon avis, elles sont beaucoup plus sur le fait que les électeurs qui nous regardent se disent : « attendez, ils sont en train de parler pendant sept jours soit de l'affaire de Mitterrand, soit de l'affaire de J. Sarkozy », et nous notre priorité c'est quoi ? Je ne dis pas que l'affaire de J. Sarkozy ne peut pas pour certains choquer, pour d'autres être considérée comme légitime, je dis juste on est sur une autre planète.

C. Roux : Votre électorat n'est pas déboussolé ?

Je pense que notre électorat ce dont il a besoin, et c'est le message envoyé par le Président, c'est effectivement : fin de la récré, maintenant, on se re-concentre sur les sujets qui préoccupent les Français, l'emploi...

C. Roux : ...il s'adresse à qui alors ce message ?

Il s'adresse à tout le monde.

C. Roux : C'est-à-dire, à la majorité, à R. Yade, à J.-P. Raffarin ?

Il s'adresse au Gouvernement, il s'adresse à la majorité, il s'adresse à la classe politique, et il s'adresse sans doute aussi aux débats médiatiques, et il consiste juste à dire : ok, mais il y a des vrais sujets en ce moment, c'est l'emploi dans la crise, c'est la sécurité, c'est comment est-ce qu'on remet de l'ordre dans nos finances. Et retrouver un tout petit peu le sens des priorités, je crois que c'est le message qui est assez fort adressé par le Président.

C. Roux : Vous avez vu le sondage dans Le Parisien ce matin ?

Oui, bien sûr, j'ai vu le sondage.

C. Roux : Une majorité d'électeurs de droite sont déboussolés, en tout cas contestent l'affaire de l'EPAD...

M. Biraben : ... 51 % !

C. Roux : ... et la nomination-élection de J. Sarkozy.

Mais il y a une question qui m'aurait intéressé si on le faisait en sondage, on leur demande : « Vous considérez que ça c'est le plus important ou que par exemple la politique de l'emploi et comment est-ce qu'on fait pour préserver nos emplois dans la crise, c'est le plus important ? ». Ce résultat-là, de sondage aussi m'intéresse.

M. Biraben : On va passer à France Télécom maintenant, si vous voulez bien. C. Roux : 25e suicide chez France Télécom, un ingénieur de 48 ans, expert des réseaux haut débit. L'homme avait demandé sa mutation à Rennes, elle lui avait ét?? refusée. On a le sentiment que l'Etat est impuissant face à cette situation.

Bon, d'abord ce n'est pas des situations qu'on traite comme ça.

C. Roux : Non, c'est pour ça que je donne les détails de ce... voilà.

Oui, bien sûr ! Ce qui est exprimé derrière, c'est une souffrance qui est assez vertigineuse. C'est-à-dire que c'est des gens qui sont au travail, donc qui n'ont pas ce stress de ceux qui sont au chômage, et qui pourtant ont une telle souffrance intérieure, un tel sentiment d'inutilité, d'être broyés par le système, que leur seule échappatoire c'est de se tuer.

C. Roux : Ca veut dire que l'Etat est impuissant face à ce genre de situation ?

Non, bien sûr que non ! Ce que ça veut dire c'est qu'il faut qu'on travaille tous dessus et vite. Il faut qu'on travaille vite sur ce développement du stress qui est lié aux nouvelles organisations des méthodes de travail. Ce n'est pas que France Télécom qui est en cause, on a vu aussi que des cas comme ça avaient pu arriver chez Renault, chez Peugeot.

C. Roux : Au Pôle emploi.

Au Pôle emploi où on a eu, alors...

C. Roux : ... on va y venir, on va y venir.

... heureusement, pas pour l'instant sur des sujets qui sont évidemment comparables. Mais on sent bien d'abord qu'il y a ce problème, c'est-à-dire cette nouvelle organisation de méthodes du travail qui donne l'impression de broyer les gens, d'être uniquement dans une mécanique, et que l'individu n'a plus sa place. Après, qu'est-ce que doit faire...

C. Roux : ...Vous dites : il faut travailler sur le stress. Quand ? Au 24e suicide, au 25e suicide, au 27e suicide ?

D'abord, la première chose c'est le boulot interne de France Télécom, et ça il est urgent maintenant qu'ils se retroussent les manches, et surtout, je le dis parce que je l'ai ressenti comme ça, que le PDG de France Télécom donne ce sentiment d'une empathie et qu'il aille à la rencontre de ses salariés pour comprendre ce qui se passe.

C. Roux : Il ne l'a pas suffisamment fait jusqu'à présent ?

Je trouve qu'il ne l'a pas suffisamment fait jusqu'à présent. Par contre, je trouve que S. Richard, dans sa démarche, dès qu'il a été nommé, consistant à dire « moi, je vais tourner dans les agences pour comprendre ce qui est en train de se jouer », ça c'est une bonne démarche.

C. Roux : Quelle peut être la réponse de l'Etat ?

La réponse de l'Etat derrière c'est de ne pas s'occuper uniquement de France Télécom, c'est de traiter l'ensemble du sujet et de traiter la question du stress au travail et surtout de mettre des outils de prévention. Des outils de prévention c'est quoi ? Faire en sorte que tout l'encadrement soit sensibilisé à comment je réponds quand un salarié exprime une détresse ; 2) mettre en place des dispositifs de détection à l'intérieur des entreprises pour sentir quand cette température monte ; et puis surtout, on a besoin de lieux où le salarié peut se sentir écouté, où il y a des cellules où tout simplement on peut se pose dans l'anonymat...

C. Roux : ... c'est ce que vous allez faire au Pôle emploi ?

Oui.

C. Roux : Parce qu'on va rappeler que les salariés fonctionnaires - ils ont le double statut - du Pôle emploi seront en grève mardi pour dénoncer une fusion trop rapide et des conditions de travail qui se détériorent. Vous reconnaissez qu'il y a un malaise ?

Alors, à Pôle emploi, je ne veux pas attendre qu'il y ait des accidents ou qu'il y ait des drames comme ce qui a été vécu à France Télécom pour qu'on bouge. Donc, j'ai demandé à C. Charpy, qui est le directeur de Pôle emploi, de mettre en place une action tout de suite. Première chose, c'est qu'on a mis des cellules d'écoute qui sont en place, mais qu'on va faire monter en puissance pour que quelqu'un qui a besoin de s'exprimer dans l'anonymat puisse le faire avec une cellule d'écoute. La deuxième chose c'est qu'il faut sensibiliser tous les cadres, c'est-à-dire que les cadres dans des drames comme ça, parce qu'on a regardé ce qui s'est passé chez Renault, ce qui s'était passé chez Peugeot, ce qui s'est passé chez France Télécom, les cadres jouent un rôle, d'écoute et de remontée des drames humains qui peuvent avoir lieu dans leurs équipes, fondamental.

C. Roux : On ne change pas les conditions de travail et on demande de l'écoute.

Attendez, attendez, attendez !

C. Roux : Ah bon !

Il n'y a pas que ça ! La troisième chose, c'est de faire un grand travail en interne à Pôle emploi. On va discuter de cette tension, ce qu'on appelle la tension psychosociale, et de voir, ben voilà, comment est-ce qu'on peut faire bouger les choses. Alors, faire bouger les choses ça veut dire quoi ?

C. Roux : C'est intéressant, parce que ça veut dire on ne ralentit pas le rythme de la fusion, puisque c'est ça qu'ils vous demandent, ils ne vous disent pas "on a besoin d'écoute", ils vous disent "il faut lever la pression".

Pour l'instant, ce n'est pas ce que j'ai dit. Après, ce qu'il faut aussi c'est qu'on travaille dans le cadre de Pôle emploi. Il y a deux chantiers sur lesquels on doit s'améliorer : améliorer le service rendu aux demandeurs d'emploi, ça c'est le premier ; et améliorer les outils et la méthode de travail en interne. Qu'est-ce qu'on va faire ? Pour l'instant, on a essayé de mettre en place les grandes infrastructures de Pôle emploi. Derrière, on va essayer d'améliorer le fonctionnement interne, se poser agence par agence et se dire, ok...

C. Roux : ... la question, juste très vite, est-ce que vous avez levé le pied sur le rythme de la fusion ?

Ca fait un an et demi qu'on travaille sur cette fusion. Donc, on n'a pas fait un rythme effréné. En un an et demi, on est aujourd'hui à peu près la moitié de sites mixtes, c'est une fusion qu'on essaie de faire monter en puissance avec la crise. Je pense que pour les agents, avoir des agences uniques dans lesquelles ils sont enfin ensemble avec des bonnes conditions de travail, c'est aussi la meilleure réponse au stress.

M. Biraben : Merci beaucoup L. Wauquiez d'avoir été avec nous ce matin.

Merci.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 16 octobre 2009