Interview de M. Christian Estrosi, ministre de l'industrie, à "france Inter" le 23 septembre 2009, sur la mobilisation autour du changement de statut de La Poste.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- C. Estrosi, bonjour. On revient ce matin encore sur le mouvement social à La Poste. Selon la direction de l'entreprise, un peu plus de 20 % de grévistes hier. Comment jugez-vous de cette mobilisation ?

Même si cette mobilisation est très faible et très peu significative, est-ce pour autant que je ne la prends pas en compte ? Ça veut dire qu'il y a encore une minorité de salariés, qui sont inquiets, et mon devoir est de continuer à dialoguer avec eux pour leur faire mesurer que la réforme que je suis en train d'engager au nom du Gouvernement conserve à 100 % le statut public de leur entreprise et surtout protège leur statut, notamment leur régime de retraite, puisqu'ils continueront à être affiliés à l'IRCANTEC, c'est-à-dire le régime dont bénéficient tous les fonctionnaires de la fonction publique, qu'ils soient d'État ou des collectivités territoriales.

Donc l'inquiétude porte, d'après vous, précisément sur ce point-là : la privatisation redoutée par les syndicats et un certain nombre de salariés de La Poste, et le démenti que vous apportez à la chose ?

Pour cette minorité de salariés qui se sont encore mobilisés hier, oui. Donc ça veut dire que le dialogue social que j'ai engagé avec eux, je dois le poursuivre, je dois convaincre et leur montrer qu'en même temps que je vais protéger leur statut, je vais leur apporter les moyens, avec 2,7 milliards d'euros d'investissement, de moderniser leur outil de travail pour pérenniser tout simplement leur avenir professionnel et en même temps l'avenir de leur outil de travail.

Une minorité, 20 %, c'est le terme que vous employez, c'est une grosse minorité quand même, ça fait...

Mais c'est bien pour cela que j'ai du respect. Vous savez, on aurait dit "80 %", on aurait dit "quel succès !". On ne va pas dire qu'à 22 % c'est un succès, mais on n'est pas là pour débattre de cela. Il n'y en aurait même que 10 %, est-ce que je devrais avec arrogance dire que ce n'est pas significatif ? Non, je dis qu'il y en a 20 % et mon devoir est de parler avec eux, de comprendre ce qui quelque part les inquiète, les rassurer pour les convaincre qu'avec l'investissement que va faire l'État avec cette modification de statut, un, on pérennise leur statut, deux, on arrive à maintenir un statut à 100 % public de leur entreprise...

C'est là-dessus qu'ils ne vous croient pas.

... non mais...

C'est là-dessus qu'ils ne vous croient pas : France Télécom, GDF, l'histoire récente prouve que les grands engagements sont toujours suivis de privatisations.

Et qu'est-ce qu'on ne croit pas ? Ce qui va être inscrit dans le marbre de la loi ou les mensonges...

C'est un marbre friable, la loi.

... ou les mensonges proférés par monsieur Besancenot et madame Aubry ? Moi je vous dis qu'il y a la garantie de la loi d'un côté et le mensonge et la manipulation de l'autre. Parce que la loi est une garantie, il n'y a pas dans notre société, dans notre démocratie, de meilleure garantie que la loi.

Quand le président de la République, qui ne l'était pas à l'époque, avait promis juré en quelque sorte, pour le dire familièrement, que GDF ne serait jamais privatisée et que le contraire s'est déroulé, est-ce que vous ne comprenez pas tout de même qu'il y ait une inquiétude quant à l'avenir public de La Poste ?

Si ce n'est qu'il y a eu un débat tout à fait démocratique, que cette réforme ce n'est pas à la demande du Gouvernement qu'elle se fait, c'est à la demande de La Poste elle-même, de son président, de son conseil d'administration. La Poste aujourd'hui, il faut savoir qu'il y a 6 milliards d'euros de déficit, qu'il y a une ouverture à la concurrence le 1er janvier prochain, pardon, le 1er janvier 2011, et que si La Poste veut être concurrentielle là où toutes les autres postes en Europe ont modifié leur statut et ainsi, par la modernisation dont elle se donne les moyens, de venir concurrencer La Poste française, en France, moi je veux permettre à La Poste, qui n'a pas les moyens d'emprunter plus qu'elle n'a emprunté avec ces 6 milliards d'euros de cette, d'apporter ces 2,7 milliards d'euros qui lui permettront de se moderniser et non seulement de défendre l'outil de travail des postiers, des salariés, des fonctionnaires de La Poste, et en même temps d'être un leader européen, non pas pour nous défendre au plan national, mais pour faire plus encore et aller concurrencer les autres Postes sur la scène européenne.

Mais sur les promesses de non privatisation qui ont souvent été suivies de privatisations...

Mais moi je vous pose la question...

Est-ce que ce n'est pas une évaluation de la parole politique et des engagements que vous pouvez formuler pour l'avenir ?

Il n'y a rien de pire que la trahison de la parole donnée...

C'est ce qui s'est passé pour GDF ?

Et moi je vous pose la question...

Non, mais là je vous en ai posé une, c'est ce qui s'est passé ou pas ?

Non, non, mais moi je vous en pose une.

C'est moi qui ai commencé !

Mais je vous réponds par une question, je suis désolé...

Bon, je vous reposerai ma question après votre question.

Vous pourrez peut-être me la poser, mais est-ce que vous l'avez lue la loi de GDF ? Est-ce que la loi de GDF apporte les mêmes garanties dans sa rédaction que le texte de la loi ? Je vous pose la question, si vous me posez la question sur GDF, avant de me poser la question sur GDF, en tant que journaliste, il faudrait peut-être que vous lisiez la loi GDF pour voir si elle est rédigée de la même façon que la loi sur La Poste...

Elle est déjà rédigée, celle de La Poste ?

La loi sur La Poste est rédigée, je l'ai présentée au conseil des ministres, je suis allé devant la commission économique du Sénat et j'ai même dit à tous les sénateurs, de droite comme de gauche : si vous avez le sentiment qu'il y a la moindre faiblesse qui laisserait une seule fissure pour permettre à des capitaux privés de rentrer demain dans La Poste, allez-y, déposez des amendements pour rendre cela impossible. C'est une garantie qui n'a jamais été apportée sur la réforme de GDF.

Alors je réponds à votre question, en toute transparence et en toute sincérité : non, monsieur le ministre, je n'ai pas lu le texte de loi sur GDF.

Merci pour votre honnêteté.

Alors maintenant, je vous repose donc ma question : est-ce qu'il n'y a pas eu trahison d'une parole publique, donnée par un très haut responsable politique, sur la question du statut de GDF qui ne devait pas être privatisée et qui l'a été ? D'où le malaise et les inquiétudes. Alors répondez avec autant de franchise que je l'ai fait moi.

Je réponds avec autant de franchise, comme je viens de le faire. C'est que la loi de GDF n'était pas rédigée de la même manière et que qui plus est aujourd'hui, que vous le vouliez ou non, GDF s'est donné les moyens de sa modernisation et, que je sache, GDF-SUEZ est aujourd'hui dans le domaine énergétique une des entreprises les plus importantes au monde. On n'est pas concurrencés en France, par contre on va à la conquête de marchés sur la scène internationale. Permettez-moi de vous dire qu'en gardant à 100 % le statut public de La Poste, si demain ça nous permet d'aller conquérir des marchés sur la scène européenne, ça sera du gagnant-gagnant.

Ce n'est pas le cas, d'après vous, aujourd'hui, en l'état, en restant dans une entreprise en l'état comme l'est La Poste, ça ne pourrait pas... c'est une entreprise, comment dire, fragilisée aujourd'hui ?

Mais je vous pose une autre question...

On va en rester là !

... est-ce que vous pensez que quand on a une dette de 6 milliards d'euros, est-ce que vous pensez que quand on a perdu en matière de courrier 10 % de part de marché ces deux dernières années, on est prêt à l'ouverture à la concurrence au 1er janvier 2011 ?

Réponse non, à vous entendre.

Je pense que chacun pourra répondre non. Et que le Gouvernement décide, à la demande de La Poste, de donner les moyens à La Poste, de 2,7 milliards d'euros d'argent public pour rentrer dans le capital d'une société anonyme dont on garantit le maintien du statut public, pour pouvoir se moderniser face aux communications électroniques, face à Internet, face aux dématérialisations pour devenir une grande entreprise moderne, qui aille conquérir des marchés qui préservent et qui recrutent - et qui recrutent ! - et qui répondent à un certain nombre de critiques, parce que pour moi aussi j'ai des exigences, je le dis lorsque j'entends qu'il y a la queue dans certains bureaux de Poste à Paris, etc., vous croyez que je suis content ? Je pense que peut-être La Poste a besoin de se moderniser pour répondre à ses usagers et apporter un meilleur service que celui qu'elle offre aujourd'hui. Donc je dis que ce n'est pas sans contrepartie. J'ai dit que le Gouvernement garantit le statut public, le Gouvernement apporte les moyens d'investissement et de modernisation et en contrepartie, je dis à La Poste : assurez vraiment vos missions de service public et faites en sorte qu'il y ait un meilleur service aux usagers.

(...) Une dernière question de climat économique et social. Avant l'été, il était beaucoup question d'un automne qui serait terrible sur le plan des licenciements, des plans sociaux. Où en est-on exactement aujourd'hui ?

Aujourd'hui, c'est simple, on voit des chiffres à la reprise : + 0,8. On voit que c'est l'industrie qui y contribue : + 1,1 ; et on voit que c'est l'industrie automobile qui joue le rôle le plus important : + 5,6. Ça démontre que là où depuis plusieurs années les gouvernements, de gauche comme de droite, considéraient qu'il n'y avait pas d'avenir industriel pour la France, c'est aujourd'hui la France, 5e puissance industrielle mondiale, qui nous tire vers le haut dans cette période de crise. Et lorsque le président de la République, en me confiant cette responsabilité, a décidé pour la première fois depuis longtemps, de recréer un ministère de l'Industrie dans notre pays, tourné vers l'innovation, pour en faire un accélérateur de sortie de crise, il ne s'est pas trompé. Pour autant je ne dois pas cacher les difficultés de la rentrée...

Ça va être un automne noir, pour le dire d'une formule ?

... qui touche surtout les sous-traitants, je le dis et c'est bien pour cela que je suis en train de mettre en place une commission de la sous-traitance pour les accompagner financièrement. D'un côté, vous avez les grands groupes industriels, notamment dans l'automobile, qui, ont leurs chiffres à la hausse ; de l'autre côté, les rangs 2 et plus, qui eux connaissent des difficultés structurelles. Mon devoir c'est donc d'accompagner la restructuration, mieux, la transformation, pour qu'ils se modernisent et qu'ils soient des leaders à la sortie de crise.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 septembre 2009