Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le canal de télévision suisse "TSR" le 11 mars 2010 à Genève, sur l'état des relations entre la France et la Suisse et l'incidence de l'affaire lybienne sur ces relations.

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Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, au-delà de l'affaire libyenne, on a l'impression qu'entre la France et la Suisse, quelque chose s'est grippée ces derniers mois. Il y a les affaires bancaires, il y a une sorte d'incompréhension qui n'existait pas auparavant. Que s'est-il passé selon vous ?
R - A votre avis ? Il y a quand même quelques petits problèmes !
Q - L'argent ?
R - L'argent est un gros problème, mais je ne commenterai pas cela. Tout cela, avec de la bonne volonté s'arrange. Entre la Suisse et la France, il y a surtout notre amitié, nos échanges, nos frontières communes et cette proximité absolue...
Q - La Suisse membre de l'Union, cela changerait-il vraiment ?
R - Moi je le souhaiterais, je l'ai souhaité à plusieurs reprises et vous n'avez pas voulu. J'espère qu'il y aura d'autres tentatives, plus fructueuses, mais je vous signale que vous allez bientôt accueillir le Sommet de la Francophonie et que là, il n'y a pas eu de problème entre la Suisse et la France, au contraire. A Montreux, bravo ! Nous avons dit oui tout de suite. C'est cela qu'il faut retenir et pas les petites anicroches. Savez-vous comment nous appelons cela en diplomatie ? Les irritants.
Q - Le Sommet de la Francophonie, ce sera des retrouvailles, peut-on appeler cela ainsi ?
R - Enfin, n'exagérons rien ! Il y a des sujets qui valent la peine que l'on se brouille mais là, il n'y en a aucun entre la Suisse et la France.
Q - Y serez-vous ?
R - Bien sûr.
Q - La Suisse, par son refus de certains visas aux Libyens a engagé l'espace Schengen. Aujourd'hui, qu'attendez-vous de la Suisse ?
R - Nous attendons que cela s'arrange, mais je ne l'attends pas seulement de la Suisse. Il faut évidement que la Libye y participe. Et je sais qu'un certain nombre de médiations sont en cours. D'ailleurs, j'ai dit à Mme Calmy Rey que j'étais à sa disposition. M. Moratinos s'en occupe, je le vois demain. J'espère que les choses s'arrangeront.
Q - Le mot djihad employé contre la Suisse vous a-t-il choqué ?
R - Oui, bien sûr. Enfin, à un moment donné, il y a une telle disproportion que cela n'est même plus choquant. Mais c'est vrai, je crois qu'il faut vraiment que cela s'arrange. Les visas, pour tous les ressortissants des pays membres de l'espace Schengen, sont interdits. Un certain nombre de gens qui devaient se rendre en Libye, n'ont pas pu le faire. C'est dans les deux sens que le dommage est causé. Nous sommes très pénalisés mais le problème n'est pas là. Donc voilà, arrêtons et je crois qu'il faut vraiment que cela s'arrange. Je sais qu'il reste un Suisse en prison en Libye. Le deuxième est parti. Espérons que la négociation réussira.
Q - Vous qui avez connu tellement de prises d'otage et d'actions sur le terrain, quelle pensée avez-vous pour Max Göldi, cet homme pris là-bas ?
R - Je suis triste de cette situation, je suis triste pour l'incompréhension que cela représente, les excès, j'en ai parlé et je les dénonce. Espérons qu'il sorte très vite et qu'il soit rendu aux siens le plus vite possible. Cette histoire qui s'enracine dans tout ce que vous savez représente pour moi, évidemment, un fardeau d'incompréhension complémentaire. Mais quand même, arrêtons les caricatures.
Q - Vous avez un grand poids international. Comment cela marche ? Vous avez le portable de M. Kadhafi ? Vous pouvez l'appeler ?
R - Nous avons des contacts avec les Libyens et nous nous en servons. J'ai appelé bien entendu tout de suite Mme Calmy Rey pour laquelle j'ai beaucoup d'affection pour lui dire que j'étais à sa disposition. Une fois de plus, je vous assure de la disponibilité de la France à jouer le moindre rôle. Honnêtement, nous avons essayé !
Q - Vous avez heurté beaucoup de Suisses quand vous avez ironisé sur le fait que la Suisse, qui n'est pas membre de l'Union européenne...
R - Mais je n'ironise pas ! Je lui demande de devenir membre de l'Union européenne. Vous avez tenté à plusieurs reprises et vous avez refusé. Alors n'exagérons rien !
Q - Vous vous êtes moqués un peu des Suisses, c'est vrai.
R - Pardonnez un peu d'humour. Cela m'étonne que vous disiez cela. Non, je ne crois pas m'être moqué des Suisses mais j'étais d'abord un peu surpris par cette histoire qui nous arrivait comme ça! Et bien c'est fait ! Je me suis exprimé avec beaucoup de sincérité, mais certainement pas avec moquerie, pour les Suisses.
Q - Le fait que vous mettiez presque sur un plan d'égalité un très vieille démocratie et puis le régime libyen, en disant qu'ils devaient s'arranger un peu, cela a choqué un petit peu. Vous êtes conscient de cela ?
R - Mais il faut s'arranger. Il faut donc qu'on fasse comprendre aux uns et aux autres, pour des raisons très différentes et très inégales, vous avez raison, qu'il vaut mieux s'arranger. Mais écoutez, je n'en possède pas la clé. Nous sommes simplement, la France et sa diplomatie, à la disposition de nos amis suisses s'ils le souhaitent.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2010