Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, à la Chaîne Info le 15 mars 2010, sur les résultats du premier tour des élections régionales, notamment en Ile-de-France et sur le taux d'abstention.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Le PS devant l'UMP, très peu de régions accessibles pour l'UMP pour une victoire au deuxième tour, à part l'Alsace et la Guyane disent les spécialistes. Pourquoi cet échec cinglant de la majorité ?
 
D'abord, moi je ne le vis pas comme un échec cinglant, il faut regarder ça région par région. Il faut surtout rappeler qu'un Français sur deux n'est pas déplacé. Aujourd'hui, c'est une nouvelle élection qui commence, une élection à deux tours en fait c'est deux élections, c'est le premier tour, le deuxième tour et il y a des régions où c'est assez ouvert pour ce deuxième tour.
 
Vous y croyez encore pour l'Ile-de-France par exemple ?
 
Ah oui, moi j'y crois encore. Vous savez, moi je suis maire, dans ma ville de Longjumeau, je tiens des bureaux de vote, je vois les feuilles d'émargement. Vous ne savez pas ce que les gens votent mais vous savez s'ils ont voté. Et ce n'est pas quelques pour-cent de Français qui votent à un tour et pas à l'autre, en fait vous avez beaucoup de Français dans une élection à deux tours, qui soit ne viennent pas au premier tour par principe parce qu'ils trouvent ça se joue au deuxième, soit viennent au premier tour où ils ont un choix particulier, dont ils considèrent que ce choix n'est pas représenté au deuxième tour et ne viennent pas au deuxième tour. Et dans les feuilles d'émargement ça, vous le voyez, c'est une proportion importante du corps électoral. Donc il y a une opportunité, il y a un créneau si vous voulez, pour remobiliser sur le deuxième tour et pour gagner.
 
Que dire aux abstentionnistes de droite pour qu'ils viennent dimanche voter pour votre liste ?
 
Ce n'est pas compliqué, en Ile-de-France je leur dis : en 2004, Huchon et Duflot... les Verts - ce n'était pas Duflot à l'époque - mais Huchon et les Verts, parce qu'ils ont quand même géré la région ensemble et fait campagne à l'époque, en 2004 ils ont fait campagne sur les transports zéro défaut et l'écorégion. Est-ce qu'aujourd'hui vous avez l'impression, entre la galère du RER et les embouteillages, que vos transports sont zéro défaut ? Est-ce que vous avez l'impression que votre région est une région écologique qui a progressé de ce point de vue-là ? Si vous avez l'impression, super, vous ne changez rien ! Surtout vous ne changez rien, vous ne changez rien. Soit vous vous abstenez - ce qui est à mon avis une des formules que préfèrent les sortants - soit vous allez voter pour eux et évidemment, pour eux, c'est encore mieux, mais vous ne changez rien. Si vous n'avez pas l'impression que vous êtes dans une écorégion, où vous avez les transports zéro défaut, vous avez un choix, c'est V. Pécresse. Faites changer la région.
 
Au niveau de l'ensemble de la France, est-ce que la stratégie de liste unique de l'UMP n'a pas marqué ses limites ?
 
C'est une stratégie... quelque part elle a une dimension morale, au sens où c'est une stratégie de clarté, c'est une stratégie de transparence vis-à-vis des électeurs. On est présents au deuxième tour avec les mêmes listes, avec le même projet qu'au premier tour, on est dans la même dynamique, on dit qui on est. Là, du côté de la gauche, ce n'est pas comme ça que ça se passe : au premier tour c'est divisé, entre les deux tours ils doivent fusionner trois, quatre listes. Cela ne se passe pas forcément bien, surtout ça veut dire déchirer une partie des engagements qui ont été pris pour certaines de ces listes devant les électeurs lors du premier tour. Il y a des régions dans lesquelles les Verts et le PS ne sont pas d'accord, dans l'Ouest ils ne sont pas d'accord sur le nucléaire ; en Aquitaine ils ne sont pas d'accord sur la Ligne à grande vitesse. Est-ce que ça, ces désaccords-là, vont être portés devant les électeurs ? Non, ils vont être enterrés entre les deux tours. Et puis, il y a autre chose, la politique ce n'est pas de l'arithmétique, c'est d'abord de la dynamique, ce n'est pas des électeurs qu'on additionne sur la base des résultats du premier tour. Pour la raison que je vous ai dite, parce que ce n'est pas forcément les mêmes électeurs au premier tour et au deuxième tour, et puis aussi parce que l'électeur parfois, il aime déjouer les sondeurs. Ce n'est pas vrai que vous pouvez additionner le PS et Europe Ecologie comme ça, c'est faux.
 
M. Aubry en Languedoc-Roussillon appelle à faire battre la droite et l'extrême droite, donc à faire voter G. Frêche...
 
C'est d'une hypocrisie formidable, moi j'ai trouvé très choquant ce qui s'est passé en Languedoc-Roussillon. Le Parti socialiste savait qu'en ne faisant pas une liste unique avec les Verts dès le 1er tour pour faire battre G. Frêche, il prenait le risque quasi-sûr d'avoir la liste Verte et la liste H. Mandroux PS à moins de 10 %, et donc de ne pas pouvoir se maintenir au second tour et donc de pouvoir dire : nous n'avons pas d'autre choix que de faire voter Frêche. C'est-à-dire que le Parti socialiste, qui nous a expliqué que pour des raisons morales - et on les comprend bien - il ne voulait pas faire élire G. Frêche, maintenant nous explique que « ah ben oui ! Mais on ne peut pas faire autrement ». Ils se sont organisés pour ne pas pouvoir faire autrement. C'est d'une hypocrisie scandaleuse.
 
Le débat sur l'identité nationale n'a-t-il pas favorisé le retour du FN qu'on a mesuré hier dans les urnes ?
 
D'abord nous, nous faisons le pari que c'est des sujets dont il vaut mieux parler que mettre le couvercle de la cocotte-minute dessus et attendre un jour que ça bourre, ça bourre, ça bourre et ça explose. Et puis, on parle beaucoup du retour du FN dans les urnes, il faut comparer ce qui est comparable et, vous le savez bien, comparer élection à élection...
 
Là, il y a un recul...
 
On ne compare pas des présidentielles avec des régionales...
 
Tout de même, la vampirisation de l'électorat FN par le sarkozysme, ça semblait être une donnée durable !
 
Les régionales de 2004, le FN était à plus de 15 %, aujourd'hui il est à moins de 12 %, c'est presque 30 % d'électorat en moins. En 2004, il y avait 17 triangulaires dans des régions, aujourd'hui c'est moins. Donc, c'est plutôt un recul sur une régionale, même si je partage cette insatisfaction, je crois que nous pouvons, nous devons aller plus loin.
 
Sanction également, ce score du FN, contre la politique de sécurité menée par le Gouvernement et qui est en échec ?
 
Je ne crois pas que la politique de sécurité menée par le Gouvernement soit en échec. En revanche, je pense qu'il y a beaucoup d'insatisfaction dans les régions sur ce sujet. Je rappelle que la sécurité dans les transports, la sécurité dans les lycées, ça relève pour partie de la région, il est temps de changer les présidents sortants de région.
 
Le président de la République peut-il reconduire un gouvernement où autant de ministres sont allés à la bataille et reviennent battus ?
 
D'abord je crois que le président de la République apprécie qu'on aille à la bataille, c'est bien dans son tempérament. Et puis ensuite c'est un scrutin régional, il l'a dit lui-même, c'est un scrutin régional. Les conséquences nationales, l'interprétation nationale lui appartiennent, mais elles ne se font pas comme ça en flux automatiquement et de manière à...
 
Vous ne vous sentez pas affaiblie vous, comme ministre, parce qu'éventuellement vous perdrez dimanche soir prochain ?
 
Non, moi je ne le vis pas comme ça. Moi je pense que la cohérence, quand on fait de la politique, c'est de savoir retourner vers les électeurs, ce n'est pas forcément facile. Une élection à mi-mandat, ce n'est pas forcément quelque chose de simple, on sait que c'est un moment où les électeurs ont des mouvements d'humeur et aiment à sanctionner le pouvoir. Moi je le comprends ça, je veux dire je le savais avant d'y aller. Mais je trouve que l'honneur de la politique, c'est de retourner devant les électeurs, se remettre en cause, leur donner la possibilité à travers l'élection d'interpeller ceux qui sont en place à ce moment-là.
 
Et face à ces électeurs mécontents ou en désarroi, est-ce qu'il ne faut pas suspendre les réformes, ralentir les réformes ?
 
Le monde traverse une des plus grandes crises depuis les années 30, la France a besoin de bouger, est-ce qu'on va s'arrêter là, se figer, se tétaniser en quelque sorte alors que le monde bouge ? Se priver aussi de la possibilité d'être en meilleure posture pour rebondir en sortie de crise ? Je ne crois pas. Ce n'est pas facile de les faire les réformes vous savez, on préfèrerait probablement n'avoir pas de réforme à faire, on préfèrerait que la France soit d'emblée en position pour rebondir en sortie de crise, ce n'est pas la réalité. Je prends l'exemple des retraites, vous pensez que c'est facile de faire la réforme des retraites...
 
On peut peut-être attendre un peu, l'étaler jusqu'en 2012, ne pas tout faire...
 
Mais ça fait 30 ans qu'on attend un peu, et les enfants ils font quoi ?
 
Et les collectivités locales, est-ce qu'il faut suspendre cette réforme qui a mécontenté beaucoup d'élus locaux de droite ?
 
Alors ça, moi je pense que l'abstention, ce score très élevé d'abstentions, plus d'un Français sur deux, qui ne sont pas allés voter, c'est un argument très fort en faveur de la réforme des collectivités territoriales et en faveur de la réforme du mode de scrutin. Parce qu'il y a quoi derrière ça ? Il y a le manque de lisibilité des régions qui, à mon avis, est un caillou dans la chaussure des sortants, ça veut dire qu'ils n'ont pas réussi à rendre lisible leur politique régionale, à rendre intéressante la région. Mais enfin, ça veut dire qu'il y a du manque de lisibilité de la région, qu'il y a de la distance entre la région et l'électeur, entre le Conseiller régional et l'électeur. Et ça, la réforme du mode de scrutin peut l'arranger.
 
L'UMP a besoin d'une remise en ordre de bataille en vue de 2012 ?
 
L'UMP se réforme en permanence en quelque sorte parce qu'un parti, c'est comme ça, c'est mouvant, ça bouge mais il est en ordre de bataille l'UMP. Je vous invite à venir voir sur le terrain cette semaine, par exemple en Essonne, et vous la verrez l'UMP.
 
N. Kosciusko-Morizet, merci, bonne journée.
 
Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 mars 2010