Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la danse et les projets du Centre national du costume de scène et de la scénographie, Moulins le 11 décembre 2009.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition Opéras russes, à l'aube des Ballets russes" à Paris le 11 décembre 2009

Texte intégral


Je crois qu'il y a une scène de la littérature française qui nous montre et nous révèle la magie des costumes, et même, pour être plus précis, des vieux costumes. Je pense à ce passage de Sylvie de Gérard de NERVAL où les amants retrouvent, dans le grenier de la grand-mère, les costumes de noces de la veuve. Ils fouillent dans un coffre et déploient avec admiration les atours d'autrefois. Puis, ils enfilent ces « habits anciens » et redescendent trouver la grand-mère étonnée et ravie. Ils se plaisent à faire revenir le passé et, par là, à ré-enchanter le présent.
Cette idée d'un Centre national du Costume de Scène et de la Scénographie, c'est un peu le rêve d'un immense grenier imaginaire où notre mémoire cherche à approcher le mystère des formes prestigieuses de jadis, non seulement des atours, mais je dirais des alentours de la vie et du spectacle. Tout ce qui semblait n'être là que pour la parure et la parade se trouve empreint, avec le temps, très vite même, de l'esprit non seulement d'une époque, mais surtout de ces instants intenses de la représentation qui font d'autant appel à notre mémoire intime qu'ils ont exalté l'éphémère. C'est un peu la revanche du théâtre sur le temps et celle de l'ornement, du décor et des accessoires - de tout ce que l'on a cru « accessoire » justement, mais qui étaient une condition pour que la magie du théâtre puisse opérer et prendre corps véritablement. Ils portent encore la trace de ces moments de fête et de rencontre avec le public. Ils sont comme des fragments évocateurs de cet art éphémère par excellence qu'est le théâtre.
C'est pourquoi ce patrimoine matériel est en réalité porteur d'une mémoire immatérielle et de la passion de la scène dont il est le support ostensible et durable.
Bien sûr, je sais que la mémoire mise en scène dans ces pièces n'est pas uniquement tournée vers le passé ou tentée par la nostalgie, et je m'en réjouis. Le trésor qui s'accumule au cours des années est aussi une mémoire contemporaine, si je puis dire. Au fond, c'est un peu le dépôt légal du costume et des décors que, depuis trois années déjà, mes prédécesseurs ont eu l'excellente idée de créer et de soutenir.
En réalité, c'est une manière de documenter la nostalgie et, par là, de la libérer ce qui est purement rétrospectif, voire régressif en elle. Plus on la documente de manière circonstanciée, plus on l'instruit, plus on la dégage de des facilités qui sont comme sa gangue et plus on la rapproche du réel et donc du présent. En somme, le travail de conservation, d'étude et de valorisation que vous effectuez ici, dans ces collections extraites des fonds de l'Opéra de Paris, de la Comédie française et de la Bibliothèque nationale de France, ne nourrit pas la nostalgie, mais en quelque sorte elle l'éduque et elle alimente le désir de créer. Car au creux de nos rencontres avec cette mémoire, c'est aussi le désir d'inventer qui se ressource et se renforce.
Je pense que Christian LACROIX, que j'ai le plaisir de retrouver ici, ne me démentira pas sur cette source unique d'inspiration que constitue le Centre national du Costume et de la Scénographique de Moulins. Nous le savons bien, le patrimoine d'aujourd'hui est la création d'hier et la création d'aujourd'hui le patrimoine de demain. C'est à ces sources, dans une continuité et un continuum évidents, que se nourrissent le spectacle vivant et l'innovation contemporaine.
J'ai déjà été ébloui par la beauté exceptionnelle des catalogues des expositions déjà nombreuses et très riches qui se sont tenues ici, sur les Mille et une Nuits, sur les « Bêtes de scène », un bestiaire théâtral et féerique, que certains jugeront peut-être plus sympathique et plus inoffensif que le bestiaire politique, même si j'y ai rencontré des éléphants assez lourds, assez lents, plutôt engourdis, et puis aussi pas mal de coqs très ressemblants...
Et puis aujourd'hui encore j'ai été impressionné par la profusion, la beauté et la finesse des costumes et des éléments de décor de l'opéra russe que vous m'avez fait le plaisir de me présenter. Je garde en mémoire ces chefs d'oeuvre « pour la bonne bouche », qui sait peut-être un jour me laisserai-je s'exprimer à nouveau mon côté « Butterfly »... Au fond, être ministre, n'est-ce pas aussi, comme le théâtre, un jeu avec l'éphémère... ?
Voilà à peu près ce que je souhaitais vous dire pour vous remercier de votre accueil, de ces rencontres et de ces découvertes que vous nous offrez sans compter et pour le travail subtil que vous effectuez au service de nos mémoires, mais aussi de nos rêves. J'ai pu retrouver dans un catalogue le visage du grand mime DEBURAU et vous savez sans doute que nous célébrerons cette année le centenaire de la naissance de Jean-Louis BARRAULT, qui en a donné une incarnation inoubliable dans les Enfants du Paradis. C'est peut-être pour cela que je voudrais vous citer pour finir cette réplique succulente et même truculente de Frédérick LEMAITRE qui est un peu un clin d'oeil à ce que vous faites... A ses admirateurs qui lui demandent où il trouve ses chapeaux, Pierre BRASSEUR et, derrière lui, Jacques PREVERT, répond : « Mes chapeaux, je ne les trouve pas, je les garde »... Voilà une origine possible et plaisante de cette idée géniale et, au fond toute simple, de garder ces costumes, ces décors qui rendent l'accessoire essentiel...
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 28 décembre 2009