Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, notamment sur le Traité de Lisbonne, le couple franco-allemand, le sommet de Copenhague concernant le climat et sur l'élargissement de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 10 novembre 2009.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 10 novembre 2009

Texte intégral

C'est un plaisir et un honneur pour moi de venir devant votre commission, dans laquelle j'ai déjà siégé quand j'étais parlementaire.
Nous vivons un moment très important car nous sommes à l'aube d'une troisième phase dans l'histoire de l'Europe de l'après-guerre.
Les années de guerre froide - 1945-1989 - ont vu la réconciliation franco-allemande et la construction de l'Europe - la Communauté européenne, comme on disait à l'époque. La réconciliation franco-allemande a été réussie, non seulement par les hommes d'Etat, mais aussi par les peuples. J'ai beaucoup d'estime pour les quelque 4 500 communes qui, des deux côtés du Rhin, se sont unies au fil des années et ont su recoudre patiemment un tissu humain entre nos deux peuples après tant de déchirements.
En 1989 a commencé une autre phase, que nous avons célébrée hier en une grande fête de la liberté, qui a vu la chute du totalitarisme soviétique et la réunification de l'Allemagne. Au cours des vingt dernières années, on a assisté à la réunification de l'Europe à l'intérieur de l'Union européenne. Celle-ci regroupe aujourd'hui 27 Etats. Cette réunification s'est déroulée dans la paix hormis l'horrible conflit yougoslave, qui montre les conséquences d'un désaccord entre la France et l'Allemagne : au moment du déclenchement de la guerre en Yougoslavie, en juin 1991, il y a eu une reconnaissance unilatérale de la Croatie. Cette période a montré l'incapacité de l'Europe à prendre ce dossier en main. En 1995, après l'intervention de Jacques Chirac et de John Major, c'est l'Amérique qui, à Dayton, empoche l'affaire sur le plan politique et diplomatique, marquant le retour de l'OTAN dans ce qui aurait pu être une affaire européenne gérée par les Européens.
Aujourd'hui débute une troisième phase, au cours de laquelle l'Europe devra définir sa place dans la gouvernance mondiale face à de très grands dossiers et à l'émergence de pôles de compétition nouveaux, dont la Chine, l'Inde et le Brésil. Ce qui se joue aujourd'hui, c'est le destin de l'Europe. Est-elle condamnée, avec ses 500 millions de concitoyens et le tiers du PNB de la planète, à passer du duopole soviéto-américain d'hier au G2 de demain ? Le président de la République a posé clairement la question devant les ambassadeurs fin août : "L'Europe veut-elle faire le XXIème siècle ou se contenter de le subir ?" C'est tout l'enjeu de la mise en place des nouvelles institutions européennes. En tout cas, l'impulsion franco-allemande est nécessaire à ce devenir européen.
La rentrée européenne a été chargée avec le référendum irlandais et la signature - très attendue - du Traité de Lisbonne par le président Klaus au nom de la République tchèque.
Le Traité devrait entrer en vigueur, comme prévu, le 1er décembre. Les chefs d'Etat et de gouvernement doivent nommer le président stable du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique étrangère. Le président Barroso constituera ensuite sa Commission et le collège devra se présenter devant le Parlement européen. Il devrait, comme nous l'espérons tous, procéder à son vote d'investiture avant la fin de l'année, de sorte que, le 1er janvier 2010, commencera, sous Présidence espagnole, la nouvelle Europe. C'est un grand enjeu. Nous vivons, actuellement, un moment de vérité pour l'Europe et l'ambition européenne.
Après avoir couru après ses institutions, ce qui a détourné un grand nombre d'électeurs parmi les nouveaux membres comme parmi les anciens, l'Union européenne doit maintenant montrer qu'elle peut répondre aux besoins de ses 500 millions de concitoyens en matière de sortie de crise, d'environnement, de sécurité, d'énergie, de contrôle de l'immigration.
Je veux insister sur l'importance de la relation franco-allemande. Elle a été essentielle pendant la phase de réconciliation de l'Europe. Elle sera plus que jamais nécessaire dans la phase d'affirmation du poids de l'Europe dans les affaires mondiales.
La France et l'Allemagne ne fonctionnent pas de la même manière et sont souvent en compétition, mais force est de constater que, quand elles ne sont pas d'accord, il ne se passe rien alors que, quand elles sont d'accord, l'Europe avance et nous parvenons en général à faire bouger le système international dans son ensemble. Il y a une grande leçon à tirer de ces dix-huit derniers mois : la réunion du G20 est due à une initiative française soutenue notamment par l'Allemagne et la Grande-Bretagne ; la régulation financière qui a été actée à Pittsburgh, même si on peut la critiquer ou la juger insuffisante, l'a été sur la base des recommandations de Nicolas Sarkozy et d'Angela Merkel ; sur le climat, l'Europe est en avance sur les autres grands pôles et va à Copenhague avec un accord à peu près complet entre les Etats européens qui a été acté à Bruxelles lors du dernier Conseil européen.
Il n'y a aucune naïveté dans mes propos. Une observation objective des faits montre que la France et l'Allemagne unies sont seules capables de faire bouger cet ensemble de 27 nations constituant l'Union européenne. D'ailleurs, au cours de mes déplacements dans le reste de l'Europe, je note une attente d'impulsion franco-allemande.
Cela ne contredit pas l'égalité des droits qui règne entre les membres de l'Union. La France et l'Allemagne n'ont pas plus de droits que les autres. Elles ont simplement plus de devoirs au service de l'Europe.
C'est pourquoi il était important de célébrer cette relation franco-allemande tant à Berlin qu'à Paris. Il faut aussi que la chute du mur et la réunification de l'Allemagne appartiennent à la mémoire commune de nos deux peuples. De la même façon, la venue de la chancelière allemande à Paris pour la commémoration de l'Armistice de 1918 est un signal très fort : il n'est pas question d'oublier les millions de morts causées par la guerre mais c'est un message d'espoir pour l'avenir.
Le moteur franco-allemand de l'Europe est plus essentiel que jamais. Je sais que ce sentiment est partagé par la chancelière. Il y a beaucoup d'intimité dans les relations de travail avec le gouvernement allemand et avec mon homologue allemand, qui était hier à Paris. Nous préparons ensemble des initiatives que nous soumettrons aux deux chefs d'État le moment venu.
Pour ce qui est de la négociation sur le climat, elle est très difficile. M. Borloo le rappelait tout à l'heure en réponse à une question d'actualité. Je ne vous cache pas mon inquiétude à ce sujet. J'ai cru comprendre que le gouvernement américain n'entendait pas fixer des objectifs chiffrés. J'ajoute qu'un sommet très important entre les Etats-Unis et la Chine se tiendra dans les tout prochains jours. Il est important que l'Europe, qui est leader en la matière, arrive à Copenhague avec des objectifs et que ceux-ci soient tenus.
Si la planète devait se réchauffer de 2 degrés dans les trente prochaines années, les dommages seraient irréversibles et les conséquences gravissimes pour la stabilité du monde. Les engagements de réduction d'émission des gaz à effet de serre doivent être tout sauf de la rhétorique. Des chiffres très précis ont été proposés par l'Europe. Les pays émergents doivent avoir une courbe de rattrapage, après un pic autour de 2020-2025. Cela vaut aussi pour les Etats-Unis. Il y a des systèmes de compensation financière d'un côté, des taxes carbone de l'autre. Nous avançons avec une vraie stratégie.
Dans ce domaine également, le rôle de la France et de l'Allemagne est très important. Mais la négociation n'est pas facile. Nous espérons trouver un accord au mois de novembre, au moins intérimaire, avec les autres grands pôles afin de parvenir à un accord à Copenhague. Ce sommet ne doit pas être simplement un rendez-vous diplomatique.
En matière de défense et de sécurité ainsi que de politique étrangère, nous souhaitons une double cohérence : celle des actions des différents commissaires - il faut que le Haut représentant puisse coordonner les négociations dans les domaines du commerce, de l'énergie et de l'aide au développement - et celle des actions menées par les Etats, afin qu'elles soient en synergie. Nous ne devons plus voir l'inauguration par un secrétaire d'Etat américain d'un aéroport financé par l'Europe, l'utilisation de l'argent versé par l'Europe à tel pays du Proche-Orient pour acheter des F16 ou encore le versement par l'Europe de plusieurs centaines de millions d'euros pour aider le Pakistan sans stratégie définie avec les Etats qui se battent en Afghanistan.
Nous devons mettre en place un système institutionnel permettant au Haut représentant, qui sera doté du plus grand service diplomatique du monde, à la fois de coordonner la totalité de l'action extérieure de l'Union et de travailler avec les Etats. Ce sera un exercice complexe.
La France joue l'ambition européenne, en parallèle avec sa propre politique étrangère. Nous souhaitons que l'Europe soit un multiplicateur d'influence et donc que se crée une vraie synergie.
Le service diplomatique sera composé de fonctionnaires ou d'agents venant, pour un tiers du Conseil, pour un tiers de la Commission et pour un tiers des Etats. Il faudra travailler à ce que la France ait une belle et grande influence dans ce service. Cela implique que nous envoyions entre 25 et 35 bons diplomates de différents grades et de différents âges pour des responsabilités différentes afin qu'ils impriment une marque française dans ce dispositif européen. C'est une des missions qui nous attendent.
Cela entraînera des implications financières que nous devrons décider tous ensemble. J'ai démarré des consultations avec M. Lamassoure, le président de la Commission des Budgets du Parlement européen, et avec un certain nombre de parlementaires de la Commission des finances et d'autres commissions pour commencer à réfléchir sur ce que nous souhaitons. Les dépenses de sécurité, s'il y a lieu, feront l'objet des mêmes consultations.
Sur le plan de la défense commune, nous sommes en train de mettre en place un dispositif civilo-militaire qui sera piloté par un Français.
Je me suis rendu, il y a quelques semaines, à Djibouti pour rencontrer les ambassadeurs du COPS - comité politique et de sécurité de l'Union européenne. Quand l'Europe décide d'agir en matière de défense, elle peut agir avec succès : l'opération Atalante dans la Corne de l'Afrique en est la preuve. Pourtant, il n'était pas évident de mettre ensemble des navires de toute l'Europe, sous le commandement d'un amiral anglais.
La France assure avec Djibouti la formation d'un certain nombre de soldats somaliens. Il serait utile - et c'était le sens de ma visite à Djibouti - de convaincre nos partenaires de faire également un effort de formation auprès de ces forces parce que les enjeux sont considérables en Somalie, compte tenu de la pression, notamment, d'Al Qaïda.
S'agissant de l'énergie, elle relèvera, selon le Traité de Lisbonne, d'une compétence communautaire.
En matière d'immigration, il y a une véritable urgence en Méditerranée. Le président de la République et le président du Conseil italien ont saisi le dernier Conseil européen d'un certain nombre de propositions visant à renforcer notamment l'agence FRONTEX. La politique d'immigration commune doit impérativement être renforcée. Un droit d'asile commun doit, en particulier, être créé. Nous allons bientôt devoir faire face à une pression migratoire énorme. La Turquie est ainsi devenue la principale porte d'entrée de l'immigration illégale en Europe, laquelle pèse sur beaucoup d'Etats riverains de la Méditerranée, notamment sur la Grèce qui n'arrive pas à contrôler seule ses 15 000 kilomètres de côtes. En la matière, nous avons un devoir de solidarité.
Q - (Au sujet de la désignation des titulaires des fonctions créées par le Traité de Lisbonne et de l'objet de ces institutions)
R - A ma connaissance, aucune date n'a encore été fixée pour le Conseil européen devant désigner les titulaires des fonctions créées par le Traité de Lisbonne. Il revient à la Présidence suédoise de mener les consultations avec les 26 autres pays pour établir une liste préliminaire qui donnera lieu, ensuite, à une concertation entre les chefs d'Etat, probablement au cours d'un dîner ou d'une réunion suivie d'un dîner.
Le précédent Conseil européen s'est tenu il y a une dizaine de jours. M. Klaus a signé le Traité il y a une semaine. Les instruments de ratification devraient être déposés à Rome cette semaine. Je constate qu'on a perdu une semaine. Ce n'est pas un bon signal. Il serait temps maintenant de se mettre au travail.
Le président de la République et la chancelière choisiront les mêmes candidats. Il ne m'appartient pas de commenter ces décisions qui relèvent uniquement du président de la République, élu par tous les Français. Nous souhaitons que l'équipe se mette en place le plus vite possible.
Cela étant, je serai franc avec vous : il ne faut pas survendre les nouvelles institutions. Elles ne servent - je suis le premier à le dire - que si elles sont mues par un projet, par une ambition. Si elles se réduisent à un jeu entre le président stable, le président tournant, le Haut représentant, le président de la Commission et le président du Parlement européen, ce n'est pas le sujet. Il faut une impulsion.
Le système européen actuel n'est pas un Etat fédéral. Au moment de l'élection de M. Barroso, certains le critiquaient, l'accusant de ne pas avoir assez d'ambition. Il y a un projet, qui est le sien, mais le président de la Commission n'est pas le président de l'Europe.
Le système européen est une sorte de confédération d'Etats-nations dans laquelle les Etats mettent ensemble des pans de souveraineté dans des dossiers où ils considèrent être plus forts en agissant ensemble. En matière de négociation commerciale, aucun de nos pays ne peut négocier seul face aux très grands blocs de puissance. C'est la raison pour laquelle nous avons communautarisé l'agriculture. Dans le domaine du climat, aucun pays aussi vertueux soit-il, comme la France grâce à son programme nucléaire, n'obtiendra rien, s'il est seul, des principaux pollueurs que sont les Etats-Unis et la Chine. On parviendra à une diminution du recours au carbone dans leurs économies par des objectifs politiques et des cibles partagées par tous - réduction de l'émission de gaz à effet de serre de 50 % en 2050, de 20 % en 2020 -, par une offre de coopération, notamment en direction des pays les plus pauvres, et, au besoin, s'il n'y a pas d'accord, par une arme de dissuasion qu'est la taxe aux frontières. Il faut fixer des règles, faute de quoi les objectifs ne seront pas atteints.
Dans tous ces cas de figure, aucun de nos pays ne peut arriver seul à se faire entendre. C'est pourquoi nous avons besoin d'un ensemble. Ce n'est pas faire preuve de naïveté. C'est réaliser que l'intérêt national est mieux servi par un groupe.
Si l'Islande aspire aujourd'hui à adopter l'euro, c'est parce qu'elle s'est endettée de treize fois son PIB. Si l'Irlande est passée d'un vote négatif à un soutien à 67 %, c'est parce que les Irlandais ont fait leurs comptes et ont réalisé que, hors de l'Europe, il n'y a point de salut.
Ce n'est ni être naïf ni manquer de patriotisme - bien au contraire - que d'affirmer, comme je le fais maintenant, qu'on sert mieux la nation en étant dans un groupe que l'on essaie d'orienter vers ses objectifs. C'est cela qui se joue.
Au sein du Conseil européen, le poids de la France et de l'Allemagne est considérable. Lorsqu'il y a eu un blocage, il y a dix jours, à Bruxelles, sur les négociations relatives au changement climatique, c'est le président de la République et la chancelière allemande qui ont réussi à débloquer la situation, avec le Premier ministre suédois.
Nous avons besoin d'une Europe qui fonctionne car, comme la crise financière l'a montré, aucun de nos pays ne peut résister seul aux pôles de puissance. Le risque qui pèse aujourd'hui sur chacun de nos pays est celui de la marginalisation, ce qu'on appelle en anglais "irrelevance". Si nous voulons peser sur les affaires du monde, nous devons être capables d'avoir avec nous l'Europe. C'est tout l'objet de la discussion.
Le Royaume-Uni est un grand pays dont l'Europe a besoin et dont la France a également besoin sur les grandes questions stratégiques et politiques. Il est important que la Grande-Bretagne reste un acteur éminent de l'Union européenne. Personne ne souhaite rouvrir le Traité de Lisbonne. C'est un message qui, je crois, est compris par un certain nombre de nos collègues britanniques.
Au Parlement européen, il est prévu que la France ait deux sièges supplémentaires et l'Espagne quatre sièges supplémentaires à partir de 2014. Sous la Présidence française et à la demande de l'Espagne, a été actée la possibilité d'avancer cette date mais il faut pour cela un acte juridique, intégré en droit européen par un protocole annexé au prochain traité d'adhésion, qui pourrait concerner la Croatie, éventuellement aux alentours de 2012. Une loi interne devra ensuite préciser les modes de désignation de ces députés. Le gouvernement étudie les différentes options juridiques sur ce sujet.
Le Parlement européen a récemment travaillé sur son règlement intérieur et a proposé qu'en attendant la modification du nombre de députés, soient créés des postes d'observateurs au Parlement : ils n'auraient pas le droit de voter ni de déposer de rapport mais ils siégeraient avec les autres députés. Le Gouvernement étudie le mode de désignation de ces observateurs.
Q - Ces observateurs pourraient être désignés par la Commission des Affaires étrangères ?
Q - La Commission européenne peut-elle avoir une influence sur la vente actuellement projetée de la branche T&D d'Areva ?
Q - (A propos du Sommet de Copenhague et des négociations sur le climat)
Q - (Concernant un service diplomatique commun et une coopération militaire européenne)
Q - (Au sujet du rôle du Haut représentant)
R - Effectivement. Je crois que le Règlement de l'Assemblée nationale prévoit l'élection éventuelle d'observateurs.
Pour ma part, étant très soucieux de renforcer le lien entre le Parlement national et le Parlement européen, je ne serais pas opposé au fait que ce soit des parlementaires français qui assurent cette sorte d'intérim. C'est une option possible.
Je n'ai pas de réponse concernant la position de la Commission européenne vis-à-vis de la branche T&D d'Areva. Je pense qu'elle n'a pas été saisie et qu'elle ne s'est pas auto-saisie de cette question.
S'agissant de Copenhague, la négociation sur le climat est complexe à l'intérieur de l'Union. Un groupe de travail a même été créé à ce sujet, il y a une dizaine de jours, à la demande du président de la République et de la chancelière allemande.
En matière énergétique comme en matière d'émission de gaz à effet de serre, le paysage européen est très hétérogène : certains pays parmi les nouveaux venus, comme la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, utilisent beaucoup de charbon, d'autres pas du tout. Certains utilisent du gaz russe - la Bulgarie en est dépendante à 100 % et l'Allemagne pour un tiers -, d'autres, comme la Péninsule ibérique, pas du tout. Une politique énergétique commune passe obligatoirement par le développement de solidarités.
Nous devons définir entre nous une clé de répartition nous permettant de négocier de façon unie avec les autres pôles de puissance. Celle-ci doit mêler deux critères : la taille, c'est-à-dire le PIB, et les émissions de gaz carbonique. En effet, si on ne retient que le PIB, certains grands pôles de puissance comme la Chine ne manqueront pas de faire valoir que, sur ce point, ils sont en queue de classement - 104ème rang pour la Chine - alors qu'en matière d'émission de gaz à effet de serre, ils sont parmi les premiers. C'est pourquoi il faut un dosage entre le PIB et les émissions. C'est ce qui rend difficile un accord interne dans l'Union.
La négociation sur le climat est extrêmement complexe et est destinée à durer pendant vingt ou trente ans, non pas entre nous, Européens, car nous allons assez vite arriver à un accord, mais avec les pays émergents et les pays en développement. Les écarts de richesse et de pollution sont très grands. L'objectif est une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre en 2050.
M. Myard a posé une très bonne question. Que se passera-t-il si nous ne sommes pas d'accord ? C'est un vrai test ! Je ne fais pas preuve de naïveté en la matière et je ne veux induire personne en erreur. Je connais les différences qui existent entre nous, Européens, en matière de politique à l'égard de tel ou tel conflit ou de tel ou tel grand pôle de puissance. Mais nous devons être capables d'harmoniser cette politique.
Le fait d'avoir un service diplomatique commun ne garantit pas, à lui seul, une politique étrangère commune. De même, M. Boucheron a raison d'être sarcastique vis-à-vis d'une défense européenne. Moi-même, je ne saute pas comme un cabri en répétant : "Défense européenne ! Défense européenne !"
Savez-vous combien il y a de militaires sur les 35.000 fonctionnaires de l'Union ? 200 ! C'est dire la taille du "lobby" militaire dans les institutions européennes. Et, quand vous allez dans la salle du Centre de crise, qui fait la moitié de la salle Lamartine où nous sommes actuellement réunis, vous voyez 89 ordinateurs éteints ! Tout au fond, trois ou quatre officiers entourent deux ordinateurs allumés - la situation du monde est-elle à ce point pacifique, que l'Europe n'ait pas besoin de regarder ce qui s'y passe ? J'ai donc demandé des explications sur le nombre des ordinateurs et le fait qu'ils étaient éteints ; il m'a été répondu que ce nombre correspondait aux exigences d'un certain Etat - je vous laisse deviner lequel - et que s'ils étaient éteints, c'était parce que la décision de les allumer n'avait pas été prise.
La France voit, le Royaume-Uni voit, certains autres Etats voient, mais L'Europe s'interdit de voir le monde, sauf dans les endroits où elle a engagé des moyens : Atalante, les Balkans. Pour le reste, nous ne voyons pas ensemble.
Vous mesurez le chemin à parcourir. Je suis loin de prétendre que l'existence d'un service d'action extérieure commun et d'un Haut représentant suffit à résoudre ce problème. Il faudra que les Etats se mettent d'accord sur l'idée d'avancer en la matière.
L'Europe existe parce qu'elle a une spécialité civilo-militaire qui n'est pas négligeable - et que n'a pas l'OTAN. Au demeurant, cette année, nous allons nous mettre d'accord sur la création d'un centre de crise, qui sera dirigé par Mme Claude-France Arnould, ce qui constitue un progrès. Mais on n'intervient pas au coeur des crises uniquement avec des comités ; derrière il faut des budgets. Or vous connaissez tous la réalité budgétaire. Alors que l'Europe des 27 a un PIB supérieur à celui des Etats-Unis, l'effort de défense de toute l'Europe représente à peu près 40 % de l'effort du Pentagone, ces 40 % étant assurés par trois Etats : le Royaume Uni, la France et l'Allemagne. Vous comprenez pourquoi la Grande-Bretagne est indispensable à l'Europe et pourquoi je ne souhaiterais pas qu'elle s'en coupe.
Le Haut représentant devrait coordonner l'ensemble des actions extérieures afin d'éviter les erreurs du passé. Au fil de mes déplacements, je découvre nombre d'éléments plus ou moins satisfaisants. Ainsi, l'agence de sécurité maritime à Lisbonne est un instrument formidable mais est sous-employée car l'information n'est envoyée nulle part ; elle arrivera demain au Haut représentant et, peut-être, au président stable, en liaison avec les Etats. A l'inverse, des organes locaux installés à Chypre ne me semblent pas les plus performants.
Les Etats ne devront pas hésiter à signaler à la Commission ou au Haut représentant les endroits où l'équipe de l'Union européenne travaille bien avec les Etats et ceux dans lesquels elle ne fait pas le travail convenablement. Je ne me priverai pas de le faire car je considère que cela fait partie de ma mission.
Q - (A propos du rôle du Royaume-Uni dans le processus des nominations)
Q - (Concernant l'élargissement de l'Union européenne)
Q - (Au sujet de l'appréhension par l'Union européenne des questions africaines)
Q - (Concernant l'utilisation de notre contribution au FED)
Q - (A propos de l'utilisation de la langue anglaise dans les instances européennes)
Q - (Concernant les objectifs de l'Union européenne)
Q - (A propos de la politique européenne en matière de migration)
R - En ce qui concerne les nominations, je laisse le président de la République trancher. Ce que je souhaite, c'est que le Royaume-Uni reste pleinement associé à l'Union et qu'il ne s'isole pas. L'Europe a besoin de ce pays.
Les élargissements imposés par la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide sont, pour l'essentiel, derrière nous. La Turquie est un cas à part puisque sa candidature remonte à 1963. Il est très peu probable qu'on élargisse encore vers l'Est, ce qui implique des relations de partenariat poussées en direction de l'Ukraine et de la Moldavie et des relations de voisinage poussées avec les pays du Caucase. L'Europe est fatiguée par les élargissements successifs des vingt dernières années et par son débat institutionnel et a beaucoup de mal à fonctionner à 27. Il ne faudrait pas qu'elle se transforme en Nations unies, ce qui l'entraînerait droit vers la paralysie. Par ailleurs, il y a des différences de niveau de développement et des complexités stratégiques et géopolitiques.
Il reste la question de l'Islande, qui nécessitera un certain nombre de réformes internes dans les secteurs des finances et de la pêche, et celle des pays des Balkans où doit s'exercer la mission première de l'Union qui est de faire la paix. Le seul pays de l'ex-Yougoslavie qui est aujourd'hui membre de la famille européenne est la Slovénie. A côté, il reste sept États qui, dans la classification de l'Union, sont chacun dans une catégorie spécifique, tant sont grandes les différences politiques et économiques entre eux - et je ne parle pas des problèmes de frontières ou de nom. Nous pourrions d'ailleurs consacrer une réunion à cette question, Monsieur le Président, afin de préciser la politique de la France et des Européens dans les Balkans.
Ce que nous voulons, c'est stabiliser la situation. Nous nous réjouissons de l'accord slovéno-croate, qui devrait mener à la reprise normale des négociations avec la Croatie et à l'adhésion de ce pays à l'Union vers 2012, l'arbitrage étant accepté d'avance par les deux pays, ce qui est un grand progrès. Les négociations se poursuivent avec les autres pays. Nous devons être très vigilants sur la situation en Bosnie. S'agissant du problème du nom de l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, il est surprenant que les Européens ne soient pas capables de le régler sans demander l'intervention d'un Américain, même si la Grèce et cette Ancienne République de Yougoslavie ont un partenariat avec l'OTAN.
Par ailleurs, s'agissant de Chypre, il est tout de même surprenant que l'Europe tolère qu'un ancien ministre australien des Affaires étrangères soit chargé d'un dossier européen vieux de 35 ans, qui se caractérise par une situation ubuesque dans laquelle on voit un pays membre de l'Union être occupé par un pays candidat qui ne le reconnaît pas! Il est peut-être temps que l'Union européenne, qui veut se doter d'une grande ambition de politique étrangère, s'occupe de régler ce problème.
Monsieur Myard, cessez d'être négatif. Je pense, comme M. Garrigue, que cette nouvelle fenêtre de l'histoire qui s'ouvre avec la mise en place de nouvelles institutions en Europe nous donne la possibilité d'avancer. Si je dénonce la situation ubuesque des relations entre la Grèce et la Macédoine, c'est parce que je souhaite qu'on réagisse et qu'on ne se contente pas de laisser l'ONU régler un conflit européen. De même, ce ne sont plus la Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie qui doivent assurer la garantie de Chypre, mais l'Union européenne. Cela dit, je souhaite que l'ARYM, l'Ancienne République yougoslave de Macédoine - en tant que ministre français, je n'ai plus le droit, du fait des relations d'amitié de la France avec la Grèce, de prononcer le nom de Macédoine -, soit arrimée à l'Europe et qu'on en finisse avec ce problème de nom sans avoir besoin d'appeler le Département d'Etat pour le régler.
Nos relations avec la Turquie sont stratégiquement importantes. Je suis conscient de sa situation particulière en matière énergétique et de la politique ambitieuse qu'elle développe au Proche-Orient, en Afghanistan, en Asie centrale, au Pakistan, dans l'OCI - Organisation de la conférence islamique -, en direction de l'Iran et en direction de la Russie. La Turquie est un pont entre l'Europe et toutes ces régions.
L'un des premiers dossiers que j'ai pris à bras-le-corps, dès ma nomination, avec mon collègue turc, a été de pacifier nos relations dans le respect des positions de chacun. Un accord tacite en trois points a été passé entre le Président français et son homologue turc.
Dans le premier point, il est précisé que les Français et les Turcs se respectent mais sont en désaccord sur le point d'arrivée de la négociation, à savoir l'adhésion à l'Union européenne. Nous sommes d'accord pour constater le désaccord sur ce point.
Dans le deuxième point, les deux parties sont d'accord pour que les négociations continuent parce que c'est l'intérêt de tout le monde. Les Turcs ont intérêt à avoir une Turquie apaisée et moderne, avec des règles démocratiques du niveau de celles de l'Europe communautaire. L'Union européenne a intérêt à avoir une Turquie démocratique, prospère et forte.
Cinq chapitres sont mis de côté par la France parce qu'ils mènent, du point de vue français, directement à l'adhésion.
Huit autres chapitres sont bloqués par l'Union à cause de Chypre. J'invite nos amis turcs à étudier les hypothèses d'évolution pour que tombe ce dernier mur en Europe. On ne va pas rester encore 35 ans avec cette division qui déchire l'île et ses peuples.
Le protocole d'Ankara sera examiné au Conseil européen du mois de décembre. La Turquie s'est engagée à ouvrir ses ports et ses aéroports et envisage de reconnaître Chypre.
Il faut que nous fassions preuve d'intelligence pour trouver des solutions. Je ne me résigne pas. Au moment où nous célébrons le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, il est temps de dire : "Abattons ce mur !" Il n'y a pas besoin de 40.000 soldats turcs à Chypre. Il faut travailler à la démilitarisation de l'île, à l'instauration de mesures de confiance et à la reprise de relations normales, commerciales puis politiques.
Troisième point de l'accord : pendant que continuent les négociations, les deux parties essaient de développer au maximum les intérêts politiques, économiques et stratégiques qu'elles ont en commun. Il n'y a pas beaucoup d'Etats européens qui ont une politique dynamique en direction de l'Asie centrale, de la Russie et du Moyen-Orient. La France est un de ceux-là et, à bien des égards, notre pays et la Turquie se retrouvent.
La France et la Turquie se sont retrouvées en Syrie. Le président de la République a travaillé avec le Premier ministre Erdogan, sous Présidence française. La politique de rapprochement avec la Syrie, aujourd'hui imitée par les Etats-Unis, est partagée par la France et la Turquie.
La France et la Turquie travaillent ensemble en Afghanistan, de façon très proche. Les deux pays ont les mêmes intérêts à aider le Pakistan à se stabiliser.
Dans le domaine de l'énergie, la Turquie est un carrefour d'approvisionnement en provenance de la Caspienne et de la Russie. C'est une route essentielle vers l'Europe, qui permet de réduire la dépendance de cette dernière vis-à-vis des gazoducs passant par l'Ukraine et, demain, par la route de la Baltique. D'ailleurs, lorsque le président Gül est venu à Paris, il a souhaité le retour de Gaz de France dans le projet Nabucco.
Pour moi, la Turquie est un pays ami. Il faut cesser de nous chamailler sur le fait que nous sommes en désaccord sur le point d'arrivée et avancer, les intérêts stratégiques de la France et de la Turquie étant convergents.
Nous commençons seulement à travailler sur l'articulation entre notre politique nationale et celle de l'Europe en matière de développement, notamment en direction de l'Afrique. L'UPM - Union pour la Méditerranée - est un vecteur très important stratégiquement de relations entre l'Europe et nos voisins du Maghreb.
Il est exact que nous avons très peu de visibilité sur l'utilisation qui est faite de notre contribution au FED. Nous sommes face à un dilemme : vaut-il mieux continuer à travailler en bilatéral ou vaut-il mieux travailler "en Européen", surtout avec l'arrivée en Afrique de très grandes puissances comme la Chine ?
La mise en oeuvre des nouvelles institutions sera très importante. Jusqu'à présent la synergie n'a pas été parfaite entre l'action des commissaires chargés de l'aide extérieure et celle des Etats. Le Haut représentant sera chargé de coordonner ces actions.
En matière d'aide au développement, il est très important que l'Europe pèse de tout son poids et que tous les Etats membres se sentent concernés. L'Afrique n'est pas que le problème de la France, de l'Italie ou de l'Espagne. Il est important, tant politiquement que psychologiquement et financièrement, que chaque Etat apporte sa contribution.
En même temps, il faut que l'utilisation de cet argent commun soit coordonnée avec les Etats. Je ne veux pas revoir les dysfonctionnements que j'ai constatés en matière d'aide au Pakistan, la Commission vivant sa vie et appliquant sa stratégie. Le Haut représentant nous donnera les moyens de cette coordination.
Le Haut représentant est membre du Conseil. En même temps, il assure le lien entre la Commission et le Parlement européen, avec lequel il faut que nous apprenions à travailler davantage.
Vous avez critiqué, Monsieur Myard, l'invasion de la langue anglaise. Sachez que le représentant du gouvernement que je suis et qui travaille étroitement avec le Parlement européen, constatant qu'il y avait près de 300 francophones sur les 751 eurodéputés, a incité les eurodéputés français ou francophones à créer un groupe francophone à Strasbourg. Ce groupe est en train d'être créé et est dirigé par un Roumain, M. Preda.
Par ailleurs, j'ai écrit au président du Parlement européen pour lui rappeler que celui-ci se trouvait en France et qu'il serait bien que les panneaux d'identification soient aussi en français.
Les objectifs de l'Europe sont ceux que j'ai indiqués tout à l'heure : l'immigration, l'énergie, la sortie de crise.
Je me propose de reprendre votre attache avec une analyse chiffrée sur le FED et l'utilisation qui est faite des crédits dont dispose ce fonds.
Je sais, Madame Taubira, que le sujet que vous avez évoqué est très sensible dans votre département. Cette politique d'immigration vaudra sur l'ensemble du territoire de l'Union. Je serais très heureux de votre contribution en la matière. Cela m'intéresserait de savoir comment on peut progresser ensemble, d'autant qu'il y a un centre spatial européen dans votre département.
Vous avez bien compris qu'il y avait tout, dans ce débat, sauf l'exclusion de l'autre. Notre souci est d'assurer un lien entre la politique de développement que nous voulons mener et l'immigration que nous ne devons pas subir. Sinon, aucun système, y compris l'aide sociale dont vous bénéficiez dans votre département, ne pourrait résister. Il faut que nous travaillions ensemble et que les règles en matière de droit d'asile soient communes dans toute l'Union.
La France souhaitant s'affirmer comme un Etat amazonien, il faut qu'elle soit à la jonction des frontières de l'Union européenne et de ce regroupement régional que vous souhaitez. Cela implique des relations avec les Etats voisins.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2009