Déclaration de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie, sur le plan de modernisation des installations industrielles d'approvisionnement en énergie, Paris le 13 janvier 2010.

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Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
La France possède des sites industriels stratégiques pour son approvisionnement en énergie : 13 raffineries, 50 000 kms de canalisations, des stockages de carburant ou de gaz naturel, dont 219 dépôts pétroliers de plus de 400 m3... Même si nous avons engagé la France sur la voie des énergies renouvelables et de l'après-pétrole, nous avons encore besoin d'acheminer dans nos villes et nos maisons ces produits, potentiellement dangereux. Nos efforts de surveillance et de maintenance de ces équipements ne doivent donc pas faiblir, bien au contraire.
Depuis plusieurs années maintenant, nombre d'actions sont engagées la Loi du 30 juillet 2003, dite Loi « Bachelot », sur la prévention des risques naturels et technologiques a été un jalon important avec la mise en place des PPRT. Ou encore l'application de la directive Seveso 2 avec la réduction des risques à la source. Il ne faudrait pas que ces efforts soient anéantis à cause de cuves, de bacs, de réacteurs ou de canalisations mal entretenus ou trop anciens.
C'est une préoccupation qui est partagée par nos partenaires européens. Je pense notamment à la Grande-Bretagne qui vient de se saisir de cette question du vieillissement. Mais dans tous les cas, les réflexions n'en sont qu'aux balbutiements.
C'est dire combien, notre plan de modernisation doit être novateur au niveau européen. Cela peut être une source de satisfaction mais ce n'est jamais simple d'être les premiers.
Car en matière de responsabilité industrielle, notre responsabilité est collective.
La responsabilité première est celle de l'exploitant : il lui revient de mettre en place les mesures de sécurité et de surveillance adéquates -voire de réaliser les investissements nécessaires à celles-ci.
La responsabilité des pouvoirs publics, ensuite, en tant que garant de la sécurité publique. Ce sont aux administrations de l'Etat d'instruire et d'octroyer -voire de refuser- les différentes autorisations industrielles. Parallèlement, il nous revient la charge de veiller à ce que les prescriptions soient respectées.
Mais nos concitoyens n'ont cure d'un tel partage...
Ce qu'ils attendent de nous, c'est d'être irréprochables. Depuis vingt ans, nous renforçons les niveaux d'exigence avec des résultats ces dernières années. Si les courbes des accidents mortels et des victimes relatives aux installations classées, ne semblent pas évoluer de façon marquante depuis 17 ans, les 4 dernières années figurent parmi les valeurs les plus basses. L'évolution du nombre de blessés graves marque une régression notable de 50% pour la moyenne des 5 dernières années.
Je suis consciente de ces résultats, des efforts qu'ils impliquent, de la préoccupation au quotidien qu'ont tant les directeurs et les cadres des groupes industriels. Les agents du Ministère de l'Ecologie tant à Paris que dans les départements partagent ce même soucis et fournissent le même engagement.
Mais le risque zéro n'existe pas et en matière industrielle, comme dans d'autres domaines, le temps fait naître de nouvelles problématiques. Parmi celles-ci le vieillissement des installations.
Ce plan de modernisation doit nous aider à les appréhender.
1. Le plan de modernisation, une réponse collective au vieillissement de nos installations industrielles
A. Le vieillissement des installations
Les chiffres sont là :
- l'âge moyen des canalisations de transport en France est de 33 ans. Il atteint 44 ans pour les canalisations d'hydrocarbures -quand ce n'est pas 70 ans pour certaines-, et dont 1 250 kms traversent des zones densément urbanisées,
- sur la période de 2006-2008, 64 fuites sur des canalisations de transports de matières dangereuses ont été recensées, dont 46% à cause de la corrosion,
- au 1er semestre 2009, 400 accidents dans les installations industrielles ont été signalées.
Certains accidents ont des impacts très lourds sur notre environnement.
Je pense à :
- La pollution au niveau de Donges : 500 tonnes de brut parties à la Loire puis à l'océan, 90 kilomètres de côtes souillées,
- La pollution de la réserve de la Crau, en août dernier : 46 000 tonnes de terres souillées et excavées.
Et que dire de ces accidents industriels qui fauchent la vie. Je pense ici, tout particulièrement, à celui de Carling où l'explosion d'un vapocraqueur a tué deux jeunes ouvriers d'une vingtaine d'années. Je me suis rendue sur le site ; j'ai entendu les collègues de ces jeunes ouvriers. J'ai vu la détresse de leurs familles. Jamais je n'oublierai leur souffrance et leur incompréhension devant la mort de ces garçons qu'ils croyaient en sécurité.
B. Une réponse collective
Le cadre institutionnel de notre politique de sécurité industrielle oblige à une réponse collective. A quoi bon vouloir installer un robinet lorsque c'est le tuyau qui fuit ?!
Nos réponses doivent être réalistes.
Voila pourquoi, nous menons de front cette réflexion : les pouvoirs publics, l'Union Française des Industries Pétrolières, l'Union des Industries Chimiques et plus généralement l'ensemble des fédérations professionnelles... Près de deux ans de travaux. Plus de quarante réunions techniques ont été organisées autour de six thématiques. Nous aboutissons, aujourd'hui, à un ensemble de 38 propositions.
Ce plan est, je l'espère, ambitieux. Et d'ailleurs, il n'y aura pas de modernisation de notre sécurité industrielle par des demi-mesures voire des « mesurettes ». C'était d'ailleurs le sens du message que j'avais fait passer en septembre dernier suite à l'accident de La Crau. C'est un électrochoc pour tous. Il a permis de se remobiliser au sein des groupes de travail et de rédiger un plan à la hauteur des enjeux.
Il en ressort des mesures dans la qualité et la fréquence du contrôle, dans la pertinence des programmes de surveillance et de maintenance des ouvrages.
C'est le cas, notamment, dans le domaine des canalisations de transport.
Chacun s'accorde à dire qu'un contrôle complet des canalisations tous les dix ans, ça ne suffit pas. Surtout si elles peuvent présenter un effet de toit, comme cela a été le cas pour l'oléoduc de la Crau. L'engagement de réaliser d'ici 2012 des contrôles sur ces canalisations qui peuvent présenter ce type de défaut est essentiel. Et plus encore l'engagement pour les canalisations d'hydrocarbure, de doubler la fréquence des contrôles. En tout état de cause, l'adéquation des contrôles réalisés devra être mieux justifiée comme le prévoit le plan d'actions.
Ici, nous devrons porter une attention toute particulière sur les canalisations qui traversent des zones naturelles sensibles. Il est temps d'intégrer les enjeux environnementaux dans les programmes de surveillance, de maintenance et en cas d'accidents sur ces zones naturelles. C'est d'ailleurs l'un des enseignements précieux de la catastrophe de La Crau...
S'agissant des nouvelles canalisations, les dispositions relatives à la protection de l'environnement seront précisées dans une Ordonnance qui sera publiée au printemps de cette année. Nous allons enfin intégrer l'environnement dans la législation.
Sur le génie civil, nous avons aussi des engagements précis. Un état des lieux d'ici l'été 2011, suivi d'une réparation des ouvrages les plus dégradés sous 18 mois, et 24 mois pour les moins urgents. Cet objectif de traiter les défauts critiques dans les meilleurs délais et sous cette échelle de temps, 18-24 mois, doit être recherché dans tous les domaines du plan de modernisation.
Autre domaine, même engagement : les bacs de stockage.
Tandis que certains d'entre-eux sont utilisés depuis plus de 50 ans, nous ne savons pas s'ils sont défectueux ou non. En revanche, nous connaissons les risques.
C'est la pollution d'Ambès : 2 000 m3 de brut qui sortent de cuves, dont quelques dizaines ont souillé la Garonne sur 40 kilomètres.
Un préalable s'impose donc : la réalisation d'un état des lieux, d'ici l'été 2011. On ne peut pas légitimement s'interroger sur la sécurité des bacs si on n'en connait pas l'état !
Notre engagement est simple : traiter les défauts dans les meilleurs délais. L'Etat sera le surveillant de ces délais et de leur justification.
Puis viendra le temps de la mise en place de plans d'inspection, dès la fin 2011 pour tout bac de plus de 10 m3, ce qui est considérable et unique. Pour les bacs de pétrole brut, un revêtement anticorrosif sera appliqué à leur prochaine ouverture. C'est une mesure très opérationnelle à laquelle je tiens.
Je voudrais enfin dire un mot sur la validation des plans de surveillance sur la base d'une tierce expertise. Je sais que c'est une mesure qui a suscité une certaine réticence pour certains d'entre vous. J'y tiens spécifiquement.
Pourquoi ?
Dans certains cas, l'administration n'est pas en mesure d'évaluer la pertinence technique d'un plan de surveillance qui lui est proposé. Voilà pourquoi nous avons besoin, pour certains points précis, de l'intervention d'un expert tiers. Ce n'est pas automatique. Ce n'est pas in extenso.
Ces expertises seront utilisées à bon escient et de manière ciblée. Mais elles sont indispensables aux pouvoirs publics pour assurer leur mission de sécurité publique.
2. Le plan de modernisation sera ce que nous en ferons.
Mesdames, Messieurs,
Ce plan de modernisation est un outil dont la plupart des propositions dépend de vos engagements. Plusieurs mesures reposent, en effet, sur des guides techniques que vous allez élaborer. Ils permettront d'encadrer les pratiques de chaque exploitant. L'administration sera évidemment associée ; mais vous aurez la responsabilité de tenir la plume.
Autant dire que ce plan de modernisation sera ce que vous en ferez.
Mais soyez rassurés... les pouvoirs publics ne resteront pas observateurs. Car en cas de crise, nous sommes en première ligne. D'abord, vos guides techniques seront soumis à l'appréciation de nos services pour être approuvés. Ensuite, quelques propositions nécessiteront des dispositions réglementaires. C'est le cas de l'obligation de constituer un document de référence pour le suivi des équipements à risques. Il permettra à l'exploitant d'assurer avec rigueur le suivi de ces équipements et à l'Etat d'exercer un contrôle de qualité de ce suivi.
Je peux d'ores-et-déjà vous annoncer que l'arrêté ministériel sera pris au premier semestre 2010.
Ensuite, dans le souci de la prévention du vieillissement, je demanderai aux inspecteurs des DREAL de faire, du contrôle des canalisations et des installations industrielles, leur priorité pour 2010.
Parallèlement, nous accompagnerons financièrement les efforts de recherche notamment sous l'angle des technologies innovantes pour détecter et mesurer des phénomènes de dégradation. C'est la démonstration que ce plan n'est pas une charge de plus pour les entreprises mais un investissement pour l'avenir. Les 500 millions d'euros que coûtera ce plan sont à mettre en perspective avec les centaines d'autres liés à la réparation des catastrophes industrielles.
Si l'on prend quelques exemples récents, la pollution à la raffinerie de Donges a coûté plusieurs dizaines de millions d'euros au groupe Total. La rupture de la canalisation dans la Crau a entraîné sa fermeture pendant près de 5 mois. Les conséquences sont connues. Chiffre d'affaire nul pour le transporteur pendant 5 mois, des coûts de réparation et de tests avant remise en service et des pertes de chiffres d'affaires et des surcoûts induits par d'autres modes d'approvisionnements pour les clients à l'aval.
Et je ne comptabilise pas ici le préjudice écologique. Il est inestimable car la Nature n'a pas de prix.
Mesdames, Messieurs,
Nous achevons un travail important pour définir ce programme d'actions et je me félicite du mode d'élaboration collectif qui a été retenu. Il a permis de mobiliser les expériences des uns et des autres mais aussi de partager les contraintes. Soyez tous remerciés.
Mais ce n'est que l'acte I.
De nombreux chantiers restent à mener, notamment durant l'année à venir et en 2011, aussi... Les efforts ne doivent donc pas se relâcher, bien au contraire. Voilà pourquoi j'ai demandé à la Direction Générale de la Prévention des Risques d'organiser un suivi partagé et régulier de cet avancement. Nous allons installer un Comité de suivi annuel que je présiderai afin de s'assurer de la dynamique dans la mise en oeuvre de ce plan.
Rendez-vous est donc donné dans un an. D'ici là, une belle année de travail qui s'annonce !
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 14 janvier 2010