Interview de M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à Radio Classique le 3 mai 2010, sur la politique de l'immigration et le projet d'interdiction du port du voile intégral.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

G. Durand.- Et avec E. Besson, bonjour. Un contexte économique et social sans précédent, on va résumer la situation, E. Besson : la Grèce en pleine faillite, la plus grave crise économique depuis 1929 - on a connu ça donc en 2008 ; là, aux Etats-Unis, une marée noire sans précédent. Et pourtant, l'un des sujets qui mobilise les esprits en France c'est la burqa et ça concerne 2 000 personnes. Est-ce que c'est vraiment raisonnable dans le contexte d'aujourd'hui ?
 
Oui ! Là, il y a un résumé un peu excessif. D'abord, personne ne prétend que le voile intégral, la burqa ou le niqab, sont les sujets majeurs ou les sujets de première préoccupation des Français. D'ailleurs, en présentant le projet de loi, ou l'annonce du projet de loi, plus exactement, en Conseil des ministre, le Premier ministre a très clairement dit : je crois que les préoccupations des Français sont autres, l'emploi, la sécurité, le pouvoir d'achat, etc., mais nous devons...
 
...mais qu'est-ce que c'est que cette obsession française autour de l'immigration ? Je veux dire, les autres pays du monde ont des problèmes d'immigration équivalents ?
 
 Là, en la circonstance, ça n'est pas de l'immigration. Non, non, mais... La question qui est posée est simple : est-ce que le voile intégral est compatible avec nos valeurs ? Et moi, je pense que non. Et dire cela ça n'est pas, comme on l'entend dire à tort, stigmatiser l'Islam ou stigmatiser les Musulmans. Je crois que ça n'a rien à voir avec l'Islam ou les Musulmans. Mais simplement, la conception que nous avons de la dignité de la femme, la conception que nous avons de l'échange dans l'espace social, font que le voile intégral n'a pas, selon nous, et je crois selon l'immense majorité des Français, sa place en France.
 
Mais est-ce que vous n'avez pas le sentiment quand même avec le recul que ce débat sur l'identité nationale n'a pas été une sorte de bérézina de ce point de vue-là ? C'est-à-dire qu'on a vu monter en France une réflexion, je reviens à la question d'avant, entièrement consacrée aux problèmes liés à l'immigration, alors qu'effectivement, je le disais en ouverture, ce n'est pas les priorités du moment.
 
Alors, on change de sujet, là. Sur le débat sur l'identité nationale, les questions qui sont posées, le rapport à la construction européenne, le rapport à la mondialisation, la montée de l'individualisme d'une part, de certaines formes de communautarisme d'autre part, comment la France reste une terre d'immigration, et surtout d'intégration réussie, ces questions sont devant nous, dans les années qui viennent. Et c'est ça que j'ai voulu poser dans le débat, et je crois que ça reste d'actualité. Mais bérézina pour bérézina, je me souviens de deux grandes bérézina : à une époque où on refusait de voir un certain nombre de réalités de ce que pensait le peuple français sur certains sujets, ça a donné le 21 avril 2002 que j'ai encore dans ma chair, l'élimination de L. Jospin au premier tour de l'élection présidentielle. Et quand les Français s'interrogeaient sur la construction européenne, on ne les a pas entendus, et ça a donné le non au référendum européen. Alors, comme tous les républicains, je crois au dialogue serein, je crois au dialogue à froid. Vous avez noté que dans la série des supposés ou réels dérapages, aucun ne m'a été imputé. J'ai tenu un discours qui, je crois, peut être entendu par les républicains de droite et de gauche. Je persiste et signe.
 
Mais quand, justement, vous citez le fameux 21 avril 2002, est-ce que vous n'avez pas le sentiment aujourd'hui que M. Le Pen est en train de faire une sérieuse concurrence à l'UMP, voire même, et c'est l'intention qu'on lui prête, elle aurait l'envie d'obliger l'UMP à s'allier avec elle pour les prochains grands rendez-vous électoraux ?
 
Non.
 
Est-ce que ça vous paraît possible ?
 
D'abord, M. Le Pen joue habilement puisque elle s'écarte du seul discours traditionnel et caricatural sur l'immigration, et elle vient sur le terrain social, surfant justement une fois sur la peur de la désindustrialisation, le lendemain sur la peur de la construction européenne. Donc, aux républicains d'apporter des réponses pour qu'elle n'y ait pas de terreau favorable. Sur l'alliance supposée avec l'UMP, je n'ai pas entendu d'offre de sa part, j'ai encore moins entendu de membres de l'UMP...
 
... ben, tant qu'elle n'aura pas pris le Front national, elle ne va pas le dire officiellement.
 
En tout cas, pour ce qui me concerne, la réponse est claire, nette, définitive : c'est non, non, et trois fois non.
 
C'est-à-dire que jamais l'UMP ne s'alliera avec le Front national.
 
Jamais l'UMP, selon moi, ne s'alliera avec le Front national, mais je ne peux pas affirmer cela pour les dix ou quinze ans qui viennent. Je peux l'affirmer pour moi-même, jamais je ne participerai à un parti qui aurait la moindre alliance avec le Front national, c'est clair.
 
E. Besson, fallait-il que B. Hortefeux fasse un pataquès avec l'affaire du commerçant de Nantes qui est un peu - alors, ça, ça n'a aucun rapport avec E. Besson - mais qui est un peu comme l'histoire de la prostituée de Ribéry, qui ne sont que des caricatures minoritaires des immigrés en France ? Cet homme, il représente qui, il représente...
 
Attendez, attendez, il y a deux... vous mêlez deux affaires qu'il faut totalement distinguer.
 
Mais qui sont séparées, mais du coup dans la même semaine on a l'impression que l'immigration en France c'est une prostituée blonde et un commerçant un peu dingo.
 
Non, non, il n'y pas d'immigration dans la circonstance. C'est le cas pour le premier qui a acquis la nationalité française en 99. Il est soupçonné, moi je n'ai pas d'éléments pour l'étayer, mais il est soupçonné par le ministre de l'Intérieur, qui, sûrement, a un dossier dont il a fait état, il est soupçonné de polygamie et/ou de fraude sociale. L'enquête préliminaire est en cours. Donc, il ne nous appartient plus de la commenter. Et il me posait, B. Hortefeux, une question : dans ce contexte, y a-t-il possibilité, si c'était avéré, de prononcer la déchéance de la nationalité française ? Je lui ai écrit la semaine dernière une lettre en réponse, que je n'ai volontairement pas rendu publique, mais en gros je dis : « en l'état actuel du droit, ça me paraît très compliqué, très improbable, que l'on puisse prononcer la déchéance de la nationalité française ».
 
Pardonnez-moi, évidemment que c'est un amalgame ce que je dis, mais on a l'impression que l'opinion, les journaux, on a beaucoup parlé de ces deux affaires qui sont quand même deux caricatures.
 
D'accord ! Alors, l'autre affaire c'est une enquête, si je comprends bien, avec une personne qui est soupçonnée de proxénétisme, qui toucherait une jeune femme, et la jeune femme aurait eu un certain nombre de relations avec des joueurs de football. Là, d'abord, je pense qu'il faut respecter la vie privée et la présomption d'innocence des personnes concernées. Moi, je trouve que l'affichage et l'étalage qu'on fait, notamment de la vie privée de F. Ribéry qui est présumé innocent, comme toute personne en France qui n'a été ni mise en examen, ni à fortiori condamnée, est quelque chose d'inacceptable.
 
Mais, justement, pardonnez-moi, je reviens sur cette question sur l'amalgame peut-être médiatique, on en porte une part de responsabilité, il y a quand même deux ministres du Gouvernement qui disent : « si Ribéry est mis en examen, il faut pas qu'il parte avec l'Equipe des Bleus ». Est-ce que ce n'est pas totalement délirant ?
 
Je viens de vous répondre en me plaçant sur le terrain des principes.
 
Elles ont raison, elles, par exemple l ?
 
F. Rib??ry est présumé innocent et la mise en examen de quelqu'un ne signifie pas sa culpabilité. On a vu tellement de mises en examen ensuite bénéficier de... être jugées complètement innocentes.
 
D'accord. Mais est-ce qu'on doit refuser de l'emmener au Mondial si jamais il est mis en examen ?
 
Vous avez compris que ça n'est pas exactement ma position, mais je n'ai pas envie de contredire mes deux collègues. Je me suis donc placé sur le plan des principes. En revanche, il y a une chose qu'il faut affirmer et réaffirmer : on peut être musulman en France sans difficulté, et d'ailleurs la France se caractérise par le fait que les Musulmans de France adhèrent dans leur immense majorité aux lois de la République, y compris celle qui paraît la plus complexe vu de l'étranger, la laïcité. En revanche, nous avons un certain nombre de mouvements minoritaires, mais qu'on pourrait dire intégristes, fondamentalistes, radicaux, etc. Nous sommes parfois aux prises avec eux. Cela n'a rien à voir avec l'Islam. L'Islam est la deuxième religion de France. Et il faut dire en permanence aux Musulmans, à travers le voile intégral ou d'autres sujets, ça n'est pas vous qui êtes visés, ce sont bien des dérives de l'Islam, ça n'a rien à voir avec l'Islam et avec le fait d'être musulman en France.
 
Vous revenez d'un voyage au Maroc, est-ce qu'on vous a parlé de ce contexte français ? Et qu'est-ce qu'on vous dit ?
 
Très peu ! Très peu, d'abord je suis allé au Maroc pour lancer avec les Marocains et avec dix-sept pays de la rive nord et de la rive sur de la Méditerranée, un projet auquel je suis très attaché, de création d'un Office méditerranéen de la jeunesse, autrement dit des échanges approfondis entre étudiants. Et je suis allé constater ce que la quatrième branche de mon ministère, le quatrième pilier, le Développement solidaire, apporte concrètement sur le terrain. Je suis allé constater dans la région de Taroudant que l'argent de mon ministère aide clairement à la création d'emplois et d'activités. Sur un seul projet, j'ai demandé combien de ces exploitations de fleurs pour fabrication du safran utilisé dans la cosmétique ou dans les arts culinaires ? J'ai posé une seule question : combien de familles ça aide ? 2 000 personnes dans la région de Taroudant grâce au financement que nous apportons. Je peux vous dire que c'est une immense source de satisfaction pour moi.
 
Et donc, on ne vous a jamais parlé de la burqa, on ne vous a jamais parlé du débat sur l'immigration...
 
Le débat sur l'identité nationale, on en avait parlé il y a trois mois, mais il a été suspendu le 8 février. Donc, les Marocains qui suivaient l'actualité de très près, le voile intégral on en a parlé, et eux ils sont respectueux de la loi française. Ils savent que la France est une terre de laïcité, une terre d'égalité hommes/femmes. Ils ne sont pas surpris par nos positions. Ils sont attentifs à ce que l'on dise en permanence ce que je vous ai dit, c'est-à-dire que ce ne sont pas les Musulmans qui sont concernés, mais bien les dérives de l'Islam.
 
Je voudrais qu'on écoute ce matin les grandes interviews, qui ont été réalisées chez nos confrères, RTL, Canal+, France Inter. Vous allez pouvoir apporter le commentaire que vous souhaitez. Evidemment, la tonalité générale de ces entretiens tourne autour de la Grèce et de l'aide qui va lui être apportée. Je voudrais qu'on écoute d'abord F. Hollande. On va les entendre les uns après les autres, et vous donnez votre commentaire. 07h51, il était chez J.- M. Aphatie et RTL. (Extrait interview F. Hollande - RTL). Voilà, pour F. Hollande. Il était suivi à 07h53 par P. Moscovici à Canal+. (Extrait interview P. Moscovici - Canal+). Voilà, France Inter 08h22, c'est G. Verhofstadt, l'ancien Premier ministre belge. (Extrait interview G. Verhofstadt - France Inter). Voilà, et le dernier point de vue c'est celui de M. Le Pen, on l'évoquait tout à l'heure, 08h25, LCI. Elle n'est pas le même point de vue que les autres. (Extrait interview M. Le Pen - LCI). Voilà donc, vous avez entendu tous ces points de vue, et c'est effectivement un moment un peu historique. D'abord, la réaction à ce que vous venez d'entendre.
 
Très simple. M. Le Pen, comme d'habitude, est sur le terrain de la pure démagogie, distinguant la protection de l'euro de la protection des citoyens grecs. L'euro est un atout pour la Grèce comme il l'est devenu pour l'ensemble des pays européens. Il n'y a pas matière à distinguer l'un de l'autre. Je suis moins d'accord avec ce qu'a dit l'ancien Premier ministre belge au regard du caractère inédit de ces procédures et de l'ampleur des prêts qui vont être accordés, cinq mois c'est allé vite et on est allés aussi vite que la Grèce le demandait. Quant à F. Hollande et P. Moscovici, je suis d'accord avec ce qu'ils ont dit. Ils auront dû faire preuve de subtilité puisque c'est difficile pour eux de reconnaître qu'ils sont totalement d'accord avec ce qu'a fait le Gouvernement français, et en fait ils le sont, on l'entend bien. Donc, ils le disent parce qu'ils sont honnêtes.
 
C'est plutôt une bonne chose !
 
Mais ils émettent une nuance...
 
... c'est plutôt une bonne chose.
 
Oui, je viens de dire, je suis d'accord avec l'essentiel de ce qu'ils viennent d'exprimer.
 
Est-ce qu'un pays comme la Grèce, E. Besson, peut supporter socialement ce qui va se faire en trois ans ? Est-ce que c'est tenable ?
 
D'abord, quel est le choix qui lui est donné ? Elle n'est plus en situation d'emprunter sur les marchés, donc pour parler clairement si c'était un ménage elle ne peut plus faire ses fins de mois.
 
Sauf à trouver des prêts à 9 %, ce qui est intenable.
 
Non, non, non ! Ce n'est pas 9, c'est à 5, ce qui fait que c'est à peine plus que les 3,5 taux variables.
 
Non, sauf à trouver.
 
Ah oui, sauf à trouver, excusez-moi, pardon. Donc, c'est quand même une aide importante qui est apportée à la Grèce, mais la contrepartie elle est claire, et c'était la condition mise par les Allemands à la création de l'euro, c'est qu'il y ait une limitation des déficits, voilà. Donc, maintenant, il faut négocier le plan d'ajustement.
 
Mais est-ce que c'est socialement acceptable pour un pays ? Tout d'un coup ! On les laisse vivre comme ça pendant des années, et tout d'un coup on leur demande en trois ans de faire des efforts incroyables. Je ne suis pas là en train de défendre la politique économique grecque, mais...
 
... mais j'ai bien compris, vous avez raison. A travers ce que vous dites, il y a probablement le système d'alerte et de prévention qui doit probablement être plus efficace qu'il ne l'a été. Mais à un moment donné, aucun pays ne peut voir ses dépenses structurellement, lourdement, et sur longue durée, beaucoup plus importantes que ses recettes. Il y a un moment où ça se solde. Et moi, je trouve qu'en la circonstance, à la fois l'Europe a fait son travail, la France fait son travail. Il a fallu convaincre les Allemands. On connaît l'histoire de l'Allemagne. Ils sont préoccupés par l'hyper-inflation, ils considèrent que c'est l'hyperinflation et les déficits qui ont amené notamment la crise qui a permis à Hitler d'accéder au pouvoir. Donc, pour eux, c'est un élément fondamental de leur identité que de garantir l'équilibre des dépenses et des recettes. Et il faut, au lieu de jeter la pierre aux Allemands, reconnaître qu'ils ont fait eux aussi un bout du chemin dans cette aventure.
 
Merci E. Besson d'être venu ce matin sur l'antenne de Radio Classique.
 
Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 mai 2010