Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, à Radio Classique le 6 avril 2010, sur les enjeux et débats autour de la semaine du développement durable et sur l'écologie.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Durand.-  Suite de cette journée consacrée donc au développement durable  qui démarre sur l'antenne de Radio Classique. J.-L. Borloo,  bonjour. Merci d'être avec nous. Evidemment il y a de très  nombreuses questions qu'on va vous poser sur ce thème. À la sortie  donc des régionales, c'était il y a quinze jours, la première concerne  l'emploi. Vous savez que c'est une des principales préoccupations  des Français. Vous les connaissez. Est-ce qu'il existe vraiment dans  le domaine de l'emploi un filon vert ? 
 
Non seulement il y a un filon vert, mais c'est forcément l'axe  stratégique de notre compétitivité et de notre développement pour dire  les choses assez simplement. À l'évidence, les sujets, les grandes  filières professionnelles de demain c'est comment produire autant et  plus en utilisant globalement moins de ressources, de ressources  énergétiques, de ressources minérales et mettre moins de CO2. Et on  voit bien que la compétition mondiale se joue là-dessus. Et cette idée  absolument folle d'opposer développement durable ou environnement  avec l'économie comme si de manière simple, si je devais illustrer,  l'avenir c'était de construire des voitures qui consomment 15 litres au  100 ou qui émettent 200 grammes de CO2 alors que la bataille  mondiale des voitures va être sur les voitures décarbonées. Comme si  avoir des centrales au charbon propre, ce n'est pas plus pertinent et ce  n'est pas la grande bataille, plutôt que des centrales peu pertinentes.  C'est vrai des turbines, c'est vrai des transports publics dans le monde,  l'ensemble des transports urbains, il y a une bataille - la France est  d'ailleurs plutôt bien placée. C'est vrai des transports à moyenne ou  grande vitesse, c'est vrai des LGV. Il faut bien se rendre compte que  l'ensemble de l'activité liée aux infrastructures, ces infrastructures qui  sont pertinentes en matière de développement durable, sont évidemment  le sujet principal et prioritaire. Le monde bascule, il faut bien se rendre  compte qu'une croissance chinoise sur notre modèle à nous n'est juste  pas possible. 
 
Ils n'ont pas l'air de l'entendre. 
 
Si, ils l'entendent. Ils l'entendent d'autant mieux que la stratégie  chinoise... 
 
Est-ce que vous avez des preuves justement que sur ce thème, à la  suite de Copenhague, on a le sentiment que les Américains et les  Chinois ont passé un accord qui abouti à l'échec du sommet, est-ce  que vous avez la preuve que le discours que vous tenez, eux, ils  l'entendent ? 
 
Vous savez je vais vous dire quelque chose qui n'est pas politiquement  correct et qui est inaudible. Je suis stupéfait que, lorsque sur un sujet  comme le climat, qui pour l'instant n'était pas à l'agenda diplomatique  des chefs d'Etat et de gouvernement -pour l'instant il n'y avait jamais  eu une réunion de chefs d'Etat et de gouvernement sur ce sujet, avoir  dans la même pièce B. Obama, Medvedev, le Premier ministre chinois,  indien, Lula, Calderon, Merkel, Brown, Sarkozy, et qui se mettent  d'accord sur un processus, qui mettent vraiment ce sujet en haut de leur  agenda et de leurs préoccupations, ce soit commenté ou vécu comme un  échec. Ce n'est pas parce que tout le monde a dit en même temps la  même banalité que c'est une réalité. 
 
Alors est-ce que ce n'est pas justement le problème fondamental ?  On est au coeur de cette affaire-là. Est-ce qu'on n'est pas justement  - et ça va être l'occasion de cette semaine du développement  durable - au coeur de cette affaire, j'allais dire presque du point de  vue intellectuel ? C'est-à-dire on est dans une bataille, vous avez  une semaine. Les gens qui lisent, prenons le journal Le Monde, Ils  sont d'accord avec Allègre, ceux qui nous écoutent, Ils disent,  effectivement on est dans l'éco-scepticisme et la semaine d'après, ils  sont avec vous, avec Hulot et les autres. Donc il y a quand même,  sur le plan intellectuel, une confusion totale. 
 
Oui et c'est normal. Quand vous faites une mutation aussi rapide et  aussi fondamentale d'un modèle économique, vous ne pouvez pas  penser que du jour au lendemain tout paraisse absolument évident, que  ce ne soit pas un peu chaotique avec parfois des grandes accélérations  et des grands coups de frein, avec des erreurs d'ailleurs d'appréciation.  Mais permettez-moi de revenir une seconde sur Copenhague. Oui  évidemment qu'il y a des problèmes. Lisez le dernier rapport du Parti  communiste chinois, les mesures prises en matière de... 
 
Vous me concédez que ça m'arrive assez rarement, mais enfin je  vais le faire. 
 
Pour être très franc, je l'ai lu traduit en français, en anglais plus  exactement. C'est très spectaculaire. Il faut bien avoir en tête que le  modèle occidental est un peu épuisé. Le modèle de croissance  occidental est épuisé. Il est épuisé aux Etats-Unis, il est épuisé en  Europe. Où sont les pays de grand développement, ceux qui ont à la fois  du rattrapage et en même temps ont choisi la stratégie de  développement durable ? La Chine, regardez en six ans ils sont passés  de débutants en photovoltaïque, ils sont leaders du monde. Ils sont en  train de devenir leaders du monde également en énergie éolienne. Ils  sont en train de développer des moyens considérables pour sortir les  premiers en mass-market global, la voiture complètement décarbonée.  La bataille économique aujourd'hui, ce n'est pas... 
 
C'est-à-dire qu'ils le font de leur côté, ils le font sans passer un  accord international.
 
 Ils le font de toute façon et ils disent à Copenhague, voilà nous on va  réduire notre intensité carbone entre 40 et 45% dans la décennie qui  vient. Qu'est-ce qui se passe pour Copenhague ? Vous savez ce que  c'est Copenhague ? C'est simplement le raisonnement européen qui  voudrait, dans son mode de fonctionnement, l'imposer au reste du  monde. C'est-à-dire que pour qu'il y ait une volonté garantie des uns et  des autres, il faut que ça ressemble à un papier sous forme de contrat. 
 
C'est un sommet. On l'a annoncé avant, tout le monde vient, on va  avoir un accord. Le président de la République se bat pour cet  accord. Vous-même, vous avez fait le tour de la planète et puis le  papier n'est pas signé ! 
 
Non, mais parce que ça ne marchera pas par un papier signé. Vous  développez, nous développons une culture notariale et monastique qui  fait qu'il n'y a pas d'engagement de quelqu'un s'il ne signe pas un  papier avec un inspecteur et avec un tribunal. Le monde ne marche pas  comme ça. La culture indienne n'est pas celle-là, la culture américaine  n'est pas celle-là, la culture chinoise n'est pas celle-là, la culture  argentine n'est pas celle-là. Un traité ou un accord, c'est quoi ? C'est  "voilà moi je m'engage à ça, tu t'engages à ça". Chacun s'engage. Et  d'ailleurs le 31 janvier, 37 jours après, tout le monde a bien adressé à  l'ONU ses propres engagements. 
 
Alors question, par exemple puisqu'on est dans cette semaine du  développement durable et qu'on va essayer, on va tenter de  rapprocher les éco-sceptiques et les autres. Prenons l'exemple de la  taxe carbone. On a dit, on l'abandonne. Et puis après on dit, "oui  mais de toute façon, elle va intervenir au niveau européen à terme".  Donc est-ce que cette taxe carbone, elle est enterrée ou pas et est-ce  que vous pouvez nous donner ce matin la preuve qu'elle ne le sera  pas puisque vous-même, vous dites que la fiscalité écologique est  fondamentale ? 
 
Mais elle est évidemment fondamentale et personne n'y coupera dans la  décennie qui vient. C'est une absolue évidence. Simplement, d'abord ce  n'est qu'un outil. Je rappelle qu'on a fait 77 mesures fiscales de ... la  fiscalité en France, celle-là, c'en est une parmi d'autres. Elle n'est pas  abandonnée. La vérité, c'est qu'à partir du moment où le Conseil  constitutionnel demande que les sites industriels français qui sont  soumis aux quotas d'émissions européens soient ... dans la procédure,  évidemment qu'il faut modifier les quotas européens et l'Europe dit à  ce moment-là, on va avoir une directive dans l'année ou dans les 18  mois. Ne demandez pas une dérogation qui va déséquilibrer le système  dans lequel d'ailleurs les industriels pourraient faire des contentieux  puisqu'on va avoir cet accord européen. Et vous verrez que les Etats-  Unis, comme la Chine qui a annoncé qu'elle allait le mettre en place  dans trois provinces, Tientsin, Shanghai, Pékin, et l'Europe mettront  une fiscalité écologique et une fiscalité écologique à leurs propres  frontières. 
 
Mais quand ? 
 
Je pense que ça devrait se faire dans l'année ou dans les 18 mois qui  viennent. 
 
Mais c'est une certitude ? Pardonnez-moi, ce n'est pas que je  veuille faire systématiquement le journaliste, mais on a tellement  entendu "oui peut-être", "c'est sûr", "on verra" etc, que c'est là  que vient une sorte de désengagement intellectuel à l'égard de  l'écologie. 
 
Non je ne crois pas. La question ce n'est pas de faire plaisir à tel ou tel,  ce n'est pas de faire plaisir à G. Durand. 
 
Non, mais c'est un problème culturel. 
 
Le problème culturel, il est très fondamental. D'abord on a mis en place  les quotas d'émission. C'est bien la France, la présidence française qui  a mis en place le paquet climat-énergie. Il nous faut un accord aux  frontières. Je rappelle que le président Obama s'est mis d'accord avec  le président Sarkozy la semaine dernière, il y a huit jours, pour essayer  d'avoir la même taxe aux frontières de l'Europe et des Etats-Unis.  Barroso a annoncé la semaine dernière que ce serait au Conseil  européen du mois de juin. Alors après les processus, les procédures, ça  peut prendre... Mais on est sur des mutations, sur cinq ans, sur dix ans. 
 
Mais elle n'est pas abandonnée ? Vous mettez ce matin votre  honneur en jeu, cette taxe n'est pas abandonnée ? 
 
Mais qui a dit qu'elle était abandonnée ? 
 
Mais tout le monde. Ou alors je suis sourd. 
 
Mais vous êtes sourd. 
 
Au lendemain des régionales, tout le monde a dit, on a entendu dire  que le président de la République disait "finalement l'écologie, c'est  de gauche, ça nous rapporte pas une voix, on arrête". 
 
Non, ça, ce sont vos commentaires. Le Président a simplement dit avant  les régionales, c'était dans Le Figaro Magazine si ma mémoire est  bonne que nous ne pouvions pas la faire sans une taxe européenne aux  frontières. Moi je suis allé deux fois à Bruxelles pour la négocier, il y  aura une directive. C'est dans le cadre européen qu'on avancera. Et au  regard de la planète, il ne s'agit pas d'un système interne français, il  vaut quand même mieux qu'un groupe de pays de 450 millions  d'habitants qui est la première puissance économique au monde mettent  ensemble une taxe carbone. 
 
Mais reconnaissez par exemple que la bataille Hulot/Allègre a fait  des dégâts considérables, se traitant l'un et l'autre d'imbéciles,  Allègre disant d'Hulot que c'est un pseudo scientifique, qu'il est  nul, qu'il ne comprend rien etc. Ca a fait des dégâts dans l'opinion,  considérables. Hulot s'est retiré du Grenelle de l'environnement  avec sa fondation. Tout ça n'a pas été d'une grande tranquillité. 
 
Mais vous savez quand on a mis en place le bonus/malus écologique sur  la voiture, j'ai entendu sur toutes les antennes, pendant des semaines et  des semaines, "Borloo réinvente la vignette", avant qu'on accepte l'idée  que c'était une mutation, que le bonus était plus important que le malus  et ça a d'ailleurs été un succès considérable qui fait dire que la France  est aujourd'hui le pays au monde dont le parc automobile émet le moins  de CO2. Donc bien sûr que ça se fait de manière complexe. Qui peut  penser une seconde qu'un modèle qui était exclusivement fondé sur on  prend les ressources, on émet du CO2, on est sur des énergies fossiles  dont on sait irrémédiablement qu'un jour elles seront finies, ce  changement de modèle va se passer sans aléas, sans difficultés ? 
 
Les Français, les agriculteurs, en entendant le président de la  République, ils ont pensé avant tout "impôt". Voilà ce qu'ils ont  pensé. 
 
Mais ça, ça fait partie de notre responsabilité de mieux expliquer les  choses. Mais les mêmes agriculteurs... 
 
Vous avez fait des erreurs dans ce domaine ? 
 
Mais évidemment. Mais vous savez quand quelque chose est mal  compris et que vous êtes en responsabilité, vous pouvez vous dire "non,  ce sont les autres qui ont tort, ils n'ont pas compris". Evidemment que  non. 
 
Parce que les Français l'ont dit sondage après sondage. On est  contre la taxe carbone. Des leaders politiques l'ont dit. 
 
Mais monsieur Durand, à partir du moment où la contribution  climat/énergie qui, je le rappelle, était compensée par un chèque vert, à  partir du moment où elle a été prise en otage par le Parti socialiste et  très exactement par madame Royal à partir de l'université de La  Rochelle, et qu'il y a quand même une envie toujours quand on  commente, de parler, je n'ai jamais quasiment plus jamais entendu du  chèque vert. Moi je peux le dire sur toutes les antennes, ça n'a aucune  importance. Ça s'est appelé tout d'un coup la taxe carbone et à partir de  ce moment-là, ça pose une vraie difficulté. 
 
Donc c'est S. Royal qui a fait déraper le débat ? 
 
Non, je pense que la politisation de l'écologie est un sujet très  compliqué. Moi je trouve qu'on a pu faire un Grenelle de  l'environnement parce qu'il était quand même assez transversal - c'était  les syndicats, les entreprises et les collectivités locales, les agriculteurs -  , et on a pu faire ce formidable pari démocratique. Et il faut bien avoir  en tête que parce que ce n'était pas politisé, ce n'était pas parce que  c'était un gouvernement qui mettait ça en musique que c'était politisé. 
 
Alors trois petites questions pour terminer parce que nous arrivons  au terme de cet entretien. Mais des questions importantes. Est-ce  que justement ce matin avec les agriculteurs puisque c'est un  déplacement du président de la République, il va pouvoir leur  parler de ce dont on parle ou est-ce que ça va rester un sujet tabou  parce que massivement les agriculteurs sont contre la taxe  carbone ? 
 
Mais les agriculteurs n'étaient pas concernés par la taxe carbone. 
 
Ils sont contre l'idée que les écologistes les stigmatisent en  expliquant qu'ils ne sont pas assez dans une agriculture qui est  entièrement générée... 
 
Les agriculteurs, c'est un système générique. Il y a autant d'agriculture  qu'il y a d'agriculteurs. Lorsque en quatre mois, vous avez 15.000  agriculteurs qui demandent à être raccordés au photovoltaïque, ce qui  était une décision du Grenelle de l'environnement avec des tarifs de  rachat... Non ce que ne veulent pas les agriculteurs, c'est un, cesser  d'être stigmatisés, ils ont raison. Deux, ils vivent une crise  invraisemblable de moins 34%. Et puis certains ont essayé de leur dire  que tout ça, c'est à cause de l'environnement. Pas du tout. Le Grenelle  de l'environnement a été une avancée majeure pour l'agriculture  française. (...) 
 
Ma dernière question. C'est quand même la première fois, si ma  mémoire de journaliste est bonne - je ne sais pas si elle flanche -,  que sous la Vème République une enquête de polie et de justice est  diligentée su des rumeurs. 
 
Je ne sais pas si c'est la première fois. Sans doute d'ailleurs. Il y a des  tas de domaines, espionnage, domaine militaire etc. 
 
Enfin la vie privée ni du Général de Gaulle, ni de F. Mitterrand, ni  de V. Giscard d'Estaing, ni de J. Chirac... 
 
Le monde a changé. Les moyens de communication et de diffusion de  rumeurs ont considérablement changé, donc c'est une évolution qui me  parait nécessaire. J'observe d'ailleurs... 
 
C'est à l'avocat que je m'adresse. Vous trouvez ça normal ? 
 
Aller connaître la vérité n'a jamais été contraire à la profession  d'avocat. Il me semble d'ailleurs que dans ce domaine, on peut adresser  un coup de chapeau à la presse française. 
 
Qui s'est plutôt bien comportée. 
 
Qui se comporte extrêmement bien, qui ne tombe pas dans ce piège. 
 Source :  Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 avril 2010