Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, dans "La Voix du Nord" du 13 mai 2001, l'évacuation de la population lors du déminage du site de stockage des munitions de Vimy.

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Média : La Voix du Nord

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IL y a un mois jour pour jour, le gouvernement déclenchait, à Vimy, autour du dépôt de munitions de la Gueule d'ours, la plus vaste opération d'évacuation de population jamais décidée en France. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, revient pour La Voix du Nord, sur ces heures très chaudes.
Vous aviez hérité du dossier Vimy dès votre installation. Quel élément a précipité les choses et déclenché l'évacuation le 13 avril dernier ?
" Il faut rappeler que jusqu'en 1993, les munitions chimiques étaient détruites par pétardage au Crotoy. La signature par la France de la convention internationale sur l'interdiction des armes chimiques, d'une part, les préoccupations environnementales des élus de la baie de Somme, d'autre part, ont conduit à mettre fin à ce type de destruction. Pour procéder à la destruction en toute sécurité, une usine doit être construite par le ministère de la Défense qui en a la responsabilité, le ministère de l'Intérieur ayant la responsabilité du transport et du stockage. Mais on ne pouvait se satisfaire de cette situation d'attente.
Des travaux de sécurité à Vimy ont été lancés par ce gouvernement dès 1997 pour s'achever en 2000.
Depuis ma nomination, j'ai tenu à ce que la sécurité du site soit encore accrue car cela me préoccupait. Une étude de sécurité a été commandée en janvier 2001 à un industriel expert et elle est en cours d'achèvement. Des ingénieurs se sont rendus sur place dans le cadre de cette mission au début du mois d'avril et ont alors constaté que les fonds des caisses contenant les munitions se déformaient voire commençaient à s'éventrer. Cet élément totalement nouveau imposait de prendre des mesures de sécurité et de protection de la population. "
Une population qui vivait avec le dépôt depuis des années !
" Oui, mais les armes stockées vieillissent et la corrosion aidant, elles deviennent plus fragiles. Or, elles sont loin d'être inertes comme on l'a encore vu récemment dans l'Aisne avec la mort d'un agriculteur. Le gaz contenu garde hélas sa toxicité. Le temps ne l'atténue pas. Avec 224 caisses et de l'ordre de 12 000 obus sur trois niveaux, le danger était réel. J'ai vu moi-même bouger les caisses entre ma première et ma seconde visite avec le Premier ministre. Le risque était tel qu'il nous obligeait à prendre des mesures. "
Précisément, qu'y avait-il dans ce rapport qui justifie l'évacuation aussi rapide ?
" Il n'y a pas besoin d'être expert pour comprendre que, quand des caisses menacent de s'effondrer, le phénomène d'enchaînement existe avec le risque d'une explosion beaucoup plus massive et l'apparition d'un nuage toxique qui en découle. Le Premier ministre et moi-même étions préoccupés pour la sécurité de la population. On ne pouvait lui faire prendre le moindre risque. Garantir la sécurité des habitants, c'est ce qui nous a guidés tout au long de cette affaire. Nous avons fait un dosage entre le risque et la réalité pour assurer le succès de l'opération. Nous avons voulu le faire dans la totale transparence. Je suis venu sur place et je n'ai rien voulu cacher aux gens. "
Ce qui veut dire que, fidèle à votre politique de transparence, lorsque le rapport sera achevé, vous le rendrez public ?
" Je vous rappelle qu'il n'est pas achevé. Tant que je ne l'ai pas, je ne peux pas juger de cela. Honnêtement, ce qui me préoccupe aujourd'hui, c'est de régler les problèmes de Vimy et d'autres sites. Alors, après, si l'idée est de faire porter la responsabilité sur certains ministères ou de la renvoyer entre ministères, cela ne m'intéresse pas du tout. Il y avait un problème à régler. Cela a été fait. "
Certains ont parlé depuis d'un risque comparable à la catastrophe de Bophal ?
" Le mot a été utilisé, mais, après coup, cela sert à quoi ? Avec les experts, il nous fallait déterminer quel périmètre évacuer. La décision d'évacuer les cinq communes les plus proches l'a été sur ma proposition. Et c'est sur place, le vendredi 13 avril au matin, que j'ai décidé que seraient aussi concernés Méricourt-Sud et le quartier de la République d'Avion en accord avec les maires. Le principe de précaution aurait pu nous faire évacuer beaucoup plus de monde mais on prenait alors d'autres risques. Le choix d'un rayon de trois kilomètres a répondu au principe de précaution et au principe de réalité. "
Qu'allez-vous faire désormais du site de Vimy ?
" Vimy ne doit plus être un centre de stockage. Il doit être un centre de dépôt et de tri, à partir duquel on évacue les munitions chimiques dans les conditions de sécurité vers Suippes, et les munitions classiques vers le camp de Sissonnes pour les faire sauter. Mais le tri du stock actuel prendra plusieurs mois. Cinquante-sept caisses ont été évacuées à ce jour, les plus dangereuses. Cela dit, il ne doit y avoir aucun risque inhérent au stockage.
D'importants travaux ont été réalisés dans ce sens. D'autres le seront prochainement. "
Quelles leçons tirez-vous de cette opération sans précédent ?
" Il faut d'abord rendre hommage à la population qui a fait preuve d'un grand civisme, et à tous ceux qui ont participé, les préfets, les élus dont le sens de la responsabilité a été remarquable, le SAMU, la police, la gendarmerie, les pompiers, l'armée, les personnels de la Sécurité civile... Vimy a eu le mérite de révéler la capacité de tous ces acteurs à travailler ensemble à partir du moment où il y a un risque. On critique parfois l'Etat, mais on se tourne naturellement vers lui et les fonctionnaires qui agissent en son nom, dans ce type de situation. On a démontré la capacité de réponse de l'Etat. "
Malgré tout, la répartition de la responsabilité du dossier munitions entre plusieurs ministères, une situation typiquement française, ne pose-t-elle pas des problèmes d'efficacité ?
" C'est le passé. Je n'étais pas là en 1993 quand des décisions ont été prises. Cela dit, je pense que ce n'est pas toujours bon d'avoir plusieurs pilotes dans un avion. La réalité est là, c'est la loi et nous sommes là pour l'appliquer. Alain Richard et Daniel Vaillant sont là pour agir ensemble. Le transport et le stockage relèvent du ministère de l'Intérieur. La destruction échoit au ministère de la Défense. "
Une leçon à tirer de Vimy, ne serait-il pas d'envisager un changement législatif ?
" On sait très bien à quel point les modifications juridiques peuvent être de longue haleine. Moi, je ne veux pas perdre de temps. Si du temps a déjà été perdu, je ne veux pas contribuer à en reperdre. Il faut continuer à agir au nom du principe de précaution dans la transparence et poursuivre l'indemnisation des habitants décidée par le gouvernement. "
(source http://www.lavoixdunord.fr, le 16 mai 2001)