Texte intégral
Cher Daniel Kaplan,
Cher Laurent Haug,
Mesdames et messieurs les innovateurs, les têtes chercheuses, les chevaux légers de l'innovation, Chers amis,
C'est un plaisir pour moi d'être aujourd'hui parmi vous, et un honneur d'avoir été choisie comme marraine de cette première édition de LIFT avec la FING, même si ce plaisir est tempéré par le regret de n'avoir pu être parmi vous plus tôt.
J'étais ce matin au Salon du Bourget, pour y rencontrer d'autres innovateurs, mais je n'ai pas pu arriver aussi rapidement que je l'aurais espéré, car on ne m'a pas laissé décoller du Bourget en Blériot 11. J'ai donc dû passer par Roissy.
Les expériences et les projets que vous avez évoqués aujourd'hui posent par l'exemple deux questions, qui sont au coeur de mes missions gouvernementales, parce qu'elles relèvent à la fois du numérique et de la prospective. Ça ne les rend pas plus simple pour autant, et j'aimerais contribuer modestement à votre réflexion en vous disant quelle signification politique je veux leur donner. Je ne vous parlerai pas d'élections passées ou à venir, rassurez-vous, mais bien de politique, au sens de politique publique. Ces deux questions auxquelles je viens de faire allusion et qui vous occupent, ce sont celles de la décentralisation du travail productif, et celle de l'adaptation des objets à des usages individués. Dis comme cela, c'est abstrait, je vais préciser.
En remettant d'abord ces questions dans leur contexte, qui est celui d'Internet, et plus exactement de la manière dont Internet affecte notre manière de travailler, de produire des objets et d'en faire usage.
L'expérience Internet, c'est l'expérience d'une communication et d'un travail à distance. Des objets numériques circulent, d'un poste à l'autre, et ils peuvent être travaillés et modifiés à distance. Internet nous a appris cela, le travail en réseau, la conception d'objets virtuels. Il nous permet également d'influer sur le fonctionnement d'objets réels, reliés aux terminaux. Aujourd'hui, je peux à distance, depuis mon bureau parisien, activer le thermostat d'une chaudière à granulés qui sommeille quelque part à la campagne. Demain, je vais pouvoir augmenter le champ de vision ou modifier l'orientation d'une webcam qui filmera le salon de ma maison.
Je vous raconte.
La grand-mère de mon fils lit un livre, je n'arrive pas à en discerner le titre. Mon fils en a profité pour mettre un dessin-animé en boucle et attaquer une deuxième tablette de chocolat, l'air de rien.
Je tape sur mon clavier un petit message de reproche, qui s'affiche directement sur l'écran du salon en lieu et place de la vidéo. La tablette de chocolat lui en tombe des mains, il se retourne vers la caméra, l'air piteux, il marmonne quelque chose mais sa voix est couverte par une autre, qui vient de la cuisine. C'est le frigo qui braille parce que les oignons sont là depuis trop longtemps et qu'il manque des yaourts. Je ferme la page maison, je reprends la rédaction de mon texte, qui a été modifié il y a deux minutes par un collaborateur : je vois apparaître des petits commentaires en forme de post-it dans les marges. Ma secrétaire qui devait m'apporter un dossier de presse est en retard ; je constate sur l'écran de géolocalisation du Cabinet qu'elle est encore dans le jardin, avec le Conseiller chargé de la prospective.
Mais je m'égare. J'en étais donc à vous dire que nous faisons, via Internet, une expérience nouvelle de l'action à distance. Et du travail à distance. Ce qui est vrai de l'usage que nous faisons des outils et des objets numériques commence à l'être désormais des objets physiques eux-mêmes, lorsque des machines sont en capacité de communiquer et d'interagir entre elles, en réseau.
Des réseaux fermés, dans l'univers domotique d'une habitation, ou bien des réseaux ouverts, via l'Internet, à distance. Il s'agit là d'interopérabilité, où les objets physiques eux-mêmes sont en mesure d'échanger des informations et des instructions. Il ne s'agit pas encore, à proprement parlé d'Internet des objets. Pour qu'un Internet des objets soit effectif, il faudrait que les objets eux-mêmes soient les agents ou usagers du réseau. Or en l'état actuel, ils transmettent simplement des données, qui correspondent à leur composition ou à leur usage.
En l'état actuel, la capacité des réseaux est telle qu'elle a déjà modifié profondément les modalités du travail. Elle a modifié la communication et le partage des informations, elle a modifié la rédaction et la diffusion, et elle modifie aujourd'hui la production des objets physiques. C'est ce que j'appelais la « décentralisation du travail productif ». Les agents de la chaîne de fabrication d'un objet quelconque peuvent travailler à distance.
L'autre caractéristique de cette nouvelle donne, en matière de production et d'usage d'objets physiques, tient à la souplesse des outils numériques et à ce que j'appellerais leur « plasticité ».
Vous le savez, l'une des principales caractéristiques des outils numériques tient à la manière dont ils permettent que les contenus et les usages soient adaptés à des besoins parfaitement individuels ou circonstanciels. Via un même ordinateur de bureau et une web cam identique, le conseiller prospective, dont je vois qu'il a regagné son bureau, regarde béatement les nuages qui s'étirent sur le Mont Ventoux. Et via le même ordinateur, peut-être finira-t-il par achever la rédaction de sa note sur l'avenir des RFID et l'hypothèse des « Spimes » de Bruce Sterling (Pour info : « Bruce Sterling, l'écrivain et gourou du design, se demande ce qui se passerait si nous avions un appareil qui combine la RFID, le GPS, et d'autres types de capteurs, de manière à ce qu'il puisse documenter sa propre vie ? Ces objets, il les appellent des « Spimes » [le néologisme contracte Space et Time, et désigne une catégorie d'objets semblables a nos PDA (catégorie qu'il nomme gizmos). Un spime est un peu ce qu'on nomme ici un « objet spatio temporel ». Un spime a un temps, il peut se repérer dans l'espace (comme un téléphone muni d'un GPS), mais c'est aussi un objet qui a une mémoire, qui peut « tager » (mettre une balise). Ce qui devient vraiment intéressant c'est quand le spime est pourvu de capteurs, de sensors. Grâce a ses derniers il peut automatiquement mettre à jour des valeurs. En réalité, le spime tel qu'il est concus par Bruce est une extension de l'interface.], peuvent stocker n'importe quelle donnée à leurs propos : de quoi sont ils faits, où ont ils été créés, par où sont ils passés, qui en a été le propriétaire, en passant par leur mode d'emploi, comment les transporter, voire comment les recycler. Un spime serait un objet auto-documenté, et nous utiliserions la RFID pour écouter ce qu'ils ont à nous dire. »).
J'en reviens à la plasticité. Le développement de l'économie numérique a été marqué par un phénomène dialectique remarquable, à la faveur duquel les usages et les innovations technologiques se sont mutuellement contrariés et modifiés. L'innovation technologique donne lieu à la création industrielle d'objets et d'outils, dont les usages ne sont pas toujours définis.
Non pas que ces usages seraient vagues ou indéterminés, mais plutôt, du fait de la plasticité de ces outils, parce qu'ils sont nombreux et qu'un même outil, l'ordinateur domestique par exemple, est susceptible d'usages extrêmement variés : une même machine, parfois un même logiciel, est susceptible de servir à des activités distinctes (travail bureautique, courrier, jeux, lecture, écoute de musique, visionnage de films), qui à leur tour peuvent être infléchies ou modifiées par l'utilisateur.
Cette plasticité des outils numériques les distingue des outils ordinaires en même temps qu'elle explique leur histoire récente, qui a pour particularité d'avoir été marquée par des détournements d'usages. C'est en effet la caractéristique de bon nombre d'innovations que d'avoir été détournées de l'usage pour lequel elles avaient été initialement conçues.
L'Internet lui-même est un bon exemple d'outil détourné. Initialement pensé dans une logique de défense (le fameux réseau ARPANET), et conçu comme un réseau de transmission de données confidentielles, il est devenu le principal vecteur de diffusion de données publiques, et de données au public. Mais vous savez tout cela.
Autre usage détourné, le SMS. Ces textos ont initialement été inventés pour permettre aux opérateurs de transmettre des messages de service par le système GSM. D'ailleurs, quand les opérateurs ont commencé à commercialiser ce service, il était extrêmement cher (environ 15 secondes déduites du forfait) et très peu avaient entrevu l'usage massif qui allait en être fait par les jeunes usagers. Aujourd'hui, c'est devenu un mode de communication à part entière, une source de revenus non négligeable à la fois pour les opérateurs et pour les annonceurs à travers les SMS surtaxés, et les difficultés techniques inhérentes à sa pratique (les fameuses touches à plusieurs lettres) ont induit une évolution de l'orthographe chez certains adolescents qui, dès qu'ils écrivent sur un support numérique, utilisent le « langage sms », dont je ne crois pas que l'Académie Française s'apprête à l'homologuer.
Ce ne sont que deux exemples parmi d'autres de détournement des fonctions initiales des outils. Ce détournement, on pourrait presque le désigner, en termes biologiques, comme une forme d'adaptation au milieu ; une adaptation qui n'est possible que parce que ces outils numériques portent en eux-mêmes une aptitude à engendrer de nouvelles fonctions.
Du coup, bien sûr, les usages priment, et ils ne priment que parce que les outils ont une plasticité qui peut se plier à cette variété d'usages.
À mon sens, c'est ici que la question politique doit être posée. Il faut qu'on puisse se demander, très simplement, ce que sont les usages collectifs qui nous paraissent collectivement profitables.
Profitables en terme de travail, profitables en termes de bien-être. Si l'on songe à la manière dont des objets dotés de puces RFID pourraient communiquer entre eux et échanger l'ensemble de leurs informations, on pourrait par exemple poser la question de l'utilité sociale sous cette forme : que mon frigo s'entretienne de ses problèmes de yaourts avec mon passeport, mon téléphone portable et ma carte vitale, et bien, est-ce que c'est socialement souhaitable ?
Le frigo saura que je mesure tant et pèse tant, que j'ai eu telle sorte de grippe cet hiver, que j'ai dîné trois fois au restaurant cette semaine et qu'il est donc préférable de me mettre au régime Crétois, de renouveler les oignons et de passer au yaourts allégés. Il en avisera ma carte bleue, qui passera commande au supermarché, par Internet.
Vous avez compris le sens de mes remarques : un frigo intrusif fait-il le bonheur d'un citoyen ?
Cette question politique, je vais essayer de vous la poser d'une autre manière. Et vous pourrez m'éclairer.
Le thème de votre rencontre, en anglais dans le texte, c'est « Hands-on Future ». Dans la version française, vous avec opté pour une traduction discutable : faites-le vous-mêmes. En fait, si je puis me permettre, il eut été plus exact d'opter pour un slogan du type « mettre la main sur le futur », ou mieux encore, « manier le futur ». Je vous dis cela, parce que vous avez oublié la main. Pour la peine, je vais vous infliger un peu de philosophie antique.
Les Grecs employaient un même mot, « organon », pour désigner à la fois les organes du corps, la main par exemple, et les outils. Que ce soit la main ou le marteau, ou la lance, l'organon était pour eux ce dont l'individu peut faire usage, pour réaliser une action donnée. Dans un texte célèbre, qui est d'autant plus connu que Paul Valéry a beaucoup glosé dessus, Aristote avait expliqué que la main avait un statut particulier et qu'elle était une sorte d'organon d'organon, un outil d'outil, parce qu'avec la main, on peut accomplir un nombre extraordinaire d'actions. Là où les outils ont des usages limités, la main elle, paraît sans limite (Le texte d'Aristote, Parties des Animaux, pour info : « Anaxagore prétend que c'est parce qu'il a des mains que l'homme est le plus intelligent des animaux. Ce qui est rationnel plutôt, c'est de dire qu'il a des mains parce qu'il est intelligent. En effet, l'être le plus intelligent est celui qui est capable d'utiliser le plus grand nombre d'outils : or la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C'est donc à l'être capable d'acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l'outil de loin le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent que l'homme n'est pas naturellement bien constitué, qu'il est le plus désavantagé des animaux, parce qu'il est sans chaussures, qu'il est nu et n'a pas d'armes pour combattre, sont dans l'erreur. Car les autres animaux n'ont chacun qu'un seul moyen de défense, et il ne leur est pas possible d'en changer. Ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir comme pour faire tout le reste, il leur est interdit de déposer l'armure qu'ils ont autour du corps et de changer l'arme qu'ils ont reçue en partage. L'homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours permis d'en changer, et même d'avoir l'arme qu'il veut quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, elle devient lance ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu'elle est capable de tout saisir et de tout tenir. »).
Quand je rappelle que le numérique est un outil d'une extraordinaire plasticité, c'est une façon de dire qu'il est d'une grande maniabilité. Les outils numériques ne sont pas des mains, pas encore allez vous me dire. Pas encore, non.
Ce ne sont pas des mains, mais ce sont des outils maniables.
Lorsqu'on se demande si les objets eux-mêmes pourraient, en réseau, communiquer, interagir, voire se produire mutuellement, on applique à la communauté des objets physiques ce que l'on observe du fonctionnement de l'Internet entre des usagers humains.
On choisit donc de prospecter en appliquant les principes d'Internet à une sphère qui n'est plus une sphère virtuelle, mais objective et physique. Nous sommes confrontés à des questions d'ordre technologique. Et là, il faut bien dire que les réponses sont encore balbutiantes.
Ce sont des réalisations qui n'accomplissent que des débuts d'action, des débuts de gestes. Nous n'en sommes pas encore à un maniement collectif.
Et la question politique demeure toujours posée : nous sommes en train de réfléchir sur des objets extrêmement individualisés. Mais quelle place faut-il faire, sur ces sujets, à la norme ? Et quel rôle social devons-nous accorder ici à l'interopérabilité des objets ?
Devons-nous songer déjà, avec prudence, aux risques intrusifs que j'ai évoqués n souriant mais dont on voit très vite, quand on observe par exemple les questions liées à la géolocalisation, qu'ils sont réels ?
Je voudrais ici illustrer mon propos avec des exemples moins extrêmes que ceux que j'évoquais précédemment, partager avec vous mon enthousiasme pour ce qui se joue ici, et à la fois vous faire part de mes interrogations, légitimes je crois, face à des innovations qui bousculent nos vies et qu'il convient de maîtriser.
Vous avez parlé par exemple des réseaux sociaux pour entreprises et je m'en réjouis, car je suis persuadée que l'utilisation des TIC au sein des entreprises, dont tout le monde dit qu'elle peut être encore largement développée en France et qu'elle ferait gagner un point de croissance, inclut à l'évidence la dimension collaborative et sociale inhérente au web 2.0.
C'est d'ailleurs une des raisons qui m'on amenée à lancer le 27 mai dernier un appel à projets web innovant et serious gaming, dont j'attends des propositions qui puissent s'appliquer à la vie en entreprise.
En revanche, et c'est là que l'exercice de recul et de prospective est utile dans l'innovation, il faut prendre garde de ne pas trop anticiper les usages, de les laisser se déployer, de corriger éventuellement les outils dont on peut penser qu'ils sont parfaits pour leurs utilisateurs. Ne pas anticiper les usages outre mesure, c'est simplement prendre en compte la leçon évoquée plus haut avec les SMS (un succès inattendu) ou prendre acte que nombre d'innovations n'ont au contraire pas trouvé leurs usagers, malgré leur beauté technologique et l'efficacité du marketing qui les a accompagné. Mais c'est surtout, sous prétexte de convergence des réseaux, éviter de penser à la convergence des usages, qui elle, serait appauvrissant.
Un réseau social implique une certaine forme de dévoilement personnel. L'utilisateur jongle avec ses identités numériques, multiples et adaptées aux différents réseaux sociaux qu'il fréquente, et s'il choisit de sortir de l'anonymat, il peut aussi se créer des doubles virtuels qui socialisent sur les réseaux. L'utilisation de ces techniques en entreprise, pour mettre en relation des collègues qui se connaissent et se côtoient, souvent dans un rapport hiérarchique, peut être un stimulant très fort de la cohésion de cette entreprise.
Mais elle peut également entraîner des dérapages et des malaises dus justement à l'utilisation en milieu professionnel d'outils vus par les utilisateurs comme essentiellement personnels.
Au contraire de l'Informatique, qui a migré des bureaux vers les domiciles de particulier, les réseaux sociaux, eux, sauf pour une catégorie d'usagers internationale et technophile, migrent du domicile ou du téléphone portable vers le bureau.
Ce chemin est passionnant, mais il est nécessaire de l'observer attentivement, et d'en mesurer les effets.
Je vous ai parlé des attentes et des craintes qu'impliquent ces innovations que vous pensez et que vous créez, mais je voudrais maintenant revenir sur l'écosystème si particulier de cette innovation.
Ce que j'ai vu rapidement en arrivant, ce que j'ai lu dans l'avion en me rendant à Marseille, ce que j'avais constaté lors de mon déplacement récent dans la Sillycon Valley, ce dont j'ai eu l'occasion de discuter avec la FING qui alimente régulièrement ma réflexion, c'est que l'innovation est aujourd'hui indissociable du partage de ses fruits.
L'innovation réside souvent dans ce petit quelque chose qui manque pour lier deux idées, deux concepts, deux technologies, et à partir d'elles créer une nouvelle idée, de nouveaux usages, extrêmement innovants.
Je reprends ici l'exemple des spime. Associer la geolocalisation et la RFID, y ajouter la notion d'enregistrement de la date et de l'heure, et vous avez de nouveaux objets aux possibilités tout à fait inédites. Il est bien évident que pour mettre en oeuvre cette idée, il faut pouvoir s'appuyer sur les technologies existantes, et les faire se rejoindre, dialoguer ensembles, en rajoutant peut-être un bout de code, une touche applicative, mais pas plus. D'où l'importance de la norme, qui permet de garantir en quelque sorte un langage commun, une grammaire de l'innovation que chacun puisse reprendre, d'où également le succès chaque jour plus grand de l'open source.
C'est une des leçons que je retire de telles rencontres. L'innovation, aujourd'hui, peut bien être dans de nombreux secteurs soutenue par le système économique des brevets qui la rémunère en lui garantissant une exclusivité d'exploitation pendant un certain temps.
Mais dans le monde de l'Internet en particulier, et du numérique au sens large, c'est le partage de l'innovation qui renforce sa valeur. La aussi, le numérique nous ouvre de nouvelles possibilités, et nous change quand nous pensons que nous en sommes les maîtres et que nous pilotons ses évolutions.
On me demande cet après-midi de m'étonner. Les philosophes disent que l'étonnement, c'est le point de départ de la philosophie, quand quelqu'un se demande pourquoi ce qui existe est comme ça, comment ça marche, pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? L'étonnement, et c'est pour cela qu'il est le début d'une aventure de pensée, c'est quand une réponse ne vient pas spontanément résoudre la question, quand la question continue de se poser. Les questions que vous posez aujourd'hui, vous qui êtes des spectateurs et des acteurs de l'innovation, n'ont pas toutes trouvé leurs réponses. Vous savez ce dont l'ingéniosité technologique est capable, et vous devinez ce qu'elle sera bientôt en mesure de réaliser. La question politique, celle de l'usage collectif et de l'avantage collectif reste posée. Je souhaitais vous la poser.
Je vous remercie.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 21 avril 2010
Cher Laurent Haug,
Mesdames et messieurs les innovateurs, les têtes chercheuses, les chevaux légers de l'innovation, Chers amis,
C'est un plaisir pour moi d'être aujourd'hui parmi vous, et un honneur d'avoir été choisie comme marraine de cette première édition de LIFT avec la FING, même si ce plaisir est tempéré par le regret de n'avoir pu être parmi vous plus tôt.
J'étais ce matin au Salon du Bourget, pour y rencontrer d'autres innovateurs, mais je n'ai pas pu arriver aussi rapidement que je l'aurais espéré, car on ne m'a pas laissé décoller du Bourget en Blériot 11. J'ai donc dû passer par Roissy.
Les expériences et les projets que vous avez évoqués aujourd'hui posent par l'exemple deux questions, qui sont au coeur de mes missions gouvernementales, parce qu'elles relèvent à la fois du numérique et de la prospective. Ça ne les rend pas plus simple pour autant, et j'aimerais contribuer modestement à votre réflexion en vous disant quelle signification politique je veux leur donner. Je ne vous parlerai pas d'élections passées ou à venir, rassurez-vous, mais bien de politique, au sens de politique publique. Ces deux questions auxquelles je viens de faire allusion et qui vous occupent, ce sont celles de la décentralisation du travail productif, et celle de l'adaptation des objets à des usages individués. Dis comme cela, c'est abstrait, je vais préciser.
En remettant d'abord ces questions dans leur contexte, qui est celui d'Internet, et plus exactement de la manière dont Internet affecte notre manière de travailler, de produire des objets et d'en faire usage.
L'expérience Internet, c'est l'expérience d'une communication et d'un travail à distance. Des objets numériques circulent, d'un poste à l'autre, et ils peuvent être travaillés et modifiés à distance. Internet nous a appris cela, le travail en réseau, la conception d'objets virtuels. Il nous permet également d'influer sur le fonctionnement d'objets réels, reliés aux terminaux. Aujourd'hui, je peux à distance, depuis mon bureau parisien, activer le thermostat d'une chaudière à granulés qui sommeille quelque part à la campagne. Demain, je vais pouvoir augmenter le champ de vision ou modifier l'orientation d'une webcam qui filmera le salon de ma maison.
Je vous raconte.
La grand-mère de mon fils lit un livre, je n'arrive pas à en discerner le titre. Mon fils en a profité pour mettre un dessin-animé en boucle et attaquer une deuxième tablette de chocolat, l'air de rien.
Je tape sur mon clavier un petit message de reproche, qui s'affiche directement sur l'écran du salon en lieu et place de la vidéo. La tablette de chocolat lui en tombe des mains, il se retourne vers la caméra, l'air piteux, il marmonne quelque chose mais sa voix est couverte par une autre, qui vient de la cuisine. C'est le frigo qui braille parce que les oignons sont là depuis trop longtemps et qu'il manque des yaourts. Je ferme la page maison, je reprends la rédaction de mon texte, qui a été modifié il y a deux minutes par un collaborateur : je vois apparaître des petits commentaires en forme de post-it dans les marges. Ma secrétaire qui devait m'apporter un dossier de presse est en retard ; je constate sur l'écran de géolocalisation du Cabinet qu'elle est encore dans le jardin, avec le Conseiller chargé de la prospective.
Mais je m'égare. J'en étais donc à vous dire que nous faisons, via Internet, une expérience nouvelle de l'action à distance. Et du travail à distance. Ce qui est vrai de l'usage que nous faisons des outils et des objets numériques commence à l'être désormais des objets physiques eux-mêmes, lorsque des machines sont en capacité de communiquer et d'interagir entre elles, en réseau.
Des réseaux fermés, dans l'univers domotique d'une habitation, ou bien des réseaux ouverts, via l'Internet, à distance. Il s'agit là d'interopérabilité, où les objets physiques eux-mêmes sont en mesure d'échanger des informations et des instructions. Il ne s'agit pas encore, à proprement parlé d'Internet des objets. Pour qu'un Internet des objets soit effectif, il faudrait que les objets eux-mêmes soient les agents ou usagers du réseau. Or en l'état actuel, ils transmettent simplement des données, qui correspondent à leur composition ou à leur usage.
En l'état actuel, la capacité des réseaux est telle qu'elle a déjà modifié profondément les modalités du travail. Elle a modifié la communication et le partage des informations, elle a modifié la rédaction et la diffusion, et elle modifie aujourd'hui la production des objets physiques. C'est ce que j'appelais la « décentralisation du travail productif ». Les agents de la chaîne de fabrication d'un objet quelconque peuvent travailler à distance.
L'autre caractéristique de cette nouvelle donne, en matière de production et d'usage d'objets physiques, tient à la souplesse des outils numériques et à ce que j'appellerais leur « plasticité ».
Vous le savez, l'une des principales caractéristiques des outils numériques tient à la manière dont ils permettent que les contenus et les usages soient adaptés à des besoins parfaitement individuels ou circonstanciels. Via un même ordinateur de bureau et une web cam identique, le conseiller prospective, dont je vois qu'il a regagné son bureau, regarde béatement les nuages qui s'étirent sur le Mont Ventoux. Et via le même ordinateur, peut-être finira-t-il par achever la rédaction de sa note sur l'avenir des RFID et l'hypothèse des « Spimes » de Bruce Sterling (Pour info : « Bruce Sterling, l'écrivain et gourou du design, se demande ce qui se passerait si nous avions un appareil qui combine la RFID, le GPS, et d'autres types de capteurs, de manière à ce qu'il puisse documenter sa propre vie ? Ces objets, il les appellent des « Spimes » [le néologisme contracte Space et Time, et désigne une catégorie d'objets semblables a nos PDA (catégorie qu'il nomme gizmos). Un spime est un peu ce qu'on nomme ici un « objet spatio temporel ». Un spime a un temps, il peut se repérer dans l'espace (comme un téléphone muni d'un GPS), mais c'est aussi un objet qui a une mémoire, qui peut « tager » (mettre une balise). Ce qui devient vraiment intéressant c'est quand le spime est pourvu de capteurs, de sensors. Grâce a ses derniers il peut automatiquement mettre à jour des valeurs. En réalité, le spime tel qu'il est concus par Bruce est une extension de l'interface.], peuvent stocker n'importe quelle donnée à leurs propos : de quoi sont ils faits, où ont ils été créés, par où sont ils passés, qui en a été le propriétaire, en passant par leur mode d'emploi, comment les transporter, voire comment les recycler. Un spime serait un objet auto-documenté, et nous utiliserions la RFID pour écouter ce qu'ils ont à nous dire. »).
J'en reviens à la plasticité. Le développement de l'économie numérique a été marqué par un phénomène dialectique remarquable, à la faveur duquel les usages et les innovations technologiques se sont mutuellement contrariés et modifiés. L'innovation technologique donne lieu à la création industrielle d'objets et d'outils, dont les usages ne sont pas toujours définis.
Non pas que ces usages seraient vagues ou indéterminés, mais plutôt, du fait de la plasticité de ces outils, parce qu'ils sont nombreux et qu'un même outil, l'ordinateur domestique par exemple, est susceptible d'usages extrêmement variés : une même machine, parfois un même logiciel, est susceptible de servir à des activités distinctes (travail bureautique, courrier, jeux, lecture, écoute de musique, visionnage de films), qui à leur tour peuvent être infléchies ou modifiées par l'utilisateur.
Cette plasticité des outils numériques les distingue des outils ordinaires en même temps qu'elle explique leur histoire récente, qui a pour particularité d'avoir été marquée par des détournements d'usages. C'est en effet la caractéristique de bon nombre d'innovations que d'avoir été détournées de l'usage pour lequel elles avaient été initialement conçues.
L'Internet lui-même est un bon exemple d'outil détourné. Initialement pensé dans une logique de défense (le fameux réseau ARPANET), et conçu comme un réseau de transmission de données confidentielles, il est devenu le principal vecteur de diffusion de données publiques, et de données au public. Mais vous savez tout cela.
Autre usage détourné, le SMS. Ces textos ont initialement été inventés pour permettre aux opérateurs de transmettre des messages de service par le système GSM. D'ailleurs, quand les opérateurs ont commencé à commercialiser ce service, il était extrêmement cher (environ 15 secondes déduites du forfait) et très peu avaient entrevu l'usage massif qui allait en être fait par les jeunes usagers. Aujourd'hui, c'est devenu un mode de communication à part entière, une source de revenus non négligeable à la fois pour les opérateurs et pour les annonceurs à travers les SMS surtaxés, et les difficultés techniques inhérentes à sa pratique (les fameuses touches à plusieurs lettres) ont induit une évolution de l'orthographe chez certains adolescents qui, dès qu'ils écrivent sur un support numérique, utilisent le « langage sms », dont je ne crois pas que l'Académie Française s'apprête à l'homologuer.
Ce ne sont que deux exemples parmi d'autres de détournement des fonctions initiales des outils. Ce détournement, on pourrait presque le désigner, en termes biologiques, comme une forme d'adaptation au milieu ; une adaptation qui n'est possible que parce que ces outils numériques portent en eux-mêmes une aptitude à engendrer de nouvelles fonctions.
Du coup, bien sûr, les usages priment, et ils ne priment que parce que les outils ont une plasticité qui peut se plier à cette variété d'usages.
À mon sens, c'est ici que la question politique doit être posée. Il faut qu'on puisse se demander, très simplement, ce que sont les usages collectifs qui nous paraissent collectivement profitables.
Profitables en terme de travail, profitables en termes de bien-être. Si l'on songe à la manière dont des objets dotés de puces RFID pourraient communiquer entre eux et échanger l'ensemble de leurs informations, on pourrait par exemple poser la question de l'utilité sociale sous cette forme : que mon frigo s'entretienne de ses problèmes de yaourts avec mon passeport, mon téléphone portable et ma carte vitale, et bien, est-ce que c'est socialement souhaitable ?
Le frigo saura que je mesure tant et pèse tant, que j'ai eu telle sorte de grippe cet hiver, que j'ai dîné trois fois au restaurant cette semaine et qu'il est donc préférable de me mettre au régime Crétois, de renouveler les oignons et de passer au yaourts allégés. Il en avisera ma carte bleue, qui passera commande au supermarché, par Internet.
Vous avez compris le sens de mes remarques : un frigo intrusif fait-il le bonheur d'un citoyen ?
Cette question politique, je vais essayer de vous la poser d'une autre manière. Et vous pourrez m'éclairer.
Le thème de votre rencontre, en anglais dans le texte, c'est « Hands-on Future ». Dans la version française, vous avec opté pour une traduction discutable : faites-le vous-mêmes. En fait, si je puis me permettre, il eut été plus exact d'opter pour un slogan du type « mettre la main sur le futur », ou mieux encore, « manier le futur ». Je vous dis cela, parce que vous avez oublié la main. Pour la peine, je vais vous infliger un peu de philosophie antique.
Les Grecs employaient un même mot, « organon », pour désigner à la fois les organes du corps, la main par exemple, et les outils. Que ce soit la main ou le marteau, ou la lance, l'organon était pour eux ce dont l'individu peut faire usage, pour réaliser une action donnée. Dans un texte célèbre, qui est d'autant plus connu que Paul Valéry a beaucoup glosé dessus, Aristote avait expliqué que la main avait un statut particulier et qu'elle était une sorte d'organon d'organon, un outil d'outil, parce qu'avec la main, on peut accomplir un nombre extraordinaire d'actions. Là où les outils ont des usages limités, la main elle, paraît sans limite (Le texte d'Aristote, Parties des Animaux, pour info : « Anaxagore prétend que c'est parce qu'il a des mains que l'homme est le plus intelligent des animaux. Ce qui est rationnel plutôt, c'est de dire qu'il a des mains parce qu'il est intelligent. En effet, l'être le plus intelligent est celui qui est capable d'utiliser le plus grand nombre d'outils : or la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C'est donc à l'être capable d'acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l'outil de loin le plus utile, la main. Aussi ceux qui disent que l'homme n'est pas naturellement bien constitué, qu'il est le plus désavantagé des animaux, parce qu'il est sans chaussures, qu'il est nu et n'a pas d'armes pour combattre, sont dans l'erreur. Car les autres animaux n'ont chacun qu'un seul moyen de défense, et il ne leur est pas possible d'en changer. Ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir comme pour faire tout le reste, il leur est interdit de déposer l'armure qu'ils ont autour du corps et de changer l'arme qu'ils ont reçue en partage. L'homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours permis d'en changer, et même d'avoir l'arme qu'il veut quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, elle devient lance ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu'elle est capable de tout saisir et de tout tenir. »).
Quand je rappelle que le numérique est un outil d'une extraordinaire plasticité, c'est une façon de dire qu'il est d'une grande maniabilité. Les outils numériques ne sont pas des mains, pas encore allez vous me dire. Pas encore, non.
Ce ne sont pas des mains, mais ce sont des outils maniables.
Lorsqu'on se demande si les objets eux-mêmes pourraient, en réseau, communiquer, interagir, voire se produire mutuellement, on applique à la communauté des objets physiques ce que l'on observe du fonctionnement de l'Internet entre des usagers humains.
On choisit donc de prospecter en appliquant les principes d'Internet à une sphère qui n'est plus une sphère virtuelle, mais objective et physique. Nous sommes confrontés à des questions d'ordre technologique. Et là, il faut bien dire que les réponses sont encore balbutiantes.
Ce sont des réalisations qui n'accomplissent que des débuts d'action, des débuts de gestes. Nous n'en sommes pas encore à un maniement collectif.
Et la question politique demeure toujours posée : nous sommes en train de réfléchir sur des objets extrêmement individualisés. Mais quelle place faut-il faire, sur ces sujets, à la norme ? Et quel rôle social devons-nous accorder ici à l'interopérabilité des objets ?
Devons-nous songer déjà, avec prudence, aux risques intrusifs que j'ai évoqués n souriant mais dont on voit très vite, quand on observe par exemple les questions liées à la géolocalisation, qu'ils sont réels ?
Je voudrais ici illustrer mon propos avec des exemples moins extrêmes que ceux que j'évoquais précédemment, partager avec vous mon enthousiasme pour ce qui se joue ici, et à la fois vous faire part de mes interrogations, légitimes je crois, face à des innovations qui bousculent nos vies et qu'il convient de maîtriser.
Vous avez parlé par exemple des réseaux sociaux pour entreprises et je m'en réjouis, car je suis persuadée que l'utilisation des TIC au sein des entreprises, dont tout le monde dit qu'elle peut être encore largement développée en France et qu'elle ferait gagner un point de croissance, inclut à l'évidence la dimension collaborative et sociale inhérente au web 2.0.
C'est d'ailleurs une des raisons qui m'on amenée à lancer le 27 mai dernier un appel à projets web innovant et serious gaming, dont j'attends des propositions qui puissent s'appliquer à la vie en entreprise.
En revanche, et c'est là que l'exercice de recul et de prospective est utile dans l'innovation, il faut prendre garde de ne pas trop anticiper les usages, de les laisser se déployer, de corriger éventuellement les outils dont on peut penser qu'ils sont parfaits pour leurs utilisateurs. Ne pas anticiper les usages outre mesure, c'est simplement prendre en compte la leçon évoquée plus haut avec les SMS (un succès inattendu) ou prendre acte que nombre d'innovations n'ont au contraire pas trouvé leurs usagers, malgré leur beauté technologique et l'efficacité du marketing qui les a accompagné. Mais c'est surtout, sous prétexte de convergence des réseaux, éviter de penser à la convergence des usages, qui elle, serait appauvrissant.
Un réseau social implique une certaine forme de dévoilement personnel. L'utilisateur jongle avec ses identités numériques, multiples et adaptées aux différents réseaux sociaux qu'il fréquente, et s'il choisit de sortir de l'anonymat, il peut aussi se créer des doubles virtuels qui socialisent sur les réseaux. L'utilisation de ces techniques en entreprise, pour mettre en relation des collègues qui se connaissent et se côtoient, souvent dans un rapport hiérarchique, peut être un stimulant très fort de la cohésion de cette entreprise.
Mais elle peut également entraîner des dérapages et des malaises dus justement à l'utilisation en milieu professionnel d'outils vus par les utilisateurs comme essentiellement personnels.
Au contraire de l'Informatique, qui a migré des bureaux vers les domiciles de particulier, les réseaux sociaux, eux, sauf pour une catégorie d'usagers internationale et technophile, migrent du domicile ou du téléphone portable vers le bureau.
Ce chemin est passionnant, mais il est nécessaire de l'observer attentivement, et d'en mesurer les effets.
Je vous ai parlé des attentes et des craintes qu'impliquent ces innovations que vous pensez et que vous créez, mais je voudrais maintenant revenir sur l'écosystème si particulier de cette innovation.
Ce que j'ai vu rapidement en arrivant, ce que j'ai lu dans l'avion en me rendant à Marseille, ce que j'avais constaté lors de mon déplacement récent dans la Sillycon Valley, ce dont j'ai eu l'occasion de discuter avec la FING qui alimente régulièrement ma réflexion, c'est que l'innovation est aujourd'hui indissociable du partage de ses fruits.
L'innovation réside souvent dans ce petit quelque chose qui manque pour lier deux idées, deux concepts, deux technologies, et à partir d'elles créer une nouvelle idée, de nouveaux usages, extrêmement innovants.
Je reprends ici l'exemple des spime. Associer la geolocalisation et la RFID, y ajouter la notion d'enregistrement de la date et de l'heure, et vous avez de nouveaux objets aux possibilités tout à fait inédites. Il est bien évident que pour mettre en oeuvre cette idée, il faut pouvoir s'appuyer sur les technologies existantes, et les faire se rejoindre, dialoguer ensembles, en rajoutant peut-être un bout de code, une touche applicative, mais pas plus. D'où l'importance de la norme, qui permet de garantir en quelque sorte un langage commun, une grammaire de l'innovation que chacun puisse reprendre, d'où également le succès chaque jour plus grand de l'open source.
C'est une des leçons que je retire de telles rencontres. L'innovation, aujourd'hui, peut bien être dans de nombreux secteurs soutenue par le système économique des brevets qui la rémunère en lui garantissant une exclusivité d'exploitation pendant un certain temps.
Mais dans le monde de l'Internet en particulier, et du numérique au sens large, c'est le partage de l'innovation qui renforce sa valeur. La aussi, le numérique nous ouvre de nouvelles possibilités, et nous change quand nous pensons que nous en sommes les maîtres et que nous pilotons ses évolutions.
On me demande cet après-midi de m'étonner. Les philosophes disent que l'étonnement, c'est le point de départ de la philosophie, quand quelqu'un se demande pourquoi ce qui existe est comme ça, comment ça marche, pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? L'étonnement, et c'est pour cela qu'il est le début d'une aventure de pensée, c'est quand une réponse ne vient pas spontanément résoudre la question, quand la question continue de se poser. Les questions que vous posez aujourd'hui, vous qui êtes des spectateurs et des acteurs de l'innovation, n'ont pas toutes trouvé leurs réponses. Vous savez ce dont l'ingéniosité technologique est capable, et vous devinez ce qu'elle sera bientôt en mesure de réaliser. La question politique, celle de l'usage collectif et de l'avantage collectif reste posée. Je souhaitais vous la poser.
Je vous remercie.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 21 avril 2010