Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le théâtre public et privé et les aides de l'Etat, Paris le 16 avril 2010.

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Circonstance : 24ème nuit des Molières à paris le 16 avril 2010

Texte intégral


« Les lois du succès au théâtre tiennent en deux articles », nous dit George Bernard SHAW : « Article premier : elles n'ont pas changé depuis deux mille ans. Article 2 : personne ne les connaît ». Il faut croire, tout de même, que certains les ignorent moins que d'autres !...
Et quand ce sont ceux-là mêmes, les plus experts, devant lesquels je dois m'exprimer aujourd'hui et qui deviennent en quelque sorte, à leur tour, le public, j'avoue volontiers que je me sens un peu intimidé et même en proie à une forme de trac, bien que ce ne soit pas tout à fait « la première ». Le hasard a voulu, en effet, que j'aie eu la chance de présenter la cérémonie, dans un tout autre contexte, l'an dernier. Si ce n'est pas stricto sensu « la première », c'est au moins « la générale », et, en tout cas, il s'agit d'une assemblée plénière des talents de notre théâtre. Car vous tous, que j'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui dans cette maison qui est la vôtre, représentez, vous le savez, le meilleur de la scène française, où que vous soyez sur la chaîne : auteurs, metteurs en scène, acteurs, directeurs de théâtre, scénographes, dramaturges, costumiers, éclairagistes, tous les métiers qui fondent le rayonnement de la grande famille du théâtre.
Je ne voudrais pas vous assommer par un long monologue, une grande scène du ministre, un long « tunnel », mais ce discours se veut un simple « prologue » aux réjouissances, non seulement à la remise des Molières 2010, à Créteil le 25 avril prochain, mais à toutes celles que votre créativité et votre talent nous réservent pour les jours, les mois et les années à venir.
Je suis très heureux que le ministère, où vous êtes chez vous, puisse être le théâtre de cette grande réunion de famille que sont les MOLIÈRES. Au fil des années, cette réunion est devenue une sorte de rituel qui nous permet de nous retrouver, non seulement avant la remise des fameux prix, mais avant le coup d'envoi des festivals de l'été.
Je dis « réunion de famille », car vous composez la grande famille du théâtre dans toute sa diversité : celle, je le disais, des métiers, mais aussi celle des genres, des sensibilités, des esthétiques, des générations, ainsi bien sûr que celle des types de théâtre, publics et privés.
Cette cérémonie « oecuménique », pour ainsi dire, est un moment privilégié où théâtres publics et théâtres privés, trop souvent opposés l'un à l'autre, se rencontrent, dialoguent, apprennent à mieux se connaître et à s'apprécier. Vous savez, d'ailleurs, que je souhaite ce dialogue entre les deux mondes ; je souhaite que des spectacles issus du théâtre privé puissent se produire en tournée sur des scènes publiques et, en retour, que des succès du public, puissent poursuivre leur carrière sur des scènes privées. Dans ce domaine comme dans d'autres, nous avons, je crois, tout à gagner à travailler ensemble, à unir nos forces et à conjuguer nos différences.
À la faveur de cette 24e édition des MOLIÈRES, la grande famille du théâtre est non seulement rassemblée dans sa belle diversité, mais aussi, comme toute famille, autour de ce qui fonde son unité. Je pense notamment au régime de l'intermittence, auquel je suis très attaché, tout comme le Président de la République. Ce régime sera préservé et je ferai tout pour faciliter les négociations en la matière, qui relèvent, vous le savez, de la compétence des partenaires sociaux interprofessionnels. Le régime spécifique de l'intermittence répond à une activité exceptionnelle, à une « exception culturelle » qui est l'un des fondements de notre société et de la qualité de notre vivre ensemble. Elle s'inscrit à la fois dans une logique de solidarité et dans une logique d'excellence, dont vous êtes, plus que tout autre, les représentants emblématiques et exemplaires.
Il y a évidemment un membre essentiel de la famille qui ne doit pas être oublié et ne l'est d'ailleurs pas, étant représenté aujourd'hui non seulement par les membres de différents jurys qui vous ont sélectionnés, mais aussi par chacun d'entre nous : c'est, bien sûr, le public, le public sans lequel le théâtre n'existerait tout simplement pas, non seulement pour des raisons financières, mais parce que c'est lui qui est, au fond, la raison d'être du spectacle de théâtre, tout au long de l'année et bientôt, je le disais, dans les nombreux festivals qui vont bientôt frapper les trois coup et lever le rideau sur leurs nouvelles programmations de l'été.
C'est toujours le public qui a été au centre du théâtre : dans l'Antiquité lors des grandes dionysies athéniennes, sur les gradins du Globe où le public londonien pouvait découvrir les grandes créations de SHAKESPEARE, au Grand Siècle de CORNEILLE, RACINE et MOLIÈRE, lorsque la grande règle, reprise d'HORACE, était de « plaire », fût-ce en se moquant des prétendues règles. Car comme disait VOLTAIRE : « Tous les genres sont bons, sauf le genre ennuyeux »... C'est pour lui que nous avons fait la grande décentralisation théâtrale - pour lui que nous encourageons les tournées jusque dans les zones rurales, notamment avec les Tréteaux de France, qui font revivre l'esprit de la première troupe de MOLIÈRE, « l'Illustre Théâtre » - pour lui que nous portons collectivement les politiques tarifaires les plus adaptées, afin que le théâtre devienne accessible à chacun - pour lui que nous sommes en train de redéfinir les labels, afin de les rendre plus lisibles - pour lui, enfin, que nous favorisons la retransmission de captations à la télévision et parfois sur Internet, qui ne visent bien sûr nullement à se substituer à la magie de la présence, mais invitent et incitent à franchir les portes des théâtres, ainsi que les barrières de l'intimidation sociale.
Cette attention exigeante portée au public, le public la rend bien au théâtre, qu'il plébiscite - les chiffres de fréquentation sont là pour en témoigner. Le théâtre, vous le savez, a très bien résisté à la crise. Plus généralement, il a, ces dernières années, consolidé son audience, comme l'a récemment démontré l'Enquête décennale du ministère sur les Pratiques culturelles des Français. Il n'y a certes pas de « recette » pour faire du bon théâtre, mais le bon théâtre, heureusement, continue de faire recette, et je m'en réjouis autant que vous. Il contribue à l'attractivité de nos territoires et au rayonnement de notre pays, notamment par les tournées à l'étranger que je souhaite donc encourager.
Vous savez que j'ai à coeur d'assister à vos spectacles aussi souvent qu'il m'est possible, dans les théâtres publics comme dans les théâtres privés, sans exclusive. Mais mon emploi du temps ne permet évidemment pas de voir tout ce que je voudrais voir, je suis sûr que vous le comprenez, et je compte bien me rattraper pendant la périodes des festivals. Je commence d'ailleurs dès ce soir en me rendant au Printemps de Bourges !
Comme l'an dernier, je prévois cet été de me rendre tous azimuts dans les festivals, pas seulement dans les lieux les plus prestigieux, mais aussi, comme je l'avais fait en 2009, dans des endroits plus modestes, plus confidentiels, mais la magie se marie volontiers aussi à la discrétion et à la sobriété.
Je suis très attaché à cette efflorescence de l'été sur tous nos territoires, qui constituent l'un des grands creusets de notre créativité. A l'instar du Président de la République, lors de ses voeux au monde culturel, je souhaite d'ailleurs que les départements et les régions puissent continuer à exercer leurs compétences en matière culturelle.
D'ores et déjà, je suis en tout cas frappé par l'extraordinaire vitalité de notre théâtre, par l'imagination et l'inventivité dont vous faites preuve, tant pour le répertoire que dans les créations, et j'entends bien faire tout ce qui est possible pour favoriser cette bouillonnante créativité.
Il y a, entre le théâtre et la politique, une affinité profonde qui n'est pas celle que l'on présente ordinairement - et de façon, je crois, un peu superficielle - en soulignant le caractère factice de la représentation : c'est celle de l'action, de la valeur des actes. Dans son Journal, Jules RENARD dit très bien que « c'est surtout au théâtre que chacun est responsable de ses actes » : eh bien, à l'évidence, cela est vrai également de cette autre forme d'action par excellence qu'est la politique. De l'une comme de l'autre, on peut dire que « les lois du succès n'ont pas changé depuis deux mille ans », et que « personne ne les connaît »... mais aussi que chacun les recherche avec autant de patience que de passion. Vous pouvez compter sur mon engagement le plus fidèle et le plus entier à vos côtés, aux côtés du théâtre, aux côtés des artistes et du public qui le font vivre, c'est-à-dire à vos côtés à tous.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 20 avril 2010