Interview de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, à RTL le 14 février 2001, sur le refus du Président de la République d'inscrire le projet de loi sur la Corse à l'ordre du jour du Conseil des ministres du 14 février, sur les réserves du Conseil d'Etat vis-à-vis de ce texte et sur les perspectives des élections municipales pour les socialistes, notamment à Paris.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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R. Arzt Vous attendiez de la part de J. Chirac des mises en garde à propos du projet de loi sur la Corse. Il a préféré refuser que le texte soit à l'ordre du jour du Conseil des ministres d'aujourd'hui. Au moins, il a réussi à vous surprendre...
- "Si c'était l'objectif, il est atteint ! Mais est-ce que le but d'un Président de la République, c'est de surprendre ? C'est d'essayer de faire progresser la législation et d'apaiser un conflit qui dure depuis 25 ans, dont lui-même a eu à aborder la difficulté lorsqu'il était Premier ministre, et même encore au début de son mandat de Président de la République. Il n'y a donc rien de grave non plus. Essayons de regarder ce qu'est un processus parlementaire : chacun sait aujourd'hui qu'il y aura l'inscription prochaine - est-ce la semaine prochaine, est-ce dans 15 jours ? - du texte qui aujourd'hui est en débat."
Vous minimisez cet incident en quelque sorte ?
- "Je le minimise parce qu'il y a davantage une opération de communication qu'une véritable obstruction. Le Président de la République aura d'ailleurs l'occasion de s'exprimer sur ce texte quand il viendra en Conseil des ministres. Parce que s'il y a un lieu où le chef de l'Etat peut émettre des critiques, des réserves, des observations - et il l'a déjà fait pour d'autres textes -, c'est bien dans l'enceinte même du Conseil des ministres. Et il aura d'autres occasions."
C'est la première fois que cela se fait sur un simple projet de loi. Du temps de F. Mitterrand, c'était sur des ordonnances...
- "Ce qui est nouveau, c'est qu'il a souhaité et même décidé de ne pas discuter ou de faire discuter en Conseil des ministres ce texte aujourd'hui. Mais il n'a pas dit qu'il refusait de l'inscrire la semaine prochaine ou dans 15 jours. Il a donc voulu marquer un temps, sans doute pour donner le sentiment qu'il n'était pas d'accord avec le texte. Il aurait mieux valu, à mes yeux, qu'il le dise en Conseil des ministres. Quant à l'avis du Conseil d'Etat sur lequel il s'appuie, c'est un avis qui normalement n'est pas rendu public, donc les Français n'en sont donc pas saisis. Deuxièmement, c'est un avis qui est donné au Gouvernement et qui ne lie pas le Gouvernement."
On le connaît cet argument ! Mais en même temps, tout est à rejeter dans ce que le Conseil d'Etat a pu dire ?
- "S'il y a des aspects à reprendre, cela doit se faire dans la discussion parlementaire au grand jour. La démarche qui a toujours été souhaitée par le Gouvernement et par le Parti socialiste, est d'avoir une concertation avec des élus, et de le faire en transparence. Quel est le meilleur cadre pour débattre d'un projet que le cadre parlementaire ? Ce sont les élus et c'est en transparence. Donc, s'il y a à le modifier, on le modifiera dans le cadre du Parlement."
L'addition de l'hostilité présidentielle et la contestation juridique du Conseil d'Etat, cela fait quand même lourd...
- "L'hostilité du Président de la République n'est pas encore proclamée. Je fais observer qu'il n'a rien dit."
Il a quand même fait sentir qu'il n'était pas pour !
- "Il a dit que le Gouvernement devrait regarder l'avis du Conseil d'Etat."
C'est donc un signal d'alarme.
- "C'est sans doute une prise de position anticipée avant l'examen par le Conseil des ministres. Le Président de la République, il prend sa responsabilité, il n'est pas favorable. Mais c'est le Parlement qui vote la loi, ce n'est pas le Président de la République, jusqu'à nouvel ordre, dans nos institutions. Deuxièmement, il y a l'avis du Conseil d'Etat : il y a des éléments qui méritent d'être regardés. Et puis, le Conseil constitutionnel sera saisi en dernier ressort, sans doute par l'opposition, peut-être même par le Président de la République lui-même..."
Et qu'est-ce qu'il se passe s'il annule le texte ?
- "Nous verrons bien. Essayons d'abord de faire une discussion parlementaire qui permette à la fois de faire évoluer la Corse, ce qui est quand même l'objectif. L'objectif n'est quand même pas d'avoir un débat politicien à la veille de l'élection présidentielle, pour servir les intérêts de tel ou tel. Si la Corse n'était pas un sujet grave, on pourrait dire qu'il y a là un débat qui peut effectivement avantager les uns ou pénaliser les autres. Mais on est quand même devant une difficulté réelle de notre pays depuis 25 ans. Essayons de faire en sorte que nous en sortions collectivement, pas simplement dans une joute politicienne."
Dans combien de temps ce serait bien que J. Chirac accepte que cela passe en Conseil des ministres ?
- "A mon avis, le plus rapidement possible, c'est-à-dire dès la semaine prochaine. Mais alors, à ce moment-là, on dira "pourquoi le Président de la République a inscrit la semaine prochaine ce qu'il aurait pu discuter cette semaine." Ce serait une bonne question... ?"
Vous l'attendez au tournant ?
- "Ce serait une bonne question que de lui poser."
Et pour la cohabitation, vous pensez que cela envenime un peu le climat ?
- "Les débats sur la cohabitation me paraissent secondaires. La question corse me paraît plus importante. Il faut qu'on règle une bonne fois cette question. Ensuite, on s'en sentira mieux, qu'on soit dans la cohabitation ou qu'on n'y soit plus."
Il y a le contexte de la cohabitation, il y a aussi le contexte de la campagne municipale. Est-ce que cela peut jouer, remobiliser un petit peu... ?
- "Je ne veux pas imaginer que le chef de l'Etat ait pris cette position de ne pas examiner le texte aujourd'hui en Conseil des ministres parce qu'il y avait un climat assez chargé à Paris qui faisait le feuilleton quotidien. Ce n'est pas parce que monsieur Tiberi est corse que pour autant il faudrait mêler les deux affaires."
Vous le dites quand même !
- "Non, c'est vous qui en avez parlé ! Mais je pense que c'est une interprétation qu'on peut avoir. Ce n'est pas mon hypothèse principale. De toute façon, le débat sur Paris va durer jusqu'au 11 et 18 mars, ce ne serait donc pas la bonne stratégie, pour le Président de la République, de s'échapper par la Corse."
Et si la gauche ne l'emporte pas à Paris précisément, ce serait une grande déception pour vous ?
- "Rien n'est fait. C'est une hypothèse qui est quand même possible, puisqu'à Paris, depuis 1977, la gauche a rencontré l'échec. Avoir une victoire en 2001, oui, ce serait une excellente surprise."
Actuellement, pour les municipales, quelle évaluation faites-vous du nombre de villes que vous pouvez remporter ?
- "Je n'ai pas du tout cette démarche. Les élections municipales ne sont pas une comptabilité de parti. Ce n'est pas une formation politique qui peut s'approprier des villes de France. J'en ai terminé avec cette conception, cette vision de la politique. Les élections municipales, ce sont des Français qui dans chacune de leur ville fixent le cap pour les six prochaines années, avec des équipes qui leur paraissent les plus adaptées. Je ne ferai donc pas le soir du 18 mars, cette statistique ou cette comptabilité, en m'appropriant des villes, parce ce que c'est aux électeurs de faire leur choix et rien qu'à eux."
On verra si d'autres font cette comptabilité... Il va y avoir aussi une législative partielle. Irez-vous soutenir D. Strauss-Kahn dans sa campagne ?
- "S'il me le demande, je le ferai. Parce que D. Strauss-Kahn qui a quand même payé lourdement - en quittant le Gouvernement - le prix de sa légèreté ou de son oubli d'un certain nombre de précautions, mérite de revenir dans la vie politique. Il apporte, il a des idées, il a des propositions à faire. Là aussi, quel est le meilleur cadre pour faire débat sur ses propositions que le cadre parlementaire. Il a pris une position utile pour lui et utile pour le Parti socialiste."
J. Lang, hier, dans le journal Le Monde, appelait à une vaste réforme des institutions : les mandats électifs ramenés à cinq ans, une réduction des cumuls, l'autonomie du Parquet en matière de justice... C'est le début des éléments de campagne de la présidentielle pour L. Jospin ?
- "Non, ce sont des propositions qu'a faites le Parti socialiste il y a maintenant plusieurs années, justement à l'initiative de J. Lang. Il les reprend aujourd'hui parce que plusieurs d'entre elles n'ont pas pu être adoptées dans cette législature. Il a raison de nous ramener à la nécessité de faire bouger nos institutions. Mais cela n'engage que J. Lang."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 février 2001)