Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à Europe 1 le 7 janvier 2010, sur le décès de Philippe Séguin, le lancement du colloque "Nouveau monde, nouveau capitalisme", les reconduites à la frontière d'immigrés illégaux et sur le débat sur l'identité nationale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Vous avez noté qu'on vient d'apprendre la mort de P. Séguin, cette nuit, d'une crise cardiaque. C'était, on peut le dire, un grand de la politique et de la République.
 
Un grand de la politique et de la République, vous avez raison, un grand républicain, quelqu'un farouchement attaché à la France, à la nation, à la patrie. Comme beaucoup de politiques nés au Maghreb, il l'avait un peu mythifiée, sacralisée, j'en avais personnellement parlé avec lui, j'ai eu l'occasion de discuter souvent avec lui quand j'étais secrétaire d'Etat à l'Evaluation des politiques publiques, qu'on comparait les méthodes d'évaluation ; il se trouve qu'on avait en plus une passion commune, le football, donc je l'ai beaucoup croisé dans les stades, c'était un grand connaisseur, un grand spécialiste. C'est quelqu'un dont la voix, parfois les colères vont beaucoup nous manquer, un vrai grand républicain. Donc, beaucoup d'émotion ce matin.
 
On se souvient du débat avec F. Mitterrand au moment du Traité de Maastricht et du référendum ; on se souvient de, parce qu'on le connaissait et qu'on le voyait ici, de sa rigueur, de la conscience civique et du caractère, il faut le dire, souvent incommode. Et c'est vrai qu'il a consacré sa vie à ce qu'il y avait de plus grand et de plus exigeant dans la politique, avec un grand "P".
 
Oui, et souvenez-vous du débat que vous venez d'évoquer face à F. Mitterrand : toute la force de conviction et un immense respect pour le président de la République. C'est quelque chose qui devrait nous faire réfléchir.
 
Et la République lui rendra sans doute l'hommage qu'il mérite, on l'entendra toute la journée sur Europe 1. Edition spéciale sur Europe 1. Vous voyez, il faut faire tout ce qu'on peut à la fois pour respecter ses adversaires, et surtout pour ne pas craquer dans la violence du débat politique aujourd'hui.
 
Si ça s'adresse à moi, rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de craquer, je veux dire d'ailleurs par introduction de ce que vous avez dit, j'attire sans doute la foudre, mais je veux vous rassurer, j'attire aussi les tendresses, la chaleur, l'amour, et beaucoup de personnes qui me soutiennent.
 
On ne veut pas être indiscrets.
 
Je ne parlais pas d'indiscrétion, je me contentais de parler de vie publique et d'amitié, et je peux vous assurer que je n'en manque pas en ce moment.
 
Vous n'en avez pas assez d'être injurié, vilipendé ? Beaucoup finissent par croire que vous aimez ça !!
 
Non, j'ai surtout envie de parler de ce que je fais, et par exemple de ce que je vais faire ce matin.
 
On va y venir. Est-ce que vous confirmez ce matin que vous avez demandé au président de la République de vous changer de ministère après les régionales ?
 
Non, absolument pas, je ne confirme pas cela ; nous avons discuté beaucoup avec le président de la République, comme avec le Premier ministre, qui m'ont témoigné de leur soutien et de leur volonté que ce débat sur l'identité nationale, la question que j'ai posée : "qu'est-ce qu'être français ?", que vos auditeurs peuvent retrouver sur "débatidentitenationale.fr", soit menée à son terme, parce que c'est un beau et noble débat.
 
C'est dur d'être E. Besson ?
 
Non, non, mais ce qui est dur c'est de ne pas vous parler de mon action, de ce que je vais faire ce matin, de ce que je fais dans mon ministère.
 
Vous lancez ce matin, le colloque numéro 2, "Nouveau monde, nouveau capitalisme", n'est-ce pas ?
 
Oui.
 
Le premier, en 2008, coprésidé par N. Sarkozy et T. Blair, on s'en souvient, avait précédé la crise financière et la récession.   En 2010, est-ce que vous allez provoquer dans quelques jours une nouvelle scoumoune ?
 
Non, d'abord ça ne s'était pas passé comme ça ; l'année dernière, effectivement, avec T. Blair, c'était un sommet, finalement, de l'urgence, un colloques dans l'urgence, le monde était passé près du gouffre. Depuis, la régulation a beaucoup progressé. Et je veux essayer de contribuer à faire de la place de Paris un lieu où on débat de régulation. Je crois que N. Sarkozy, C. Lagarde, E. Woerth, ont installé l'idée que la France est à la pointe sur la régulation. Je suis heureux qu'il y ait des Prix Nobel de l'économie...
 
Stieglitz...
 
... beaucoup de ministres, de quatre consultants...
 
...Fitoussi, le fils Moubarak, M. Rocard, C. Lagarde etc. La question va être posée pendant ces deux jours ou cette journée...
 
Deux jours.
 
...deux jours. La prochaine gouvernance mondiale du capitalisme : pourquoi le choix est-il aujourd'hui encore entre le capitalisme et le capitalisme ?
 
Depuis l'histoire de la création du capitalisme, c'est-à-dire, à la fois, la propriété privée des moyens de production, plus le marché, le capitalisme a eu besoin de règles, a eu besoin de normes, parce que livré à lui-même, il produit des inégalités ou il n'est pas capable de s'autoréguler, c'est-à-dire, finalement, d'être le système performant qu'il doit être. De ce point de vue-là, je veux vous dire qu'on a beaucoup progressé. Prenez un seul exemple : les paradis fiscaux. Lorsqu'il y a un an, un an et demi, le président de la République a dit qu'il voulait mettre fin à ces Etats non coopératifs, certains ont souri. Regardez, aujourd'hui, c'est une grande réalité.
 
D'accord, après Pittsburgh, Copenhague, il y avait quelques résultats, et avant les prochains G20, on voit bien que la régulation, etc., B. Obama s'en fiche et les Chinois s'en foutent complètement !
 
Non, sur le plan de la régulation financière, nous avons beaucoup progressé : c'est vrai des bonus, c'est vrai de ce qu'on appelle "la supervision du système", etc. Copenhague a été décevante, personne ne l'a contesté, et en même temps, c'est une étape, il y en aura d'autres. Il y a un sommet prévu en Allemagne dans les six mois qui viennent.
 
On voit que ça vous fait du bien de parler de ce type de problème. Il faut revenir à votre mission. Pour 2009, le Gouvernement vous avait demandé 27.000 reconduites à la frontière. C'est combien ?
 
Je vais préciser tout ça dans quelques jours, je vous donne trois chiffres, trois éléments de mon tableau de bord : 175.000 étrangers sont entrés légalement sur le territoire français au titre de ce qu'on appelle "le long séjour" ; 29.000...
 
Il y en a combien qui ne sont pas légaux ?
 
Je ne le sais pas puisque par définition sur les fraudes on ne sait pas. 29.000 environ ont été reconduits à la frontière ; et par ailleurs, 108.000 étrangers ont eu accès à la nationalité française, c'est-à-dire, sont devenus français. 175.000 légaux, 29.000 reconduites, 108.000 accès à la nationalité française.
 
Vous mettez les reconduits entre les deux accueils ?
 
Non, non, je l'assume totalement.
 
27.000. On vous avait demandé 27.000. 29.000 ! On fait vite la différence, ça fait 2.000 de plus. Vous aussi vous faites du chiffre, comme B. Hortefeux.
 
Non, non, je ne fais pas du chiffre, ou j'en fais sur une dizaine de critères, j'aurais pu vous parler du contrat d'accueil et d'intégration maintenant, je vais assumer complètement. Si vous voulez me dire que je mène une politique migratoire qui est à la fois ferme et juste, que je crois qu'il faut réguler les flux migratoires et que pour bien accueillir les étrangers en France, bien les intégrer, ça passe par la langue, par l'emploi et par le logement, et que donc il faut malheureusement reconduire à la frontière ceux qui entrent illégalement, je vous le confirme.
 
Vous confirmez que vous expulserez quelques Afghans dans quelques temps, comme les Anglais le font ?
 
Les Anglais ont reconduit 1.000 Afghans dans leur pays d'origine en 2009, nous en avons reconduit 12. Je ne dis pas ça pour m'excuser, je dis que c'est indispensable si nous voulons lutter contre les filières de l'immigration clandestines.
 
Mais alors, expliquez-moi où la cohérence : au même moment B. Kouchner accueille à Paris une soixantaine d'Afghans, E. Besson les renvoie. Kouchner leur ouvre les bras ?
 
Non, non, ça c'est une vision... D'abord, permettez-moi de vous dire que les visas des étudiants c'est le ministère dont j'ai la charge qui les signe, et donc c'est en plein accord avec B. Kouchner.
 
Et les pauvres six autres... Vous ne pouviez pas leur donner des papiers, les intégrer eux aussi ?
 
Juste un mot. D'abord, on a accueilli, l'année dernière, nous avons accordé le statut de réfugié à 250 Afghans. Nous en avons reconduit 12. Concernant les étudiants, le Président et le Premier ministre m'ont demandé d'accroître le nombre d'étudiants en France. Cela s'applique aux Afghans comme à d'autres nationalités.
 
Est-ce que le temps approche du moment où le président de la République va refermer le débat sur l'identité ?
 
Il ne va pas le refermer, ça va être un débat permanent. En revanche, début février, première quinzaine de février, il tirera les leçons de la synthèse qu'on va lui proposer. Il faut que ce soit un débat... Le débat est utile en lui-même, mais en même temps, il faut qu'il débouche sur un certain nombre de décisions, et le président de la République en annoncera à la presse...
 
Vous lisez toute la presse, vous avez vu, dans Le Point, B.-H. Lévy écrit qu'il faut arrêter ce débat : "l'identité se dit au pluriel, jamais au singulier". Il cite C. Lévi-Strauss qui combattait l'identité, "ce poison", "cette prison".
 
Je ne crois absolument pas. D'abord, c'est conforme à la tradition de B.-H. Lévy, elle est respectable. B.-H. Lévy n'aime pas la Nation. Je ne dis pas qu'il n'aime pas la France, entendons-nous bien. Il n'aime pas au fond le concept de Nation. Il pense que la Nation produit le nationalisme. Moi je pense exactement l'inverse. Je pense qu'à une ère de mondialisation, la Nation c'est le périmètre d'exercice naturel de la solidarité. Notez bien : en France, on appelle la "solidarité nationale".
 
Qu'est-ce que vous appelez l'identité française, vous ?
 
Je l'appelle de beaucoup de choses, mais pour faire très court, et quand je me réfère au site que j'ai cité, "identitenationale.fr", je vois par exemple que les Français appellent au respect, au civisme, au contrat. Ce sont des grands républicains, finalement, les Français, et qui sont farouchement attachés à la langue française et à la francophonie.
 
Souvent, vous vous présentez comme un orphelin du 21 avril 2002. L. Jospin s'explique sur son échec dans un livre, sur France 2, et mardi sur Europe 1. Vous dites : "Je garde le plus profond respect pour L. Jospin".
 
Oui.
 
Est-ce que vous pensez que la réciproque est vraie ?
 
Je ne sais pas, je le souhaite, je l'espère mais ça ne changerait rien à mon jugement. J'ai eu le plaisir de travailler avec L. Jospin. C'est un homme d'Etat, c'est un homme de qualité. Il aurait sûrement mérité meilleur destin.
 
Est-ce que ce qu'il fait, là, en ce moment, est-ce que c'est pour lui l'occasion d'écarter les Royal, Strauss-Kahn, Fabius, Hollande et d'installer M. Aubry ?
 
Je ne le crois pas. Je pense qu'il avait envie de s'exprimer et je crois que beaucoup de militants attendaient qu'il s'exprime. Il s'était très peu exprimé, finalement, sur sa défaite de 2002. C'était un très grand événement, très grave même, dans l'histoire de la démocratie. Il est normal que le principal protagoniste s'exprime. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 janvier 2010