Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Commissaire,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames et messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi de lancer avec vous aujourd'hui l'expérimentation du CV anonyme. Nous venons de le rappeler, le cv anonyme est un cv qui ne comporte aucune information qui puisse, le cas échéant, conduire un recruteur à écarter un candidat d'un dispositif de recrutement pour un motif discriminatoire. Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances, vient de nous en expliquer les enjeux. Je souhaite à mon tour vous exposer comment il s'inscrit dans la politique que je conduis comme ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville. L'expérimentation du CV anonyme, en effet, est l'une des mesures qui participent de la revalorisation de la valeur travail voulue par le Président de la République. Revaloriser le travail, c'est d'abord en faire un principe universel d'organisation des relations sociales. C'est refuser que s'y logent des motifs de discrimination, d'exclusion, ou d'injustice. C'est faire droit au mérite et à la compétence des individus et donner à chacun les mêmes chances de s'accomplir. C'est oeuvrer à une société plus juste, plus ouverte et plus solidaire.
Tel n'est pas le cas, pourtant, lorsqu'un candidat à une fonction s'en voit écarté du fait de son patronyme, de son âge, de son adresse ou de sa condition physique. A cette injustice s'en ajoute une autre, plus grande encore peut-être, qui consiste à rester dans le doute des raisons pour lesquelles on a été écarté. Ces situations sont connues. Elles ont été mesurées par des testings, dénoncées par des associations. Et elles sont parfaitement insupportables à nos valeurs de justice, de liberté et d'égalité.
Dire que ces comportements sont intentionnels, pourtant, serait sans doute aussi injuste à l'égard des professionnels du recrutement qui, confrontés à l'afflux de candidatures pour un même poste, cèdent parfois à la facilité de recourir au profil le plus familier, souvent le plus proche de ceux déjà présents dans l'entreprise. Permettre à un candidat d'accéder à une étape plus avancée dans le processus de sélection, c'est déjà faire échec à cette logique de la facilité. Le CV anonyme, tel qu'il est proposé par Yazid Sabeg, ne doit pas être compris comme une façon de forcer la main aux entreprises ou de tendre un piège aux recruteurs, mais comme une véritable opportunité de s'ouvrir à des profils nouveaux, plus riches, plus divers. C'est se donner la possibilité de bénéficier de compétences et d'expériences très riches mais que les entreprises n'avaient pas toujours pris l'habitude de valoriser. Et c'est encourager les candidatures de ceux qui, naguère, n'étaient candidats à rien à force d'être rejetés partout. Il ne s'agit plus de donner plus à ceux qui ont moins, comme c'est partout nécessaire, mais de ne pas donner moins à ceux qui ont autant. Nous en voyons des exemples sur tout notre territoire. Dans un article récent, un quotidien du soir évoquait récemment le « 9-3 » comme un département laboratoire pour la France. Alors que les entreprises qui s'y implantent de plus en plus amenaient jusque là leurs propres salariés, leur nouveau défi aujourd'hui est de se tourner vers les viviers locaux de diplômés dont ils ont appris à apprécier les compétences.
Le CV anonyme a longtemps suscité des doutes et des interrogations qui ont retardé sa mise en oeuvre. C'est la raison pour laquelle l'article 24 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, qui le rendait obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, n'a pas été suivi d'effet, faute de décret d'application. De même, l'accord national interprofessionnel du 12 octobre 2006 mentionnait la possibilité d'expérimenter ce dispositif, mais ne parlait pas de le rendre obligatoire. De fait, depuis cette date, on ne recense qu'une vingtaine d'entreprises qui ont adopté le CV anonyme.
L'enquête sur le cv anonyme menée par l'association A Compétence Egale a montré les avantages et les inconvénients de sa mise en place. Je souhaite que cette expérimentation ait une vertu d'interpellation et qu'elle nous permette d'ici quelques mois de prendre en parfaite connaissance de cause les décisions qui s'imposent. La mise en place du CV anonyme, d'ailleurs, ne remet pas en cause, et c'est heureux, les distinctions fondées sur le mérite le travail des personnes. Il n'occulte pas les titres universitaires, la qualité d'ancien élève d'une grande école, les stages effectués ou les langues pratiquées. C'est pourquoi, au-delà de cette expérimentation, il convient de replacer cette expérimentation dans le contexte des mesures volontaristes que je mène avec Fadela Amara dans le cadre de la politique de la Ville en général, et de la dynamique Espoir- Banlieues en particulier. Chaque fois qu'un collégien issu d'un quartier populaire participe à des activités d'accompagnement éducatif après la classe, chaque fois qu'un lycéen participe durant les vacances à un stage gratuit de remise à niveau, chaque fois qu'un jeune est aidé, soutenu, accompagné, chaque fois qu'il participe à un stage dans une entreprise avec laquelle son établissement scolaire l'a mis en relation, chaque fois reculent un peu plus les préjugés qui, plus tard, pourraient peser sur lui. Lorsque vient le moment de remplir un CV, anonyme ou pas, c'est tout le fonctionnement de notre société qui transparaît parfois, de la naissance à la demande d'emploi.
Mais ces efforts ne valent que s'ils sont connus des recruteurs. Et c'est pourquoi je trouve intéressant que par le biais du CV anonyme, ils puissent en mesurer directement les effets dans leurs entreprises. Je crois beaucoup aussi aux actions de sensibilisation et de formation des recruteurs pour leur permettre d'aller vers une plus grande égalité de traitement. Il ne s'agit nullement à mes yeux de faire de la gestion des ressources humaines à la place des entreprises, encore moins de favoriser une candidature par rapport à une autre sous couvert d'origine sociale différente. Il s'agit simplement de les inciter à avancer sur ce sujet avec pragmatisme.
Car que souhaite un bon recruteur ? Il veut un candidat motivé, qui a fait ses preuves et qui s'est battu pour réussir quand rien n'était acquis au départ. De tels parcours montrent des qualités de persévérance, de prise de risque, de sens de l'effort qui sont des atouts très prisés dans le monde du travail. En un sens, les règles usuelles de présentation des CV ne permettent pas de rendre compte de ces qualités qui, pourtant, intéressent fortement les recruteurs.
C'est la raison pour laquelle le CV anonyme doit être conçu non comme une fin en soi, mais comme une étape à la fois pour le candidat qui a besoin de pouvoir accéder à un entretien et pour l'entreprise qui a besoin de pouvoir être mise en contact avec des publics nouveaux.
Au fond, paradoxalement, le CV anonyme aura vraiment rempli son rôle lorsqu'il aura rendu indifférents les éléments biographiques qui, aujourd'hui, sont discriminants. Je proposerai aux partenaires sociaux que nous suivions avec soin les conclusions de cette expérimentation et que nous en tirions les conséquences adéquates.
Je vous remercie.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 4 novembre 2009