Déclaration de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, sur les leçons à tirer de la crise pour définir une nouvelle politique sociale, à Paris le 8 décembre 2009.

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Circonstance : Introduction au colloque : "Après la crise, les nouveaux contours du social", à Paris le 8 décembre 2009

Texte intégral

Je souhaite remercier toutes les personnes présentes d'avoir accepté de participer à ce colloque. Nous avons souhaité réunir aujourd'hui des personnalités de sensibilités diverses et d'horizons variés - il y a ici des politiques de la majorité et de l'opposition, des représentants des partenaires sociaux, des chefs d'entreprise, des économistes, des sociologues - pour réfléchir à demain. Certains disent « demain, c'est trop loin et nous devons seulement gérer la crise au jour le jour ». Je ne le crois pas, et le gouvernement, dès maintenant, notamment à travers le grand emprunt, travaille sur la sortie de crise. On ne doit pas se tromper. Cette crise est deux fois plus importante que le choc pétrolier de 1973. Elle va transformer en profondeur notre société. La société de l'après-crise ne ressemblera pas, et ne doit pas ressembler, à celle de l'avant crise. Il faut réfléchir dès maintenant aux changements à venir. Cet après-midi est destiné à permettre cette réflexion.
Dans la crise, l'importance du social est clairement apparue. Le Président de la république et le Premier ministre ont placé les outils sociaux au coeur du plan de relance : sur le front de l'emploi, avec plus de deux milliards supplémentaires, mais aussi avec des mesures comme la suppression des deux derniers tiers de l'impôt sur le revenu, la revalorisation du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés, l'amélioration de l'indemnisation des demandeurs d'emploi, la relance de la construction de logements sociaux.
Le social a été un de nos boucliers dans la crise.
Pour autant, si l'on est lucide, dans l'après-crise, nous allons être confrontés à trois défis : comment répondre au besoin de social pour panser les blessures de la crise ? comment le faire en tenant compte des déficits ? comment concilier le social et l'économie, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée ?
Ma conviction est qu'il faut sortir de l'opposition absurde entre social et économie. La crise a montré que le social bien géré n'était pas antinomique avec l'économie, et même que c'était un de nos atouts. Aujourd'hui, pour nos entreprises, la compétitivité réside bien plus dans l'humain et dans le savoir-faire que dans les machines. C'est ce que j'appelle le capital emploi de notre pays. La crise a finalement montré que l'on pouvait investir dans le social, que l'on pouvait le faire efficacement, mais à condition de bien fixer nos priorités.
I. La première leçon que les politiques doivent s'appliquer concerne la gouvernance du social.
La méthode a changé. Dans notre cher pays colbertiste, le pouvoir politique a du mal à admettre que les avancées ne passent pas forcément par la loi et par l'État dans sa majesté. Je crois à la nécessité d'un État garant de l'intérêt général. Mais je crois aussi que l'on doit accepter un dialogue beaucoup plus étroit avec les partenaires sociaux. C'est ce que le Président de la République a voulu. Et de fait, bien des avancées dans la crise ont été permises, et même réalisées, par les partenaires sociaux. Nous n'avons aucun problème à le reconnaître : fonds d'investissement social, formation professionnelle, assurance chômage, activité partielle, contrat de transition professionnelle, pacte automobile. Dans un pays où la tradition de méfiance à l'égard des partenaires sociaux était bien enracinée, la crise a montré le caractère très responsable des partenaires sociaux. Et l'opinion publique ne s'y trompe d'ailleurs pas en reconnaissant aujourd'hui leur rôle.
Ces méthodes de travail en commun ne doivent pas être perdues une fois la crise finie. Il faut surtout que chacun l'accepte sans arrière-pensée et sans méfiance. Ce n'est un piège ni pour les uns, ni pour les autres. L'État ne perd pas du pouvoir et les partenaires sociaux ne perdent pas leur âme. Bien au contraire, l'État gagne en efficacité et les partenaires sociaux en responsabilité.
De ce point de vue, la coproduction législative me semble déjà dépassée, d'abord parce que la question n'est pas seulement le tête-à-tête Gouvernement-Parlement, ensuite parce que la loi n'est pas, loin s'en faut, le seul moyen d'action. Le rôle du médiateur du crédit, la mobilisation menée par Henri Proglio en faveur de l'apprentissage, les actions engagées avec Yazid Sabeg pour le CV anonyme ont souvent fait beaucoup plus que toutes les lois. Je crois plus à ces formes de multi-production directement sur le terrain qu'à la coproduction législative.
II. Le deuxième enseignement que nous pouvons tirer de cette crise concerne les priorités de nos politiques sociales.
1. En premier lieu, et ce point me semble déterminant, les classes moyennes. Depuis près de deux décennies, l'ascenseur social est bloqué pour elles, et la crise n'a pas amélioré leur situation. Les classes moyennes ne sont pas un gros mot dont les politiques devraient avoir peur. Reconnaissons leurs difficultés. Aujourd'hui, il faut en moyenne 32 ans à quelqu'un des classes moyennes pour atteindre le niveau de vie des gens aisés. Dans les années 60, il fallait 11 ans. Le poids des dépenses contraintes est passé de 20% à la fin des années 80 à près de 40 % aujourd'hui. Il faut assumer que le social, ce n'est pas agir seulement pour les plus défavorisés, mais aussi pour les classes moyennes. Il n'y aura pas de sortie de crise sans sortie de crise pour les classes moyennes.
Depuis 2007, le Président de la République et le gouvernement ont clairement mis cet enjeu sur la table : dans la loi TEPA avec les mesures pour le logement ou pour les successions, puis dans la crise avec des mesures destinées aux classes moyennes : suppression des deux derniers tiers de l'impôt sur le revenu, versement d'une allocation de rentrée scolaire, chèques emploi services universels. Un travail de fond, plus à long terme, a aussi été engagé : la réforme de la formation professionnelle, l'assouplissement de la carte scolaire, l'extension des bourses, la revalorisation de l'alternance, le dispositif Scellier et le prêt locatif social. Toutes ces mesures visent les classes moyennes.
Mais il faut aller plus loin. Car est-ce normal que les classes moyennes n'aient pas accès aux bourses scolaires ? Est-ce normal qu'elles n'aient pas accès aux aides au logement ? Derrière ces questions, c'est évidemment le sujet des seuils fiscaux et des statuts qui est posé. Tout notre système de protection sociale repose là-dessus, à tel point qu'il laisse de côté les classes moyennes et nourrit un sentiment d'injustice. Depuis la crise des années 1970, on a tout rigidifié en pensant que les statuts allaient protéger. Les seuils qui ont été conçus comme des protections sont en fait devenus des verrous. Il faut au contraire multiplier les passerelles, favoriser les trajectoires de promotion, desserrer l'étau du diplôme initial. On ne peut pas se contenter de protéger les salariés, on doit construire des vrais parcours.

2. Deuxième fondement de nos politiques sociales d'après-crise : la personnalisation des dispositifs. Chacun aujourd'hui demande à être considéré dans sa singularité, sa différence, et non comme un numéro dans une file d'attente. Or, nos dispositifs hérités de l'après-guerre fonctionnent principalement sur des systèmes administratifs lourds, très encadrés, incapables d'adaptation ou de souplesse.
C'est cette dimension du sur-mesure dans le social que nous devons faire monter en puissance. C'est l'esprit du plan personnalisé de compensation du handicap qui prend en compte le projet de vie. De même, cela doit être l'objectif de notre politique de l'emploi, notamment à travers le CTP.

3. Troisième axe fort : il faut passer du social passif au social actif. Verser une prestation, un chèque, ne suffit pas. La question de l'accompagnement est largement aussi importante que celle de l'indemnisation. Car les Français n'attendent pas un chèque, mais un projet. Ainsi dans le RSA, le point intéressant est bien le retour au travail qu'il favorise. L'archétype de ces dispositifs passifs est pour moi le système des préretraites dans lequel notre pays s'était enfermé. A l'inverse, le tutorat, qui permet à la fois de maintenir l'emploi d'un senior et de préparer celui d'un jeune, est un outil social actif. Dans la crise, ce sont d'ailleurs les mesures sociales les plus offensives qui ont le mieux réussi, comme celles en faveur de l'apprentissage pour les jeunes ou le dispositif zéro charge dans les très petites entreprises.
De façon plus large, on doit bien se dire qu'il n'y a pas de droits sans contrepartie. Cela vaut pour les salariés, mais cela vaut aussi pour les entreprises. Le développement du modèle contractuel dans le social est indispensable. Quand on facilite le financement de l'activité partielle dans une entreprise, il est normal qu'il y ait en contrepartie un engagement en termes d'emploi. Le social doit responsabiliser.

4. Enfin, la quatrième pierre de touche, c'est la politique d'évaluation et la culture du résultat.
En période de déficit public important, nous devons être irréprochables dans l'évaluation de tous les secteurs de la politique sociale. Les questions de performance ne peuvent pas être étrangères au social. Si l'on veut que nos compatriotes continuent à accepter de financer les coûts sociaux extrêmement importants, on doit pouvoir leur rendre des comptes sur leur impact. De la même manière, la crise a montré la nécessité de professionnaliser notre gestion du social. Le délai entre la décision et la transcription sur le terrain reste trop long. Nous devons doter tous les domaines du social de mécanismes d'évaluation rigoureux.
II. Les questions qui vont être abordées au cours des trois tables rondes de cet après-midi recoupent largement ces quatre axes forts.
1. « Investir aussi dans l'humain », c'est replacer la personne au coeur du système économique. C'est refuser les mesures qui dissocient le social et l'économique ; c'est bâtir une croissance durable sur le capital humain qui fonde nos entreprises. Je remercie Gérard CHERPION, rapporteur de la loi sur l'orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie, d'avoir accepté de présider cette table ronde.
2. Deuxième table ronde : valoriser « l'éthique de responsabilité pour les entreprises ». L'image d'un certain capitalisme a été profondément écornée par la crise : excès du capitalisme financier, limites de la logique court-termiste. Le risque est que la confiance dans l'entreprise en sorte affaissée. La question d'un code éthique des entreprises compatible avec les exigences de la compétitivité est donc un des enjeux majeurs de la sortie de crise. Cette table ronde sera présidée par Isabelle DEBRé, rapporteur de la loi sur les revenus du travail, que je remercie d'avoir accepté cette tâche.
3. Enfin, « remettre les classes moyennes au coeur de nos politiques publiques » est, vous l'avez compris, une question majeure pour moi. Je ne doute pas que la troisième table ronde, présidée par Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, permettra de dégager des pistes pour trouver des outils.


Je suis convaincu que la crise a renforcé le besoin de social, mais pas n'importe quel social. Rien ne serait pire que le retour au politiquement social correct au nom duquel bien des erreurs ont été commises par le passé. De ce point de vue, je pense qu'il faut revendiquer un droit d'inventaire social, évaluer nos dispositifs, réfléchir sur leur sens et leur actualité. On ne peut plus se contenter de systèmes massifs de transferts sociaux qui ne font pas bouger la réalité. Les deux seules vraies questions d'avenir pour le social sont les suivantes : la justice d'une part, parce que faute de courage politique notre système social par ses rigidités a parfois fini par devenir inéquitable ; l'ascenseur social d'autre part, parce qu'une des vocations majeures du social doit être de permettre des parcours de promotion, qui seuls évitent les sociétés mortes. Au moment où l'on parle beaucoup de développement durable à Copenhague, il est évident qu'il n'y a pas de développement durable sans social et que le défi de la société d'après-crise sera bien l'élaboration d'un modèle de développement social durable.

Je vous remercie et suis heureux de passer la parole à Henri GUAINO, conseiller du Président de la République.http: minefe.gouv.fr, 8 décembre 2009