Texte intégral
N. Demorand.- Dans deux jours, le 1er mai et ses manifestations. Allez-vous regarder de près la mobilisation, la taille des cortèges ?
Oui, évidemment. C'est une manifestation cela dit traditionnelle. On manifeste tous les 1er mai et ce 1er mai comme les autres 1er mai. Mais un ministre du Travail, un gouvernement regarde tout ça, toujours avec attention.
Si la mobilisation est forte, elle peut modifier le climat du chantier de la réforme des retraites ?
Je ne le pense pas parce que c'est une nécessité de réformer les retraites, c'est indispensable. Il suffit de regarder les choses en face, et puis on s'aperçoit qu'il faut évidemment le faire pour sauvegarder notre système par répartition. Ce n'est pas des mots, comme ça, qu'on dit, c'est la réalité. L'idée, c'est de protéger les retraites des gens, de faire en sorte que le système par répartition, dont tout le monde dit qu'il y est très attaché, il faut le réformer pour pouvoir tout simplement poursuivre ce beau système, qui est un système de solidarité entre les générations. Sauf que, dieu merci on vit plus longtemps et à ce moment-là, il faut payer pendant plus longtemps les retraites des gens et donc il faut modifier les règles de financement.
Vous recevez les partis politiques, hier, c'était au tour du Parti socialiste. De quoi avez-vous parlé avec M. Aubry dès lors que ni le PS, ni le Gouvernement n'a mis ses propositions sur la table ? Vous avez parlé de quoi ?
Pendant longtemps d'abord. On a parlé pendant une heure et quart. C'était intéressant.
Mais alors de quoi ?!
Ben des retraites ! Et puis d'une manière générale...
Mais de manière philosophique ?
Non, d'une manière très précise. Moi j'ai indiqué les pistes qu'explorait aujourd'hui le Gouvernement sans évidemment en donner une plus prioritaire qu'une autre. Je suis dans une phase de concertation. Le Gouvernement veut écouter donc nous écoutons. C'est ce que j'ai dit à M. Aubry qui m'a dit "mais vous n'avez pas de texte, je n'ai jamais vu ça !" Mais ça me semble assez naturel dans une phase de concertation d'abord d'écouter et puis, après, de rédiger un texte. Si vous rédigez un texte avant d'écouter, c'est assez curieux comme méthode. En dehors des questions de méthode, parce que c'est assez classique quand on conteste, souvent les choses, on parle d'abord des méthodes parce que c'est plus simple. On a une méthode qui est une méthode réellement d'écoute très approfondie. Mais vous savez, tout est sur la table. Les gens qui sont en face, les spécialistes, les spécialistes retraite des partis politiques, les spécialistes des retraites des syndicats, les numéros un des partis politiques comme des syndicats, sont des gens qui connaissent extrêmement bien le sujet, parce que ça fait vingt ans qu'on en parle. Et donc évidemment, à un moment donné, on s'approche d'une décision. On a eu une décision en 1993, on a pris des décisions en 2003. Il faut en reprendre aujourd'hui, quasiment dix ans après, parce que la démographie, parce que la crise, parce que la vie a changé. C'est une question de responsabilité. Je l'ai dit à M. Aubry. Alors, elle m'a dit "mais écoutez nous, on donnera notre projet dans les semaines ou dans les mois qui viennent. Je ne sais pas exactement". Je lui ai dit, "voilà, dont acte". On est en tout cas convenu d'une chose, c'est que notamment sur la pénibilité, essayer de faire en sorte de bien prendre en compte l'usure souvent physique, un peu prématurée de quelqu'un parce qu'il travaille de nuit, parce qu'il porte des charges lourdes, etc., que tout cela devait être pris en compte dans le débat sur les retraites.
Il y a eu d'autres points de consensus entre M. Aubry et vous-même ?
Le travail des seniors aussi, c'est de dire on ne peut pas avoir une sorte de variable d'ajustement, comme on dit, uniquement sur l'âge de quelqu'un. On ne peut pas entre 50 et 60 ans considérer qu'on devient inemployable parce qu'on a entre 50 et 60 ans. C'est inacceptable. Beaucoup de progrès ont été faits quand même là-dessus, mais il faut continuer. Et notamment si on considère que le régime par répartition c'est d'abord de la démographie, c'est-à-dire la taille d'une génération par rapport à une autre. La logique d'ailleurs voudrait qu'au fond, les actifs de l'année paient les retraites des retraités de l'année. C'est comme ça que ça doit fonctionner. Cela ne fonctionne pas comme ça parce qu'il n'y a pas assez d'actifs aujourd'hui. Donc il y a un problème de démographie, je lui ai dit et je lui ai dit qu'il fallait évidemment aborder la question de la démographie. Visiblement, le Parti socialiste considère que ce n'est pas une priorité, que la priorité passe par les recettes, faire en sorte qu'il y ait plus de recettes, plus de ressources et là-dessus, il n'y a pas de réponse.
Et là-dessus, vous répondez quoi ?
Je réponds qu'aujourd'hui c'est 30 à 32 milliards le besoin de financement sur l'année pour les retraites. Et puis, on voit que selon le Conseil d'orientation des retraites, ce sera de plus en plus important. Cela monte jusqu'à 100 milliards dans les années 2050. Et 2050 en matière de retraite, ce n'est pas un horizon complètement idiot. C'est l'horizon des retraites de vos enfants. Donc c'est normal de penser jusque-là. On n'y arrive pas en augmentant uniquement les recettes parce qu'à ce moment-là, vous plombez totalement la compétitivité du pays. Il faut augmenter de 50 % l'impôt sur le revenu ! C'est tout simplement pas possible. Qu'il y ait, à un moment donné, des ressources supplémentaires, notamment parce qu'on a envie d'être plus juste, de faire en sorte que cette réforme elle soit équitable, elle soit juste pour tout le monde, donc de faire en sorte que sur telle assiette de prélèvement, on se dise que la contribution pourrait être plus importante, je dis à M. Aubry "oui ce que vous dites sur ce sujet, moi je suis prêt à le partager. Mais ne dites pas que la solution passe par l'augmentation des prélèvements obligatoires. Ça, ce n'est pas possible.
On a du mal à croire qu'à ce stade de la concertation, vous n'ayez absolument rien d'à peu près sûr du côté qui est le vôtre, à savoir celui du Gouvernement et l'exécutif.
Non, mais le Gouvernement, évidemment, il a des idées là-dessus. On a fait d'un certain nombre de conditions.
Mais pourquoi vous ne les mettez pas sur la table ?
Mais parce que c'est beaucoup trop tôt. Parce que d'abord, elles ne sont pas figées, elles ne sont pas définitives nos idées. Heureusement qu'on a nos convictions, tout le monde a des convictions sur le sujet.
Est-ce qu'il y a moyen de les préciser ?
Mais je pense qu'il faut faire les choses par étape, parce que c'est un sujet qui intéresse tout le monde. Donc il ne faut pas avoir des idées totalement arrêtées, des idées fixes sur ce sujet. Nous avons deux idées fixes. Un, nous voulons que la réforme soit efficace, c'est-à-dire résolve le problème pour un temps long. Et deux, on veut que cette réforme elle soit juste. Donc là-dessus, d'ailleurs, on est d'accord avec M. Aubry. Juste et efficace, je ne suis pas sûr qu'on mette exactement les mêmes choses là-dedans, mais en tout cas, nous sommes d'accord avec le Parti... Ou en tout cas, le Parti socialiste est d'accord avec nous puisque nous le disons depuis longtemps. Deuxième point, on dit qu'on ne peut pas avoir de réforme des retraites sans une approche démographique, c'est-à-dire sans se poser la question du nombre d'actifs que nous sommes pour payer les retraités, les retraites des retraités d'aujourd'hui. Et ça, ça va être de mieux en mieux je dirais, puisqu'on va vivre de plus en plus longtemps. Hier soir, j'organisais un débat avec H. Le Bras, un grand démographe, qui nous disait que l'espérance de vie allait encore augmenter dans les années qui viennent. Eh bien tant mieux ! Et l'espérance de vie en bonne santé, vous êtes quasiment en bonne santé jusqu'à un an ou deux ans avant votre mort. Donc c'est très très long et ça c'est une magnifique nouvelle pour la société française. Juste, il faut payer. Donc il doit y avoir une réponse démographique à un problème qui est d'abord démographique. Et puis après, il faut prendre en compte d'autres éléments, des recettes. Il faut prendre en compte évidemment des éléments plus généraux, parce que la retraite c'est la vie en société, c'est le sens du travail. C'est tout cela. Ce n'est pas uniquement une réforme technique ou une réforme paramétrique comme on dit. C'est plus que cela.
Espérance de vie de cette réforme des retraites, c'est quoi ? Cinq ans, dix ans, quinze ans, trente ans ? C'est la réforme des réformes, la mère de toutes les réformes ? On se retrouve dans un demi-siècle pour en reparler ? Ou c'est un ajustement comme il y en a eu tellement ces dernières années ?
Je pense que c'est ni l'un ni l'autre. Ce n'est pas la mère de toutes les réformes. C'est peut-être le père de toutes les évolutions mais ce n'est pas la mère de toutes les réformes, parce qu'on ne peut pas réfléchir comme ça. C'est évidemment une réforme significative qui permet sur un temps - on est en train de discuter du temps, ça peut être dix ans, ça peut être vingt ans, on verra - qui permette de vraiment éclaircir ces années-là en terme de retraite et qui fasse que les jeunes, par exemple, aujourd'hui, ne soient pas en train de se demander, au fond, s'ils partiront avec une retraite ou pas, ce qui n'est pas possible. On doit éclairer la société française là-dessus, on doit assumer. On doit assumer en toute justice les choses. Chacun est devant sa conscience, au fond, en terme de retraite. Parce qu'en fait, quand il décide de ne pas faire d'effort, ou quand il souhaite s'opposer à un certain nombre d'efforts, s'ils sont justes et s'ils sont équilibrés, alors en réalité, il va faire porter ses efforts sur la génération d'après, sur son fils ou sur sa fille. Et c'est aussi simple que cela. Et je pense que les gens sont en train de s'en rendre compte. Ce n'est pas une vision de droite - c'est ce que je disais à M. Aubry -, ce n'est pas une vision de droite, ce n'est pas une vision de gauche, c'est juste une vision de Françaises et de Français.
Si on prend la question de l'inégalité homme-femme face à la retraite, qui est l'une des très grosses, très lourdes et structurelles inégalités des systèmes de retraites français, est-ce que votre réforme va régler ce problème ?
Cette inégalité, elle existe encore dans la société française. On en parle depuis longtemps, elle est inacceptable. Notamment les femmes gagnent moins que les hommes à boulot identique. Ce n'est évidemment pas acceptable et on retrouve en fait cette inégalité après, puisque la retraite c'est d'une certaine façon un peu le miroir de votre carrière professionnelle. Alors on voit simplement quand même que cette disparité, elle se réduit. Elle se réduit pour un certain nombre de raisons. D'abord parce qu'il y a beaucoup d'actions pour essayer de faire en sorte que les hommes et les femmes soient plus égaux et moi je vais évidemment beaucoup travailler et beaucoup continuer là-dessus. Je remarque aussi que la retraite des femmes, elle est moins importante parce que les femmes travaillent plus en activité partielle ou s'arrêtent pour des raisons de maternité...
Il va y avoir des mécanismes pour ça ou pas ?
...Qu'on doit mieux prendre en compte et lorsque je réunis les syndicats, nous le faisons maintenant sur des thèmes précis. Le thème de la pénibilité mais aussi le thème des solidarités. Comment un régime de retraite est plus solidaire ? Au fond, quand quelqu'un est au chômage, il faut évidemment qu'il retrouve du travail pour lui et pour tout le monde, mais en même temps, en réalité, la solidarité fait qu'on cotise pour sa retraite. Et quand une femme a plusieurs enfants, à un moment donné, quand elle s'arrête de travailler pour élever ses enfants, pour sa maternité, on prend en compte ses trimestres de retraite. On doit bien travailler là-dessus pour que notre système, il soit parfaitement solidaire et parfaitement juste.
Quelques questions d'actualité. Qu'est-ce qui se passe - vous étiez ministre des Comptes publics jusqu'il y a à quelques semaines, ministre du Budget -, qu'est-ce qui se passe en Europe en ce moment ? Est-ce que la situation est grave ?
La situation est évidemment une situation qui mérite beaucoup, beaucoup d'attention. C'est ce que font tous les pays européens.
La zone euro est menacée ou pas ?
Non, bien sûr que non, parce que justement la zone euro agit. L'Europe, ce n'est pas un Etat fédéral donc chaque Etat vit sa vie dans un système de coordination. On voit bien d'ailleurs que ce système, il doit être terriblement renforcé. Le président de la République, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il agit pour cela. Le problème de la Grèce, c'est qu'elle est rentrée dans la zone euro sur probablement des chiffrages qui n'étaient pas justes, qui n'étaient pas exacts. Quand on a vu, au fond, les vrais chiffres certainement par rapport aux chiffres qui étaient annoncés, ça ne donne pas confiance. Et cela ne donne pas confiance, évidemment, aux investisseurs. Mais d'un autre côté, on partage la même monnaie donc il faut intervenir. La France le dit depuis longtemps. Nous avons d'ailleurs décidé d'intervenir après avoir réussi à faire en sorte que tous nos partenaires européens soient d'accord pour le faire. Et là, il y a un texte la semaine prochaine, C. Lagarde, F. Baroin présenteront ce texte à l'Assemblée nationale, où la France décide de lever des fonds, lève des fonds et les prête à la Grèce. Et tous les pays européens vont faire la même chose. Nous on fera 20 % du sujet ou 21 % du sujet. Mais il faut aller vite parce qu'il faut d'un côté arrêter la spéculation qui est scandaleuse, qui est quand même scandaleuse. Avant on spéculait contre les banques, maintenant on spécule contre les Etats ! Elle est absolument scandaleuse, il faut arrêter ça ! D'où la nécessité d'avoir des méthodes de régulation. Franchement, la France les appelle depuis deux ans - pas toute seule, le monde est grand. Mais il faut qu'il y ait des méthodes de régulation sinon on a, comme ça, un pays ou un Etat ou une entreprise qui est prise comme cible par un certain nombre de spéculateurs, avec des méthodes compliquées et qui donnent cela. Et le risque grec, au fond, est de sauver la Grèce, faire en sorte de faire des efforts pour la Grèce, mettre de l'argent français - emprunté, la Grèce nous le remboursera bien sûr. Mais pour la Grèce, c'est au fond nous aider nous-mêmes, c'est nous aider nous-mêmes. Les Français doivent évidemment comprendre et je crois qu'ils l'ont bien compris.
Dernière question : la France est évidemment aussi sous l'oeil des agences de notation. Est-ce que la réforme des retraites que vous portez est un signe également envoyé à ces agences de notation que le boulot est fait chez nous ?
Mais c'est un signe envoyé au monde entier. C'est un signe pour montrer que la France, elle a des problèmes comme tous les pays, et que ces problèmes, on les regarde en face et qu'on les affronte et qu'on les résout.
Mais vous pensez aux agences de notation quand vous réformez le système des retraites ?
Non, moi je ne pense pas. Je trouve que les agences de notation, elles ont besoin aussi parfois d'être réformées. Elles n'ont pas vu venir les crises donc à un moment donné, elles doivent arrêter d'être dans un système où elles emballent elles-mêmes les choses. Donc il faut faire quand même très attention. Cela dit, tout cela existe et donc la réforme des retraites, c'est une réforme nécessaire donc elle doit être efficace, elle doit être juste. Et en même temps, c'est à la fois la préservation de notre système et puis c'est l'illustration de notre sérieux.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 30 avril 2010