Interview de M. Benoist Apparu, secrétaire d'Etat chargé du logement et de l'urbanisme, à Canal Plus le 3 février 2010, sur la mise en disponibilité des fonctionnaires refusant trois mutations, sur la politique du logement et la construction de logements sociaux.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux M. Biraben : B. Apparu est avec nous. Il est le secrétaire d'Etat en charge du Logement et de l'Urbanisme. Il a reçu une petite carte postale de la Fondation de l'Abbé Pierre. Au total, 10 millions de personnes touchées par la crise du logement : SDF, étudiants, classes moyennes, pas logés, mal logés. M. Aubry, elle, de son côté, à proposer d'en faire une priorité nationale. B. Apparu, bonjour.
 
C. Roux : Bonjour. On va bien sûr évoquer longuement la question du logement, mais d'abord un mot sur les fonctionnaires. Un fonctionnaire qui refuse trois mutations sera mis en disponibilité sans rémunération. Est-ce que c'est la fin de la garantie d'emploi dans la fonction publique ?
 
Ce n'est pas la fin de la garantie d'emploi puisque quand vous êtes en disponibilité vous n'avez plus votre rémunération, mais vous gardez votre statut de fonctionnaire. Ce n'est qu'ensuite, après trois nouvelles propositions mais qui cette fois-ci ne seront pas sur le lieux de résidence, qu'il pourra y avoir la "cessation" - entre guillemets - du contrat. Quel est le principe ? L'idée est de se dire qu'on a évidemment des restructurations dans l'administration française. Ces restructurations entraînent des changements de postes. Aujourd'hui, quelle est la situation ? Quelqu'un qui refuse un poste, on va considérer qu'il est en abandon de poste, et quand vous abandonnez votre poste, vous êtes viré d'office. Là, la logique est de dire c'est que quelqu'un qui on va faire trois propositions sur le même lieu de travail, même type de boulot, avec ses compétences, s'il refuse trois fois à peu près le même boulot qu'il a aujourd'hui, on va lui dire "disponibilité".
 
C. Roux : C'est donc la remise en cause d'un droit fondamental, comme le dit G. Aschiéri. Jusqu'à présent, la fonction publique était protégée justement sur la garantie d'emploi.
 
Comparez l'avant et l'après. Avant, on vous fait une proposition, vous la refusez, vous êtes en abandon de poste. En abandon de poste ! Vous êtes sorti, viré d'office. Donc, vous avez plutôt un système plus protecteur, même si ça va nous permettre de restructurer, évidemment, plus facilement.
 
C. Roux : Donc, ça veut dire que les syndicats de la fonction publique sont hostiles au changement ? Comment est-ce que vous qualifieriez cette attitude qui est pour l'instant... ils font front face à ce décret qui pourrait entrer en application assez vite ?
 
Qu'ils fassent front, c'est probablement leur boulot. Nous, on considère qu'à partir du moment où il faut bien... enfin, l'administration doit se réformer, elle doit évoluer, elle doit se moderniser pour rendre de meilleurs services au public.
 
C. Roux : Donc, elle doit payer le prix, c'est ça que vous dites.
 
Donc...
 
C. Roux : ... donc, elle doit en payer le prix.
 
Pas payer le prix. A partir du moment où il y a un changement, il faut forcément en tirer quelques conséquences.
 
C. Roux : Et elle est rétive au changement, la fonction publique, c'est ce que vous pensez, au fond.
 
Comme toute organisation humaine, pas plus la fonction publique qu'une entreprise, qu'une association ou que quiconque. Quand on vous dit : vous avez travaillé comme ça pendant trente ans et qu'on vous dit ça va être un peu différent, tout le monde est rétif à ces changements, vous comme moi, comme les fonctionnaires.
 
C. Roux : Ca arrive à un moment où on dit non remplacement d'un fonctionnaire sur deux.
 
Tout à fait !
 
C. Roux : Ca arrive dans un climat...
 
... c'est ça qui entraîne notamment des restructurations. Quand vous avez, effectivement, une fonction publique dans une ville qui fait 50 000 habitants, comme Châlons-en-Champagne, et que vous avez effectivement ce retrait d'un emploi sur deux, naturellement ça bouleverse l'organisation des services, et donc il faut bien en tirer des conséquences en termes d'organisation générale.
 
M. Biraben : On passe au logement.
 
C. Roux : Allez, on y va ! Déjà, juste un mot sur une initiative proposée par M. Aubry : faire du logement une priorité nationale. Est-ce que c'est prévu ? Est-ce que vous la soutenez dans cette démarche-là ?
 
Je ne la soutiens pas dans cette démarche-là parce que c'est une priorité nationale depuis 2002. N. Sarkozy et F. Fillon l'ont confirmée. Juste un point, peut-être, pour M. Aubry, qui me semble plutôt frappée d'amnésie. Elle oublie juste un détail. Quand elle était au Gouvernement en 2000, on faisait 40 000 logements sociaux par an. On en fait 120 000, c'est-à-dire trois fois plus. Alors, que M. Aubry se souvienne un peu de ce qu'elle a fait quand elle était au Gouvernement avant de penser à son avenir. Il me semble que quand on fait trois fois plus de logements sociaux, c'est vraiment une priorité, ce n'est pas simplement des mots, c'est une réalité.
 
C. Roux : Alors, est-ce qu'ils ont de la mémoire, la Fondation Abbé Pierre, selon vous ?
 
Est-ce que... pardon.
 
C. Roux : Est-ce qu'ils ont de la mémoire à la Fondation Abbé Pierre ?
 
La Fondation Abbé Pierre, ils ont de la mémoire.
 
C. Roux : Ah ! Alors, ils ont de la mémoire.
 
Ils connaissent très bien leur sujet.
 
C. Roux : Ils ont des chiffres aujourd'hui. Ils vous disent : 10 millions de personnes sont touchées par la crise du logement, sont en situation de fragilité de logement. Est-ce que vous confirmez ces chiffres ?
 
On n'a pas de statistiques en tant que telle. Dans les 10 millions, vous avez beaucoup de doubles comptes. Mais, il y a un chiffre sur lequel je rejoindrai la Fondation Abbé Pierre : 100.000 sans abri, et 3,5 millions de personnes mal logées. Sur ces chiffres-là, on est à peu près...
 
C. Roux : ...enfin 3,5 millions, 10 millions ; là, la question c'est 10 millions.
 
Ils ont trois chiffres, la Fondation Abbé Pierre : 100.000 sans abri, 3,5 millions de mal logés, et 10 millions de personnes en fragilité de logement.
 
C. Roux : Alors, où est-ce que vous ne les suivez pas, sur ce chiffre-là précisément ?
 
Je ne vais pas partir sur une querelle de chiffres, parce que ça me paraît secondaire. Le 10 millions, il y a beaucoup de doubles comptes. Il va y avoir des situations, je vais prendre un exemple très concret : quelqu'un qui est en colocation, pas subie, en colocation, ou quelqu'un qui va être logé chez sa grand-mère alors qu'il poursuit des études dans une ville où sa grand-mère habite, on va considérer qu'il est en situation de fragilité. Quelqu'un qui n'a pas payé son loyer un mois ou deux mois, ça ne veut pas dire qu'il va être expulsé, va être considéré comme en fragilité de logement. Donc, à ce moment-là, effectivement, le chiffre peut être très important et peut sembler...
 
C. Roux : ...et alors, votre chiffre à vous sur les Français en situation de logement, c'est lequel ?
 
En situation de mal logement ?
 
C. Roux : Oui, situation de mal logement, pardon.
 
Je pense que le chiffre de 3 millions, 3,5 millions, me paraît effectivement correspondre à la réalité.
 
C. Roux : Donc, cette crise a révélé encore plus durement la question du logement, la pénurie de logements est aggravée. La France, selon les chiffres, manquerait de 100 000 logements de plus que fin 2008. Quelle est la réponse du Gouvernement, et comment vous expliquez cette hausse ?
 
Cette hausse elle s'explique malheureusement par la crise. On avait prévu de faire grosso modo 450 000 logements : 120 000 logements sociaux, qu'on a fait ; et puis 300 000 à peu près logements privés faits par des promoteurs, des individus, etc. On en a fait 100 000 de moins parce qu'effectivement, notamment du côté privé, on a baissé la production de 100 000 à peu près entre 2007 et cette année parce que les gens ont moins investi, les promoteurs ont moins investi. En logement social, on a fait exactement ce qui était prévu, et même un peu plus que prévu.
 
C. Roux : Alors, quelle est votre priorité ? Vous êtes secrétaire d'Etat au Logement depuis quoi, depuis un an ?
 
Six mois.
 
C. Roux : Six mois. La priorité que vous avez identifiée en six mois ?
 
La priorité elle est très simple : il faut construire là où c'est nécessaire. Ca peut paraître stupide de vous le dire, mais c'est une réalité. Deux ou trois chiffres. En France, on aura construit en 2008 un logement pour 156 habitants en Auvergne quand on en aura fait un pour 299 en Ile-de-France. Autrement dit, on construit beaucoup plus en Auvergne qu'en Ile-de-France. Or, les problèmes de logement ils sont en Ile-de-France et pas en Auvergne. Le problème majeur français ce n'est pas la masse de logements qui sont construits, c'est qu'on n'en construit pas là où c'est nécessaire. Autre exemple, autre chiffre sur le logement social : on fait 75 % du logement social français, les 120 000 en question, dans des endroits qui sont dits peu tendus, où il n'y a pas une demande très forte, et à peine 25 % où vous avez une demande de logement social forte. Il faut qu'on réoriente la production, c'est ce que je vais annoncer ce matin, pour passer à 30 % dès cette année, 35 % l'année prochaine. Bref, il faut qu'on reprenne le chemin de la vertu qui consiste à dire, peut-être de façon très simple : construisons là où il le faut et pas ailleurs.
 
C. Roux : Donc, on va dire ailleurs : « on ne construit pas chez vous » ?
 
On construit beaucoup moins.
 
C. Roux : Ce n'est pas facile à défendre ça quand on est ministre.
 
Ben oui, mais on va construire beaucoup moins parce que la réalité aujourd'hui c'est que construire là où ça crée des logements vides, ce n'est pas nécessaire.
 
C. Roux : Alors, une solution proposée par la Fondation Abbé Pierre, toujours, qui propose l'encadrement de la hausse des loyers entre deux locations. Ca a été fait en Allemagne. Qu'est-ce que vous en dites ? Est-ce que vous êtes favorable à cette idée-là ?
 
Je n'y suis pas favorable. On a encadré, entre guillemets, les hausses de loyer quand vous êtes dans votre logement. On a un indice et en général cet indice est respecté. Là où vous avez souvent des fortes hausses c'est lorsqu'un propriétaire change de locataire, il en profite soit pour faire des travaux, soit etc., il augmente son loyer à ce moment-là. Moi, ça ne me paraît pas tout à fait illogique que quand un propriétaire change de locataire et fait des travaux, par exemple pour améliorer son logement, il en profite pour augmenter le loyer.
 
C. Roux : Parfois, il change juste de locataire et il ne fait pas les travaux et il double le loyer.
 
Oui, mais enfin, à ce moment-là...
 
C. Roux : ... est-ce que ça il y a un moyen d'encadrer ou pas ?
 
Il n'y a pas de moyen d'encadrer en tant que tel, sauf à dire « on bloque les prix ». Ce n'est pas ma philosophie politique.
 
C. Roux : Un mot sur "Jeudi Noir". Vous avez des nouvelles ?
 
J'ai des nouvelles en lisant les journaux comme vous, j'imagine.
 
C. Roux : Pas plus ?
 
Pas plus, non, non, pas plus, non.
 
C. Roux : Il était question de les exclure de cet hôtel particulier.
 
M. Biraben : De les expulser.
 
C. Roux : De les expulser de cet hôtel particulier.
 
Pour l'instant, il y a eu une décision de justice. Le tribunal s'est prononcé et a ordonné leur expulsion. Pour ensuite les expulser, il faut que l'avocat écrive au pouvoir public pour leur dire : « le tribunal a décidé, je demande l'expulsion ». Nous n'avons pas encore reçu ce courrier, donc pour l'instant on ne peut prendre aucune décision.
 
C. Roux : On va rappeler que ce sont des étudiants qui occupent un hôtel particulier.
 
Tout à fait ! Qui plus est, il y a un appel qui sera jugé d'ici trois semaines, un mois, je pense. On va attendre les décisions de justice et les demandes d'exécution ou non de la part de l'avocat pour se prononcer.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 février 2010