Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur le développement des neurosciences, Paris le 4 avril 2001.

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Circonstance : Installation de l'Action Concertée Incitative "Neurosciences intégratives et computationnelles", à Paris le 4 avril 2001

Texte intégral

Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui, pour installer officiellement le conseil scientifique de l'Action Concertée Incitative (ACI) "Neurosciences Intégratives et Computationnelles".
Comme vous le savez, le gouvernement a inscrit la biologie parmi les priorités de la recherche et du gouvernement dès le premier CIRST de Juillet 1998. J'ai indiqué dès mon entrée en fonction, il y a un an, que j'entendais maintenir et renforcer cette priorité. J'ai en particulier insisté sur l'importance de "l'après-séquençage" et indiqué tout l'intérêt que je porte aux aspects intégrés de la biologie.
Après l'analyse moléculaire, qui va nous conduire très prochainement à connaître la totalité de la séquence de notre patrimoine génétique et de celui de nombreuses espèces animales et végétales, nous abordons le temps d'un retour vers la physiologie, une science née en France au début du 19ème siècle avec François Magendie, et développée par les pionniers de la médecine expérimentale, en particulier Claude Bernard. Après l'analyse des pièces du puzzle du vivant, c'est un retour vers la complexité qui s'opère. Et le système nerveux paraît à cet égard le plus complexe de tous.
Chacun de nos comportements reflète une fonction du cerveau. La pensée, la conscience peut-être sont des aspects de l'activité cérébrale, comme le sont les actions d'apprendre, de sourire ou de souffrir. Inversement, les troubles des émotions, de la pensée, ou des fonctions perceptives et motrices, caractérisent les maladies psychiatriques et neurologiques et résultent de lésions, fonctionnelles ou organiques, du cerveau. Quelles règles lient-elles l'anatomie et la physiologie du cerveau aux actions de percevoir ou d'agir ? Cette frontière, peut-être ultime, de la connaissance de l'homme par lui-même est l'un des enjeux majeurs de la science.
Le public en est d'accord et a montré tout son intérêt pour les Neurosciences à l'occasion de la très récente Semaine du Cerveau (19 au 24 mars), organisée par la Société des Neurosciences avec un soutien important de mon Ministère. J'ai pu observer moi-même l'enthousiasme des chercheurs et médecins en ouvrant le 22 mars le colloque organisé par le Pr. Jacques Glowinski au Collège de France : "Maladies neurologiques : des bases moléculaires à la thérapeutique".
Les ACI représentent l'une des façons pour le Ministère de la Recherche d'afficher clairement la priorité stratégique donnée à une discipline ou à un champ thématique.
La philosophie des ACI est d'apporter une impulsion, une stimulation forte à l'innovation scientifique dans un domaine précis, tout en étant limitée dans le temps, l'action initiée par cette méthode devant trouver sa pérennisation dans les cadres institutionnels classiques.
D'importants efforts ont été aussi consacrés à la génomique, et ces efforts vont être poursuivis, car nous n'en sommes qu'au tout début des connaissances issues du génome et nous aurons à poursuivre notre action en faveur des différents aspects de la biologie moléculaire : génomique fonctionnelle, transcriptome et protéome. Nous travaillons actuellement à la structuration institutionnelle de ces disciplines, qui allient de plus en plus science et développement technologique. Mais dès à présent nous devons aller de l'avant et amorcer le grand bond vers la physiologie moderne.
C'est le but du nouveau chapitre "Biologie Intégrative" que j'ai initié dès le 4 Juin 2000 en créant les ACI Biologie du Développement et Physiologie Intégrative, présidées par le Dr. Daniel Louvard et dotée chacune d'un responsable, le Dr Christo Goridis pour l'Action concernant le développement, et le Dr Jean Girard pour les aspects de biologie intégrative.
En 2000, j'avais inscrit un budget de 10 MF pour chaque action.
Ce budget a été porté en 2001 à 15 MF, pour tenir compte en particulier d'un appel d'offre spécifique consacrée aux cellules souches. C'est ici la possibilité d'appliquer au système nerveux la médecine régénérative qui est en question. En effet, l'existence de cellules souches totipotentes dans le cerveau adulte soulève de grands espoirs pour le traitement de plusieurs maladies neurologiques, dont la sclérose en plaque, la sclérose latérale amyotrophique, la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson.
Ces deux premières actions dans le domaine de la physiologie ouvrent la voie à la compréhension des mécanismes qui fondent la construction de l'individu, et nous engagent sur les chemins inexplorés d'une "physiopathologie en temps réel" grâce aux animaux transgéniques.
Je souhaite que l'Action dont nous installons aujourd'hui le conseil scientifique s'inscrive en complément de celles déjà existantes, que vous entreteniez des liens réguliers avec les deux autres conseils scientifiques, et je souhaite que vous envisagiez des colloques communs afin de confronter les résultats des équipes que vous soutenez les uns et les autres.
Les neurosciences en France
La communauté scientifique travaillant dans le domaine des Neurosciences en France est importante et place notre pays parmi les nations qui comptent dans ce domaine. Je sais aussi que cette place est fragile dans le contexte de compétition internationale actuelle, et je m'emploie à développer nos moyens en personnels et en crédits. J'ai donc engagé de nombreuses actions, très complémentaires les unes des autres, en Neurosciences.
Je sais que votre société savante compte actuellement 2585 adhérents et constitue la première d'Europe. Je sais que votre président, le Pr. Jean Bullier, se prépare à accueillir à Toulouse le prochain congrès de la société, et j'espère pouvoir me libérer pour venir vous y saluer.
A l'INSERM comme dans au département des Sciences de la Vie du CNRS, près du quart des chercheurs travaillent dans le domaine des Neurosciences. C'est donc très naturellement à l'un des vôtres, le Pr. Michel Lazdunski, récemment honoré par la médaille d'or du CNRS, que j'ai confié la succession de Mme Nicole le Douarin à la présidence du Comité de Coordination des Sciences du Vivant, instance de conseil du ministère pour les ACI et les programmes.
Je voudrais vous citer deux actions récentes qui illustrent mon propos lorsque je dis que presque tout ce qui touche les Sciences de la Vie touche aux Neurosciences.
Vous savez mieux que moi les ravages du prion pathologique lorsqu'il atteint le cerveau dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Inversement, les équipes françaises d'Odile Kellerman, Sylvain Lehmann et Jean-François Launay ont montré que la protéine PrP normale jouait un rôle important lors du développement des neurones. Un colloque récent tenu conjointement par l'Académie des sciences française et l'Académie des sciences médicales du Royaume-Uni marquait la première manifestation scientifique soutenue par le GIS "Infections à prions" que j'ai créé fin 2000 et installé officiellement le 24 janvier 2001.
A ma demande, le Gouvernement français a décidé en novembre dernier le triplement des moyens publics consacrés à la recherche sur les ESST et les prions : ceux-ci passent de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001. Ces crédits permettront de poursuivre les objectifs suivants : renforcer les laboratoires de recherche sur les tests ; construire et aménager des animaleries et des banques de tissus infectés ; construire et aménager des laboratoires pour les recherches thérapeutiques sur l'homme ; recruter du personnel supplémentaire dans les organismes de recherche (120 chercheurs, ingénieurs et techniciens, dont 100 dès cette année).
Le Conseil scientifique de ce Gis à Infections à prions, composé de 15 membres dont trois étrangers (un Américain, un Suisse et un Belge), est opérationnel depuis le 6 mars et a élu Dominique Dormont à sa présidence. Le premier appel d'offres portant sur les animaleries protégées a été longuement analysé par le conseil scientifique le 30 mars. Les arbitrages doivent maintenant être rendus par le conseil d'administration qui se réunira le 17 avril, et les crédits seront affectés aux projets retenus.
Je suis dès à présent très heureux de voir la forte mobilisation de la communauté scientifique sur le sujet. Ainsi nous avions envisagé une enveloppe de 75 MF pour les animaleries protégées et les projets reçus représenteraient au total 250 MF. La sélection sera donc rigoureuse et seuls les meilleurs projets seront retenus.
Vous savez certainement que sur une proposition initiale du Pr E. Baulieu j'envisage la création d'un Institut de la Longévité, sous la forme d'un Institut sans murs, un Groupement d'Intérêt Scientifique. Plusieurs chercheurs en Neurosciences, dont Jacques Epelbaum et Jean Mariani, aideront le Pr. Baulieu dans la préparation de propositions concrètes qu'il doit me remettre en juin prochain. Je sais que le Pr. Alain Berthoz, a activement participé à la journée de réflexion du 7 mars qui s'est tenue au siège de l'INSERM, et je l'en remercie. Trois axes semblent privilégiés actuellement :
la génétique de la longévité et des maladies multifactorielles, dans le but de comprendre les facteurs génétiques de la longévité et de prévenir des affections comme le diabète ou les dégénérescences rétiniennes qui dégradent la qualité de vie des personnes âgées ;
la physiologie du sujet âgé en travaillant par exemple sur le métabolisme des médicaments, les éléments de galénique et de pharmacocinétique, ainsi qu'au développement des connaissances issues des Neurosciences intégrées pour comprendre les troubles moteurs et de l'équilibre associés au vieillissement. Je vois déjà poindre ici un thème qui vous est cher Mr Berthoz.
les applications des nouvelles technologies à la prise en charge des personnes âgées : télémédecine, appartements intelligents, etc..
Venons en maintenant à des programmes spécifiquement tournés vers les Neurosciences.
Il existe déjà une ACI, l'Action cognitique, à l'origine de laquelle vous étiez ici encore Mr Berthoz, et qui entre maintenant dans sa troisième année. Elle est maintenant placée sous la présidence de François Clarac et dirigée par Catherine Fuchs. Son but est de développer les coopérations à l'interface entre SHS, neurosciences et informatique.
Elle s'est centrée en 2000 sur les relations entre sciences cognitives et langage, art, croyances et nouvelles technologies. Le premier appel d'offre de 2001 porte sur l'Action. Des ponts sont établis entre l'Action cognitique et d'autres programmes, intéressés par l'imagerie cérébrale : réseau Technologie pour la Santé, et une nouvelle action concernant l'imagerie cérébrale à laquelle nous réfléchissons sur la base des propositions qui nous ont été remises par les Prs Lebihan et Korn.
Je souhaite ici encore que les actions que nous menons soient coordonnées et complémentaires, et je suis donc heureux de voir au sein de votre conseil scientifique des membres de l'ACI Cognitique tels que François Clarac.
Je sais que c'est une accumulation de tâches lourdes, mais je ne connais pas encore de meilleur moyen d'articuler les actions entre elles que d' "instiller" une dose de personnalités ayant connaissance de l'activité de chacune.
L'ACI Neurosciences Intégratives et Computationnelles
Sur proposition du Conseil National de la Science, j'ai donc décidé d'enrichir le chapitre des ACI en physiologie intégrative d'une nouvelle action intitulée "Neurosciences Intégratives et Computationnelles", dont la présidence sera assurée par Jean Bullier et la direction scientifique par Alain Berthoz.
Cette ACI sera dotée de 10 MF dès cette année. Et je tiens dès à présent à vous remercier tous pour le surcroît de travail que vous avez accepté de fournir en expertisant ces différents projets.
En sélectionnant ces projets vous avez une double mission. D'une part, bien sûr, financer une nouvelle approche et je souhaite que vous ayez le courage de ne financer qu'un petit nombre de projets, et que vous donniez ainsi à chaque projet et à chaque équipe qui le porte, véritablement les moyens de le mener à bien.
Il ne me paraîtrait pas raisonnable d'accorder moins de 500 000 F par projet, plus s'il le faut, vous êtes juges. Votre action servira également à la structuration de la recherche en réseaux, la formulation d'une même demande par plusieurs groupes d'un même site ou travaillant en réseau étant encouragée.
Nous sommes au tout début des négociations pour le budget de 2002, et je ne peux donc encore vous dire précisément ce que seront leurs résultats. Mais il est clair que j'espère poursuivre l'augmentation substantielle des dotations des laboratoires, en particulier dans le domaine qui est le vôtre. Nous engageons cette année près de 9 milliards de francs dans la recherche biomédicale, soit environ 2 milliards en Neurosciences. Les budgets des laboratoires augmentent de 10% en moyenne, avec un record à l'INSERM dont la dotation augmente de 16%.
De plus, j'ai engagé dès le budget 2001 la gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique, qui devrait nous permettre de recruter dès aujourd'hui les jeunes brillants et bien formés que nous avons, sans les faire attendre des années, au risque de perdre les meilleurs. 305 postes de chercheurs et de techniciens ont été créés cette année, ce qui va permettre une campagne de recrutement de chercheurs par exemple à l'INSERM de 105 postes contre 62 en 2000. La campagne de recrutement sera également très bonne au CNRS.
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Je terminerai en revenant sur votre domaine d'étude.
Il n'y a en effet pas de mystère plus fascinant que ce sujet, qui mobilise philosophes et scientifiques depuis des siècles. Comment concevoir que ces quelques centaines de milliards de cellules qui composent notre cerveau, et l'incroyable complexité des connexions qui relie ces cellules entre elles, permettent les fonctions supérieures telles que la mémoire ou l'émotion, l'imagination ou le rêve, l'esprit de synthèse ou l'esprit créatif.
Votre ACI aura à développer les travaux analysant les propriétés des systèmes cellulaires : les 9 groupes de neurones évidemment, et les propriétés qui leurs permettent de fonctionner de concert, mais également des systèmes de communications plus récemment mis en évidence, comme ceux liant les astrocytes au moyens de vagues de calcium, dont le rôle reste encore largement à comprendre. Nous sommes également au moment où les travaux théoriques qui vous rapprochent des mathématiciens et des physiciens vont nous ouvrir de nouveaux chemins pour mieux comprendre le cerveau.
La compréhension des mécanismes qui gouvernent le fonctionnement cérébral est plus qu'une nouvelle frontière. Elle doit ouvrir la voie à la possibilité de lutter contre le handicap sensoriel ou moteur, la dépendance, la maladie mentale, voire la détérioration des fonctions intellectuelles au cours des démences. Vos travaux permettront donc de répondre en partie à la fameuse question " qui suis-je ? ", mais également à la demande sociale qui considère l'intégrité des capacités physiques et intellectuelles comme une priorité pour la qualité de la vie.
La dernière décennie du XXeme siècle avait été décrétée "Decade of the Brain" par l'administration américaine. Une récente évaluationconduite par DANA Alliance for Brain Initiatives ne lui accorde qu'une mention B+. Et cela malgré les avancées considérables dans le domaine de la génétique des maladies neurodégénératives et des déficits sensoriels (cécité, surdité,..).
A vous, avec une mobilisation solidaire de tous les partenaires de la Recherche, de transformer ce XXIème siècle naissant en nouveau "siècle des lumières", en commençant par ce que nous avons de plus précieux : notre cerveau.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 10 avril 2001)