Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, sur les justifications du grand emprunt national, Paris le 10 novembre 2009.

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Circonstance : Colloque parlementaire sur le grand emprunt, à Paris le 10 novembre 2009

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires
Mesdames, Messieurs,
Je souhaite d'abord remercier Philippe MARINI d'avoir organisé cette journée de débat au nom de la majorité présidentielle. L'emprunt national est un pacte de confiance scellé entre la France et son avenir. C'est un enjeu suffisamment important pour que la représentation nationale apporte sa contribution au débat public et je m'en réjouis.
Nous sortons d'une crise sans précédent. La France s'est engagée depuis un an dans une politique de relance par l'investissement dont nous recueillons aujourd'hui les premiers fruits : après une croissance positive au 2ème trimestre et celle que nous attendons -aussi positive- au 3ème trimestre, nous avons prévu une croissance, modérée pour certains, réalistes pour d'autres, de +0,75% pour l'année prochaine.
Dans Tristes Tropiques, Claude LEVI-STRAUSS affirmait la nécessité de poser un « regard éloigné » sur le réel afin de mieux l'embrasser... C'est ce à quoi je vous invite cet après-midi. Le moment est venu de dessiner le visage de la France d'après-crise, et l'emprunt national sera notre accélérateur de croissance.
Depuis les grandes épopées scientifiques et industrielles des années 70, notre pays n'a pas suffisamment investi dans l'avenir. La réussite de ces grands projets technologique doit autant à l'impulsion de l'Etat qu'aux débouchés et aux relais sur les marchés portés par des entreprises qui ont pu devenir des leaders mondiaux. A tel point que certains projets, comme ceux menés dans la filière aéronautique, constituent aujourd'hui le symbole d'une intégration européenne réussie. L'emprunt national décidé par le Président de la République vise les investissements stratégiques pour la France dans une vision de long terme.
Il trouve sa justification économique dans une stratégie en trois temps :
i. les investissements de court terme ont été financés par le plan de relance : 26 Mdseuros ont été injectés dans l'économie pour aider les entreprises à garder confiance et soutenir les ménages modestes ;
ii. les priorités de moyen terme -amélioration de notre compétitivité, réforme de la fiscalité, entretien des propriétés de l'Etat- sont au coeur de l'action permanente du Gouvernement et se trouvent financées dans le cadre des dépenses ordinaires et permanentes du budget.
C'est le sens des réformes que nous mettons en oeuvre dans ce cadre : celle du CIR en 2008, qui a fait passer le soutien à la R&D des entreprises de 1,7 Mdeuros en 2007 à 4 Mdseuros en 2009, et celle de la taxe professionnelle que nous examinons en ce moment au Parlement.
iii. l'emprunt national constitue, enfin, un effort extraordinaire, qui n'a pas vocation à se renouveler, réservé à des investissements d'avenir qui nous apporteront un surcroît de compétitivité à horizon supérieur à 20 ans.
Comme LEVI-STRAUSS nous l'avait appris, je suis convaincue que le « voyage philosophique » qui nous réunit est fondamental : les priorités de l'emprunt, notre projection dans l'avenir, constituent un préalable essentiel avant d'envisager son montant et ses modalités de développement.
En amont de la réflexion sur l'emprunt national, notre tâche consiste à définir des priorités stratégiques d'avenir. Le travail mené par la Commission présidée par Alain JUPPE et Michel ROCARD est en ce sens fondamental et je les en remercie, car nous ne pouvons pas tout faire :
notre dette ne peut s'alourdir qu'au profit de ce qui est vraiment essentiel pour l'avenir de notre pays et qui générera un surcroit de richesse susceptible d'équilibrer les surplus d'endettement.
Le Président de la République nous a fixé un horizon de long terme. Permettez-moi de revenir sur les trois priorités qu'il a établies au mois de juin :
- l'économie de la connaissance : l'innovation est à juste titre considérée comme l'un des moteurs de la performance économique. En la matière, la France peut se flatter d'être un « pays des idées » : nous sommes le second pays déposant de brevets au niveau européen (9 049 dépôts de brevets en 2008 contre 26 653 en Allemagne, et le quatrième au niveau mondial (derrière les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon). Mais pour rester dans la course, il faut réfléchir de façon transversale aux passerelles entre l'enseignement supérieur, la recherche, les entreprises... ;
- la compétitivité des entreprises : pour maintenir la compétitivité des entreprises françaises, il faut de l'énergie et de l'audace. L'Etat est dans son rôle lorsqu'il encourage les PME innovantes et exportatrices à partir à la conquête de nouveaux marchés ;
- les équipements industriels et de recherche stratégiques : nous devons aussi valoriser les filières françaises à fort potentiel et ne pas négliger d'entretenir nos secteurs d'excellence afin de renforcer notre autonomie technologique et énergétique et nos industries de souveraineté. Dans la compétition internationale, la France doit conserver son rang en apportant les solutions technologiques et industrielles au monde de demain.
Face à ces défis, nous n'avons pas d'autre choix que d'adopter la technique du judoka. C'est en nous appuyant sur les défis de demain, que nous bâtirons des filières à fort potentiel de croissance :
1er défi : le changement climatique et l'épuisement des ressources naturelles. Nous nous sommes engagés à diviser nos émissions de CO2 par 4 d'ici 2050 et le sommet de Copenhague tentera en décembre de fixer une feuille de route avec des étapes intermédiaires pour y arriver. Dans ce cadre, à nous de nous tourner vers la croissance sans carbone, les technologies vertes et les matériaux de substitution aux ressources naturelles que nous ne possédons pas -ou plus ;
2ème défi : le vieillissement de la population. Entre 2005 et 2015 la population des plus de 75 ans au Japon aura augmenté de 30 %. Le vieillissement démographique n'est pas une fatalité, il représente un gisement potentiel pour l'enrichissement de notre offre de santé, le développement des services à distance et des équipements d'assistance. La robotique est un domaine qui reste à explorer ;
3ème défi : l'urbanisation croissance. La population urbaine représentera 2/3 de la population mondiale en 2050 contre moins de la moitié aujourd'hui. Imaginez 1 milliard de citadins en Chine en 2030 ! A nous d'imaginer et de bâtir une mobilité plus intelligente à l'heure des réseaux, ainsi que les technologies qui permettront d'irriguer ces « gigapoles ».
4ème défi : le développement d'une économie dématérialisée et en réseau. En 2012, le marché de la téléphonie mobile représentera un potentiel de 5 milliards de client, les ¾ de la population mondiale actuelle. Face aux mutations technologiques récentes et à venir, il nous faut aussi prendre en compte la capacité de notre pays à conserver l'autonomie de ces infrastructures-clés, qui ne sont plus nécessairement les mêmes qu'il y a 20 ou 30 ans.
Ces quatre défis au service d'une ambition : donner à la France un coup d'avance dans la compétition économique, technologique et industrielle mondiale. Nous amplifions ainsi le basculement de l'Union européenne dans l'économie de la connaissance depuis la Stratégie de Lisbonne et nous ancrons la France dans la compétition internationale du futur : celle qui réconcilie les résultats du classement de Shanghai avec l'« activisme industriel » réclamé, aussi, par Lord MANDELSON pour la Grande-Bretagne!
Engager la France dans un emprunt national nous impose des responsabilités. J'en vois principalement deux. Première responsabilité : garder la tête froide. Je tiens à rappeler qu'avec l'emprunt national il ne s'agit pas de dépenser pour dépenser. Le but n'est pas de venir augmenter les dépenses de fonctionnement ou de financer des programmes déjà décidés ; il s'agit de définir nos choix stratégiques de long terme. Nous avons fait le plan de relance pour injecter de l'argent dans l'économie ; nous ferons l'emprunt national pour investir dans l'avenir.
Deuxième responsabilité : ne pas oublier le sens de notre démarche. Emprunter, c'est émettre de la dette. La maxime de Montaigne, « je ne compte pas mes emprunts, je les pèse », s'applique aussi à l'économie de la France : je crois plus à l'impact de l'emprunt qu'à son volume. Ce n'est qu'au moment où les priorités auront été définies, que nous pourrons précisément calibrer le montant nécessaire en fonction des besoins. C'est un élément de débat, mais ce qui compte, à l'issue de notre réflexion, c'est le montant total investi. Nous pouvons envisager des effets de levier à travers des co-investissements privés ou avec nos partenaires européens.
Une fois ce cadre posé, une estimation comprise entre 25 à 50 Mdseuros me paraît à la fois consensuelle et surtout réaliste. Elle tient compte des solutions alternatives à de nouvelles émissions de dette. Les fonds issus du remboursement des banques (13Mdseuros) permettraient, par exemple, d'éviter de recourir à de nouvelles émissions de dette car la capacité d'absorption du marché est limitée.
Je vous remercie.

source http://www.minefe.gouv.fr, le 19 novembre 2009