Texte intégral
G. Durand.- Avec G. Tron, bonjour. Chargé de la Fonction publique au Gouvernement. On va parler évidemment du sommet social de l'Elysée, de ce qui s'est passé sur les marchés et du sauvetage de l'euro et un petit peu de la situation politique. On est ravi de vous accueillir. Commençons par ce sommet social de l'Elysée. Alors, il y a une grande bataille sémantique, vous le savez, autour du mot de rigueur : est-ce qu'on doit, est-ce qu'on ne doit pas l'employer ? Des gens l'emploient, comme J.-F. Copé, des gens ne l'écartent pas, comme P. Lellouche, qui fait quand même partie de votre équipe. Est-ce qu'il faut mettre les pieds dans le plat ou est-ce qu'il faut tourner autour de ça et avoir peur d'un mot ?
Je crois qu'il faut mettre les pieds dans le plat, mais pas autour d'un mot. Il faut mettre les pieds dans le plat pour dire que quel que soit celui que l'on décide d'employer, la France n'a pas le choix que de se dire que la reprise de ses comptes publics est une nécessité. On met le mot que l'on veut là-dessus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous avons depuis maintenant deux ans, suite à la crise, les comptes publics, et ce n'est pas qu'en France, qui ont absolument explosé. Si on ne reprend pas en main tout cela, ce n'est pas tellement une question, ni de rigueur, ni de normes européennes, c'est simplement que l'on constituera une dette qui fera des dégâts considérables pour des générations entières. J'ai toujours dit, j'ai toujours pensé en tant que parlementaire, j'ai rendu plusieurs rapports à ce sujet, que c'était la priorité des priorités. On est au coeur du sujet, c'est une priorité, c'est tout le sujet.
Mais pourquoi on a peur du mot, alors ? C'est le traumatisme français, R. Barre, le tournant de la rigueur, P. Mauroy, enfin, c'est les précédents.
Je pense que les précédents doivent jouer, je pense aussi que l'on est arrivé dans une situation, on le voit bien sur les marchés, où le moindre mot, la moindre mesure, pour peu que l'on centralise le débat dessus, peut avoir des effets qui sont absolument considérables. Donc, si on passe notre temps à parler du mot, on ne parle plus de ce qu'il y a derrière le mot. Moi je m'intéresse à ce qu'il y a derrière le mot, et ce qu'il y a derrière le mot, c'est une nécessité, celle de reprendre en main nos comptes publics. Nous avons des déficits, qui aujourd'hui ne sont pas compatibles avec la viabilité de notre système social économique.
Alors, justement, qu'est-ce qui est sorti, concrètement, du sommet social qui a eu lieu hier à l'Elysée ? Il y avait quand même le président, sept ministres, les syndicats, le patronat, tout le monde réfléchit à ce que pourrait être la réforme des retraites. Bon, la mesure essentielle, qui n'est pas encore définie, c'est effectivement la taxation des hauts revenus, ça va regrouper exactement quoi, par exemple ? Les pistes sont lesquelles ?
Je réponds à votre première question. Hier, qu'est-ce qui s'est passé ? Nous avons eu une phase de négociations entre le Gouvernement, le Président et les syndicats. C'est une phase qui, sur tous les chantiers, est devenue incontournable, et indispensable et c'est très bien ainsi. Moi je le vois sur les retraites avec E. Woerth, nous avons peut-être une trentaine, une quarantaine d'entretiens, sur deux mois, avec les syndicats, pour bien cadrer les choses avec eux. L'important c'est que, aujourd'hui, on avance dans les discussions et la concertation. En second lieu, ce qui est important de retenir, me semble-t-il, c'est le fait que nous sommes actuellement dans une nouvelle phase de l'action économique et sociale du Gouvernement. Pourquoi ? Il y a deux ans, la crise étant ce qu'elle était, il fallait réagir et prendre des mesures qui soient appropriées au contexte de crise. Nous ne sommes plus aujourd'hui dans le même contexte. La crise est vraisemblablement, je suis toujours prudent, derrière nous, nous avons maintenant besoin de nous axer sur une autre priorité, il s'agit non pas d'avoir un effondrement de croissance, il s'agit d'avoir une reprise en compte de nos finances publiques. C'est pour ça que, hier, il y a eu toute une série de mesures qui ont été confortées, c'est toutes les mesures en faveur de l'emploi, et des mesures qui sont des mesures qui marchent plutôt pas trop mal, on a une stabilisation dans la période récente, de la situation de l'emploi, et puis il y a un retour sur les mesures qui étaient prises il y a de cela quelques mois, pour conforter la croissance et notamment la consommation. On n'est plus dans le coeur de la crise, on revient sur ces mesures.
Voilà, on revient sur ces mesures, c'est quoi, c'est l'exonération de... on arrête l'exonération de charges pour les toutes petites entreprises de moins de 10 salariés ?
Ce sont des mesures qui, en réalité, avaient comme objectif précis de pouvoir aider la consommation, celle-ci en est une, de pouvoir faire en sorte qu'il y ait un soutien à la croissance. On est aujourd'hui dans une période où on voit que ça a marché ; la France, aujourd'hui, est l'un des pays d'Europe, le pays d'Europe, d'ailleurs, où la croissance est la meilleure et on est même nettement au-dessus de nos partenaires. Et quand on voit les effets de la crise chez nous, ils sont nettement moindres que ce qu'ils ont été chez nos partenaires.
Mais j'en reviens à la question, G. Tron, que je posais tout à l'heure, concernant le dossier particulier des retraites. On voit bien les pistes, qui sont : passer de 60 à 61 ou 62 ans ; les autres pistes, l'allongement des durées de cotisations, mais il y a cette grande question qui est la taxation des hauts revenus. Est-ce que cette fois-ci on est sur une direction affirmée ? Et quoi, qui ?
On est sur une direction affirmée. On dit les choses dans le bon ordre. Pourquoi dans le bon ordre ? D'abord parce que le débat sur les retraites, c'est pas un débat économique, ce n'est pas un débat financier, ce n'est même pas un débat social, c'est un débat de société. Il faut un peu de cohérence dans ce que nous disons tous. Nous sommes dans un système qui est un système intergénérationnel, par répartition. Ça veut dire que de facto, ça fonctionne comme ça. Si on ne prend pas des mesures, on sait que le système ne tiendra plus. Deux types de mesures, évidemment, il y a soit les mesures qui sont liées à l'âge, et dans un système par répartition il me semble que ce sont des mesures qu'on ne peut pas mettre de côté, soit des mesures de revenus. Les mesures de revenus, elles correspondent à un objectif du Gouvernement...
L'âge, vous savez que les syndicats n'en veulent pas.
Oui, mais ça, la discussion avec eux est actuellement en cours...
Et après, vous dites : on négocie, on négocie avec eux, mais ils n'en veulent pas, de toute façon.
Oui, mais pour négocier.
Ils n'en veulent pas au début, ils n'en veulent pas pendant, ils n'en voudront pas après, tout le monde le sait.
Oui, mais l'intérêt de la négociation c'est que chacun écoute l'autre. On peut arriver, quand on est syndicat, dans une négociation, c'est ce qu'ils font d'ailleurs, en disant : voilà ce pourquoi nous sommes, nous, d'accord, voilà ce contre quoi nous nous érigeons. Et puis le Gouvernement donne des arguments, ils les écoutent, ils les entendent. Dans un système par répartition, on ne peut pas faire abstraction de l'âge. Cela dit, les syndicats, pour répondre très précisément à votre question, sont très soucieux qu'il y ait également des mesures d'équité...
Une sorte de justice sociale...
D'équité, c'est ça.
D'où la taxation des hauts revenus ?
D'où la taxation des hauts revenus.
Et j'y reviens, et on taxe qui et comment et quoi ?
Les hauts revenus c'est très simple...
C'est quoi ? Les stock-options, les assurances vie ?
Les stock-options, parlons en si vous voulez. Les stock-options c'est devenu en quelque sorte le centre d'un débat symbolique. Si vous prenez la totalité de l'assiette des stock-options, ça fait deux milliards d'euros ; si vous les taxez à 100 %, vous touchez deux milliards d'euros. Si vous touchez deux milliards d'euros, vous touchez 6% du déficit de 2010. Donc il faut des mesures qui soient des mesures qui passent pour des mesures équitables qui d'ailleurs au demeurant doivent l'être...
Et symboliques.
Et symboliques, il ne faut pas penser une seconde que ces mesures sont des mesures suffisantes. Et c'est la raison pour laquelle le Président a insisté à cet égard plusieurs fois pour dire que personne ne doit considérer que dans des mesures pour sauver le système des retraites, il peut être mis à part.
Donc les stock-options mais en matière de hauts revenus, il n'y a pas que les stock-options ?
Non il peut y avoir des mesures...
Cessions immobilières, dividendes, ventes d'actions, c'est un dispositif global ou il s'arrêt au symbole qui est celui des stock-options à cause de la crise financière ?
Au stade où on en est, c'est au niveau du principe.
Donc, tout est possible.
Le principe est : il n'y aura pas une catégorie et en particulier la catégorie la plus aisée de la population qui sera exemptée de participer à l'effort collectif. C'est une mesure d'équité, on ne peut pas demander aux uns de faire un effort et pas aux autres. A mon sens, cela étant, je reviens un peu à la question initiale, si vous me le permettez, je crois que la première chose à faire, c'est de voir comment est-ce qu'on peut réduire la dépense globale. Avant de nous focaliser sur des mesures de recettes, il faut d'abord, me semble-t-il, se focaliser sur les dépenses. La France a un taux de dépenses publiques qui est le plus important de tous les pays comparables, il faut que nous fassions en sorte d'avoir d'abord des mesures d'économies et qu'ensuite on ait des mesures de recettes. Parce que faire l'inverse, ça veut dire qu'on s'intéresse à une partie, pardon de le dire, qui sera forcément relative au regard du problème posé, le vrai sujet, c'est la dépense.
Quelle est la date fixée pour l'arrêt des discussions ?
Avec les syndicats, d'ici à peu près une dizaine de jours, E. Woerth et moi-même rendrons public un document d'orientation qui fixera en gros les grandes idées, ce que l'on ne veut pas, par exemple la diminution des pensions, et ce sur quoi on peut travailler et il y aura là plusieurs paramètres qui seront évoqués.
Attendez, « on peut travailler », ça veut dire ce sur quoi on peut encore parler ou ce sur quoi on peut encore négocier ?
Ce sur quoi on peut encore parler et négocier.
Quoi par exemple ?
Vous avez tous les paramètres classiques que l'on connaît. Si on dit que l'on exclut les baisses des pensions, ça veut dire que la question des allongements de durée, ça veut dire que la question des recettes pourront être évoquées dans ce document. Et puis un mois après, aux environs du 20 juin, on remettra là le document qui sera le document servant de base au texte présenté au Conseil des ministres en juillet.
Et ça, ça ne bougera plus jusqu'en septembre ?
Non, la discussion est ouverte évidemment jusqu'au 15 juin, les ajustements sont possibles entre le 15 juin et le 15 juillet, et puis G. Durand, je me permets de le signaler, il y aura toutes les discussions qui précèdent le vote et qui veut dire que les parlementaires, c'est tout à fait normal et légitime, auront leur mot à dire en septembre et en octobre.
Et donc avec la possibilité éventuelle d'amender le texte. Vous savez qu'il y a une chose qui est très importante, et puis d'abord, est-ce que vous considérez qu'on a sauvé l'euro ?
Je considère qu'on a sauvé l'euro et je considère qu'il faut se méfier des mouvements d'excès à la hausse comme des mouvements d'excès à la baisse.
C'est-à-dire la tranquillité d'hier avec la bourse qui a monté de pratiquement 10% et Tokyo ce matin qui est légèrement en recul ?
Oui, il faut être dans une logique beaucoup plus mesurée, il était évident que face à la spéculation il fallait des mesures d'ampleur, 750 milliards de plan annoncés, ce sont des mesures d'ampleur. Cela étant, il faut être à mon avis beaucoup plus en recul que ce que certaines réactions le laissent penser.
Mais la part française des 750 milliards, c'est 90 milliards dit, ce matin C. Lagarde chez nos confrères Les Echos, donc une interview qui est intéressante et qu'il faut absolument lire. Mais les Français qui sont dans la panade, pardonnez-moi cette expression un peu vulgaire, les agriculteurs etc., ils disent ces 90 milliards pour aider les Grecs ou en tout cas pour aider l'euro, pourquoi on ne les a pas nous, puisqu'on est dans ce... Là, vous nous dites, rigueur, finances publiques etc.
Je n'ai pas dit rigueur...
Oui enfin, vous ne l'avez pas dit, vous avez dit finances publiques, équilibre des comptes, etc. mais ce qu'on donne pour sauver l'euro, il est évident que les François qui nous écoutent ce matin, ils doivent se dire pourquoi on ne le débloque pas pour nous aider nous.
G. Durand, l'euro c'est le fondement du monde économique européen, c'est-à-dire que si demain l'euro s'effondrait parce qu'on n'est pas capable de juguler une crise et en particulier une crise qui touche les finances de deux, trois ou quatre pays européens, ça voudrait dire que la question se poserait même pas de savoir qui on peut aider. L'euro c'est le fondement, la politique européenne c'est le fondement. Ensuite, on dégage des marges pour aider les uns et les autres.
D'accord mais vous savez que politiquement ça va être compliqué à expliquer.
Non je pense que les Français...
Prenons les agriculteurs, c'est la plus grave crise, d'ailleurs votre Gouvernement le dit, depuis 30 ans. On a beaucoup de mal à les aider, c'est une situation qui est quand même assez catastrophique et là, tout d'un coup, on va leur expliquer, eux qui sont assez peu sensibles aux problèmes européens, on va leur expliquer qu'on va trouver 90 milliards.
Oui mais tous les agriculteurs savent parfaitement que la politique agricole commune dont la France est un ardent défenseur est une des politiques majeures de la politique européenne. Si on a une crise majeure en Europe, on aura bien entendu des conséquences, y compris en matière agricole parce qu'il n'y aura plus de PAC telle qu'elle existe aujourd'hui. Donc il faut bien comprendre que si on veut maintenir des aides qui soient des aides ciblées et les agriculteurs, B. Le Maire l'a très bien dit encore ces derniers jours, et les agriculteurs sont en première ligne, il faut consolider les bases et les bases, pardon de le dire, c'est la politique européenne.
Alors ce mot de rigueur que j'essaie de vous faire prononcer, je ne suis pas le seul, tous les interviewers de la matinée ont essayé de le faire prononcer à tous les invités de toutes les grandes radios, c'est donc la tradition de Radio Classique, on écoute tous les grands entretiens. C'était à RTL, H. Guaino, conseiller du président à 7h51.
[Extrait]
Et Canal+, J.-M. Le Guen, le socialiste, 7h53, lui considère que c'est la rigueur.
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Troisième point, J.-F. Copé, le président du groupe UMP à l'Assemblée. Sur France 2, il y a quelques instants. Le mot rigueur, dit-il, a peu d'importance. [Extrait] France Inter, C. Duflot, il était 8h22.
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Voilà donc l'essentiel des interviews de la matinée. Rigueur et injustice, disait le socialiste J.-M. Le Guen. Injustice ?
Oui, c'est assez étonnant parce que, d'abord, J.-M. L Guen connaît bien ses sujets, on le voit d'ailleurs dans ses prises de position assez iconoclastes au Parti socialiste, concernant les retraites. Je fais simplement une remarque. Ce qu'a dit le président de la République hier, c'est que l'on n'était plus dans la même situation qu'il y a un an et demi, et donc les mesures qui ont été prises, conjoncturellement pour aider pendant la crise, sont des mesures sur lesquelles aujourd'hui, on revient. Ce n'est quand même pas quelque chose d'invraisemblable, que de penser que quand vous êtes en situation de souffrance économique, des mesures qui soient précisément ajustées pour vous aider, et quand la situation s'améliore, on puisse revenir dessus. Si vraiment le débat se focalise là-dessus, pardon de le dire, il va falloir que le Parti socialiste, qu'il nous explique très concrètement ce à quoi il pense. Alors, on pourra toujours avoir, comme J.-M. Le Guen l'a dit, des mesures de recettes, je les ai moi-même évoquées après le président de la République hier. Je dis simplement qu'il faut être à la hauteur des sujets. Vous m'interrogiez, G. Durand, sur les retraites, je vous prends cet exemple, et je pense en le disant, non pas aux chiffres que j'évoque, mais à mes enfants et tous les enfants de chacun d'entre nous qui sont concernés. Il y a 32 milliards, c'est les chiffres du COR, de déficit, pour les retraites, sur l'année 2010, 32 milliards. Je répète le chiffre, la taxation à 100 % des stock-options, c'est 2 milliards, c'est une fois, pas deux fois.
Mais votre ex-mentor, D. de Villepin, ou peut-être encore votre actuel mentor, lui considère, il l'a dit à Vincennes hier, qu'il faut absolument augmenter les impôts. Est-ce que vous considérez que c'est la bonne piste ?
L'augmentation globale des impôts, j'avais d'ailleurs des discussions avec D. de Villepin, à ce sujet, dans les dernières semaines, n'est pour moi en aucun cas la bonne formule. Pourquoi ? Parce qu'une fois de plus on va se focaliser sur la recette...
Il ne va pas être content, quand il va vous écouter ce matin...« Il a beaucoup changé, G. Tron...
Non, je sais, mais j'en ai parlé avec lui !
Il a beaucoup changé, depuis qu'il est avec N. Sarkozy.
J'en ai parlé avec lui dans les tous derniers jours, et je le vois régulièrement, et je vous le redis, ma position sur ce point-là n'a pas modifié d'un iota, on a un problème de dépenses, commençons par voir si les dépenses sont justes, si elles sont des dépenses qui se justifient, évaluons-les et ensuite on aura des mesures sur les recettes, pas l'inverse.
Merci G. Tron d'avoir été l'invité de Radio Classique ce matin.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 11 mai 2010