Extraits de l'entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Aujourd'hui en France" le 9 mai 2010, sur le nouveau gouvernement britannique, la crise financière en Europe, la question de la gouvernance économique et le gel des dépenses publiques dans l'Union.

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Média : Aujourd'hui en France

Texte intégral

Q - Avec un changement de Premier ministre en Grande-Bretagne, craignez-vous une politique plus antieuropéenne ?
R - Avec les Britanniques nous avons développé en Europe et ailleurs des missions et des attitudes communes très particulières, très sincères, très humaines. C'est vrai pour le projet de financements innovants destinés au développement, pour les opérations navales antipirates, pour des initiatives diplomatiques visant à régler des conflits, notamment en Afrique, pour des réformes politiques essentielles... J'espère que cela continuera.
Q - Mais le conservateur David Cameron est eurosceptique...
R - Nous ne lui demanderons pas, s'il devient Premier ministre, de devenir un eurofanatique, mais simplement de ne pas s'opposer plus que de raison à la poursuite de la politique que nous avons menée avec le gouvernement travailliste précédent. Parce que la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France entraînent un formidable mouvement.
Q - Comment arrêter la tempête financière en Europe ?
R - En continuant d'aider fermement la Grèce. Il y a de l'immoralité dans cet argent flottant, qui se glisse dans les interstices d'une monnaie ou d'une autre, jouant sur l'euro, le dollar, le yen... C'est un système que nous devrons réformer.
Q - Le risque de contagion menace-t-il la France ?
R - Non. Nous avons entamé des réformes, notre signature bénéficie de la plus haute note possible. Les oscillations de la Bourse, cela s'est toujours vu, cela remontera. Le texte du sommet de Bruxelles est très important à cet égard.
Q - La zone euro ne manque-t-elle pas d'une gouvernance politique ?
R - Mais on va le faire ! Vingt fois, nous avons alerté. Depuis trois ans, la France demande cela. C'est toujours comme cela, de crise en crise l'Europe s'invente. Nous ne pouvons demeurer à la merci des marchés, il faut donc bâtir un gouvernement économique, que la France propose depuis longtemps. D'ici là il faut aider les Grecs, rester à leurs côtés. Ainsi nous nous défendrons nous aussi.
Q - Comment aider la Grèce ? Certains déconseillent déjà d'y aller en vacances...
R - Au contraire, allez en vacances en Grèce ! Faites confiance aux Grecs et soutenez-les. Expliquez-leur que c'est l'Europe et la France que nous sommes en train de soutenir.
Q - Angela Merkel n'a-t-elle pas trop tergiversé pour soutenir Athènes ?
R - Nous aurions dû réagir plus vite tous ensemble, c'est vrai. Les Français, Nicolas Sarkozy, le demandaient. Mais n'attendez pas de moi que je mette la moindre feuille de papier à cigarettes entre la France et l'Allemagne. Non, non et non.
Q - Cette crise a néanmoins révélé certains égoïsmes nationaux ?
R - Les Allemands vont vers la retraite à 67 ans et on leur demande de voler au secours de gens à qui on a proposé la retraite à 57 ans... Les Allemands ont voulu des garanties, et je salue le courage des Grecs et particulièrement celui du Premier ministre, Georges Papandréou.
Q - On n'entend guère le nouveau président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, censé incarner l'Europe...
R - Il a fait preuve en Belgique de beaucoup de talent, voyez ce qui se passe depuis qu'il n'est plus là. Je suis sûr qu'il en aura autant pour l'Europe. Il faut une période d'ajustement. Mais restons vigilants et exigeants.
Q - L'Europe se complaît-elle trop dans le dénigrement ?
R - Oui. Le dénigrement d'elle-même par elle-même. Le pessimisme permanent. Or ce qui caractérise l'Europe, c'est la démocratie, la culture et la protection sociale. Quel continent exceptionnel ! La tentation du repli, du nationalisme, constitue toujours un réel danger. Je dis aux Européens : Soufflez-vous dans les bronches, reprenez de la hauteur !
Q - François Fillon annonce le gel des dépenses de l'Etat mais refuse de parler de plan de rigueur. Ne joue-t-on pas sur les mots ?
R - Non. La rigueur est connotée, c'est le souvenir de Raymond Barre, le Premier ministre de Giscard qui avait augmenté les impôts et gelé les salaires. Là, il ne s'agit pas de cela. Il faut faire des économies raisonnables. L'objectif, c'est de rentrer dans les clous du Pacte de stabilité en 2013 avec un déficit public ramené à 3 % du PIB.
Q - Le Quai donnera-t-il l'exemple ?
R - Nous n'avons pas attendu ces derniers mois pour nous serrer la ceinture. Le budget général est contrôlé. Une mise à la retraite sur deux n'est pas remplacée. Nos effectifs ont baissé de 12 % en dix ans. Les frais de réception du ministère à Paris ont baissé de 26 % entre 2007 et 2009. Soit une économie de près d'un million d'euros !
Q - On dit que vous avez de plus en plus de mal à supporter la tutelle de l'Elysée et de ses conseillers, que vous seriez prêt à quitter votre poste au prochain remaniement...
R - On dit beaucoup de choses, méfiez-vous. C'est un dur et beau ministère, un dur et beau métier. Sous la Ve République, tous les ministres des Affaires étrangères ont été ainsi malmenés. Roland Dumas avant moi, sous François Mitterrand, a eu le même genre de rapports délicats avec la présidence. Je ne vous dis pas que c'est facile, ce serait mentir, je ne vous dis pas que de temps en temps je n'enrage pas, mais j'ai l'impression de travailler tout à fait correctement. Certaines décisions me conviennent, d'autres moins. J'argumente, je fais valoir mon point de vue, même avec le président de la République. J'ai regretté de ne pas avoir les mains plus libres à certains moments, mais je suis fier du travail accompli à mon poste. Nous avons retrouvé notre rang et notre rôle dans la politique internationale. Croyez-vous que j'y sois complètement étranger ?
(...)
Q - Avez-vous des nouvelles de Clotilde Reiss, toujours retenue en Iran ?
R - Oui, je l'appelle souvent. Elle résiste bien, pour une jeune enseignante de 24 ans scandaleusement retenue. Elle vit et travaille à la résidence de France au milieu des diplomates. Elle sort même de temps en temps accompagnée par nos diplomates. Elle n'est pas heureuse de cette situation, évidemment, et nous non plus, elle aimerait rentrer en France. Il faut s'armer de détermination, nous ne l'abandonnerons pas. Pas plus que les autres otages français.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2010