Déclaration de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du gouvernement, sur la sécurité à l'école, la prévention de la violence et les conditions d'exercice du métier d'enseignant, Paris le 7 avril 2010.

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Circonstance : Ouverture des Etats généraux de la sécurité à l'école à Paris le 7 avril 2010

Texte intégral

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La sécurité est le premier droit des Français. Celui auquel ils sont légitimement le plus attaché. À fortiori lorsqu'ils confient à l'École ce qu'ils ont de plus cher : leurs enfants.
La violence a longtemps fait partie du quotidien de nos aïeux. Si elle était redoutée, elle n'en était pas moins familière. L'un des grands acquis de notre temps est d'avoir su la reléguer aux marges de la civilisation. Aujourd'hui, dans nos sociétés contemporaines, la violence est devenue intolérable.
Elle l'est d'autant plus lorsqu'elle survient à l'École, vivant symbole de la transmission de la connaissance et des valeurs de la République.
Au cours des derniers mois, l'École, et à travers elle la société française tout entière, a été frappée par une succession de faits de violence. Mais ne faudrait-il pas plutôt parler de « violences » au pluriel ?
Tous nos compatriotes se sont émus de l'agression à l'arme blanche d'un élève du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine, par une bande de jeunes venus de l'extérieur. Ils se sont aussi émus de l'intrusion brutale et inexpliquée d'individus cagoulés et armés dans le gymnase d'un établissement scolaire de Thiais.
Plus récemment, ils ont forcément entendu parler de l'explosion d'une bombe artisanale dans un lycée de Metz et du tir de pistolet à grenaille en direction d'une enseignante dans un établissement de Strasbourg.
Ils ont surtout été bouleversés par la mort d'un enfant, dans l'enceinte même de son établissement, le lycée Darius-Milhaud du Kremlin-Bicêtre, à la suite d'un banal différend amoureux.
Devant de tels actes, la Nation est rassemblée derrière ses enseignants qui oeuvrent au quotidien pour combattre la haine de l'autre, l'intolérance, l'ignorance. Je le redis devant vous : nous savons combien nous leur devons. Mais pour que cet hommage prenne toute sa dimension, je veux que l'on parle dans cette illustre enceinte d'autres formes de violence, plus insidieuses, moins médiatisées, mais qui ruinent aussi sûrement leurs efforts et peuvent les conduire à l'isolement.
Oui, je souhaite que nous puissions parler de toutes les formes de violence, y compris de celles dont on parle le moins dans les médias. Car les agressions des derniers mois masquent la souffrance discrète, la souffrance contenue, la souffrance profonde des professeurs, comme celle des élèves. Ces professeurs et ces élèves qui chaque jour, dans la classe, dans l'établissement et parfois même dans la rue, subissent une violence silencieuse. Allons au fond des choses : qui ose aujourd'hui parler de la peur des enseignants ? La peur au moment de rentrer en classe, la peur d'un regard, la peur d'un mot blessant, la peur d'un chahut.
Les faits de violence spectaculaire ont entraîné une profonde émotion, pleinement légitime, au sein de notre communauté éducative et bien au-delà.
Mais à présent, il nous faut dépasser l'émotion si nous voulons comprendre et traiter au fond la question si sensible et si complexe de la violence en milieu scolaire. Ce que j'ai souhaité le 16 février dernier en annonçant la tenue d'États généraux, c'est donc que nous retrouvions la sérénité et la clarté nécessaires pour aborder, sans préjugé, le sujet de la sécurité à l'École.
Dépasser les préjugés, c'est d'abord réfléchir sans tabou et refuser les antagonismes d'antan. À quoi bon opposer sécurisation et protection, formation et responsabilisation, prévention et sanction ? Je veux dépasser l'opposition entre les tenants du tout sécuritaire et ceux du tout pédagogique. Car nous savons bien que la sécurité de nos enfants mérite mieux qu'un débat idéologique.
Dépasser les préjugés, c'est aussi reconnaître que la sécurité est l'affaire de tous. Chacun a bien sûr ses responsabilités, mais seule la conjugaison de nos actions pourra faire reculer la violence à l'École.
Voilà pourquoi j'ai invité les membres du Gouvernement qui ont des responsabilités dans ce domaine à se joindre à nous. Je pense, en particulier, au ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés. Je pense aussi au ministre de l'Intérieur. Je pense encore à la secrétaire d'État à la Famille et à la Solidarité ainsi qu'à la secrétaire d'État chargée de la politique de la Ville. [Ils nous rejoindront au cours de ces deux journées d'échange et je tiens dès à présent à les en remercier].
Dépasser les préjugés, c'est enfin, pour l'École, accepter de se livrer à l'examen objectif du regard social, scientifique, universitaire et international pour aborder sans tabou toutes les pistes possibles qui permettront de faire reculer la violence en son sein.
Mesdames et messieurs,
Les États généraux de la sécurité à l'École, c'est une ambition qui se décline en trois mots :
* comprendre, prévenir, agir. Comprendre le phénomène de la violence dans ses enjeux, ses origines, ses manifestations et ses conséquences
* prévenir en appuyant sur l'ensemble des leviers qui sont aujourd'hui à notre disposition pour garantir la sécurité des personnes et des biens
* agir tout simplement parce que notre réflexion doit déboucher sur des préconisations concrètes à court, à moyen et à long terme
Les États généraux de la sécurité à l'École, c'est une démarche scientifique. Cher Éric Debarbieux, vous avez accepté le 11 mars dernier de prendre la tête d'un Conseil scientifique qui rassemble des chercheurs éminents venus d'horizons les plus divers.
Quand je dis « horizons », je pense bien sûr à vos disciplines respectives, mais je veux aussi rappeler que certains de ceux qui nous font l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui sont parfois venus de très loin. Je pense en particulier à Égide Royer, professeur à l'université Laval au Québec, co-directeur de l'Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l'École. Je pense aussi à Russel J. Skiba, professeur de psychologie de l'éducation au Centre pour l'évaluation et la politique éducative de l'université de l'Indiana (États-Unis). Je pense enfin Davis Farrington, professeur à l'université de Cambridge (Royaume-Uni) ou à Laurier Fortin, professeur au département de psychoéducation de l'université de Sherbrooke (Québec)
Le Conseil scientifique a contribué à la conception du programme de ces deux journées et a établi un document de cadrage destiné à servir de référence à notre réflexion. Gage de la rigueur scientifique de nos travaux, les membres de ce Conseil et d'autres chercheurs nous accompagneront jusqu'à demain. Mais je veux le dire d'emblée, leur mission ne s'arrêtera pas là. Nous aurons besoin d'eux pour suivre et évaluer la mise en oeuvre des orientations qui émaneront de nos échanges.
Les États généraux de la sécurité à l'École, c'est une méthode de travail fondée sur la consultation de l'ensemble des représentants de la communauté éducative et de nos partenaires. Cette méthode de travail a été inaugurée par Alain Bauer à qui j'avais, dès le mois de novembre dernier, confié une mission d'analyse sur les sanctions disciplinaires et la place des familles dans le système éducatif. Alain Bauer a consulté très largement et vous présentera, dans un instant, le fruit de ses réflexions.
Les consultations se sont accélérées dans la perspective de ces États généraux avec les autres ministères concernés par la sécurité à l'École, avec les organisations syndicales, mais aussi avec les fédérations de parents et les associations lycéennes.
Enfin, Jean-Marc Roirant, le secrétaire général de la Ligue de l'enseignement, a bien voulu coordonner la réflexion de l'ensemble des acteurs associatifs partenaires de l'École. Je tiens à l'en remercier chaleureusement.
Mesdames et messieurs,
Le Président de la République a fait de la sécurité la première des priorités de son action. Assurer la sécurité de nos enfants est pour chacun d'entre nous une exigence impérieuse, un devoir supérieur. Voilà qui suppose de prendre tout à la fois le temps de la réflexion et de l'action.
Au cours des dernières semaines, l'École a vécu des drames dont les médias se sont largement fait l'écho. Mais nous ne saurions passer sous silence ces violences méconnues, silencieuses, qui brouillent chaque jour la sérénité des apprentissages, la promesse de l'École. Et de cette violence rentrée, je le redis, il faudra aussi faire toute la lumière au cours de ces États généraux.
Vous le voyez, j'ai souhaité que nous puissions aborder l'ensemble des formes contemporaines de la violence en milieu scolaire. Mais être à la hauteur de l'enjeu suppose aussi d'examiner l'ensemble des réponses que nous pouvons y apporter : la prévention, la protection, la formation, la sanction, la répression ou encore l'expérimentation.
Il ne s'agit pas de tracer un énième plan de lutte contre la violence. Nous en avons connu tant... Aujourd'hui, il s'agit bien plutôt d'imaginer, sans tabou mais avec audace, des solutions pragmatiques et innovantes, pour répondre à la diversité des formes de violences auxquelles doivent faire face les élèves, les professeurs et l'ensemble des acteurs de la communauté éducative.
Ce matin, je ne prendrai qu'un seul engagement devant vous : les États généraux de la sécurité à l'École sont sans doute un point d'orgue. Ils ne seront en aucun cas un point final sur la page que nous avons commencé à écrire ensemble.
Source http://www.education.gouv.fr, le 13 avril 2010