Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur l'accueil et l'emploi des handicapés mentaux, la scolarisation des enfants handicapés, l'accessibilité des établissements publics et des logements et sur le plan national concernant l'autisme et le handicap visuel, Sablé le 5 février 2010.

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Circonstance : Inauguration du foyer "Le Cèdre", établissement d'hébergement pour adultes handicapés mentaux à Sablé (Sarthe), le 5 février 2010

Texte intégral

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je voulais vous dire combien je suis touché par le cadeau que vous venez de me remettre et par la gentillesse de votre accueil, vous dire le plaisir que j'ai avec Nadine MORANO d'être parmi vous aujourd'hui pour l'inauguration de cette Résidence du Cèdre. Je voudrais, Monsieur le Président, vous remercier d'avoir convié tous ceux qui ont porté depuis des années et des années tous les projets pour faire en sorte que les personnes handicapées soient mieux accueillies dans notre ville et dans notre région. Je vois ici beaucoup de visages de ceux qui ont été les pionniers de ces projets, qui se sont battus pendant des années et des années, ce n'était pas toujours facile.
Alors certains d'entre vous ne savent peut-être pas que le Général de GAULLE avait une enfant handicapée à la naissance dont il a accompagné l'existence jusqu'à vingt ans puisqu'elle est décédée à vingt ans. Je pense que la grandeur de cet homme devait certainement beaucoup à cet aspect de sa vie privée. Sa petite fille lui avait donné sur les choses un regard plus vrai, plus juste, plus fort. Il avait appris avec elle l'humilité, le courage et la sagesse. Une telle épreuve est en effet de celles qui grandissent les hommes et qui donnent à leur vie une profondeur particulière, faite de drames et de souffrances c'est vrai, mais aussi de joies intenses et peu communes.
Cette expérience, vous en parleriez bien mieux que moi, vous qui la faites chaque jour, vous qui nous accueillez chaleureusement ici, au Cèdre, vous que le handicap atteint dans votre famille, vous qui lui consacrez votre engagement professionnel, et vous qui tout simplement êtes là pour dire votre soutien, votre solidarité, votre amitié aux personnes handicapées et à leurs proches.
Je veux rendre hommage à tous ceux qui ont rendu possible la réalisation de ce foyer.
Je veux saluer l'Association des parents d'enfants inadaptés (APEI) à qui en reviennent l'initiative et la gestion parce que cet établissement nous montre des choses très importantes. D'abord ici les personnes handicapées mentales ne sont pas tenues au secret. Elles ne sont pas en marge de la cité. Elles jouissent d'une existence publique et leur autonomie est favorisée. Elles se rendent au travail, elles rentrent chez elles, au foyer, dans cette maison située au coeur de la commune, mais qui procure aussi la sérénité d'un jardin. Leurs vies ressemblent aux nôtres et cette insertion profite aussi bien aux personnes handicapées qu'à la ville tout entière.
Ce que nous montre aussi cet établissement, c'est l'importance de la proximité. Les personnes handicapées s'épanouissent ici parce qu'elles ne sont pas déracinées. Elles sont chez elles au sens où elles ont un espace de vie à elles, en-dehors du foyer parental, mais elles sont chez elles ; elles sont chez elles aussi au sens où elles restent dans l'environnement géographique où elles ont leurs repères et leurs liens affectifs.
Je retrouve dans cette résidence du Cèdre la traduction concrète des principes de votre association dont nous connaissons bien l'action sur le territoire de Sablé, depuis 1971. Vous apportez aux familles un appui moral et matériel d'autant plus grand que vous favorisez entre elles les contacts, l'entraide et la solidarité.
Vous cherchez à promouvoir le meilleur développement physique, intellectuel et moral des enfants inadaptés.
Et vous défendez légitimement, Monsieur le Président, leurs intérêts et ceux de leurs familles auprès des pouvoirs publics et vous venez de le faire encore.
J'ai bien entendu à cet égard votre appel concernant votre Institut médico-éducatif. Je veux vous dire que ce projet est légitime, qu'il s'inscrit naturellement dans notre politique locale d'amélioration de l'accueil et de l'éducation des enfants. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Nadine MORANO de me proposer sans tarder une solution de financement en lien avec monsieur le Préfet.
A l'action locale que vous menez dans votre association, répond une ambition républicaine qui s'appuie sur les mêmes fondements.
Et je veux profiter de l'occasion que vous me donnez pour en réaffirmer les enjeux, les résultats et les perspectives. Nous avons voté en février 2005 une loi très importante pour « l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».
Cette loi a modifié en profondeur la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques. Elle a été pensée avec une ambition qui était de changer le regard de la société sur le handicap. Deux grands principes la régissent : le premier, c'est la reconnaissance des responsabilités éminentes de la société à l'égard du handicap. Le handicap, ce n'est pas seulement une notion médicale, c'est aussi le résultat d'une interaction entre les personnes et la société et la société a le devoir de se rendre accessible à tous et de corriger les effets d'exclusion qu'elle produit elle-même. Le second principe, c'est de considérer les personnes handicapées, non plus comme les objets d'un traitement administratif, mais comme des personnes, des acteurs d'un projet de vie qui doit être reconnu et qui doit être facilité.
Depuis le vote de la loi, ces deux principes - projet de société, projet de vie - se sont traduits dans des réalisations de grande ampleur. Après cinq ans, nous pouvons faire le bilan de cette loi et je crois que nous n'avons pas à en rougir.
C'est d'abord l'intégration sociale qui présente des résultats tout à fait remarquables.
Je pense à la scolarisation.
Elle a progressé de 30% par rapport à 2005. 150.000 enfants étaient accueillis dans des classes ordinaires il y a cinq ans ; le chiffre est aujourd'hui de 180.000. Et par exemple dans notre département de la Sarthe, il y a actuellement plus d'enfants scolarisés en classes ordinaires que d'enfants scolarisés en classes spécialisées.
Je pense également à l'insertion professionnelle.
Désormais, 715.000 personnes handicapées ont un emploi, dont 80% en milieu ordinaire. L'augmentation a été de près de 30% par rapport aux chiffres de 2005.
Depuis quelques années, on se rapproche même si on n'y est pas encore arrivé, sensiblement de l'objectif des 6% d'employés handicapés dans les entreprises et dans la fonction publique.
Près de la moitié des entreprises atteignent ou dépassent ce taux.
Et dans la fonction publique qui n'était pas en avance, le nombre de handicapés est passé de 160.000 à presque 200.000, entre 2006 et 2009.
Ce sont ensuite les progrès de la prise en charge que je veux souligner.
100 Maisons départementales des personnes handicapées sont désormais installées sur tout le territoire. Elles garantissent plus de simplicité, plus de proximité dans les démarches quotidiennes.
Plus de 40.000 places ont été créées au sein de structures d'accueil spécialisées.
Des plans spécifiques, concernant l'autisme et le handicap visuel, ont été engagés.
Et la Prestation de compensation du handicap, lancée par la loi de 2005, est aujourd'hui perçue par près de 80.000 personnes.
Je pense qu'il est utile de rappeler tous ces chiffres parce qu'ils montrent que les engagements qui ont été pris, ont été tenus, parce qu'ils montrent que le vote de la loi qui a correspondu à un grand mouvement dans la société, a eu un impact sur les réalisations quotidiennes, parce qu'ils montrent que les efforts sont en train de payer. Naturellement, on est loin d'avoir atteint tous les objectifs qu'on s'est fixé et il y a encore beaucoup de travail pour répondre à l'ensemble des demandes mais si on ne reconnaît pas ce qui a été fait, il est difficile ensuite de construire avec efficacité un plan qui permette en permanence de tendre vers l'objectif que nous nous sommes fixés.
Cette dynamique, elle va se prolonger dans tous les secteurs qui engagent l'amélioration de la vie des personnes handicapées.
La loi de 2005 est ambitieuse qui nous demande de faire évoluer notre regard et certaines de nos manières de vivre. Elle appelle des évolutions structurelles de long terme. Je veux dire à ceux qui prétendent que la loi de 2005 est menacée dans ses fondements qu'ils se trompent et je veux aujourd'hui affirmer avec force qu'ils peuvent compter sur mon engagement. Aucun des principes fondateurs de la loi de 2005 ne sera remis en cause. 2010 sera au contraire l'année d'un nouveau souffle dans l'accomplissement des objectifs qui sont les nôtres depuis plusieurs années. En 2010, la réalisation des objectifs de la loi va entrer dans une deuxième phase à laquelle nous voulons, avec Nadine MORANO, donner encore plus de cohérence et encore plus de force. Au fond il ne s'agit plus maintenant de faire des textes de loi ou des règlements, mais il s'agit de les mettre en oeuvre et de veiller scrupuleusement à leur application.
C'est pour cela que j'ai décidé l'installation d'un Comité interministériel du handicap qui se va se réunir dès la semaine prochaine. J'attends de lui qu'il pilote avec la plus grande efficacité la poursuite de nos objectifs pour les années à venir. Et j'entends qu'il soit garant auprès des ministères, des administrations et des entreprises de la bonne application des mesures en faveur des handicapés.
L'emploi demeure la priorité essentielle.
C'est le sens de la réforme de l'Allocation adulte handicapé que nous allons poursuivre. Conformément à l'exigence qui a été posée en 2007 par le Président de la République, cette allocation est revalorisée chaque année, de sorte que sur l'ensemble du quinquennat son augmentation soit de 25%.
Cet engagement, je le reprends devant vous.
Mais cette allocation doit aussi être réformée pour qu'elle puisse être associée à l'exercice d'un travail.
Elle doit s'inscrire dans la logique de solidarité active qui guide la politique du Gouvernement.
Le deuxième grand chantier, c'est celui de l'accessibilité. La loi nous a fixé une échéance extrêmement ambitieuse : en 2015, garantir l'accessibilité générale des transports et des établissements qui reçoivent du public. Cet horizon, je veux dire que nous n'allons pas le repousser, c'est le nôtre. Et 2010 doit être l'année d'une grande mobilisation si nous voulons tenir l'échéance de 2015. Le premier rendez-vous, ce sera dès la semaine prochaine l'installation par Nadine MORANO d'un Observatoire de l'accessibilité qui va nous permettre en permanence de mettre la pression sur les secteurs où elle est nécessaire.
Le troisième objectif, c'est la poursuite de la scolarisation des enfants et des élèves handicapés, qui va requérir en particulier l'amélioration du dispositif des auxiliaires de vie scolaire.
Le quatrième objectif, c'est le perfectionnement de la gouvernance des institutions et en particulier des Maisons départementales.
Et le cinquième, c'est le développement des plans spécifiques. Les plans autisme et handicap visuel vont se poursuivre mais dans les tout prochains jours, nous allons les compléter par un autre plan qui concernera les déficiences auditives et je veux aussi que la situation des traumatisés crâniens fasse l'objet d'une attention particulière.
Chaque année dans notre pays, 155.000 personnes subissent un traumatisme crânien et parmi elles, 8.500 seront des traumatisés graves avec des séquelles invalidantes. Un traumatisme crânien, c'est une vie bouleversée, c'est une vie à recomposer, ce sont des fils à retisser. Face à cette souffrance de se voir comme un autre, de se sentir étranger dans un environnement pourtant familier, nous avons le devoir d'offrir le meilleur accompagnement possible.
Souvent, pour les personnes accueillies dans des unités de soins spécifiques, l'éloignement des proches et des familles s'ajoute au bouleversement de la vie quotidienne. Après l'hospitalisation, la continuité de la prise en charge dans le secteur médico-social, nous le savons, n'est pas toujours facile et les familles sont souvent très démunies devant les conséquences de ces traumatismes.
J'ai donc demandé à Roselyne BACHELOT et à Nadine MORANO d'élaborer d'ici fin juin 2010 un plan d'action gouvernemental sur les traumatisés crâniens et les blessés médullaires. Elles le feront en étroite concertation avec les associations concernées.
Enfin, je veux également que des mesures spécifiques soient prises concernant les personnes à mobilité réduite. Il leur est trop souvent difficile de disposer de l'usage personnel d'un véhicule adapté, qu'il s'agisse de voiture - et le Président du Conseil général vient de parler de l'initiative du département de la Sarthe - ou qu'il s'agisse de fauteuil électrique performant. Malgré les aides existantes, il faut reconnaître que le coût d'acquisition demeure pour beaucoup un obstacle infranchissable. Or nous avons tout près de chez nous un exemple dont nous souhaitons nous inspirer : depuis trente ans, le Royaume-Uni a développé un système original où plus de 500.000 voitures adaptées et fauteuils électriques sont proposés pour des locations de longue durée à des coûts extrêmement réduits. Le succès de ce programme est réel et son modèle économique a fait ses preuves. J'ai donc demandé à Nadine MORANO de me faire d'ici trois mois des propositions concrètes pour voir comment nous pouvons transposer ce dispositif dans notre pays.
Voilà, ces perspectives montrent la détermination qui est la nôtre à poursuivre une politique du handicap qui soit des plus ambitieuses. Les résultats des années passées nous encouragent parce qu'ils montrent que quand on mobilise les efforts de tous, on obtient des résultats.
Je sais pourtant - et vous les avez relayées, Monsieur le Président à l'instant - que des inquiétudes sont apparues et que des critiques s'expriment et je veux y répondre. C'est d'abord vrai sur l'emploi.
En 2009, nous avons dû prendre une mesure de souplesse en faveur des petites et moyennes entreprises de moins de cinquante salariés qui n'emploient pas assez de personnes handicapées et qui doivent acquitter par conséquent une contribution financière.
Nous avons accordé à ces entreprises un délai de six mois pour se mettre en conformité. Pourquoi ? Parce que ces entreprises étaient confrontées à une crise économique et financière dont vous savez la violence et que certaines d'entre elles étaient sur le point de mettre la clef sous la porte et qu'il était incompréhensible dans ces conditions-là de leur demander de s'acquitter de cet effort financier. Mais je veux dire que ceux qui ne l'auront pas fait à l'issue des six mois, devront nécessairement s'acquitter de cette sur-contribution.
Ce n'est pas une mesure, naturellement, qui va être poursuivie. Cette décision dictée par le pragmatisme qui d'une façon générale nous a permis d'avoir une meilleure résistance que les autres économies européennes à cette crise, ne remet donc en aucun cas en cause les principes de la loi de 2005 qui maintenant vont de nouveau s'appliquer. Et l'augmentation du taux d'emplois des handicapés, sur la lancée que je vous ai rappelée, est évidemment destinée à se poursuivre.
Prenons ensuite la question de l'accessibilité.
Oui, nous avons voulu que des dérogations soient accordées pour que 20.000 projets aujourd'hui bloqués, puissent parvenir à leur terme. Oui, nous pensons qu'un certain pragmatisme est là encore nécessaire si on veut faire face aux difficultés considérables que connaît notre pays en matière de logements. Le principe de l'accessibilité est là et je veux dire qu'il est intangible ; mais il y a aussi des situations particulières, il y a aussi des réalités devant lesquelles une réglementation uniforme n'apporte pas des réponses satisfaisantes.
Dire cela, ce n'est pas remettre en cause le principe, mais c'est au contraire réfléchir à la meilleure façon de le traduire dans les faits. Il existait en 2005 un dialogue efficace entre l'Etat, les représentants des personnes handicapées et les professionnels de l'immobilier. Ils étaient d'accord grosso modo pour accorder des dérogations qui concernaient moins de 5% des dossiers et qui ne portaient de surcroît que sur une partie des règles d'accessibilité. Le fil de ce dialogue s'est rompu ; eh bien il faut le renouer et il faut que les malentendus se dissipent. Il faut que nous progressions ensemble pour sortir de cette situation de blocage et je veux que le nouvel Observatoire de l'accessibilité joue son rôle dans le rétablissement d'une concertation apaisée. Cet observatoire, il sera le garant de notre attachement fondamental au principe de l'accessibilité. Il encadrera rigoureusement l'octroi des dérogations à ce principe et il s'assurera en permanence de la pertinence et de la transparence qui doivent caractériser ces dérogations.
Je veux aussi répondre à ceux qui croient, ou qui font croire que nous voudrions remettre en cause le plan personnalisé de compensation. Je vous le dis tout net : l'intention de mon Gouvernement, c'est de garantir ce que je considère comme un pilier de la loi de 2005.
Enfin, permettez-moi d'évoquer la scolarisation. Elle cristallise un certain nombre d'interrogations. Je les comprends, mais je veux les dissiper. Il est faux de dire, comme je l'ai entendu, que le Gouvernement aurait l'intention de se déresponsabiliser en confiant la gestion des auxiliaires de vie scolaire aux associations. Ce que nous voulons en réalité, c'est trouver, en lien avec les associations, la meilleure façon de sécuriser ce dispositif dans l'intérêt des enfants, dans l'intérêt de leur famille et de ceux qui travaillent à leurs côtés.
Voilà, Mesdames, Messieurs, j'ai voulu profiter de cette visite à la résidence du Cèdre pour rétablir quelques vérités qui valent à l'échelle de la France tout entière. Je l'ai fait parce que je souhaite que la mobilisation gouvernementale en faveur des personnes handicapées et de leurs familles soit entière.
Dans une société moderne, le handicap est l'un des sujets les plus importants qui soient parce que le degré de civilisation d'un pays, il se mesure certainement au soin et à la dignité avec lesquels il considère le sort des personnes handicapées. Respecter le handicap, c'est respecter la vie, c'est respecter la vie humaine tout entière dans ses visages d'énigme, de douleur et d'espérance.
C'est confronter la politique à ses exigences morales les plus hautes.
C'est accomplir le voeu d'humanisme qui est au coeur du projet de notre République.
Nous voulons tous que la France soit exemplaire. Et ce qui est sûr c'est qu'il ne peut pas y avoir de société exemplaire sans une politique exemplaire sur le handicap.
Je sais que beaucoup d'améliorations sont encore attendues. Mais je sais aussi que l'exemple de votre expérience, de votre action et de votre engagement, peut susciter aujourd'hui la fierté et la confiance de notre pays.
Source http://www.gouvernement.fr, le 8 février 2010