Texte intégral
« L'histoire de l'art doit être une discipline active dans la Cité », elle doit « favoriser une connaissance, une prise de conscience historique qui modifie les perspectives - si souvent naïves - du présent ». Cette injonction programmatique qu'André CHASTEL n'a cessé de marteler tout au long de sa vie me revient en mémoire aujourd'hui, dans cet Institut National d'histoire de l'art, dont il aura été le père spirituel et qui ne vit le jour qu'onze années après sa mort, grâce à la ténacité d'éminents historiens de l'art que je tiens à saluer, Michel LACLOTTE, Pierre ROSENBERG, Jacques THUILLIER, Alain SCHNAPP et tant d'autres encore.
Grâce à leurs efforts conjugués à ceux des pouvoirs publics, l'Institut national d'histoire de l'art est désormais un centre de recherche, de documentation et de formation de rang mondial. Fort de partenariats tissés entre les Universités, les Musées, les Écoles, il fédère et cristallise la recherche d'excellence en histoire de l'art dans notre pays, et il en favorise le rayonnement international. En quelques années d'existence, il est entré dans une saine émulation avec des établissements aussi prestigieux que le Warburg Institute de Londres ou le Getty Research Institute de Los Angeles.
Toutes les époques, toutes les approches et tous les domaines de l'histoire de l'art et de l'archéologie trouvent leur place dans l'éventail de ses innombrables curiosités collectives. La galerie COLBERT est désormais « un lieu où souffle l'esprit », un esprit ouvert, tant interdisciplinaire qu'interculturel, qui répond bien aux exigences et aux horizons grand ouverts de la Fondation Marc DE MONTALEMBERT, dont je vais avoir le plaisir et l'honneur de remettre tout à l'heure le premier prix dédié aux « Arts de la région méditerranéenne ».
Mais - au risque de ressembler à ces professeurs qui font attendre les élèves avant de rendre leur copie - je veux revenir quelques instants encore sur l'INHA. Ce projet ne pouvait pas être sans une grande bibliothèque, la « bibliothèque de Babel » d'un BORGES historien de l'art, en tout cas la première bibliothèque d'histoire de l'art en France. Je salue ici l'engagement des grandes Universités parisiennes, qui ont confié à l'Institut la gestion de la Bibliothèque Jacques-DOUCET, un trésor exceptionnel. Bientôt, avec l'apport - que j'espère prochain, et auquel je travaille assidûment - de la Bibliothèque centrale des musées nationaux et d'une partie du fonds de la bibliothèque de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, elle sera l'une des plus grandes bibliothèques d'histoire de l'art au monde au coeur du site historique de la Bibliothèque nationale de France, dans la prestigieuse Salle LABROUSTE.
Autour des livres et des oeuvres, dans cette ruche dédiée à la beauté, à sa mémoire et à son interprétation, se tisse déjà un véritable réseau qui relie l'INHA, l'Institut national du Patrimoine (INP), les Écoles doctorales de nombreuses universités franciliennes, des laboratoires du CNRS, des écoles prestigieuses comme l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), sans oublier l'« ARIAS » - rien à voir avec Alfredo et les Oiseaux d'ARISTOPHANE -, mais un bel acronyme pour dire « Atelier de recherche sur l'intermédialité des arts du spectacle ». S'y ajoute le maillage de sociétés savantes et de revues de poids, dont la Revue de l'art fondée, précisément, par André CHASTEL.
J'ai pu constater à loisir tout à l'heure l'interaction heureuse de toutes ces forces vives de la Galerie Colbert et les vertus créatrices de cette nouvelle manière de concevoir l'« unité de lieu »...
Ce joyau au coeur du Quartier du Palais-Royal est d'autant plus nécessaire qu'il va en quelque sorte servir de pôle d'attraction et de point de repère dans un pays qui a su enfin ouvrir les portes de ses écoles à l'histoire de l'art. L'INHA prend toute sa place au moment précis où, sous l'impulsion du Président de la République, nous avons décidé de faire de l'éducation artistique et culturelle, un chantier prioritaire.
Le temps n'est plus où l'on ne voulait voir dans les « arts plastiques » qu'une pratique suffisante pour initier les élèves aux trésors esthétiques de l'humanité. La pratique est une propédeutique nécessaire, mais non suffisante à la compréhension et la connaissance des arts. L'introduction d'un enseignement obligatoire d'histoire des arts, a permis de remédier à cette approche partielle, en enrichissant l'éducation « artistique » de son volet « culturel ».
Un jour viendra, je l'espère, où ce geste aboutira à la création d'une agrégation d'histoire de l'art, pour laquelle André CHASTEL et nombre d'entre vous ici ont milité. Ce serait, à mon sens, une nécessité afin de garantir la qualité des contenus de cette discipline nouvelle; même si, en attendant, la formation initiale et continue des enseignants d'autres disciplines apportera un complément utile à leur formation initiale. Je sais que la communauté des historiens de l'art et les musées sont mobilisés et je me réjouis des initiatives de l'INHA et de l'INP en ce sens, notamment l'organisation de séminaires de formation et la mise en place d'une université d'été qui promet d'avoir un certain succès.
L'initiation à l'histoire de l'art doit être l'un des piliers de ce que j'appelle « la culture pour chacun », c'est-à-dire la capacité, pour chacun, d'établir avec les oeuvres d'art une relation intime et éclairée, personnelle et élaborée. Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un enjeu de « culture » au sens très large du terme, c'est-à-dire de formation du goût et de l'esprit critique, en un mot d'un socle de vertus apparemment privées, mais qui, à bien y regarder, sont fondatrices de notre citoyenneté et de notre vivre-ensemble.
Aujourd'hui heureusement, la Culture n'est plus seulement une affaire d'Etat, une affaire de l'Etat. Le recours au mécénat privé, en partenariat bien compris avec les structures publiques, s'est multiplié ces dernières années. C'est dans cet esprit que l'INP, avec l'Ecole du Louvre et le soutien de la Fondation Culture et Diversité, a créé une classe préparatoire au concours de conservateurs ; elle permet, de plus en plus, l'accès de chacun à ces métiers qui jusque-là pouvaient sembler réservés aux seuls « héritiers ».
Il est temps d'en venir à un autre partenariat exemplaire, celui qui associe l'INHA et la Fondation MONTALEMBERT, placé sous le signe de ce rêve commun qu'est cette « mare nostrum », cette Méditerranée qui, depuis si longtemps, unit et nourrit nos cultures. Je tiens à remercier chaleureusement Manuela et Marc-René de MONTALEMBERT de leur générosité et de leur engagement autour de cette autre forme d'idéal et d'« azur », plus proche et plus familier que le ciel mallarméen... C'est dans cet esprit, je crois, que l'on pourra bâtir au mieux cette Union pour la Méditerranée, si nécessaire au monde de demain.
Ce nouveau Prix Marc de Montalembert que vous avez créé en hommage à votre fils disparu, consacre l'excellence d'un travail mené - ladies first ! - par une jeune chercheuse - à qui il apporte d'emblée une précieuse reconnaissance.
Je voudrais féliciter cette première lauréate, Mlle Chara KOLOKYTHA, jeune et brillante chercheuse grecque qui nous vient de l'Université de Crète, à RETHYMNO, de cette île qui est un peu l'origine de la culture européenne. Car c'est là, si je ne m'abuse, que ZEUS a amené la nymphe EUROPE...Ce prix vous est décerné pour permettre de savantes recherches consacrées à TÉRIADE... TÉRIADE... J'imagine que ce n'est pas une nouvelle épopée, une nouvelle ILIADE... Je vous avoue que, dans un premier temps, ce sujet a provoqué chez moi le même type de réactions que « Les Chevaliers paysans de l'an Mil au Lac de Paladru » dans On connaît la chanson d'Alain RESNAIS, devenu emblématique des sujets de thèses dont on fait claquer le titre devant des Béotiens... Mais il s'agit bien sûr du grand éditeur et critique d'origine grecque, directeur artistique de la revue Minotaure (on retrouve encore l'inspiration crétoise !), le créateur de livres d'artistes devenus légendaires, tels que Le Chant des morts dû à REVERDY et PICASSO, tels que Jazz de MATISSE ou encore tels que Paris sans fin de GIACOMETTI...
TÉRIADE, c'est aussi le fondateur de la mythique revue Verve, qui savait associer les plus grands peintres et poètes, et dont le rayonnement est resté inégalé. Ce sont précisément les enjeux de cette revue que cherche à mettre au jour Chara KOLOKYTHA, un vaste chantier, où je suis sûr qu'elle va faire de bien belles découvertes à l'occasion de ses séjours parisiens.
Ce premier Prix Marc de Montalembert viendra donc nourrir la longue tradition d'amitié culturelle entre la France et la Grèce : c'est, par là aussi, un très beau symbole - j'ai envie de dire un « sumbolon », par allusion à ces fragments de céramique qui, dans l'Antiquité, unissaient deux familles - un symbole d'amitié et d'ouverture qui convient tout autant à TERIADE qu'aux abeilles de la Galerie COLBERT...
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 avril 2010