Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, à RMC le 5 novembre 2009, sur le grand emprunt national, l'identité nationale et les réacteurs nucléaires EPR.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Le grand emprunt, entre 25 et 50 milliards d'euros, nous dit N. Sarkozy, c'est un chiffre qui vous convient ?
 
C'est ce qu'il y a dedans qui m'intéresse. Je souhaite évidemment une accélération de l'économie verte, de l'économie propre. Vous savez que pour l'avenir des emplois en France, pour l'avenir de nos activités, la stratégie liée au carbone, c'est-à-dire la stratégie de l'économie verte est absolument nécessaire.
 
Donc l'argent doit aller à cette économie-là ?
 
Pas exclusivement...
 
Mais en grande partie ? A combien, à 80 % ?
 
Il faut verdir d'une manière générale notre économie. Ce n'est pas une niche l'économie verte, c'est le développement énergétique, c'est le transport énergétique, c'est le transport automobile, c'est des transports collectifs, c'est la mutation de notre industrie agroalimentaire, c'est la gestion de l'eau, c'est réduire les pertes dans les réseaux...
 
Donc 80 % au mois de cet argent doit aller à l'énergie verte ?
 
Je n'ai pas dit de chiffre. Je souhaite qu'on aille le plus loin possible dans ce domaine en étant très précautionneux. Il faut faire très, très attention aux comptes publics, bien entendu.
 
Cela dit, vous avez remarqué parce que rien ne vous échappe...
 
Quand je suis en France...
 
Oui, oui, quand vous êtes en France, on va parler de votre tour du monde à propos du climat. Mais comme rien ne vous échappe, vous avez remarqué quand même qu'on nous disait : effectivement, il faut expliquer aux Français l'utilisation, ce qu'on fera de cet argent, et le débat porte sur quoi, sur le montant. F. Fillon, N. Sarkozy, A. Juppé, tout le monde, tout le monde, les députés UMP, tout le monde ne parle que du montant.
 
Parce que pour l'instant le contenu n'est pas arbitré. Je pense qu'on va parler du contenu quand les premières propositions seront faites par la mission pilotée par M. Rocard et par A. Juppé, et puis quand il y aura le débat au Parlement d'ailleurs.
 
Est-ce que les conseillers du Président font partie du pouvoir exécutif ?
 
Ils y contribuent puisqu'ils sont près du Président, bien entendu, ils instruisent, ils conseillent, ils pilotent un certain nombre de choses.
 
Ils ont raison d'intervenir ici ou là ?
 
Ecoutez, c'est au Président d'en décider. Quand on a des collaborateurs, on décide de l'organisation de...
 
F. Fillon a un avis, lui...
 
Je ne sais pas, mais je ne vais pas rentrer dans les commentaires des commentaires.
 
Donc vous n'avez pas d'avis sur la question. L'identité nationale : est-ce que vous avez des réserves sur la nature de ce débat, franchement ?
 
Franchement, le principe des débats, je trouve que c'est toujours positif. Tout débat mérite d'être vraiment organisé. Il ne faut pas que ce soit simplement des commentaires ou des commentaires de commentaires, des postures ...
 
Jetés ici ou là, sur des sites Internet par exemple ?
 
Je pense qu'un débat, quand il est structuré, quand il est organisé, quand on sait éliminer les hypothèses de posture pour essayer d'aller au fond, ce n'est jamais mauvais et personne n'est obligé d'y participer si ça ne lui convient pas.
 
Je lis quand même, F. Fillon et E. Besson : "devant l'étiolement des vertus civiques, devant la résurgence des communautarismes et la puissance des flux migratoires, il fallait réagir". Est-ce que ce débat doit se résumer au communautarisme et à l'immigration ?
 
Non, à l'évidence pas. Ce serait d'ailleurs une forme de piège, même si certains trouvent ça subtil. Je pense que ce n'est pas ça, je pense que l'identité nationale...
 
C'est un piège politique ?
 
Non, mais bon... Je ne sais pas si c'est un piège politique. On va tellement vite dans l'à peu près, on est dans une société qui parle beaucoup mais pas tout le temps en profondeur, qui commande beaucoup mais qui analyse assez peu. On est submergés d'informations, on ne se parle pas beaucoup. Donc les débats sont utiles. Encore faut-il qu'ils soient faits en profondeur, et je ne doute pas qu'E. Besson s'organise pour que ce soit comme ça.
 
Enfin, je l'espère, nous l'espérons. Je cite quand même, puisque vous parlez de "profondeur", je cite C. Lévi-Strauss, vous savez ce qu'il disait ? "J'ai connu une époque où l'identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats. On sait quels désastres en résultèrent !".
 
Je ne suis pas sûr qu'il parle exactement de la même chose quand il disait ça. Mais sur Lévi-Strauss, permettez-moi de vous dire que c'est assez... J'ai remis hier les prix des éco-quartiers au Quai Branly, construits par un géant, J. Nouvel, dans la salle Lévi-Strauss. Et les écoquartiers, à 37 jours de Copenhague, dans la salle Lévi-Strauss, je n'ai pas pu m'empêcher de voir un clin d'oeil du destin. Cet homme qui, au fond, a été un des premiers grands du monde à exprimer ou dénoncer le désastre écologique, non pas à travers les faits eux-mêmes de l'écologie, mais à travers son amour de l'homme et du respect de l'autre.
 
Et "du respect de l'autre" ?
 
"Le respect de l'autre" ! Et au fond, vous savez, ce qui est devant nous dans ce nouveau monde qu'on est en train de bâtir, qui est en fait une chance, c'est une république du respect pour la France, une Europe du respect, surtout un monde du respect à Copenhague. Respect de la nature, respect de l'homme ; le respect de la nature c'est le respect de l'homme. Et au fond, probablement le premier grand projet mondial de solidarité. Je suis absolument bouleversé de constater la forme d'indifférence des uns à l'égard des autres. J'ai été très bouleversé de constater au Bangladesh, premier pays au monde impacté par le changement climatique, les perturbations climatiques, avec des digues qui cassent, avec... Un chiffre : si le niveau de la mer s'élève de 40 centimètres - 40 centimètres ! -, ce que, aujourd'hui, tous les scientifiques considèrent comme quasi acquis, c'est près de 30 millions de Bengalis qui sont obligés de devenir des réfugiés climatiques - 40 centimètres ! Ne serait-ce que parce que le sel de l'eau de mer envahissant les grandes plaines du Bangladesh empêchera toute capacité...
 
Des réfugiés climatiques qu'on renverra chez eux ?
 
Des réfugiés climatiques qu'il faudra bien falloir gérer. Alors, on est en train de préparer ce grand rendez-vous de Copenhague qui est à la fois une affaire complètement enthousiasmante et quasiment infaisable.
 
Je voudrais vous poser deux questions sur le nucléaire. Le nucléaire, les autorités de sûreté britanniques, finlandaises et françaises émettent des réserves sur les systèmes de sûreté des réacteurs nucléaires EPR. Deux réacteurs EPR troisième génération actuellement en construction, on le sait, l'un en France et l'autre en Finlande. Est-ce que vous demandez un moratoire sur ces constructions, pendant lequel le constructeur et l'exploitant pourront répondre aux remarques des autorités de sûreté nucléaire ?
 
La réponse est la suivante : nous avons, et on ne peut que s'en féliciter, mis en place une Autorité de sûreté nucléaire indépendante et compétente...
 
Comme les Britanniques, comme les Finlandais...
 
...et personne, personne ne met cela en doute. Et je suis heureux, elle est libre, elle s'exprime en permanence sur la moindre difficulté, en anticipation ou en réalité. Que nous dit l'Autorité de sûreté nucléaire : elle nous dit qu'elle a demandé des études complémentaires aux opérateurs et aux exploitants concernant le système contrôle commandes qui n'est pas le système du réacteur, mais le système contrôle commandes qui doit être autonome. Elle leur demande des éléments de confirmation ou de modification de façon à assurer une totale transparence. Et elle précise d'ailleurs qu'elle est heureuse de dialogue permanent et rigoureux entre les différentes autorités et les exploitants. Donc, elle dit "attention, là, le système contrôle commandes ne nous convient pas ; faites les travaux nécessaires et complémentaires pour que cela nous satisfasse". Et cette autorité indique qu'elle a saisi les opérateurs en l'occurrence pour l'un Areva, pour l'autre EDF pour faire ces travaux complémentaires qu'elle vérifiera. En ce qui concerne le Gouvernement, transparence et sécurité intégrale sont nos maîtres mots. Il est évident qu'aucune centrale ne serait mise en exploitation si elle n'avait pas le feu vert total de l'Autorité sur le thème du nucléaire.
 
Pourquoi ne pas demander un moratoire en attendant que ces améliorations soient effectuées ?
 
Parce qu'il s'agit d'un système de contrôle à mettre en place à la fin, que dieu merci, notre priorité de supprimer ...
 
Elle est satisfaisante ?
 
Non, non, c'est sur les planches, là, actuellement.
 
 
Oui sur les planches.
 
Vous ne pouvez pas confier à une autorité de sûreté nucléaire le soin d'apprécier et une fois qu'elle apprécie en disant "on fait des travaux complémentaires", lui retirer son droit d'appréciation. L'autorité de sûreté nucléaire n'a pas demandé l'arrêt des constructions EPR...  En aucun cas, elle dit simplement...
 
C'est l'Autorité qui demande l'arrêt ? C'est le Gouvernement, non, qui demande le moratoire ?
 
Non l'Autorité de sûreté nucléaire vous dit "il y a danger" ou "il n'y a pas danger". Elle vous dit : "il y a travaux complémentaires à faire sur le système contrôle commandes". Et j'attends de voir les résultats que l'Autorité de sûreté nucléaire nous donnera. Pour l'instant, ce n'est pas du tout la demande de l'Autorité de sûreté nucléaire.
 
Le tiers du parc nucléaire français est à l'arrêt. Il faudrait importer de l'électricité. RTE le réseau de transport de l'électricité nous dit : vous utilisez trop le chauffage électrique". Vous avez entendu cette déclaration !
 
Non je n'ai pas entendu cette déclaration.
 
Cela fait des années que le lobby nucléaire nous incite vous le savez bien à nous chauffer à l'électrique.
 
Si vous pensez que ...
 
Je pense que les investissements en matière d'énergie (...). Le rééquilibrage en matière de source d'énergie est insuffisant. Pensez-vous la même chose ?
 
Soyons un peu précis. Vous n'avez pas tort ou à raison et moi non plus, on essaye d'avancer maintenant. Un : je ne suis pas absolument convaincu que les changements, le chauffage au charbon soit l'avenir. Deuxièmement, je ne suis pas non plus convaincu que le chauffage au fioul, compte tenu de ce qui se passe sur la planète et à la réflexion, soit non plus l'avenir. Pour autant faut-il se contenter du chauffage électrique avec de surcroît ce type d'énergie ? Parce qu'au fond ce que vous évoquez à juste titre, c'est moins le problème de la nature de l'énergie, de la façon dont elle est fabriquée. Nous sommes nous clairement pour un développement massif des énergies renouvelables et nous sommes deuxièmement sur l'efficacité énergétique pour réduire les besoin de consommation. Actuellement, le parc français est de l'ordre d'un peu moins de 300 kilowatts/heure du mètre carré. Il faut aller à 50 kilowatts/heure du mètre carré. C'est 42 % de la totalité de l'énergie utilisée dans notre pays des bâtiments au sens large. Donc, 1 efficacité, deux, énergies renouvelables. Ce mois-ci, nous augmentons de 265 % l'installation des panneaux photovoltaïques. Nous lançons des démonstrateurs sur les énergies marines ; nous lançons une grande centrale de biomasse par région. Nous avons un objectif de 23 % d'énergies renouvelables en France. Nous avions pris des retards dans ce domaine. Nous sommes en train de récupérer considérablement ce retard.
 
Quand l'objectif sera-t-il atteint ?
 
2020 au plus tard, mais compte tenu de l'avance que nous avons sur le programme Grenelle, je pense qu'on y sera en 2017.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 novembre 2009