Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à Europe 1 le 3 février 2010, sur les élections régionales, l'appel du Parquet dans l'affaire Clearstream et la réduction du déficit.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Monsieur le Premier ministre, F. Fillon, bienvenu, en direct avec nous sur Europe 1. Bonjour.
 
Bonjour.
 
D'ici aux régionales, c'est vous qui allez donc conduire, avec X. Bertrand, la campagne électorale de la majorité. M. Aubry promet une France des régions toute rose ou presque toute rose ; est-ce qu'elle n'est pas en train de gagner son pari ?
 
Je pense que madame Aubry devrait se méfier des scénarios écrits à l'avance, et elle devrait faire preuve d'un peu plus de modestie. C'est vrai que nous n'avons pas grand-chose à perdre dans cette élection régionale, puisque la gauche contrôle vingt régions sur vingt-deux, en tout cas, dans les régions métropolitaines, je pense que les élections et les électeurs vont réserver des surprises à madame Aubry. Moi, je ne fais pas de pronostics, simplement, je me bats sur deux idées : la première idée, c'est que nous sommes rassemblés, contrairement à la gauche, rassemblés avant le premier tour, ça veut dire que nous, nous avons réussi à bâtir un projet, un projet pour chaque région, mais un projet qui correspond aussi aux valeurs qui sont celles de la majorité présidentielle. Et chez nous, il n'y aura pas entre les deux tours dans l'opacité de marchandages, où on oublie le projet et les convictions pour faire des places.
 
Mais en tout cas, en matière de convictions, M. Aubry vient de désigner H. Mandroux, maire de Montpellier, tête de liste PS contre G. Frêche, en Languedoc-Roussillon. Est-ce que c'est de la tactique ou de l'éthique, voulue ?
 
Je pense qu'elle a eu raison de le faire. Simplement, je remarque qu'il a fallu trois dérapages de G. Frêche pour que le Parti socialiste se résolve à l'exclure. Mais je ne peux que me féliciter de cette décision, et je pense qu'on doit tous être très, très vigilants sur les déclarations des responsables politiques, même quand ce sont des maladresses, parce que le racisme dans notre pays, c'est une menace permanente pour...
 
Mais est-ce que ce que voulait dire G. Frêche est pour vous aussi antisémite ?
 
Non, je n'ai pas dit ça, je dis que...
 
...Raciste, mais est-ce que vous le dites ?
 
Non, je ne le dis pas, je n'en sais rien, je ne le connais pas suffisamment, je dis simplement qu'il y a des déclarations, qu'elles soient conscientes ou qu'elles soient inconscientes, qui, quand elles viennent de responsables publics, contribuent à faire sauter les digues que les républicains depuis des générations ont construites contre le racisme et l'antisémitisme.
 
L'UMP part en campagne, quoi que vous disiez, de mauvaise humeur. La majorité a l'air de porter déjà sur elle les doutes et les angoisses de la défaite qui lui est annoncée. Vous ne vous rendez pas compte...
 
Non, J.-P. Elkabbach, je ne crois pas ça du tout. Je pense que... c'est difficile de faire des listes, parce qu'on doit refuser des places à des hommes et des femmes qui naturellement ont des bonnes raisons de vouloir y figurer. Nous, on l'a fait quarante jours avant les élections, ce qui va nous permettre maintenant de conduire une campagne rassemblée. La gauche fera ce travail entre les deux tours...
 
Vous l'avez dit. Vous vous engagez, F. Fillon, et vous prenez des risques. S'il y a défaite, c'est la défaite de F. Fillon ?
 
Mais c'est mon rôle de prendre des risques, j'ai la responsabilité de la majorité, je ne vais pas laisser la majorité se battre sans mon soutien...
 
S'il y a défaite, c'est la défaite de l'UMP ou de F. Fillon ?
 
...Et cette élection... vous savez bien que c'est d'abord une élection régionale, quels que soient les résultats de cette élection, ça ne changera ni la majorité à l'Assemblée nationale et le président de la République continuera de gouverner le pays. Mais naturellement, le résultat des élections, chacun doit en tenir compte, et je prends ma part de risque en assumant la direction de la campagne.
 
Plusieurs questions : E. Besson vous a transmis hier un projet de décret qui refuse de donner la nationalité française à un ressortissant étranger qui impose à sa femme la burqa, la prive de liberté et d'égalité, rejette le principe de laïcité. Est-ce que vous signez aujourd'hui ?
 
Oui, je vais le signer, le Conseil d'Etat a d'ailleurs donné un avis favorable sur ce décret, c'est la loi française. Depuis très longtemps, le code civil prévoit qu'on peut refuser la naturalisation à quelqu'un qui ne respecte pas les valeurs de la République, il s'agit en l'occurrence d'un religieux radical, vous l'avez dit, il impose la burqa, il impose la séparation des hommes et des femmes dans son propre foyer, et il refuse de serrer la main des femmes. Eh bien, ça va, si ce monsieur ne veut pas changer d'attitude, il n'a pas sa place dans notre pays, en tout cas, il ne mérite pas la nationalité française.
 
Mais de décret en décret, finalement, on n'a pas besoin de loi alors ?
 
Ça n'est qu'un des sujets. Vous savez qu'en l'occurrence, ça ne porte pas sur la burqa, puisque l'épouse de ce monsieur est française et qu'elle continuera, si elle le désire, jusqu'à ce qu'on ait légiféré, à porter sa burqa.
 
F. Fillon, est-ce que le débat sur l'identité nationale est déjà dans les choux ? Le colloque prévu devait être remplacé par un séminaire hier, avant-hier, un séminaire du Gouvernement. Un, aura-t-il lieu ? Deux, si oui, quand ? Après les régionales, avant ?
 
D'abord, je pense que ce débat était parfaitement nécessaire, et on voit bien d'ailleurs que toutes les crispations auxquelles il a donné lieu révèlent une réalité qui est la réalité de la France, je note que beaucoup de gens y ont participé, un certain nombre d'élus socialistes ont eu le courage de le faire, je lisais récemment les déclarations du maire de Sarcelles, monsieur Pupponi, qui disait : oui, il faut faire ce débat, il faut même le refaire chaque année. Nous allons donc maintenant en tirer les conclusions, ça sera lundi prochain, à 15h, lors d'un séminaire du Gouvernement, où nous allons examiner l'ensemble des propositions qui ont été faites tout au long de ce débat, et puis, on va sélectionner celles qui méritent d'être mises en oeuvre et qui justifient des décisions réglementaires ou législatives...
 
Et chaque ministre devra, à son tour, dire : je soutiens, je soutiens, je soutiens ?
 
Non, chaque ministre devra dire ce qu'il pense de ce débat, ce qu'il pense des propositions qui ont été faites...
 
Et s'il n'est pas d'accord, qu'est-ce qu'il fait ?
 
Mais il le dira, vous savez, les ministres sont libres de parole, et d'ailleurs, vous avez pu le constater plusieurs fois depuis deux ans et demi.
 
Jusqu'à présent, vous n'avez rien dit, F. Fillon, sur Clearstream et ses suites judiciaires et politiques. Est-ce que le jugement vous a paru complet, incomplet ?
 
Moi, je n'ai rien dit parce que je n'ai pas l'habitude de commenter les décisions de justice. Simplement, je suis effaré de ce que j'entends depuis plusieurs jours, du roman qu'on est en train d'écrire et qui aboutit à transformer le président de la République, qui est une victime de cette affaire, quasiment en un coupable. Je pense qu'il faut retrouver le nord. Qu'est-ce que le tribunal a dit ? Le tribunal a dit qu'il y avait eu une manipulation. Et l'une des victimes de cette manipulation, c'est le président de la République. Mais le tribunal a été plus loin, il a dit que cette manipulation était très grave, puisqu'il a condamné à la prison ferme deux personnes qui en sont parmi les responsables. Vous savez, la prison ferme dans notre pays, sur des affaires comme ça, c'est assez rare. Et donc le président de la République a eu raison de porter plainte et il a eu raison de dénoncer un scandale qui entache la démocratie. Mais il y a une zone d'ombre terrible, qui montre que cette affaire n'est pas complètement élucidée : c'est que personne ne sait pourquoi ces deux personnes ont conduit ces manipulations, il n'y a pas de mobile dans cette affaire...
 
Alors, est-ce que ça veut dire que le jugement...
 
...Et donc il faut que le jugement, il faut que le tribunal, il faut que la justice fasse son travail et qu'on sache pourquoi monsieur Gergorin et monsieur Lahoud ont mené cette manipulation, on ne peut pas en rester là.
 
Ça veut dire que si le procureur J.-C. Marin n'avait pas fait appel, la garde des sceaux, M. Alliot-Marie, lui aurait demandé par instruction écrite de faire appel ? Vous vouliez l'appel ?
 
C'est une question, monsieur Elkabbach, qui ne se pose pas, pour une raison simple : c'est que là aussi, tous les gens qui connaissent le fonctionnement de la justice - et d'ailleurs la plupart l'ont dit sur les radios et sur les télévisions, mais pas les commentateurs qui ne la connaissent pas - savent que l'appel était automatique, il était obligatoire. Ce qui aurait été anormal c'est qu'il n'y eut pas d'appel...
 
Mais est-ce que ça veut dire que le jugement sera complet pour vous, le jour où un tribunal jugera D. de Villepin coupable ?
 
Non, le jugement sera complet le jour où on saura quel est le mobile qui a conduit monsieur Gergorin et monsieur Lahoud à mener une manipulation contre le président de la République.
 
Est-ce que vous considérez D. de Villepin comme un membre, un allié de l'UMP ou déjà un rival ?
 
Non, d'abord, c'est à lui de dire s'il est dans la majorité ou s'il n'y est pas...
 
Mais pour vous ?
 
Ma conviction, c'est que, nonobstant ces affaires judiciaires, il a toute sa place dans la majorité, mais parmi beaucoup d'autres, et vous savez, tous ceux qui veulent aider au redressement de notre pays sont les bienvenus.
 
D. de Villepin a aussitôt accusé N. Sarkozy de haine, d'acharnement contre lui. Relaxé, il ne s'attendait pas à un deuxième procès. Comment éviter que ce conflit, si personnel, pollue le débat public jusqu'en 2012, et après ? Vous avez vu la Une de L'Express aujourd'hui : "Qui tuera l'autre ?". On en est là : qui tuera l'autre ?
 
Mais J.-P. Elkabbach, tout ça n'existe que dans l'esprit des commentateurs ou des auteurs...
 
Dans la réalité, non.
 
Et pas dans la réalité des Français. Franchement, ça fait deux ans et demi que nous gouvernons avec le président de la République, ça n'est pas la première fois que D. de Villepin se livre à des commentaires étonnants sur le président de la République lui-même. Cela ne nous a pas empêché de continuer d'avancer.
 
M.-O. Fogiel : Jean-Pierre, on marque une pause, Monsieur le Premier ministre également. On se retrouve après. Votre interview est commentée sur le site « europe1.fr », par des personnalités via Twitter : J.-P. Huchon : "vous êtes rassemblés mais vous n'avez aucune réserve pour le second tour. Vous serez battus". Vous pourrez commenter ça, si vous voulez, dans un instant avec Jean-Pierre, après la publicité.
 
[Pause]
 
... C'est une première sur un média francophone, F. Fillon : depuis le début de cette interview, et P. Thomas vient de me le dire, une vingtaine de personnalités vous écoutent et débattent en direct sur le site europe1.fr, grâce au logiciel Twitter. Deux appels en tout cas à vous directement : J.-P. Huchon : "vous êtes rassemblés, vous n'avez aucune réserve pour le second tour, vous serez battu".
 
C'est vraiment une conception très politicienne des élections, comme si on était propriétaire de ses voix, comme s'il y avait chaque parti avec ses voix à lui. La vérité c'est que les électeurs d'Ile-de-France ils vont se prononcer sur un bilan, celui de monsieur Huchon, 12 ans, et puis sur le projet de madame Pécresse qui incarne, je pense, un vrai renouvellement et qui a réussi de façon exceptionnelle à redresser les universités françaises.
 
G. Birenbaum : "Pouvez-vous rester Premier ministre si toutes les régions sont perdues ?"
 
C'est une question à laquelle on répondra après les élections, monsieur Birenbaum.
 
La garde-à-vue - on a parlé tout à l'heure de justice - c'est un scandale avéré, elle est en procès, il y a trop de garde-à-vue en France ; il y a naturellement celles qui sont indispensables pour les enquêtes et les autres, pour un oui, pour un non, garde-à-vue. Est-ce que vous vous engagez, monsieur le Premier ministre, à les réduire considérablement dans l'intérêt des victimes, des justiciables, des citoyens ?
 
C'est pour ça, monsieur Elkabbach, que nous avons engagé une réforme de la justice, sur laquelle travaille actuellement madame Alliot-Marie et qui va être bientôt soumis au conseil des ministres. Le président de la République s'était engagé à ce qu'on mette en place une sorte d'habeas corpus à la française, c'est-à-dire qu'on fasse évoluer la législation française dans le sens d'une plus grande protection de la personne. Moi je suis choqué- je l'ai dit d'ailleurs dans un discours il y a peu de temps à l'inauguration de la prison du Mans - je suis choqué du nombre des garde-à-vue dans notre pays, je suis choqué de la manière dont les garde-à-vue sont utilisées, comme des moyens de pression pour obtenir des aveux, alors même que ça n'est pas le but de la garde-à-vue. Donc je veux...
 
Donc vous nous dites : monsieur Sarkozy et moi, F. Fillon, à la fin de l'année, il y aura moins de garde-à-vue en France ?
 
Il faut que le Parlement se prononce sur un texte législatif qui va réformer la procédure pénale et qui va encadrer la garde-à-vue. Il ne s'agit pas de se retirer des instruments qui sont des instruments nécessaires dans la lutte contre l'insécurité, mais on ne doit pas utiliser la garde-à-vue à tout va. Je vois qu'on l'utilise massivement, par exemple pour les infractions au code de la route. Je pense qu'il y a des tas de cas où cette garde-à-vue n'est pas nécessaire et où elle ne devrait pas être employée.
 
Le Parisien révèle ce matin qu'H. Proglio va cumuler son emploi EDF et sa retraite de Veolia. Est-ce qu'il y a matière à polémique pour vous ?
 
Ecoutez, il y a une législation dans notre pays, il y a des droits, ça existe depuis très longtemps les retraites chapeau, je ne suis pas au courant dans le détail et je n'ai pas à l'être d'ailleurs de la retraite de monsieur Proglio. Ce que je sais simplement, c'est qu'il va payer beaucoup d'impôts, parce que le Gouvernement que je dirige a décidé de taxer lourdement les retraites chapeau.
 
Les fonctionnaires d'Etat sont inquiets, monsieur Fillon. Un projet de décret de la loi de mobilité prévoit que si leur emploi est supprimé et s'ils refusent trois fois des propositions, ils peuvent perdre leur job et leur salaire. Est-ce que c'est une manière de les punir et de les licencier ?
 
J'entends ça depuis ce matin. Franchement, J.-P. Elkabbach, cette polémique est grotesque. Quelle est la situation aujourd'hui ? Aujourd'hui, l'Etat peut licencier un fonctionnaire qui refuse un poste, un poste. Un fonctionnaire qui refuse un poste, il est réputé démissionnaire. Dans le texte qui est en préparation, qui est d'ailleurs le résultat d'une loi qui a été votée à l'Assemblée, l'Etat aura l'obligation de proposer trois postes à un fonctionnaire dont l'emploi est supprimé. Ces trois postes devront correspondre à son grade, devront correspondre à son projet professionnel, devront tenir compte de sa situation de famille et devront tenir compte de son lieu de domicile...
 
Mais est-ce que ce n'est pas manière de réduire les effectifs, sournoisement ?
 
Mais pas du tout. Ça veut dire que les fonctionnaires auront plus de garanties qu'ils n'en avaient dans la législation précédente s'agissant de leur carrière. Tout ça est absurde, c'est un mauvais procès qui est fait, j'espère qu'il est fait simplement par ignorance et pas par malveillance.
 
E. Woerth dit : si la personne refuse trois fois, c'est qu'au fond elle n'a pas envie de travailler dans l'administration. C'est un peu court, il est présent depuis...
 
Non mais si on vous propose trois fois un poste qui correspond à votre grade, qui correspond à vos qualifications, à votre domicile et à votre situation de famille, c'est vrai que c'est difficile de comprendre.
 
Monsieur le Premier ministre, ça nous concerne tous, la France vient de transmettre à la Commission Barroso à Bruxelles, son programme pour réduire ses déficits record. Votre prophétie d'il y a quelques mois est en train de devenir juste : l'Etat est faillite.
 
Non mais la situation financière de notre pays, vous savez qu'on est en déficit depuis 35 ans, et on a un déficit structurel qui est de 3 ou 4%...
 
Mais ça s'aggrave !
 
Là on vient d'y ajouter le déficit lié aux mesures, que nous ne regrettons pas, qui ont été nécessaires pour sortir de la crise et vous avez pu le constater, on est sorti les premiers de la crise dans la zone euro et on a les meilleures perspectives de croissance pour 2010. Mais maintenant, il faut reprendre le travail de réduction des déficits. On s'est fixé un objectif : repasser en dessous de 3% en 2013 et atteindre l'équilibre à l'horizon 2020. On s'est callé d'ailleurs à peu près sur ce que fait l'Allemagne.
 
Je vous ai entendu dire l'autre jour : "nous sommes déterminés à faire des efforts sans précédent". D'abord qui ? Qui nous, qui nous ?
 
Ce qu'on va faire c'est très simple, J.-P. Elkabbach...
 
Qui nous ?
 
...Ce qu'on va faire c'est qu'on va ralentir l'augmentation des dépenses publiques. Je voudrais quand même que chacun comprenne qu'il ne s'agit pas d'une politique d'austérité. Une politique d'austérité c'est quand on augmente les impôts et qu'on réduit les prestations. Là, on n'augmente pas les impôts...
 
Mais si vous permettez, en trois ans vous réduisez, vous proposez de réduire le déficit d'une centaine de milliards d'euros...
 
Je vous explique comment...
 
Ca ne s'est pas vu depuis 50 ans en France.
 
Je vous explique comment. Depuis 50 ans, les dépenses publiques augmentent bien au-dessus de l'inflation. Nous allons bloquer les dépenses publiques en dessous de 1% d'augmentation pour ce qui est du budget de l'Etat et des collectivités locales, et en dessous de 3% pour ce qui est des dépenses de la Sécurité sociale. Ca ne s'est jamais vu, mais c'est quand même encore une augmentation des dépenses et donc c'est une politique sérieuse de gestion que nous pouvons encore conduire parce que nous avons les marges pour le faire. Je dis simplement que si cette politique n'est pas conduite maintenant, alors oui, dans quelques années, il n'y aura pas d'autre choix que la rigueur ou l'austérité.
 
Donc après les régionales, comme les Etats-Unis et de nombreux pays européens, nous allons entrer dans une nouvelle phase, rigueur, austérité, on voit bien que ce sont des mots tabous, comment vous qualifiez cette phase ?
 
Ces mots ne correspondent pas à la réalité...
 
Cette phase, comment vous la définissez ?
 
Une gestion sérieuse de retour à l'équilibre. On a un objectif, un calendrier de marche. Ce qui est très important pour nous, c'est de rester bien coordonnés avec notre voisin allemand parce que nous sommes les deux moteurs de l'économie européenne et la France ne doit pas décrocher vis-à-vis de l'Allemagne. Et donc nous conduirons ce programme avec beaucoup de détermination.
 
Mais vous faites un pari, vous dites 3% de croissance...
 
Non, non, non, pas 3% !
 
2,5% pour arriver en 2013. Mais l'OCDE, le FMI disent 1,7, c'est-à-dire 1% de moins que vous. Il y a de la magie.
 
D'abord nous nous sommes engagés à atteindre ces résultats si nous avons 2,5% de croissance, et c'est vrai pour les autres pays européens. Si la croissance est un peu plus faible, eh bien on mettra un peu plus de temps à réduire les déficits, mais je pense qu'avec la reprise de l'économie mondiale et avec les mesures qu'on est en train de prendre, la politique industrielle que nous conduisons, les réductions de fiscalité, comme la taxe professionnelle, je pense que 2,5% de croissance c'est un objectif parfaitement atteignable.
 
Est-ce que vous ne pensez pas qu'il est plus raisonnable ou il serait plus raisonnable de prévoir les 3%, le retour à l'équilibre en 2018, en 2020 ?
 
Non, en 2020 ce qu'on prévoit, c'est le retour à l'équilibre et nous voulons passer en dessous des 3% en 2013. Alors d'abord c'est une...
 
C'est un peu élastique, ça peut être 2014...
 
Ça peut être 2014 mais enfin, c'est ce que nous demande aujourd'hui la Commission européenne. Donc nous sommes dans la zone euro, nous avons accepté la discipline de cette zone et il est normal que nous cherchions à respecter ce que la Commission européenne nous demande.
 
L'Allemagne a choisi 2016, elle inscrira dans sa Constitution la lutte contre les déficits et les dettes. Est-ce que la France peut en faire autant ?
 
On peut le faire, moi, j'y suis favorable, je dis simplement qu'il ne faut pas que ça soit, comment dirais-je, un objectif qui cache la réalité des efforts quotidiens qui doivent être faits. Réduire les déficits, ce n'est pas seulement voter une réforme constitutionnelle, c'est accepter l'idée qu'on ne met plus en place de nouvelles dépenses fiscales, on cherche au contraire à les réduire, on ne cherche pas tous les matins quelles nouvelles prestations inventer, on cherche plutôt à essayer de réduire le poids de la fiscalité sur les entreprises, pour qu'il y ait plus de compétitivité et qu'on arrive au plein emploi.
 
L'équipe de France de handball est la meilleure d'Europe et du monde ; l'entraîneur Onesta change ses joueurs quand ils sont fatigués. Après les régionales et avec le président du Club, est-ce que vous allez faire comme lui ?
 
Je pense que j'ai toujours défendu cette idée, on a besoin dans la vie politique de plus de durée, de plus de sérénité, et une des raisons pour lesquelles on a depuis trente-cinq ans autant de déficits, c'est justement parce que, on ne conduit jamais les politiques plus de deux ou trois ans. Il faut de la durée.
 
J'allais dire, vous me servez ça sur un plat d'argent : le 20 février, va marquer vos 1.000 jours à Matignon ; être Premier ministre, ça dope et ça use. Est-ce que vous vous sentez assez d'énergie pour tenir encore 1.000 jours ?
 
Ça, c'est à vous de juger, ce sera aux français d'en juger...
 
Mais vous vous sentez assez de force, d'énergie, d'entrain ?
 
Ce n'est pas une fonction facile, comme vous le savez, mais en même temps, c'est un grand honneur de servir la France, et c'est ça sans doute qui donne à chacun le ressort de le faire.
 
Ces sondages Sofres/Figaro Magazine, qui ont été présentés par F. Namias, et indiquent de la part des Français, peut-être provisoirement ou pas, on n'en sait rien, une impopularité du président de la République et un désamour. D'abord, comment vous l'expliquez ?
 
D'abord, si vous regardez les sondages de tous les présidents de la République et de tous les Premiers ministres depuis le début de la 5ème République, N. Sarkozy se situe plutôt dans le haut de la fourchette. Deuxièmement, j'attache très, très peu d'importance à ces sondages qui, comme vous l'avez dit, vont et viennent, qui font d'ailleurs la Une quand ils sont très mauvais, qui font trois lignes dans le bas de la page quand ils sont très bons. Donc laissons les choses se faire, la politique être conduite et les Français juger.
 
D'accord, je comprends, mais est-ce que ça ne vous embarrasse pas de trop monter dans les sondages et que mieux vaut rester dans l'ombre de l'ombre de son maître ?
 
Je vous assure que je ne les regarde pas, et qu'avec le président de la République, ça n'est pas un sujet de conversation.
 
Dernière question au Premier ministre. Le Figaro révèle une confidence du président de la République, je ne sais pas si elle est vraie ou pas, que ce soit en 2012 ou en 2017, je ferai tout pour que mon successeur appartienne à ma famille politique. Est-ce que vous, vous préférez que ce soit en 2012 ou en 2017 ?
 
Franchement, le contraire serait étonnant, que le président de la République dise le contraire. Moi, chacun le sait, je serai fidèle au président de la République, et s'il est candidat en 2012, il pourra compter sur mon soutien total et entier.
 
Et cette confidence : 2012, 2017, elle doit exciter les prétendants, je ne vais pas les citer, mais Copé, Villepin, A. Juppé, jamais F. Fillon ne se dit : pourquoi pas moi, un jour, peut-être, le moment venu, vraiment, vraiment ?
 
Je suis concentré sur mon travail, J.-P. Elkabbach, et c'est la seule chose qui compte.
 
Eh bien voilà...
 
Comme vous d'ailleurs.
 
Voilà, merci. Vous avez raison et vous nous connaissez bien.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 février 2010