Déclaration de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, sur les grandes orientations de la politique française et européenne de lutte contre le réchauffement climatique, à l'Assemblée nationale le 6 avril 2010.

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Circonstance : Audition devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, à Paris le 6 avril 2010

Texte intégral

Je me réjouis d'avoir cette occasion d'échanger avec les députés. Sur un sujet à propos duquel personne ne peut prétendre détenir la vérité, je tiens à vous livrer mon opinion profonde, même si je sais qu'elle ne fait pas consensus.
En matière de lutte contre le réchauffement climatique, le monde s'est mis en mouvement il y a une vingtaine d'années. Plus récemment, avec le Protocole de Kyoto, les pays européens, les Etats-Unis d'Amérique et leurs alliés, Canada et Japon, se sont lancés dans un processus contraignant, prenant la forme d'un Traité, et destiné à maîtriser les émissions de gaz à effet de serre. Ce système a eu une efficacité faible, même s'il s'est révélé utile du point de vue symbolique, car l'idée d'un acte contraignant se heurtait à la souveraineté des Etats. Les Etats-Unis, en particulier, ont refusé la perspective d'être contrôlés par des tiers. De son côté, le Canada a augmenté ses émissions de 26 %. Finalement, dans cette histoire, il n'est plus resté que l'Europe.
La vraie question, s'agissant de la Conférence de Copenhague comme des accords à venir, est celle-ci : il faut tout faire pour lutter contre le changement climatique, mais cela doit-il aller jusqu'à l'abandon de la souveraineté nationale, alors que l'économie, le modèle de production, les questions sociales sont en jeu ? L'Europe, elle, y était prête. Non parce qu'elle est plus vertueuse, mais parce que pour faire la paix, elle a construit un modèle qui implique souvent, pour ses membres, d'abandonner une part de leur souveraineté. Mais si de tels abandons sont inhérents à la construction européenne, ils ne sont pas dans la culture de Buenos Aires, de Pékin, de New Delhi, de Washington ou de Brasilia. L'idée d'un traité contraignant relève d'une culture monastique ou notariale typiquement européenne. Elle consiste à dire que la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe par la signature d'un contrat assorti d'engagements chiffrés, ce qui signifie l'intervention d'experts et l'institution d'un juge autorisé à prononcer des pénalités... Or cette conception n'est pas partagée par les autres cultures. Sous cette forme, elle n'a aucune chance de prospérer dans le reste du monde. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas maintenir les effets d'un traité contraignant pour ceux qui y prennent déjà part. Mais il ne faut pas espérer voir l'Empire du Milieu accepter d'être contrôlé par des inspecteurs américains ou jugé par un tribunal international comparable à la Cour de justice de La Haye : cela n'a aucun sens.
Je ne nie pas qu'il existe des traités internationaux efficaces sur des sujets bien délimités, comme pour la protection de la couche d'ozone ou dans le domaine nucléaire - même si le TNP ne concerne en réalité que sept ou huit pays. Je dis simplement qu'à l'échelle planétaire, la notion de contrat assorti de pénalités est une fausse bonne idée. Je n'y crois pas.
En revanche, il faut que tous les pays du monde entrent en mouvement. Et il faut que chaque pays puisse s'assurer que les autres pays évoluent dans les mêmes proportions, compte tenu de leur point de départ. Cela nécessite des mécanismes de garantie automatique.
En réalité, ce qui s'est passé à Copenhague, c'est, d'une part, que les professionnels de la négociation climatique se sont montrés réticents à laisser la place aux chefs d'Etat, et, d'autre part, qu'ils ont imaginé pouvoir concilier une rencontre au sommet avec la signature d'un acte de type contractuel. Mais cela n'avait aucun sens, et c'est pourquoi le procès qui a été fait aux chefs d'Etat et de gouvernement constitue à mes yeux un déni de démocratie. Ces personnalités n'étaient pas convoquées par un juge d'instruction, elles venaient librement. Il était déjà étonnant qu'un Medvedev, un Obama, un Jiabao, un Singh, un Lula puissent se réunir dans la même salle.
Les conséquences de cette inculture sont ravageuses. Que se sont dit en effet les peuples d'Europe ? D'abord, que si le reste du monde ne fait pas d'efforts, eux-mêmes n'ont aucune raison d'en faire. Et ensuite, que si tous ces gens n'ont pas été capables de se mettre d'accord, c'est sans doute que la situation n'est pas si grave. Et voilà comment M. Claude Allègre peut vendre 150 000 exemplaires de son bouquin en un mois ! Ce processus de formatage de la pensée me paraît extrêmement grave.
Déjà, à New Delhi, le ministre de l'Environnement, M. Jairam Ramesh, a été vivement critiqué par son parlement, lorsqu'il a évoqué une évolution de la position de son pays vers plus de souplesse dans les négociations. Mais quant au Premier ministre, il n'aurait pas tenu huit jours s'il avait accepté de remettre en cause, au nom de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le processus par lequel l'Inde est en train de sortir de la pauvreté. Rappelons que cette dernière n'émet que 1,2 tonne de CO2 par habitant, contre plus de 20 pour les Etats-Unis. Le paradoxe, c'est que les pays où les enjeux environnementaux sont les plus importants sont aussi ceux dont la croissance est la plus forte, ceux qui subissent de la façon la plus violente les conséquences du dérèglement climatique et de la réduction des ressources, et donc ceux qui agissent le plus brutalement pour réduire leurs émissions. Ils ne comprennent pas notre comportement, et en viennent à se demander si notre attitude - notamment celle de la presse, mais celle-ci ne fait que refléter l'opinion des élites occidentales - ne cache pas un refus d'honorer nos engagements en matière de réduction des émissions. C'est ainsi qu'ils interprètent l'affirmation selon laquelle la Conférence de Copenhague est un échec.
Je sais que mes propos ne correspondent pas à l'opinion la plus répandue. Mais telle est ma conviction, après avoir travaillé sur ces sujets à temps plein pendant deux ans, effectué de nombreux tours du monde et rencontré tous les dirigeants. Nous devons mettre en place un système automatique de garanties. La Chine doit mettre en place des quotas d'émissions. Les Etats-Unis doivent donner un prix au carbone. Voilà une véritable négociation à mener, non seulement avec la plus grande puissance économique du monde, mais aussi avec les autres pays. Des systèmes de vérification internationaux doivent permettre de savoir quels sont, dans chaque pays, les moyens mis en place pour faire évoluer le mix énergétique, améliorer la gestion de l'eau, etc. Mais, compte tenu des enjeux, il ne faut pas imaginer pouvoir étendre au monde entier un petit contrat façon Protocole de Kyoto... Les chefs d'Etat et de gouvernement ont déjà indiqué les efforts auxquels leur pays pouvait consentir. Ce serait une erreur de penser qu'ils sont en capacité de faire autrement.
Plutôt que de répéter qu'il n'y a pas eu d'accord politique à Copenhague, il convient donc de le mettre effectivement en oeuvre. Car cet accord existe : même si vous n'avez pas lu une ligne à ce sujet dans la presse, le 31 janvier, tous les pays avaient notifié les engagements pris oralement par les participants à la Conférence. Personne ne s'est montré défaillant. Et l'ensemble représente 91 % des émissions mondiales : l'essentiel est donc fait. Les vraies questions sont de savoir comment mettre en oeuvre cet accord, comment trouver les financements innovants afin d'assurer la mutation vers un autre bouquet énergétique, comment soutenir les pays les plus vulnérables - les petits Etats insulaires, certains pays d'Afrique, le Bangladesh, le Sud de l'Inde, le Cambodge, qui subissent de plein fouet les dérèglements climatiques mais n'ont pas les moyens de développer des systèmes d'alerte précoce ni de promouvoir les sources d'énergie locales -, comment appliquer le plan "fast start", notamment pour financer la lutte contre la déforestation, etc.
Le problème est que les élites politiques européennes sont tellement désarçonnées par leur incompréhension de ce qui s'est passé à Copenhague qu'il semble ne plus y avoir de véritable pilote des négociations, qu'il s'agisse de l'ONU ou de l'Union européenne. C'est pourquoi nous avons organisé, il y a trois semaines, une réunion à Paris sur le thème du financement de la protection des forêts. Je rappelle qu'à Copenhague, les chefs d'Etat et de gouvernement s'étaient engagés à faire de cette politique une priorité, et d'y consacrer au moins 20 % des 10 milliards de financements " fast start ", car la déforestation représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Les 67 pays participants ont accepté que la France pilote cette opération, que le secrétariat permanent soit installé à Paris et qu'il puisse commencer à travailler sérieusement.
Le président Pierre Lequiller s'est demandé s'il fallait agir à l'intérieur ou à l'extérieur de l'ONU. Les deux types de processus sont nécessaires. Mais, s'agissant de décisions politiques prises au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, autant passer par le système diplomatique actuel et ne pas ajouter de la complexité. Car ce système est très complexe, non seulement parce qu'il fait entrer en jeu 192 pays différents, mais aussi parce que les représentants de certains Etats subissent le joug d'autres pays. Ainsi, parmi les pays qui se sont opposés à l'accord de Copenhague, on retrouve quelques grands producteurs de pétrole, le Venezuela, Cuba. A cet égard, la grande naïveté des commentateurs internationaux m'a stupéfait : ils commentaient leur propre inculture.
Il ne faut pas imaginer que l'on pourra refaire cette Conférence : plus jamais on ne réunira 130 chefs d'Etat et de gouvernement, représentant 95 % des émissions de gaz à effet de serre. Cela n'était jamais arrivé, sur aucun sujet. Et l'on est allé expliquer aux peuples du monde que ce n'était rien !
Le risque est donc l'absence de pilotage, et à ce sujet, je vous le dis honnêtement : heureusement qu'il y a la France. Je ne vois pas qui d'autre pourrait assumer le pilotage sur la forêt, les actions "fast start" ou les financements innovants. Nous disposons pour cela d'alliés puissants, notamment l'Afrique, désormais bien organisée autour du Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, et du ministre de l'Energie de la République démocratique du Congo. Notre ambition n'est évidemment pas de renégocier Copenhague, ce qui serait une folie, mais de réussir la mise en musique de la Conférence. Nous devons être à nouveau positifs et optimistes afin d'entraîner les peuples du monde - ou plutôt les peuples de l'Europe sous domination intellectuelle anglo-saxonne, car à part le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, la France et l'Allemagne, le monde entier a trouvé que cette Conférence avait donné de bons résultats.
Tel est mon sentiment sur le processus de négociation internationale. Si nous voulons agir à l'échelle mondiale, nous ne pouvons pas nous permettre de rechercher une solution sans le Brésil, le Mexique, la Corée du Sud ou la Chine. Il faut parvenir à mettre en place des processus à la fois exigeants et acceptables du point de vue de la souveraineté, et instituer un système transparent et s'appliquant à tous, de façon à limiter les problèmes de compétitivité. Nos amis chinois viennent d'ailleurs de m'annoncer qu'ils allaient mettre en place une taxe carbone expérimentale dans les provinces de Pékin, de Tientsin et de Shanghai.
Cela m'amène à la question de la taxe aux frontières, qui est moins une mesure protectionniste qu'une question de fair-play : il s'agit d'inclure le prix du carbone dans tous les produits, qu'ils soient fabriqués localement ou importés. Contrairement à ce qu'ont prétendu certains pays, une telle disposition ne serait pas contraire aux règles de l'OMC. Et si les pays européens y étaient opposés, c'est surtout parce qu'ils n'étaient pas favorables au "paquet énergie climat", qui comprend notamment l'engagement de réduction des émissions de 20 % pris en décembre 2008 sous Présidence française. Le "paquet énergie climat" ayant été adopté à l'unanimité, la plupart des Etats membres sont désormais favorables à la taxe aux frontières. Aux Etats-Unis, la Chambre des représentants a adopté la proposition de loi Waxman, qui contient le même dispositif sous une autre forme. Et je me rends prochainement à Washington afin de coordonner nos efforts. Ainsi, selon toutes vraisemblances, nous devrions disposer au moins de juin - même s'il faudra probablement encore six à huit mois pour le boucler - d'un dispositif commun applicable aux Etats-Unis, dans l'Union européenne et dans trois provinces chinoises.
Par ailleurs, sur notre demande, la Commission européenne doit faire une proposition de révision de la directive sur la taxation de l'énergie, de façon à intégrer le critère des émissions de carbone.
Tout le monde fait preuve de bonne volonté. Tout le monde sait que la compétitivité de demain se trouve là : dans des turbines plus performantes, des centrales à charbon propres, des systèmes de captage et le stockage du carbone. Pensez-vous une seconde que les Chinois sont assez naïfs au point de ne pas comprendre que la compétitivité liée aux bas coûts n'aura qu'un temps ? Leur vrai combat est celui de la performance énergétique, au sens le plus large.
Q - (Concernant le coût lié à la constitution des dossiers techniques pour les entreprises)
Q - (A propos du bilan du Sommet de Copenhague)
Q - (Au sujet de l'après Copenhague)
R - Plus l'entreprise est petite, plus il est compliqué pour elle de constituer un dossier et d'acquérir les éléments d'information nécessaires. Sur le troisième sujet, qui concerne la propriété des solutions, un groupe de travail comprenant des professionnels doit nous faire des propositions dans les semaines qui viennent. En ce qui concerne les coûts d'information, une mission a été lancée pour organiser la concertation avec les branches, les chambres de métier et les chambres de commerce, et recenser les points de difficulté avec les directions régionales de l'environnement et de l'aménagement du territoire. Je ne suis donc pas encore en mesure d'apporter une réponse complète sur ce sujet, mais le problème est réel.
D'une manière générale, il existe des points de tension concernant le règlement REACH sur le contrôle des substances chimiques, et il ne faut pas sous-estimer les difficultés qu'entraîne son application pour les entreprises françaises, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Nous travaillons actuellement sur le sujet.
Contrairement à une idée répandue, chacun des grands pays concernés a notifié à l'ONU les engagements chiffrés pris oralement par les chefs d'Etat et de gouvernement pendant la Conférence de Copenhague. La plupart l'ont même fait avant le 31 janvier. C'est le cas pour un ensemble de pays représentant plus de 90 % des émissions de gaz à effet de serre. En outre, les deux tiers ont également indiqué les plans qu'ils comptaient mettre en oeuvre pour y parvenir.
Pour suivre ces engagements, il nous paraît indispensable de mettre en place une organisation mondiale de l'environnement. Elle ne doit pas être un tribunal, mais plutôt un lieu d'influence, de négociations, de transmission des pratiques. On pourrait même envisager qu'elle ait le droit de présenter des questions préjudicielles par rapport à l'OMC.
En effet, nous devons nous poser la question de savoir quelle est la limite du droit des échanges par rapport à un prix donné. Ainsi, un certain nombre de pays soutiennent la nécessité d'une gestion durable des forêts. Or la gestion durable du Bassin du Congo, par exemple, a un coût très important. Cela implique un travail scientifique très élaboré - de nombreux professionnels français sont d'ailleurs mobilisés en ce sens - et des moyens très importants. Cela coûte bien plus cher que de se contenter d'abattre des arbres, leur faire descendre le fleuve, les charger sur un cargo et les envoyer chez Ikea. Il faut bien que l'Organisation du commerce en tienne compte si l'on souhaite que toutes les forêts du monde soient gérées de la même façon.
Cette organisation mondiale pourrait voir le jour dans trois ans, soit vingt ans après le Sommet de Rio. Sous la forme que j'ai indiquée - c'est-à-dire celle d'une organisation souple de pilotage, d'une puissance d'influence et non d'un tribunal -, elle ne rencontre plus beaucoup de résistances. Mais ce que nous disent nos interlocuteurs, c'est qu'il ne faut pas mêler la création de l'OME, qui relève d'un sujet plus vaste, avec les suites de Copenhague. En effet, si une telle organisation était chargée du suivi des engagements pris pendant la Conférence, cela reviendrait à sortir du système onusien des COP. Il y a eu suffisamment de malentendus comme cela.
L'Europe est-elle en situation de pousser les choses ? L'Union européenne est probablement l'organisation la plus concernée et la plus capable en ce domaine, mais elle n'est pas homogène. Pour aborder de tels sujets, la durée d'une présidence tournante paraît extrêmement courte. Quant à la présidence permanente, elle doit trouver ses marques. Ce qui peut faire bouger les choses, c'est un accord entre la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, susceptible d'entraîner les autres Etats membres.
J'ai ici un document indiquant la position de chaque membre de l'Union sur le mécanisme d'inclusion carbone - MIC -, c'est-à-dire la taxe carbone aux frontières. Sur ce sujet, la France était complètement isolée il y a un an. Aujourd'hui, en Allemagne, la chancelière est plus convaincue que certains ministères techniques ; l'Autriche, la Belgique, l'Estonie, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Lituanie, le Luxembourg, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie sont favorables ou plutôt favorables à cette idée ; en Bulgarie et au Portugal, son examen est en cours ; l'Espagne adopte une position d'attente ; le Royaume-Uni, d'abord hostile, ne s'est pas opposé à la rédaction des conclusions du Conseil européen que nous avons proposée ; la Slovénie juge le débat prématuré. Quant aux Pays-Bas, ils sont encore réservés. Seul le Danemark est vraiment opposé à ce mécanisme. Nous sommes donc proches d'un résultat sur ce sujet. D'ailleurs, à partir du moment où l'Europe adopte le "paquet énergie-climat", une telle évolution est logique. Je n'ai donc pas d'inquiétude quant à la réussite de cette initiative ; ce qui me tracasse, c'est de faire en sorte que les Chinois s'y rallient. De toute façon, le véritable objectif, c'est d'aboutir à un marché mondial du carbone. Dans ce cas, une taxe carbone deviendrait inutile.
M. Deflesselles a évoqué l'accord politique à vingt-neuf. Il faut rappeler à ce sujet que les organisateurs de la Conférence n'avaient pas prévu la moindre réunion de chefs d'Etat et de gouvernement, mais seulement un dîner avec la famille royale ! Il a fallu que les présidents brésilien et français protestent vivement pour qu'à 23 heures, dans une salle plus petite que celle où nous nous trouvons, une telle réunion ait lieu. Chaque sous-continent, région ou organisation a donc désigné ses représentants, si bien que les vingt-neuf présents représentaient en fait l'ensemble des pays participant à la Conférence. Ainsi, Mme Angela Merkel et M. Nicolas Sarkozy parlaient pour les vingt-sept pays de l'Union, MM. Meles Zenawi et Jacob Zuma pour l'ensemble de l'Afrique, etc.
Vous avez indiqué que la somme des engagements notifiés au 31 janvier correspondait à une réduction de 18 % des émissions, alors qu'il faudrait entre 25 et 40 %. C'est vrai pour les pays industrialisés, mais les pays émergents vont plutôt plus loin. Et si on avait laissé s'appliquer la formule Business as usual, on aurait une augmentation de 30 % ! L'inversion de tendance est donc acquise.
En ce qui concerne le financement de 2,4 milliards, la clé de répartition est fixée. Mais cela ne signifie pas que les chèques soient remplis.
Q - (Concernant la gouvernance dans ce domaine)
R - Si grande que soit mon admiration pour le travail admirable des négociateurs, qui sont de véritables professionnels et participent chaque année à une CoP et à neuf rendez-vous autour du monde, il vient toujours un moment où la mutation dépend des chefs d'Etat. Ce deuil indispensable des experts a été mal géré à Copenhague. Leur travail sera cependant à nouveau nécessaire après la décision des chefs d'Etat. Certaines décisions doivent se prendre à un certain niveau. C'est crucial.
Q - (Au sujet du plan "justice-climat")
R - Je ne me sens pas défenseur d'un processus que la France aurait engagé. Ce serait du reste faire trop d'honneur à la France que de la considérer comme l'alpha et l'oméga de Copenhague. En revanche, je m'efforce de m'ouvrir et d'échanger autant que possible.
Du reste, nous avions parfaitement pressenti et analysé ce qui s'est produit. En présentant à la Commission des Affaires économiques et du Développement durable, qui était alors compétente en la matière, le plan "justice-climat", j'ai rappelé que la France, qui avait négocié le "paquet énergie-climat" européen, était bien placée pour savoir combien cette négociation entre vingt-sept partenaires ayant la même culture et les mêmes procédures avait été difficile. Compte tenu de ces difficultés, il n'y avait pas une chance sur un milliard d'obtenir un accord de même nature à Copenhague. Or, le plan "justice-climat" français correspond exactement à la décision politique de Copenhague.
J'avais alors déclaré, en des termes qui ont fait ricaner certains qu'il faudrait que les "tauliers", c'est-à-dire les chefs d'Etat et de gouvernement, soient présents à Copenhague. De fait, c'est bien la France qui les y a fait venir - non que nous soyons plus malins que les autres, mais, je le répète, nous avions assez souffert pour obtenir un accord à vingt-sept pour savoir que nous ne pourrions pas en obtenir un semblable à 130.
Le plan "justice-climat" propose même un tableau des propositions d'engagements notifiées. Il prévoit que les pays qui peuvent revenir en annexe 1 doivent le faire, et que, pour les autres, il n'est pas dramatique qu'ils ne le puissent pas. Ainsi, même si les Etats-Unis n'intègrent pas l'annexe 1, ils doivent pouvoir accélérer le mouvement d'ici 2030. Quant à la Chine, elle devrait pouvoir réduire son intensité carbone. Nous étions convaincus qu'un plan tel que "justice-climat" était nécessaire pour les pays les plus vulnérables. C'est le sens des dix milliards prévus au titre du "Fast Start" et des 100 milliards promis à terme. Bien avant Copenhague, donc, nous étions conscients de toutes ces questions.
En revanche, la position américaine a été mal évaluée. Nous espérions que Barack Obama, participant en personne à la conférence, apporterait en cadeau de bienvenue un engagement à réduire de 21 % ou 22 % les émissions de CO2 de son pays, au lieu des 17 % prévus. Pour tout le reste, les résultats correspondent parfaitement à ce qui figurait dans le plan "justice-climat".
Il n'est pas juste de dire, comme le fait M. Tourtelier, que les résultats sont inférieurs aux attentes. Cette idée est le résultat d'une opération de désinformation extravagante. Nous sommes en guerre - une guerre qui mobilise chaque mois des centaines de millions de dollars et dans laquelle nous sommes manipulés comme des gamins ! Or, les pays ont formulé des engagements - je pense par exemple à l'Australie, à la Biélorussie (-10 %), au Canada (passant de + 26 % à -17 %), à la Croatie, aux Etats-Unis (de -17 % à -42 % en 2030).
Q - Quelle crédibilité ont-ils ?
R - Celle d'Etats souverains qui décident d'engager leurs peuples ! N'allons pas dire, en tout cas, que nous attendions autre chose : relisez le plan "justice-climat". J'ai assez dit qu'il n'y aurait pas d'accord de type européen à 192.
Il reste vrai que les enjeux économiques de cette guerre sont considérables et que nous sommes d'une naïveté stupéfiante, face à des groupes d'Etat - je pense en particulier au G77 - qui, à bien des égards jouent un rôle ne correspondant pas à la réalité. Dans cette guerre, nous avons été manipulés. L'opération est fabuleusement bien montée. Pour réussir à expliquer pendant cinq jours aux délégués, dans le hall de la conférence, que les discussions entre MM. Obama et Medvedev ne représentaient rien, il fallait mettre en oeuvre de gros moyens et avoir prévu le coup depuis très longtemps. Je le répète : relisez attentivement le plan "justice-climat" et gardez-vous de la désinformation.
Dans cette guerre, les "climatocyniques" jouent leur rôle : regardez donc qui a dit quoi, et quand. Une réduction de la production énergétique mondiale a des conséquences financières et géopolitiques très directes - c'est même le plus grand bouleversement qui soit. Une telle décision ne peut pas être prise au niveau des négociateurs, mais seulement à celui des chefs d'Etat et de gouvernement.
Pour ce qui est du suivi, n'essayons pas de faire croire que nous pourrions avoir un traité instituant une cour de justice. Voyons plutôt quels mécanismes automatiques et vérifiables peuvent être mis en place. Le partage transparent de l'information est un moteur d'influence majeur - même si se posent par ailleurs des problèmes liés aux brevets.
L'Europe ne s'est pas montrée divisée, malgré des différences d'ordre culturel - nos amis du Nord de l'Europe étant par exemple moins exigeants vis-à-vis des Etats-Unis, dont l'engagement nous semblait relativement faible. Sur cette question, les positions des pays européens sont complexes, avec une Europe du Sud qui ne se montre pas très intéressée et ne bloque jamais les décisions, une Europe de l'Est en transition, angoissée mais consciente de la chance qui lui est offerte, et une Europe du Nord donneuse de leçons, bien que le pays hôte de la réunion ait lui-même dérapé de plus de 20 % par rapport aux objectifs de Kyoto.
Dès lors qu'on admet qu'il est extraordinaire que les chefs d'Etat se soient déplacés et aient confirmé leurs déclarations, il n'y a pas lieu de présenter Copenhague comme un échec. Réunir 130 chefs d'Etat sur cette question est bien un succès, malgré le lavage de cerveau auquel nous sommes soumis depuis des mois. Du reste, même s'il existait un doute, nous aurions tout intérêt à considérer qu'il s'agit d'un succès, faute de quoi il serait difficile de justifier que l'on consacre les 10 milliards de dollars du "Fast Start" à des engagements qui n'existent pas - ce qui autoriserait certains à ne rien faire en attendant la conférence de Cancun. Comment demander des fonds à des Etats que l'on traite d'incapables ?
Mon propos n'était pas de défendre les chiffres, mais de signaler à M. Tourtelier, qui déplore la disparition d'engagements chiffrés à Copenhague en décembre 2009, que ces chiffres ont été notifiés officiellement le 31 janvier 2010 - et qu'ils étaient parfois même supérieurs à nos prévisions. Quand le monde se met en mouvement, on peut choisir d'applaudir et d'emmener les autres avec soi, ou de regretter que ce ne soit pas assez bien - et c'est alors la victoire de ceux qui ne veulent pas avancer.
Pour ce qui concerne l'éolien, je tiens d'abord à souligner l'idée que, pour atteindre un taux de 23 % de production d'énergie à partir de sources renouvelables, il faudrait 10 % d'électricité éolienne, est contredite par la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité (PPI). La production qui progresse le plus en France est la biomasse, pour laquelle les deux premiers appels d'offres ont été remplis à 100 % et qui donnera lieu prochainement à un troisième appel d'offres. Je vous communiquerai les chiffres exacts de ce développement au cours des deux dernières années. Personne plus que moi ne souhaite développer l'éolien - lequel a d'ailleurs progressé de 82 % l'année dernière -, mais il est indispensable d'encadrer ce développement, sans quoi il ne se fera pas.
C'est là un débat que nous aurons prochainement.
Après avoir privilégié les installations les plus faciles à mettre en oeuvre, le niveau de recours est aujourd'hui trop important. Il est fréquent que des installations soient hors service, faute de cohérence dans l'implantation. On peut certes, comme pour l'électricité photovoltaïque, débattre du calibrage, qui peut sans doute être ajusté, mais pas de la philosophie générale.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, nous disposerons vers le 2 ou 3 mai d'un point plus précis sur la puissance installée et les demandes de raccordement. Le problème est celui de la surchauffe : le développement est bien plus rapide que prévu, ce qui induit des problèmes de formation, de contre-performance et de malfaçons - sans parler des aspects financiers, sur lesquels le président et le rapporteur général de la Commission des finances auraient certainement bien des choses à dire.
Le système de bonus-malus écologique a déclenché une appréciation chez les constructeurs automobiles du "mass market", français et autres, et il est apparu, comme le montre du reste votre rapport, qu'il fallait mener toutes les évolutions de front, sous peine d'échec. Cela suppose donc un programme d'infrastructures de 300 millions d'euros, notamment pour l'implantation dans les principales collectivités territoriales, sous dix-huit mois, de points recharge munis des prises qui ont fait l'objet d'un accord avec l'Espagne, l'Allemagne, la Belgique et la Suisse - et bientôt, je l'espère, avec tous les autres pays européens -, le développement, par sécurité, d'une double filière de batteries reposant sur les technologies ions et polymères, le développement des filières professionnelles et le bonus à 5 000 euros. Il s'agit là d'un système cohérent, et cela d'autant plus que l'énergie produite en France est globalement moins carbonée qu'ailleurs. La stratégie électrique de notre pays est pragmatique et elle avance. Votre rapport, Monsieur Voisin, est donc un atout qu'il nous faut étudier d'un point de vue très pratique.
La taxe aux frontières vise à répondre aux disparités de taxation des émissions de carbone liées à la production d'énergie. Les Etats opposés à la directive européenne sur le prix du carbone - soit, au moment de la décision, vingt-six sur vingt-sept, compte tenu des intérêts des industries de chaque pays - sont aujourd'hui de moins en moins hostiles à une taxe carbone aux frontières, quatre pays conservant une position ambiguë - dont le Danemark, qui y est plutôt opposé.
Ce mécanisme a vocation à être mis en place, puis démonté. L'important est que la Chine l'adopte. Je précise à ce propos que M. Zhenhua m'a indiqué lundi dernier que trois expérimentations étaient en cours dans trois provinces chinoises, à Pékin, Tianjin et Shanghai, et je ne désespère pas de voir se mettre en place à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine un marché mondial du carbone ou, à tout le moins, trois marchés - l'un américain, l'autre pour une partie de la Chine et le troisième pour l'Europe.
Le mécanisme de taxe aux frontières n'est donc pas un objectif en soi : la réussite serait de pouvoir l'éviter. Si, en revanche, on ne montre pas sa détermination à le faire, il ne se passera rien et l'on ne fera que s'attirer des reproches.
Q - Quelle est la position de la Commission européenne sur le refus des quotas ?
R - Un premier élément de réponse, qui dépasse le cadre européen, tient à ce que, l'attribution de quotas étant par nature imparfaite, certains pays, du fait de l'effondrement de leur production industrielle, disposent d'une grande quantité de quotas excédentaires, ce que l'on a dénommé l'"air chaud". A Copenhague, tout le monde craignait que cette question soit introduite dans la discussion, notamment par les Russes. Il n'est donc pas question de toucher à ces quotas - qui, du reste, seront caducs à la fin du processus de Kyoto. Cette question est très sensible.
La deuxième raison est qu'il n'est peut-être pas indispensable d'imposer la modification d'un système qui doit prendre fin dans deux ans - sans compter qu'une directive sur l'électricité carbonée doit prochainement être adoptée.
La forêt pose un énorme problème. Les règles de comptabilisation des émissions prévues par le Protocole de Kyoto ne sont pas satisfaisantes car elles conduisent à minorer les émissions des Etats ayant des politiques peu protectrices des forêts. Ainsi la Suède et le Danemark ont procédé à des calculs forfaitaires et si on recalculait aujourd'hui leurs émissions réelles, le chiffre bondirait de 12 %. Pour la France, à l'inverse, du fait de la reforestation historique des trente dernières années, ce chiffre serait aujourd'hui inférieur de 8 %. L'Autriche est dans le même cas que la Suède et le Danemark, le vrai leader dans ce domaine - et notre meilleur allié - étant la Norvège. Ces situations différentes expliquent la difficulté d'arriver à une position unique de l'Union européenne sur cette question.
Je vous confirme que le nucléaire n'est pas inclus dans les secteurs émetteurs de CO2.
Q - Quelle sera la réflexion de la France sur le traitement des déchets nucléaires ? Quelle aide apporterons-nous aux pays en voie de développement ?
R - Il existe une politique des déchets, qui fait l'objet de critiques de la part des antinucléaires et d'un contrôle exigeant de la part de ceux qui considèrent que, compte tenu du contexte, le nucléaire est un savoir-faire utile, ou de ceux qui sont ouvertement partisans de cette technologie. La gestion des déchets est indispensable et elle est assez bien contrôlée en France.
Quant aux autres pays, la France ne se mêle pas de la gestion de leurs déchets, à moins bien sûr qu'ils ne lui demandent une assistance dans le cadre de contrats.
Pour ce qui est du financement, j'insiste une fois de plus sur le fait qu'on ne peut pas à la fois mépriser l'argent mis sur la table par les 130 chefs d'Etat qui se sont réunis à Copenhague et leur en demander plus. C'est une question de cohérence. Sur proposition française - le plan "justice-climat" -, les chefs d'Etat ont prévu un financement de dix milliards de dollars par an, pour atteindre 100 milliards en 2020, sous forme notamment de financements innovants.
Nous avons proposé une étude sur les financements innovants, dont les bénéficiaires sont définis. Une grande avancée de Copenhague a consisté à distinguer les grands pays émergents, qui ne seront pas bénéficiaires de ces financements, et les pays réellement pauvres et vulnérables. C'est là une véritable révolution géopolitique. Ce travail, confié à M. Meles Zenawi, Premier ministre éthiopien, et au Premier ministre britannique, M. Gordon Brown, est en cours. La France, qui y participe, propose un prélèvement sur les transactions financières. D'autres Etats souhaitent une formule mixte entre les transactions financières et le transport maritime. Une prochaine réunion est prévue pour le 31 mai. M. Jean-Pierre Landau, brillant auteur d'un rapport de 2004 sur les financements innovants, reste associé à ces travaux.
J'ai la certitude absolue qu'il y aura une nouvelle donne financière mondiale. D'ici là, il importe de mettre en place des mécanismes concrets mettant en oeuvre les engagements politiques de Copenhague. Sur les 10 milliards de dollars prévus pour le financement "fast start", la part de l'Europe est de 2,4 milliards, soit environ 280 millions pour la France. Je précise qu'il ne s'agira pas de fonds recyclés, malgré la tendance naturelle des donateurs en ce sens. A cet égard, je ne cesse de répéter qu'en présentant Copenhague comme un échec, le risque est de repousser la mise en oeuvre de ces financements. Restons donc vigilants.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2010