Interview de Mme Marie-Luce Penchard, ministre de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles de Tahiti" du 2 février 2010, sur les raisons de son déplacement en Polynésie, l'instabilité politique du territoire, la situation économique et la gestion de l'aéroport de Faa'a.

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Média : Les Nouvelles de Tahiti

Texte intégral

1/ Pourquoi avez-vous décidé de venir en Polynésie française ?
Je tenais absolument à me déplacer en Polynésie Française en ce début d'année et ce, quelles que soient les circonstances politiques. Je suis la ministre de tous les Outre-mer ! Et il me tient à coeur de venir en Polynésie pour rencontrer les acteurs locaux et la population. Il s'agit de mon déplacement le plus long en Outre-mer depuis que je suis ministre. C'est une marque de respect que je tiens à vous adresser. Nous avons de nombreux sujets à aborder comme la réforme des relations financières entre l'Etat et la Polynésie et la réforme du mode de scrutin annoncée par le Président de la République. Je compte également aborder l'une de mes priorités pour cette année : la question de l'habitat. En effet, trop de nos compatriotes vivent dans des conditions difficiles. Je compte m'engager fortement pour la résorption de l'habitat insalubre et pour la construction de logements sociaux.
2/ Nicolas Sarkozy a assuré vouloir un changement du mode de scrutin pour la Polynésie. Quel mode de scrutin sera choisi et quand sera-t-il utilisé ?
Tout d'abord, il nous faut établir un constat : 9 gouvernements en 5 ans. La Polynésie connaît une instabilité chronique et répétée. La Polynésie traverse une crise économique sans précédent. Une nouvelle loi est nécessaire pour assurer la stabilité en Polynésie Française. Cette stabilité ne sera pas apportée par une simple loi électorale. Je veux inviter les polynésiens à réfléchir à l'équilibre de leurs institutions. Je suis consciente que la loi de 2007 n'a pas apportée la stabilité malgré l'objectif du gouvernement à l'époque. Je n'arrive pas avec des solutions toutes faites. Dans un premier temps, j'ai proposé qu'une mission composée de personnalités indépendantes et neutres vienne pour écouter les acteurs locaux et prépare des propositions au gouvernement. Puis nous préparerons une loi organique fin 2010 début 2011 en fonction de l'agenda parlementaire. A ce stade, je souhaite aborder lors des rencontres avec les responsables politiques de la Polynésie la question des circonscriptions, de la prime majoritaire, des conditions dans lesquelles on dépose et on vote une motion de défiance, de la répartition des pouvoirs entre le président de la Polynésie, l'assemblée et les communes.
3/ Mais changer la loi ne suffira peut-être pas... Nicolas Sarkozy lui-même a laissé entendre, lors des voeux à l'Outre-mer, que cela n'empêchait pas des alliances contre-nature. Estimez-vous qu'une partie de la faute incombe aux hommes politiques polynésiens ?
Je ne porte pas de jugement sur les uns ou les autres. Ce que je constate, c'est la réalité des gouvernements qui se succèdent sans que les réformes dont les Polynésiens ont besoin se fassent. Je crois qu'il convient de mettre un terme au nomadisme politique qui fait chuter les majorités les unes après les autres. Dans ces conditions, il ne peut y avoir de projets politiques efficaces sur le long terme. C'est l'ambition du Président et la mienne que de créer les conditions de stabilité afin de garantir le développement économique au bénéfice de la population.
4/ Gaston Tong Sang réclame que le président de la PF soit élu au suffrage universel direct, comme en métropole. Y êtes-vous hostile ?
Je comprends bien que cette évolution permettrait de mettre le président du gouvernement à l'abri des recompositions de la majorité à l'assemblée. Mais, à mes yeux, il ne peut exister qu'un seul président élu au suffrage universel direct : c'est le Président de la République, le président de tous les Français. Cette question n'est pas une option de la réforme du mode de scrutin que nous discuterons avec les élus.
5/ Depuis 13 ans, la DGDE, l'enveloppe que la France donne à la Polynésie, n'a pas été réévaluée. Elle devient d'ailleurs en partie DGA (Dotation Globale d'Autonomie). Cela signifie-t-il que l'Etat veut désormais avoir un oeil plus regardant sur la façon dont est dépensé son argent ?
La Dotation Globale de Développement Economique est un instrument très critiqué en France, notamment par la Cours des Comptes et le parlement. Il lui est reproché un manque de transparence et un manque de contrôle. Il nous faut agir pour moderniser les relations financières entre la Polynésie et la France. Mon objectif consiste à créer de nouveaux instruments plus pérennes. Cette réforme a débuté sa phase de négociation avec M. Temaru et je l'espère va se concrétiser avec M. Tong Sang. Il s'agit également de pérenniser les transferts financiers de l'Etat pour que le territoire puisse assumer ses compétences. Le gouvernement a tenu à ce qu'une partie de la DGDE soit fléchée vers les communes (6%) pour leurs investissements (eau potable, eaux usées et assainissement). J'en fais une priorité de mon action car il s'agit de problèmes du quotidien pour la population que je ne trouve pas admissible à noter époque. D'ici 2 ans, la taxe foncière devrait également aller vers les communes pour financer leurs investissements. Je souhaite que les communes deviennent plus autonomes. Donc, vous pouvez le constater, l'objectif du gouvernement n'est pas d'avoir un oeil plus regardant dans les finances de la Polynésie mais d'améliorer la transparence et la pérennité de cette dotation essentielle.
6/ Sur le plan économique, la Polynésie va mal. Le tourisme est notamment en chute libre. Quelles mesures comptez-vous prendre pour endiguer cette baisse ?
Le tourisme relève de la compétence directe du gouvernement polynésien et pas de l'Etat. Cependant, nous accompagnons la Polynésie par un certain nombre de mesures. Tout d'abord, la défiscalisation en faveur des projets hôteliers notamment. Je viens également d'instaurer l'assouplissement de plus de 130 visas afin de développer la circulation des voyageurs vers les Outre-mer. Pour la Polynésie, il s'agit d'accroître également le tourisme d'affaires. Je souhaite également que la Polynésie s'empare de la mesure de la Loi pour le développement économique de l'Outre-mer concernant les mariages. En effet, il s'agit d'un facteur important de développement car qui n'a pas rêver un jour de passer son voyage de noces en Polynésie ?
7/ Oscar Temaru a lancé la semaine passée l'idée de légaliser le pakalolo, le cannabis local. Est-ce envisageable ?
Le cannabis n'est pas légal en France. Il n'est donc pas légal en Polynésie. Et le gouvernement n'envisage absolument pas de le légaliser. Il s'agit d'une question de santé publique trop importante. Permettez-moi d'être surprise par cette proposition. Pour assurer son développement économique, il me semble que la Polynésie doit pourvoir s'appuyer sur ses atouts que sont l'industrie perlière, l'agriculture, le tourisme, les énergies renouvelables, la pêche...
8/ Il existe aujourd'hui un litige concernant la gestion de l'aéroport de Faa'a. La mairie de Faa'a refuse de signer l'accord que vous lui proposez. Est-on dans l'impasse ?
L'aéroport de Tahiti-Faa'a a besoin d'une stabilité de gestion et d'une compétence technique reconnue pour réaliser d'importants investissements. C'est absolument indispensable pour le développement à long terme de cette infrastructure, essentielle pour le développement économique de la Polynésie et en particulier du tourisme. Je me suis impliqué dans le dossier de la concession pour le dénouer et favoriser son aboutissement. C'est le cas aujourd'hui. Nous avons créé les conditions afin de dégager une majorité stable dans le capital de l'aéroport grâce aux participations d'EGIS (49%) et de l'Agence Française de Développement (2%). Le partenariat stratégique Pays-Etat se fera avant tout au service de nos concitoyens polynésiens, et la commune de Faa'a est invitée à y participer.
9/ La Polynésie connaît également des soubresauts judiciaires. Gaston Flosse, par exemple, a été incarcéré. Suivez-vous les enquêtes pénales attentivement et quel est votre sentiment ?
Je ne commente jamais ni les décisions de justice, ni les procédures en cours.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 8 février 2010