Texte intégral
G. Durand.- Ce débat sur l'identité nationale occupe la Une des journaux, c'est ce que vous avez souhaité. Mais je voudrais que l'on revienne sur le déroulement et le calendrier. Comment ça va concrètement fonctionner ?
Lundi prochain, il y aura sur le site du ministère une proposition pour le débat. J'y mettrai les premières propositions que j'ai déjà soumises : le parrainage républicain, un certain nombre d'autres propositions et donc, tous les Français pourront apporter leur contribution, répondre à la question simple : pour vous, qu'est-ce que c'est qu'être français ?
Mais c'est un contact sur un site. Est-ce qu'il va y avoir un colloque, est-ce qu'il va y avoir un moment où vous allez convoquer ceux qui sont opposés, justement à cette affaire ?
Dans la foulée, les préfets, les sous-préfets vont organiser des rencontres avec les associations, les parents d'élèves, les associations patriotiques, etc. Bref, ce qu'on appelle "les forces vives" entre guillemets, dans chacun des départements. Beaucoup de parlementaires vont organiser, dans leur circonscription, des rencontres avec nos concitoyens, leur poser les questions. Et moi, je vais fournir à tout le monde un, entre guillemets, "kit" pour le débat : une dizaine de propositions pour le débat, un questionnaire, des rapports, celui du Haut conseil à l'intégration, le rapport du député Maurer, probablement ce qu'a fait l'Institut Montaigne, intitulé "Qu'est-ce qu'être français ?", qui me paraît être une source de réflexion. Et puis, il va y avoir trois mois de débat. Ensuite, on finira effectivement fin janvier, début février, par une espèce de colloque de clôture, où je soumettrai, après le débat, par rapport aux propositions initiales que j'ai faites, lesquelles méritent d'être retenues, et celles qui auraient émané du débat.
Vous êtes aussi secrétaire général adjoint de l'UMP. La question, c'est que vous le savez, on est en fin de semaine, la plupart des leaders de gauche vous ont attaqué sur ce thème, et finalement, ce débat qui doit être un débat global, c'est-à-dire de tous les Français, risque d'être un débat des partisans de l'UMP ou des gens qui vous soutiennent. C'est le risque majeur quand même.
Non. Ce risque est déjà écarté, parce que d'abord, les Français se sont emparés de ce débat, c'est flagrant, quand on discute...
Vous l'avez mesuré à quoi ? Sur la fréquentation du site, le débat dans les journaux ?
La fréquentation au ministère : ça explose effectivement au standard, mails, lettres, demandes sur le sujet. Deuxièmement, tous les responsables de grandes radios qui ont ouvert des espaces de libre parole vous disent tous qu'ils ont été assaillis depuis dimanche soir de monde, des Français qui disent "oui, je veux participer à ce débat". Certains me soupçonnent d'arrière-pensées électoralistes, d'autres non, mais dans tous les cas de figure...
C'est même des soupçons, c'est une accusation claire...
Oui, j'y reviendrai si vous le souhaitez. Mais pour finir là-dessus, ils se sont saisis du débat et dans les réactions de gauche, il y a eu quelques réactions pavloviennes à l'évidence. Il y en a d'autres plus nuancées, plus intéressantes. S. Royal a dit "c'est une entreprise de diversion", très bien, il fallait qu'elle le dise. Et elle a dit en même temps, "ce débat est fondamental, j'y participerai, je le mènerai", c'est normal...
Donc vous pensez qu'elle participera au fameux colloque qui terminera...
Colloque ou pas, je ne sais pas. En tout cas, elle va dire, elle a déjà commencé à dire ce que sont ces...
Mais est-ce que vous lui lancez une invitation par exemple, ce matin, pour qu'elle participe à ce colloque ?
Volontiers. J. Glavany a dit "la gauche ne doit pas tomber dans le piège. La gauche doit s'exprimer sur ce sujet". J'ai vu que J. Julliard avait dit la même chose, que M. Onfray avait dit la même chose. Donc cela veut dire qu'un certain nombre d'entre eux disent, normalement, c'est un débat qui ne devrait pas diviser les républicains.
Mais parmi ceux qui soutiennent plutôt l'itinéraire politique du pouvoir en place, par exemple, A.-. G. Slama, éditorialiste au Figaro, dit que ce n'est pas le moment, que cela va raviver en France les tensions qui existent, que c'est dangereux. Vous lui diriez quoi ?
Je dis d'abord, pourquoi tous les autres le font ? Aux Etats-Unis, B. Obama a fait toute sa campagne autour de l'identité américaine, de la nation américaine, du creuset américain. Et tout le monde a dit que ça a été campagne extraordinaire. Il a à la fois puisé dans ses racines, il les a ressourcées, il s'est projeté dans l'avenir. J'étais il y a trois jours en Angleterre, et la presse française a posé la question au ministre de l'Immigration britannique, travailliste, en lui disant "Qu'est-ce que vous pensez du débat qu'E. Besson est en train d'installer en France, sur l'identité nationale ?". Il a dit "ça me parait totalement légitime". G. Brown vient de poser le même, il demande aux Britanniques de dire ce qu'est être britannique aujourd'hui, en 2009 ou 2010. Parce que le Royaume-Uni avait un modèle, qu'on pourrait nous, appeler de communautariste pour faire simple, qui est en train de toucher ses limites. Nous, c'est l'inverse. Nous avons une belle tradition, à laquelle, moi, je suis attaché, d'intégration, "d'assimilation", comme disaient les grands républicains. Mais parfois, il peut être aussi en difficulté. Alors ressourçons-le, revisitons-le.
Revenons justement à l'accusation d'opportunisme. Vous savez que la situation politique n'est pas flambante, les sondages du président de la République ne sont pas bons, le chômage continue d'augmenter, il y a eu un certain nombre d'affaires, vous les connaissez. Maintenant, on parle du train de vie de l'Etat après la présidence européenne... Donc il y a un contexte qui est quand même compliqué, on est d'accord.
Non. Non, on n'est pas d'accord. Tout ce que vous venez de dire, c'est l'écume des choses. Sauf un point, les préoccupations économiques et sociales...
Ce n'est pas l'écume des choses, ça...
C'est ce que je dis : il y a une chose, dans ce que vous avez dit, qui est fondamentale, c'est les préoccupations légitimes de nos concitoyens. Nous avons connu...
On n'est pas dans la même situation politique d'il y a plusieurs mois.
Quand on regarde les résultats des élections partielles, dimanche après dimanche, la majorité ne semble pas en...
Vous évoquiez les sondages, justement, concernant l'immigration, les sondages qui existent actuellement sur la politique menée, sont plutôt des sondages de scepticisme. C'est pour cela qu'on vous demande si ce débat installé par E. Besson aujourd'hui n'est pas un débat électoraliste dans la perspective des régionales, la chasse aux voix du FN. Vous avez entendu tout ça !
Il faut faire simple. Le candidat N. Sarkozy avait dit : "je veux valoriser l'identité nationale, la fierté d'être français. Si je suis élu, j'organiserai un grand débat autour de nos valeurs". J'entends que ce serait avant les régionales ; certes, si je l'avais fait avant les élections européennes, on aurait dit, "c'est pour préparer les européennes". Si cela avait été après les régionales, on aurait dit que c'est pour préparer la présidentielle. Il faut prendre les mandats tels qu'ils sont. Le mandat national, c'est cinq ans, nous ne sommes qu'à deux ans et demi de ce mandat national, c'est-à-dire la mi-temps, si vous me permettez l'expression. Il est normal qu'on traite encore les questions nationales. La deuxième chose, c'est que de toute façon, encore une fois, ce débat est déjà derrière nous. Lorsque le peuple, au bon sens et au plein sens du terme, se saisit d'un débat, les élites peuvent être pour ou contre, ou moyennement contre, peu importe, c'est fait, personne ne soufflera contre le vent, personne n'empêchera l'installation de ce débat.
Justement, vous avez dit tout à l'heure, vous êtes un lecteur perspicace de la presse d'aujourd'hui, on dit beaucoup, beaucoup de conseillers du président de la République, voyant s'évaporer quelques voix, voire peut-être des bataillons de voix du FN, lui conseillent de repartir un petit peu à droite, après avoir recentré sa politique.
Ce n'est pas comme ça...
Vous l'avez lu !
Je l'ai lu...
Vous l'avez constaté !
Cela ne veut pas dire que je participe ou que j'adhère à cela. D'abord, je ne sais pas ce qu'est le peuple de droite, le peuple de gauche. Je ne connais qu'un peuple, le peuple français et je prétends qu'on doit s'adresser à tous nos concitoyens. Que pendant trop longtemps, le FN se soit attribué, et pourtant il n'est pas digne de la faire et il n'a pas les valeurs et l'histoire pour le faire, un certain nombre de symboles, Marianne, le drapeau, l'Hymne, etc. Que les républicains, pour des raisons qu'il faudra un jour explorer, lui avaient à tort abandonné, est un fait. Mais moi, je veux à la fois combattre les idées, les valeurs du FN et je pense que depuis que je suis en politique, je n'ai jamais failli de ce point de vue-là. Et en même temps, dire qu'on a le droit de parler de la fierté d'être français sans que ce soit du nationalisme. Il faut distinguer le patriotisme du nationalisme. Et la fierté d'être français, ce n'est pas de l'arrogance. Je ne vois pas pourquoi on aurait le droit d'être fier d'être brésilien, algérien, malien, camerounais, américain, et que cela poserait un problème d'être français. Je sais pourquoi : nous n'avons toujours pas digéré parfaitement notre attitude, ou l'attitude d'une minorité de Français pendant la Seconde Guerre mondiale, et nous n'avons toujours pas digéré la période coloniale et post-coloniale. C'est pour cela qu'on a tant de mal à parler sereinement de la France. Moi, je pense que...
Et ça, cela ne doit pas être un débat d'historiens, de spécialistes ? Il faut que le pays s'en empare dans la passion ?
Mais pas seulement, il est éminemment politique. Les Français aiment la politique. Ils aiment en parler. Ils se saisissent de toutes les opportunités qu'on leur donne.
Quand le président de la République, lors d'un récent voyage, justement, pour débloquer des crédits auprès des agriculteurs, parle de la terre comme une des composantes de l'identité française, là aussi, vous l'avez vu ce matin, par exemple dans un éditorial de L. Joffrin, qu'il déplore que la gauche ne participe pas à ce débat et qui, de l'autre côté, dit que ça rappelle quand même "la terre ne ment pas" du maréchal Pétain.
C'est dommage. L. Joffrin vaut bien mieux que...
C'est un mot célèbre de l'histoire de France, que vous connaissez.
Oui, bien sûr, bien sûr.
Vous l'avez combattu quand vous étiez à gauche et membre du Parti socialiste.
Non, oh, pas...
Le "Eric Besson membre du PS" n'a jamais dit : "la terre ne ment pas" est une horreur ?
Non, mais "la terre ne ment pas", effectivement, ce n'est pas ma tradition et ce n'est pas mon analyse. Mais que la France soit d'essence paysanne, terrienne, que dans chaque fantasme de Français, il y ait le fantasme du jardin, de la terre, de la maison de campagne, de l'attachement au village, etc. Souvenez-vous F. Mitterrand, 1981, la France est déjà urbaine, et qu'est-ce qu'il choisit comme fond pour son affiche ? Le village, le clocher...
Mais justement, par cynisme !
Mais non, ce n'est pas par cynisme.
Un petit tour au Vieux Morvan et le reste du temps, rue de Bièvre à Paris ou à l'Elysée...
Mais ce n'est pas du cynisme, ça veut dire que les Français, même lorsqu'ils sont citadins sont restés ruraux, et cela ne veut pas dire que cela les empêche de faire Ariane, TGV ou s'occuper de nanotechnologie ou de numérique. Mais vous pouvez puiser dans vos racines une force pour vous projeter dans l'avenir. Braudel a dit que la France était terrienne ; Péguy l'a dit, Jaurès l'a dit. Ce n'est pas un problème, ce n'est pas se tourner vers le passé, c'est encore une fois trouver l'inspiration dans le passé. Mais après, ce qui est intéressant, c'est de dire comment on crée une France ouverte, généreuse, compétitive, solidaire, pour l'avenir.
E. Besson, est-ce qu'il y aura d'autres expulsions dans les jours qui viennent ?
Vous voulez dire ?
D'Afghans ou de personnalités qui sont en situation irrégulière ?
Des reconduites à la frontière, il y en a très régulièrement, pour une raison simple et qui est d'ailleurs...
Mais il y en a un certain nombre qui sont médiatisées, quand même. Les trois derniers Afghans, il y avait du monde. Quand on a fermé la "Jungle" à Calais, il y avait quand même beaucoup de caméras ?
Malheureusement pour moi, je n'ai pas le pouvoir de décider de ce que choisit la presse. Dans le monde idéal, j'aimerais beaucoup pouvoir dire à la presse ce que j'aimerais qu'elle dise, mais dans le monde réel, ce n'est pas le cas. La réalité est très simple, et cela nous renvoie au débat. Pour bien intégrer en France - ce qui est quand même l'objectif suprême -, il faut entrer légalement sur le territoire français, parce que c'est cette entrée légale qui vous permet d'avoir au moins les trois outils de base : la connaissance de la langue, une chance d'avoir un travail ou un logement. Sans cela, ça se retourne contre tous les principes. Et donc, si vous voulez maîtriser les flux migratoires, vous devez bien intégrer ceux qui entrent légalement, et vous devez effectivement, malheureusement - parce que ça ne fait plaisir à personne, et pas à moi - reconduire à la frontière ceux qui entrent illégalement. Donc, oui, je vous confirme, ça se produit et ça se reproduira.
Deux dernières questions. Vous aviez dit : "finalement, je ne fais que du J.-P. Chevènement ou du D. Vaillant", allusion effectivement à deux ministres de l'Intérieur de la gauche. Dans les couloirs du Sénat, il a dit : "la politique de Besson n'a strictement aucun rapport avec la mienne". D'ailleurs, dit-il, "pourquoi avoir modifié à plusieurs reprises la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers votée en 1998 ?". Vous lui répondriez quoi ?
D'abord, j'aime bien J.-P. Chevènement. Il a été plus subtil que le résumé qu'il en aurait lui-même fait, que vous citez, dans les couloirs, dans son intervention, en disant à la fois ce qui lui paraissait commun et ce qui l'en distinguait. La question c'est : est-ce que la politique de J.-P. Chevènement a réussi ? Moi, je trouve que ça a été un bon ministre mais sa politique a objectivement échoué.
Donc il fallait modifier la loi ?
Bien sûr. Et deuxièmement...
Donc vous ne faites pas du Chevènement, vous faites du Besson ?
Evidemment. C'était un raccourci. Je disais : vous savez, J.-P. Chevènement lui aussi reconduisait à la frontière, J.-P. Chevènement lui aussi considérait qu'il fallait lutter - ou D. Vaillant, c'est pareil de ce point de vue-là - qu'il fallait lutter contre les filières criminelles de l'immigration clandestine. Cela a été raccourci dans une formule que je veux bien assumer : "Je fais du J.-P. Chevènement". Ça reste quelqu'un pour qui j'ai de l'estime. C'est un grand républicain.
Deux petites questions pour terminer - je disais c'est la dernière, mais on en trouve toujours d'autres... D'abord, est-ce que vous êtes à l'aise, c'est une question personnelle, dans ce rôle "l'homme qui vient de la gauche", qui assume le sarkozysme et qui, semble-t-il, a beaucoup moins d'état d'âme qu'un certain nombre de responsables de gauche qui se sont retrouvés dans l'équipe de Sarkozy ? Vous l'avez entendu : "traître", "vendu", enfin... Ça aussi, c'est dans les journaux.
Oui, vous savez, la traîtrise c'est un peu l'obsession de la gauche. V. Peillon ou ceux qui ne l'aimaient pas disaient au sein du Parti socialiste : c'est un traître ou c'est un serpent - "serpent", c'est l'invention de F. Hollande. Quand Montebourg a refusé de travailler avec Moscovici, Moscovici a dit "c'est un traître". Et puis, historiquement, vous savez combien les socialistes ou les sociaux-démocrates ont été accusés à gauche d'être des traîtres.
Donc, ça ne vous touche pas ?
Cela ne me fait pas plaisir. J'ai appris à vivre avec.
Alors, pourquoi vous êtes plus à l'aise avec...
La seule question que je me pose, ce n'est pas : est-ce que ce que je vais faire est populaire ou pas. La seule vraie question, c'est : est-ce que c'est juste, est-ce que c'est conforme à l'intérêt général et est-ce que c'est conforme à notre tradition républicaine ? Rien de ce que je fais, rien de ce qu'on me demande de mettre en oeuvre ne heurte mes convictions républicaines, même lorsque c'est difficile.
Dernière question - cette fois-ci, c'est la vraie dernière - : est-ce qu'il faut lever le secret défense, après l'attentat de Karachi, après l'Angolagate et après les frégates de Taiwan ? Est-ce que vous connaissez l'arrière-pensée de tout le monde sur ce dossier ? Beaucoup de gens considèrent que le jour où on va lever ce secret défense, qui n'a jamais été fait par plusieurs équipes successives, on va découvrir comment a été financée la vie politique française depuis une trentaine d'années. Pasqua dit : il le faut, tout le monde était au courant.
Je vais vous dire je n'en sais rien. Je ne suis pas homme, en général, à éluder les questions. Simplement, ces dossiers-là, je ne les connais pas...
Mais personne ne les connaît, parce que justement, il faut ouvrir les...
...Je ne les ai pas traitées. Je ne sais pas ce qu'ils recouvrent.
Mais est-ce que ça vous paraît bon pour la démocratie, que vous défendez, les grands débats, justement, transgressifs ?
Je ne sais pas, pour une raison simple : s'il s'agit juste de dire ils couvriraient des turpitudes qui auraient été faites, la réponse est oui.
L. Chatel, porte-parole du Gouvernement, a dit "pourquoi pas ?"
... Donc il est mieux qualifié que moi pour répondre. La question derrière, quand même, c'est : y a-t-il des intérêts d'Etat, au sens noble du terme, des relations avec des pays étrangers, ou des femmes et des hommes que la levée du secret défense menacerait ? Cela, je n'en sais rien. Je n'ai jamais eu accès à ces dossiers.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2009
Lundi prochain, il y aura sur le site du ministère une proposition pour le débat. J'y mettrai les premières propositions que j'ai déjà soumises : le parrainage républicain, un certain nombre d'autres propositions et donc, tous les Français pourront apporter leur contribution, répondre à la question simple : pour vous, qu'est-ce que c'est qu'être français ?
Mais c'est un contact sur un site. Est-ce qu'il va y avoir un colloque, est-ce qu'il va y avoir un moment où vous allez convoquer ceux qui sont opposés, justement à cette affaire ?
Dans la foulée, les préfets, les sous-préfets vont organiser des rencontres avec les associations, les parents d'élèves, les associations patriotiques, etc. Bref, ce qu'on appelle "les forces vives" entre guillemets, dans chacun des départements. Beaucoup de parlementaires vont organiser, dans leur circonscription, des rencontres avec nos concitoyens, leur poser les questions. Et moi, je vais fournir à tout le monde un, entre guillemets, "kit" pour le débat : une dizaine de propositions pour le débat, un questionnaire, des rapports, celui du Haut conseil à l'intégration, le rapport du député Maurer, probablement ce qu'a fait l'Institut Montaigne, intitulé "Qu'est-ce qu'être français ?", qui me paraît être une source de réflexion. Et puis, il va y avoir trois mois de débat. Ensuite, on finira effectivement fin janvier, début février, par une espèce de colloque de clôture, où je soumettrai, après le débat, par rapport aux propositions initiales que j'ai faites, lesquelles méritent d'être retenues, et celles qui auraient émané du débat.
Vous êtes aussi secrétaire général adjoint de l'UMP. La question, c'est que vous le savez, on est en fin de semaine, la plupart des leaders de gauche vous ont attaqué sur ce thème, et finalement, ce débat qui doit être un débat global, c'est-à-dire de tous les Français, risque d'être un débat des partisans de l'UMP ou des gens qui vous soutiennent. C'est le risque majeur quand même.
Non. Ce risque est déjà écarté, parce que d'abord, les Français se sont emparés de ce débat, c'est flagrant, quand on discute...
Vous l'avez mesuré à quoi ? Sur la fréquentation du site, le débat dans les journaux ?
La fréquentation au ministère : ça explose effectivement au standard, mails, lettres, demandes sur le sujet. Deuxièmement, tous les responsables de grandes radios qui ont ouvert des espaces de libre parole vous disent tous qu'ils ont été assaillis depuis dimanche soir de monde, des Français qui disent "oui, je veux participer à ce débat". Certains me soupçonnent d'arrière-pensées électoralistes, d'autres non, mais dans tous les cas de figure...
C'est même des soupçons, c'est une accusation claire...
Oui, j'y reviendrai si vous le souhaitez. Mais pour finir là-dessus, ils se sont saisis du débat et dans les réactions de gauche, il y a eu quelques réactions pavloviennes à l'évidence. Il y en a d'autres plus nuancées, plus intéressantes. S. Royal a dit "c'est une entreprise de diversion", très bien, il fallait qu'elle le dise. Et elle a dit en même temps, "ce débat est fondamental, j'y participerai, je le mènerai", c'est normal...
Donc vous pensez qu'elle participera au fameux colloque qui terminera...
Colloque ou pas, je ne sais pas. En tout cas, elle va dire, elle a déjà commencé à dire ce que sont ces...
Mais est-ce que vous lui lancez une invitation par exemple, ce matin, pour qu'elle participe à ce colloque ?
Volontiers. J. Glavany a dit "la gauche ne doit pas tomber dans le piège. La gauche doit s'exprimer sur ce sujet". J'ai vu que J. Julliard avait dit la même chose, que M. Onfray avait dit la même chose. Donc cela veut dire qu'un certain nombre d'entre eux disent, normalement, c'est un débat qui ne devrait pas diviser les républicains.
Mais parmi ceux qui soutiennent plutôt l'itinéraire politique du pouvoir en place, par exemple, A.-. G. Slama, éditorialiste au Figaro, dit que ce n'est pas le moment, que cela va raviver en France les tensions qui existent, que c'est dangereux. Vous lui diriez quoi ?
Je dis d'abord, pourquoi tous les autres le font ? Aux Etats-Unis, B. Obama a fait toute sa campagne autour de l'identité américaine, de la nation américaine, du creuset américain. Et tout le monde a dit que ça a été campagne extraordinaire. Il a à la fois puisé dans ses racines, il les a ressourcées, il s'est projeté dans l'avenir. J'étais il y a trois jours en Angleterre, et la presse française a posé la question au ministre de l'Immigration britannique, travailliste, en lui disant "Qu'est-ce que vous pensez du débat qu'E. Besson est en train d'installer en France, sur l'identité nationale ?". Il a dit "ça me parait totalement légitime". G. Brown vient de poser le même, il demande aux Britanniques de dire ce qu'est être britannique aujourd'hui, en 2009 ou 2010. Parce que le Royaume-Uni avait un modèle, qu'on pourrait nous, appeler de communautariste pour faire simple, qui est en train de toucher ses limites. Nous, c'est l'inverse. Nous avons une belle tradition, à laquelle, moi, je suis attaché, d'intégration, "d'assimilation", comme disaient les grands républicains. Mais parfois, il peut être aussi en difficulté. Alors ressourçons-le, revisitons-le.
Revenons justement à l'accusation d'opportunisme. Vous savez que la situation politique n'est pas flambante, les sondages du président de la République ne sont pas bons, le chômage continue d'augmenter, il y a eu un certain nombre d'affaires, vous les connaissez. Maintenant, on parle du train de vie de l'Etat après la présidence européenne... Donc il y a un contexte qui est quand même compliqué, on est d'accord.
Non. Non, on n'est pas d'accord. Tout ce que vous venez de dire, c'est l'écume des choses. Sauf un point, les préoccupations économiques et sociales...
Ce n'est pas l'écume des choses, ça...
C'est ce que je dis : il y a une chose, dans ce que vous avez dit, qui est fondamentale, c'est les préoccupations légitimes de nos concitoyens. Nous avons connu...
On n'est pas dans la même situation politique d'il y a plusieurs mois.
Quand on regarde les résultats des élections partielles, dimanche après dimanche, la majorité ne semble pas en...
Vous évoquiez les sondages, justement, concernant l'immigration, les sondages qui existent actuellement sur la politique menée, sont plutôt des sondages de scepticisme. C'est pour cela qu'on vous demande si ce débat installé par E. Besson aujourd'hui n'est pas un débat électoraliste dans la perspective des régionales, la chasse aux voix du FN. Vous avez entendu tout ça !
Il faut faire simple. Le candidat N. Sarkozy avait dit : "je veux valoriser l'identité nationale, la fierté d'être français. Si je suis élu, j'organiserai un grand débat autour de nos valeurs". J'entends que ce serait avant les régionales ; certes, si je l'avais fait avant les élections européennes, on aurait dit, "c'est pour préparer les européennes". Si cela avait été après les régionales, on aurait dit que c'est pour préparer la présidentielle. Il faut prendre les mandats tels qu'ils sont. Le mandat national, c'est cinq ans, nous ne sommes qu'à deux ans et demi de ce mandat national, c'est-à-dire la mi-temps, si vous me permettez l'expression. Il est normal qu'on traite encore les questions nationales. La deuxième chose, c'est que de toute façon, encore une fois, ce débat est déjà derrière nous. Lorsque le peuple, au bon sens et au plein sens du terme, se saisit d'un débat, les élites peuvent être pour ou contre, ou moyennement contre, peu importe, c'est fait, personne ne soufflera contre le vent, personne n'empêchera l'installation de ce débat.
Justement, vous avez dit tout à l'heure, vous êtes un lecteur perspicace de la presse d'aujourd'hui, on dit beaucoup, beaucoup de conseillers du président de la République, voyant s'évaporer quelques voix, voire peut-être des bataillons de voix du FN, lui conseillent de repartir un petit peu à droite, après avoir recentré sa politique.
Ce n'est pas comme ça...
Vous l'avez lu !
Je l'ai lu...
Vous l'avez constaté !
Cela ne veut pas dire que je participe ou que j'adhère à cela. D'abord, je ne sais pas ce qu'est le peuple de droite, le peuple de gauche. Je ne connais qu'un peuple, le peuple français et je prétends qu'on doit s'adresser à tous nos concitoyens. Que pendant trop longtemps, le FN se soit attribué, et pourtant il n'est pas digne de la faire et il n'a pas les valeurs et l'histoire pour le faire, un certain nombre de symboles, Marianne, le drapeau, l'Hymne, etc. Que les républicains, pour des raisons qu'il faudra un jour explorer, lui avaient à tort abandonné, est un fait. Mais moi, je veux à la fois combattre les idées, les valeurs du FN et je pense que depuis que je suis en politique, je n'ai jamais failli de ce point de vue-là. Et en même temps, dire qu'on a le droit de parler de la fierté d'être français sans que ce soit du nationalisme. Il faut distinguer le patriotisme du nationalisme. Et la fierté d'être français, ce n'est pas de l'arrogance. Je ne vois pas pourquoi on aurait le droit d'être fier d'être brésilien, algérien, malien, camerounais, américain, et que cela poserait un problème d'être français. Je sais pourquoi : nous n'avons toujours pas digéré parfaitement notre attitude, ou l'attitude d'une minorité de Français pendant la Seconde Guerre mondiale, et nous n'avons toujours pas digéré la période coloniale et post-coloniale. C'est pour cela qu'on a tant de mal à parler sereinement de la France. Moi, je pense que...
Et ça, cela ne doit pas être un débat d'historiens, de spécialistes ? Il faut que le pays s'en empare dans la passion ?
Mais pas seulement, il est éminemment politique. Les Français aiment la politique. Ils aiment en parler. Ils se saisissent de toutes les opportunités qu'on leur donne.
Quand le président de la République, lors d'un récent voyage, justement, pour débloquer des crédits auprès des agriculteurs, parle de la terre comme une des composantes de l'identité française, là aussi, vous l'avez vu ce matin, par exemple dans un éditorial de L. Joffrin, qu'il déplore que la gauche ne participe pas à ce débat et qui, de l'autre côté, dit que ça rappelle quand même "la terre ne ment pas" du maréchal Pétain.
C'est dommage. L. Joffrin vaut bien mieux que...
C'est un mot célèbre de l'histoire de France, que vous connaissez.
Oui, bien sûr, bien sûr.
Vous l'avez combattu quand vous étiez à gauche et membre du Parti socialiste.
Non, oh, pas...
Le "Eric Besson membre du PS" n'a jamais dit : "la terre ne ment pas" est une horreur ?
Non, mais "la terre ne ment pas", effectivement, ce n'est pas ma tradition et ce n'est pas mon analyse. Mais que la France soit d'essence paysanne, terrienne, que dans chaque fantasme de Français, il y ait le fantasme du jardin, de la terre, de la maison de campagne, de l'attachement au village, etc. Souvenez-vous F. Mitterrand, 1981, la France est déjà urbaine, et qu'est-ce qu'il choisit comme fond pour son affiche ? Le village, le clocher...
Mais justement, par cynisme !
Mais non, ce n'est pas par cynisme.
Un petit tour au Vieux Morvan et le reste du temps, rue de Bièvre à Paris ou à l'Elysée...
Mais ce n'est pas du cynisme, ça veut dire que les Français, même lorsqu'ils sont citadins sont restés ruraux, et cela ne veut pas dire que cela les empêche de faire Ariane, TGV ou s'occuper de nanotechnologie ou de numérique. Mais vous pouvez puiser dans vos racines une force pour vous projeter dans l'avenir. Braudel a dit que la France était terrienne ; Péguy l'a dit, Jaurès l'a dit. Ce n'est pas un problème, ce n'est pas se tourner vers le passé, c'est encore une fois trouver l'inspiration dans le passé. Mais après, ce qui est intéressant, c'est de dire comment on crée une France ouverte, généreuse, compétitive, solidaire, pour l'avenir.
E. Besson, est-ce qu'il y aura d'autres expulsions dans les jours qui viennent ?
Vous voulez dire ?
D'Afghans ou de personnalités qui sont en situation irrégulière ?
Des reconduites à la frontière, il y en a très régulièrement, pour une raison simple et qui est d'ailleurs...
Mais il y en a un certain nombre qui sont médiatisées, quand même. Les trois derniers Afghans, il y avait du monde. Quand on a fermé la "Jungle" à Calais, il y avait quand même beaucoup de caméras ?
Malheureusement pour moi, je n'ai pas le pouvoir de décider de ce que choisit la presse. Dans le monde idéal, j'aimerais beaucoup pouvoir dire à la presse ce que j'aimerais qu'elle dise, mais dans le monde réel, ce n'est pas le cas. La réalité est très simple, et cela nous renvoie au débat. Pour bien intégrer en France - ce qui est quand même l'objectif suprême -, il faut entrer légalement sur le territoire français, parce que c'est cette entrée légale qui vous permet d'avoir au moins les trois outils de base : la connaissance de la langue, une chance d'avoir un travail ou un logement. Sans cela, ça se retourne contre tous les principes. Et donc, si vous voulez maîtriser les flux migratoires, vous devez bien intégrer ceux qui entrent légalement, et vous devez effectivement, malheureusement - parce que ça ne fait plaisir à personne, et pas à moi - reconduire à la frontière ceux qui entrent illégalement. Donc, oui, je vous confirme, ça se produit et ça se reproduira.
Deux dernières questions. Vous aviez dit : "finalement, je ne fais que du J.-P. Chevènement ou du D. Vaillant", allusion effectivement à deux ministres de l'Intérieur de la gauche. Dans les couloirs du Sénat, il a dit : "la politique de Besson n'a strictement aucun rapport avec la mienne". D'ailleurs, dit-il, "pourquoi avoir modifié à plusieurs reprises la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers votée en 1998 ?". Vous lui répondriez quoi ?
D'abord, j'aime bien J.-P. Chevènement. Il a été plus subtil que le résumé qu'il en aurait lui-même fait, que vous citez, dans les couloirs, dans son intervention, en disant à la fois ce qui lui paraissait commun et ce qui l'en distinguait. La question c'est : est-ce que la politique de J.-P. Chevènement a réussi ? Moi, je trouve que ça a été un bon ministre mais sa politique a objectivement échoué.
Donc il fallait modifier la loi ?
Bien sûr. Et deuxièmement...
Donc vous ne faites pas du Chevènement, vous faites du Besson ?
Evidemment. C'était un raccourci. Je disais : vous savez, J.-P. Chevènement lui aussi reconduisait à la frontière, J.-P. Chevènement lui aussi considérait qu'il fallait lutter - ou D. Vaillant, c'est pareil de ce point de vue-là - qu'il fallait lutter contre les filières criminelles de l'immigration clandestine. Cela a été raccourci dans une formule que je veux bien assumer : "Je fais du J.-P. Chevènement". Ça reste quelqu'un pour qui j'ai de l'estime. C'est un grand républicain.
Deux petites questions pour terminer - je disais c'est la dernière, mais on en trouve toujours d'autres... D'abord, est-ce que vous êtes à l'aise, c'est une question personnelle, dans ce rôle "l'homme qui vient de la gauche", qui assume le sarkozysme et qui, semble-t-il, a beaucoup moins d'état d'âme qu'un certain nombre de responsables de gauche qui se sont retrouvés dans l'équipe de Sarkozy ? Vous l'avez entendu : "traître", "vendu", enfin... Ça aussi, c'est dans les journaux.
Oui, vous savez, la traîtrise c'est un peu l'obsession de la gauche. V. Peillon ou ceux qui ne l'aimaient pas disaient au sein du Parti socialiste : c'est un traître ou c'est un serpent - "serpent", c'est l'invention de F. Hollande. Quand Montebourg a refusé de travailler avec Moscovici, Moscovici a dit "c'est un traître". Et puis, historiquement, vous savez combien les socialistes ou les sociaux-démocrates ont été accusés à gauche d'être des traîtres.
Donc, ça ne vous touche pas ?
Cela ne me fait pas plaisir. J'ai appris à vivre avec.
Alors, pourquoi vous êtes plus à l'aise avec...
La seule question que je me pose, ce n'est pas : est-ce que ce que je vais faire est populaire ou pas. La seule vraie question, c'est : est-ce que c'est juste, est-ce que c'est conforme à l'intérêt général et est-ce que c'est conforme à notre tradition républicaine ? Rien de ce que je fais, rien de ce qu'on me demande de mettre en oeuvre ne heurte mes convictions républicaines, même lorsque c'est difficile.
Dernière question - cette fois-ci, c'est la vraie dernière - : est-ce qu'il faut lever le secret défense, après l'attentat de Karachi, après l'Angolagate et après les frégates de Taiwan ? Est-ce que vous connaissez l'arrière-pensée de tout le monde sur ce dossier ? Beaucoup de gens considèrent que le jour où on va lever ce secret défense, qui n'a jamais été fait par plusieurs équipes successives, on va découvrir comment a été financée la vie politique française depuis une trentaine d'années. Pasqua dit : il le faut, tout le monde était au courant.
Je vais vous dire je n'en sais rien. Je ne suis pas homme, en général, à éluder les questions. Simplement, ces dossiers-là, je ne les connais pas...
Mais personne ne les connaît, parce que justement, il faut ouvrir les...
...Je ne les ai pas traitées. Je ne sais pas ce qu'ils recouvrent.
Mais est-ce que ça vous paraît bon pour la démocratie, que vous défendez, les grands débats, justement, transgressifs ?
Je ne sais pas, pour une raison simple : s'il s'agit juste de dire ils couvriraient des turpitudes qui auraient été faites, la réponse est oui.
L. Chatel, porte-parole du Gouvernement, a dit "pourquoi pas ?"
... Donc il est mieux qualifié que moi pour répondre. La question derrière, quand même, c'est : y a-t-il des intérêts d'Etat, au sens noble du terme, des relations avec des pays étrangers, ou des femmes et des hommes que la levée du secret défense menacerait ? Cela, je n'en sais rien. Je n'ai jamais eu accès à ces dossiers.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 novembre 2009