Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le design et le soutien à la création artistique, Paris le 14 décembre 2009.

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Circonstance : Remise de la bourse Agora pour le design, à Paris le 14 décembre 2009

Texte intégral


Le design est notre grammaire du quotidien : il décline, objet après objet, meuble après meuble, forme après forme, l'alphabet poétique de notre vie de tous les jours. Il occupe une place nodale, à la croisée des chemins entre la vie de tous les jours et la vie sublimée par l'art, entre la culture et l'économie. Il est, par nature, un intermédiaire nécessaire, un « tiers » - pour reprendre la terminologie de l'un des projets nominés - mais à l'inverse de ce que l'on appelle un « tiers séparateur », il est bienun tiers unificateur, créateur de lien social et humain.
C'est pourquoi le ministère de la Culture (et de la Communication) lui accorde une importance essentielle, à travers l'enseignement, le soutien à la création et à la diffusion, et la valorisation de son patrimoine.
C'est pourquoi j'ai inauguré, le 1er octobre dernier, la Cité du Design à Saint-Etienne, qui sera un forum - j'ai failli dire une agora... - de création, d'innovation et de recherche en la matière. C'est pourquoi j'ai le souci d'inscrire pleinement le design et sa mémoire dans le vaste mouvement de la révolution numérique, que j'ai identifié comme l'une des grandes priorités de mon action au ministère. Et c'est pourquoi nous avons mis en place un portail d'accès à de nombreuses collections numérisées, qui seront désormais accessibles au public, accessibles à chacun. Vous savez, une récente étude le démontre, que la fracture numérique est en voie de résorption dans notre pays et je m'en réjouis, car c'est une chance pour la transmission de la culture. C'est pourquoi - last but not least - j'ai tenu à être présent aujourd'hui pour la remise de ce prix de la jeune création, qui s'inscrit dans une politique d'incitation et se voit soutenue, depuis deux ans, par le mécénat exemplaire d'HERMÈS, que je remercie de ce témoignage de confiance et de sa générosité éclairée.
Cette jeune création est particulièrement brillante cette année et, bien sûr, je suis là aussi pour féliciter chaleureusement le lauréat de ce « millésime » de la Bourse AGORA, M. Gilles BELLEY, ainsi que chacun des nominés dont j'ai considéré avec attention aussi les projets remarquables. Ils font voir le nouveau visage du design : un design qui n'a cessé d'évoluer en relation avec la société, bien souvent - et c'est à l'évidence le cas ici - en avance sur des mutations qu'il « désigne » avant de les rendre réelles.
J'ai été très frappé de voir que ces jeunes chercheurs, selon un paradoxe stimulant, font reposer l'idée d'un design durable sur l'idée du périssable. Ils ont l'intuition très juste que le « durable » n'est pas ce qui est statique, mais ce qui se renouvelle sans cesse, évolue et s'adapte. J'ai presque envie de citer la sagesse orientale de BOUDDHA et sa formule suggestive bien connue : « Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement ». Au sein de cette grammaire du quotidien que j'évoquais, nos designers inventent ou réinventent une sorte d'écologie domestique. J'ai été très sensible, à cet égard, aux propositions originales du lauréat. Vous parlez de « plaine », de « colline », de « brindille », etc., autant d'éléments naturels que vous savez intégrer de manière poétique à la maison dans votre « Fabrique », dont le terme même m'a fait penser à un lointain cousin du « Désert de Retz » que j'ai inauguré il y a quelque mois, une sorte de microcosme quasiment utopique, incluant peut-être les éléments d'un « jardin japonais » miniature. Il me semble que le lauréat, ainsi que tous les nominés, ont porté une attention particulière à l'exigence de souplesse et à la question de la continuité : continuité entre l'homme et son environnement, entre la nature et l'artifice, entre l'extérieur et l'intérieur...
Tous explorent et déclinent les modalités d'une gestuelle du quotidien et d'une adaptation de l'environnement humain à l'environnement urbain.
Cette notion d'adaptation m'a semblé, à juste titre, au coeur de vos recherches : la notion de « tiers-objet » y participe pleinement puisqu'elle montre le refus de l'opposition frontale entre l'homme et son environnement et inscrit le design dans cette problématique de la continuité et donc de l'harmonie qui est l'un des éléments de sa définition.
Mais tout cela nous montre que le design contemporain quelle que soit l'extrême finesse et, pour ainsi dire, la granulométrie de son alphabet, est pleinement relié à un mouvement qui inscrit l'homme dans un environnement global et donc dans des dimensions nouvelles.
Car nous sommes, je crois, arrivés à un moment de notre histoire et de notre culture où nous nous remettons à penser les choses en grand, de manière globale, parce que nous vivons dans un monde lui-même globalisé et dans lequel les grandes questions - l'environnement, l'aménagement du territoire... - ne peuvent elles-mêmes recevoir qu'une réponse globale. Le projet du Grand Pari(s) en témoigne. Vous le savez, j'installe demain, aux côté du Président de la République, l'atelier international d'architectes au Palais de Tokyo. Et je suis persuadé que le design doit pleinement bénéficier de cette ébullition, peut-être de cette émulation avec la géométrie en expansion de ces grands projets qui ne touchent pas seulement la capitale et qui dessinent ce que j'appelle un humanisme à visage urbain.
Je que le projet et le nom même d'AGORA participe déjà pleinement de ce grand enjeu, lui qui renvoie à un carrefour des disciplines, des pratiques, des champs de la nature et de la culture, de l'art et des industries. En accordant une importance essentielle au développement durable et à la recherche et l'innovation technologique, AGORA ouvre les perspectives, croise les champs d'investigation et inscrit le design dans un grand dessein.
En somme, ce design contemporain dont vous êtes des acteurs particulièrement prometteurs, contribue à fonder plusieurs types de valeurs : pas seulement des valeurs « d'usage » et « d'échange », pas seulement des valeurs esthétiques, mais aussi les valeurs éthiques qui fondent la qualité de notre vivre-ensemble.
Source : http://www.culture.gouv.fr/, le 16 décembre 2009