Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "LCI" le 4 novembre 2009, sur le principe de solidarité gouvernementale, les prévisions de croissance économique pour la France en 2009 et 2010 et sur le grand emprunt d'Etat.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- 1,2 % de croissance en 2010, pour la France, c'est ce que prévoit la Commission européenne. Vous, au Gouvernement, vous prévoyez seulement 0,75 %, pourquoi ce pessimisme ?

Ce n'est pas du pessimisme. C'est du réalisme au regard de la situation telle qu'on la connaît aujourd'hui.

Alors c'est Bruxelles qui se trompe ?

Non, ce n'est pas Bruxelles qui se trompe, c'est simplement que nous, nous ne souhaitons pas faire d'extrapolations trop optimistes. Et aujourd'hui, il y a suffisamment d'incertitudes pour qu'on soit extrêmement raisonnables. Il y a beaucoup d'incertitudes qui sont liées à l'environnement international, on voit que certains pays sont en train de redémarrer, on voit que la Chine notamment consolide sa croissance, mais tout ça est bien incertain, donc on préfère être prudents. Si on est surpris en bien, ce sera parfait, mais on maintient une prévision à 0,75.

On a été surpris en bien au deuxième trimestre 2009 par une croissance à 0,3. Au troisième trimestre, fera-t-on mieux ?

Je l'espère, je l'espère. On a fait donc, seuls avec l'Allemagne, une croissance positive au deuxième trimestre, et le troisième trimestre, compte tenu de ce que nous avons comme éléments aujourd'hui - consommation - dans les industries manufacturières, clairement les indices de confiance nous laissent penser que nous aurons à nouveau de bons résultats. Donc je pense que ce sera aussi bon qu'au deuxième, peut-être mieux. On peut aller à 0,5 ? Non, je ne vais pas vous dire de chiffre parce que je voudrais attendre la mi-novembre pour vous donner exactement les chiffres. Je me méfie beaucoup des prévisions, il y a beaucoup de gens qui se sont trompés, moi parfois aussi. En revanche, ce qui m'intéresse, c'est la réalité des chiffres. Qu'est-ce qui est constaté, de combien est-ce que la production automobile augmente, de combien est-ce que le chômage, malheureusement, augmente ? C'est sur la base de ces chiffres réels que j'aime bien me prononcer.

Si Bruxelles a raison, si la croissance est bonne en 2010, est-ce que la France pourra renouer avec les critères de Maastricht dès 2011 ?

Ça, ça me paraît extrêmement difficile, voire impossible. Pourquoi ? Parce que les critères de Maastricht, c'est 60 % d'endettement et c'est moins de 3 % de déficit public.

Au moins sur les déficits...

Sur les déficits, non. Cela me paraît tout à fait improbable, même les prévisions de la Commission nous mettent à 8,2 % de déficit l'année prochaine, ce qui est un peu moins que ce que nous prévoyons, et ils nous prévoient au moins 7,7 en 2011. Donc il faut évidemment qu'on ait une diminution du déficit, il faut qu'on gère la dépense de manière extrêmement vigilante, et puis on sait qu'avec la croissance on aura une remontée forte des recettes. Donc ça, c'est bon, on sera dans la bonne direction. Mais imaginez qu'on reviendra en dessous de 3 % en 2011, ça me paraît très, très illusoire.

100 milliards pour le grand emprunt, c'est "irréaliste", selon E. Woerth ; "irréaliste, ça n'a pas de sens", réplique H. Guaino. Et vous, que dites-vous, qu'est-ce qui est réaliste ?

Je dis que moi, ça ne m'intéresse pas de savoir si c'est petit, moyen ou gros. Ce n'est pas la question. La vraie question, c'est de savoir si ça sera efficace, compte tenu de nos objectifs. Et des objectifs, on va enfin en discuter. La commission Juppé-Rocard va nous remettre, va remettre au président de la République, ses conclusions à la mi-novembre, va identifier quels secteurs, quels types d'activités doivent être privilégiés, pour que la France, dans vingt ans, soit un pays compétitif, soit un pays qui a sa place parmi les grandes nations économiques. Ça, c'est le premier grand débat. Deuxième grand débat : comment va-t-on organiser ça ? Est-ce que ces financements qui sont nécessaires pour des investissements à vingt ans, dans l'urbanisation, dans la santé, dans les nanotechnologies, dans l'amélioration de tout ce qui constitue le chemin de la connaissance, est-ce qu'on va le financer par un emprunt pur jus ? Est-ce qu'on va le financer par du public et du privé ? Est-ce qu'on utiliser les effets de levier ? Ce sont toutes ces questions-là qu'il faudra se poser pour un principe, qui est l'efficacité de la dépense. Et dans ce contexte-là, la façon dont on va gérer éventuellement cet emprunt, sera critique. Il ne faut pas que ça se retrouve dans les sables de la gestion budgétaire opérationnelle au quotidien. Donc je suis très attentive, pas à savoir s'il est petit, moyen ou gros. A la limite, aujourd'hui...

Ca a un sens politique quand même, 100 milliards c'est un chiffre, c'est la confiance en l'avenir !

Mais ça n'a aucun sens et aucune pertinence aujourd'hui de savoir si c'est du petit, du moyen ou du gros. C'est de la petite querelle, vraiment, qui, moi, ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse c'est que, en revanche, la signature de la France soit préservée. Je suis en charge de la gestion de la dette du pays, il faut évidemment qu'on maintienne la signature de la France. Si on fait quelque chose de trop gros parce qu'on a envie de faire gros, alors on risque de dégrader la signature de la France. Et pour un pays qui a besoin de s'endetter, parce que c'est notre quotidien, eh bien ce n'est pas supportable. Donc, il va falloir aussi prendre cet impératif-là en compte pour déterminer ce qui sera le plus efficace.

Est-ce qu'H. Guaino vous agace, comme il agace le Premier ministre qui l'a épinglé hier ?

H. Guaino est plein d'idées, plein de richesses intellectuelles et c'est très bien qu'on ait cette qualité-là. Maintenant, je crois qu'il ne faut pas poser des questions en termes polémiques comme il le fait, en disant "il nous faut 100...", "il nous faut plus de 50...", etc. Pour moi, en tout cas, ce n'est pas la question. Petit, moyen ou gros, ça m'est égal, ce qui m'importe c'est que ce soit efficace et qu'on réalise nos objectifs.

Polémique aussi sur le droit à l'image, l'avantage fiscal pour les sportifs qui a été supprimé. Est-ce qu'ils peuvent en espérer le rétablissement ? Ils ont gagné six mois ? Est-ce qu'on va leur rétablir cet avantage ?

J'espère que non, pour deux raisons. D'abord parce qu'il y a un arbitrage politique qui a été rendu par le Premier ministre ; une fois qu'une décision est prise, on la suit, c'est la règle. On est dans l'équipe et on joue les règles du jeu. Deuxième raison : franchement, avec tout le respect que j'ai pour les grands joueurs, de quelque sport qu'il s'agisse, football, rugby ou autres, compte tenu des rémunérations qu'ils ont pour la plupart d'entre eux, ils peuvent bien contribuer eux aussi à combler le déficit de la Sécurité sociale.

R. Yade doit quitter le Gouvernement ?

D'abord, ce n'est pas à moi de le dire. Puis, deuxièmement, je crois qu'il faut apprendre les règles du jeu. Quand on est jeune, c'est parfois un peu plus difficile. Il faut parfois qu'il y ait un grand frère ou une grande soeur ou un chef d'équipe pour rappeler les règles.

M. Aubry vient de réclamer sur RTL que H. Proglio quitte la tête de Veolia s'il veut présider EDF. Deux casquettes, c'est vrai que ça fait beaucoup.

Mais alors, c'est on décide sans instruire, sans regarder, sans écouter ? H. Proglio a passé beaucoup de temps devant les commissions des Affaires économiques à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il a expliqué les raisons de son choix, sa détermination et son ambition. Et en matière de rémunération, ce n'est pas quelqu'un qui va jouer les doublons. Donc si cela fait du sens en terme stratégique et en terme de direction d'équipe, moi je ne vois pas du tout d'inconvénient.

Que dites-vous aux sénateurs que vous rencontrez ce matin pour parler taxe professionnelle ? Puisque vous ne voulez pas repousser d'un an la suppression de cette taxe, au moins, promettez-leur de compenser sur plusieurs années, pour les collectivités locales, euro par euro, la perte.

Je vais leur rappeler d'abord les objectifs. Les objectifs de la réforme de la taxe professionnelle, c'est la compétitivité de la France, c'est l'investissement dans le pays, c'est le maintien des entreprises dans les collectivités locales. Si les collectivités locales voient partir les entreprises, c'est la masse fiscale qui s'en va. Donc on ne se posera même plus la question de savoir ce qu'on a à réformer, on n'aura plus de masse fiscale. Premier impératif. Deuxième impératif : trouver un mécanisme de fiscalité dynamique pour que les collectivités locales soient rassurées sur leur financement. On a beaucoup travaillé avec l'Assemblée nationale, avec un certain nombre de députés, je pense à G. Carrez, je pense à M. Lafineur, je pense à J.-P. Balligand. On va continuer le même travail avec les sénateurs. Moi, je vais être à leur disposition, tous les sénateurs qui sont intéressés par le sujet, pour qu'on fasse avancer ce projet et qu'on débouche, parce qu'il n'est pas question de décaler, pas question de recaler. On va dialoguer et déboucher.

Un mot sur B. Tapie. Le tribunal administratif de Paris vous a donné raison sur le recours à l'arbitrage. F. Bayrou veut peut-être faire appel. Vous ne regrettez pas quand même ? Ça a coûté très cher à l'Etat.

Non, je ne regrette pas, et je suis très contente que le tribunal administratif ait conclu ce qu'il a conclu. Qu'est-ce qu'il dit, ce tribunal administratif de Paris ? Il dit que je n'ai pas commis d'erreur manifeste d'appréciation et qu'il y avait un risque sérieux d'aggravation de la condamnation et donc d'un coût supplémentaire pour l'Etat. C'est une affaire qui n'a pas été facile. Je l'ai beaucoup examinée, j'ai beaucoup fait travailler des juristes pour qu'ils me disent si, oui ou non, c'était la bonne solution. Je suis très heureuse que le tribunal administratif de Paris m'ait donné raison. Je pense qu'il faut peut-être arrêter de faire de l'acharnement judiciaire sur une affaire pareille.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 novembre 2009