Texte intégral
Avec la crise grecque, qui est aussi la nôtre, l'Europe traverse une épreuve décisive pour son histoire et son avenir, soixante ans, presque jour pour jour après la déclaration Shuman. Ne cédons pas à la facilité des discours anxiogènes et déclinistes, et regardons les choses en face. Cette crise montre une seule chose : que nous avons besoin de plus d'Europe. L'Europe est née dans la crise, elle sortira renforcée de cette nouvelle épreuve. J'en suis certain, et j'y travaille avec l'ensemble du gouvernement et tous nos partenaires européens.
Nous sommes animés par une conviction très simple et très forte : aider la Grèce aujourd'hui, c'est protéger notre monnaie commune mais aussi défendre les revenus et le travail des Français de demain. Au-delà des débats naturels entre vingt-sept Etats, la solidarité des Européens est totale. Elle est aussi exigeante. Les mesures décidées sont douloureuses, la société grecque est appelée à modifier en profondeur ces équilibres. Cela demande du temps et du courage. Je veux rendre hommage au Premier ministre grec et la population. L'Europe ne les abandonnera pas.
On ne peut pas se permettre d'attendre la prochaine crise. Il faut anticiper : ne pas prévoir, c'est déjà gémir. Compléter l'édifice de la monnaie unique et développer la régulation des marchés financiers constituent une urgence. Dans leur lettre conjointe du 6 mai, le président de la République et la chancelière allemande ont fait des propositions concrètes pour renforcer la gouvernance économique de la zone euro et la régulation des marchés financiers. Il faudra convaincre. Je ne sais pas s'il faudra changer les traités, mais je suis sûr qu'il faudra changer notre vision de l'Europe.
La crise grecque met en avant cette évidence : l'Europe est parvenue à un moment critique. Nous avons suffisamment accompli pour faire de notre continent un espace de prospérité et de paix. Mais l'édifice sera bientôt menacé. Si nous voulons être les acteurs de notre propre histoire, nous devons nous donner les moyens de peser face aux nouveaux acteurs qui dessinent, sous nos yeux, l'organisation du monde. Ou alors ce sont eux qui nous imposeront leurs valeurs, leur modèle de société, leurs choix économiques, et nous seront le jouet des événements.
L'impulsion des fondateurs doit trouver des relais pour retrouver un sens. Elle ne parle plus de la même manière aux jeunes générations. Le mot "paix" n'éveille pas les mêmes rêves selon qu'on a eu - ou pas - à se battre pour elle. Le contexte, surtout, a changé : la guerre froide a laissé place au bouillonnement d'une mondialisation qu'il faut organiser. Et l'Europe à nouveau doit décider d'elle-même.
Les obstacles sont d'abord politiques. D'un côté, ceux qui ne cherchent plus à construire, juste à perfectionner et à "avoir la paix". De l'autre, ceux dont les ambitions restent chimériques. Nous courons le risque de ne plus voir ce que nous avons à gagner ensemble. Les solutions aussi sont d'abord politiques.
Nous avons le Traité de Lisbonne, il faut inventer des politiques à la hauteur de nos institutions. Et pour cela, balayant le pessimisme, retrouver l'esprit du compromis sur des projets pour l'avenir ; un plan européen ambitieux de sortie de crise ; une gestion concertée de l'énergie ; une véritable capacité de gestion des crises grâce à une mutualisation de nos moyens.
Les compromis sont toujours douloureux. Ils ont un coût immédiat, notamment auprès des opinions publiques, quand elles préfèrent se replier derrière le cadre rassurant des certitudes nationales et des habitudes. Accepter de payer le prix : c'était peut-être plus facile pour nos aînés, parce qu'ils ont vu de près le moment où l'Europe allait être broyée par d'inoubliables violences. Le danger que nous courons est moins visible et plus insidieux. Il est d'autant plus redoutable. Il s'appelle l'abandon, et d'abord de l'idée européenne elle-même.
Nous avons besoin d'une génération ferme et résolue de politiques, d'entrepreneurs, de penseurs, dont la conscience et surtout l'ambition s'élargissent aux dimensions de l'Europe dans la diversité, la richesse, et l'ampleur de sa trajectoire. C'est à travers l'essor des universités et la circulation des idées que se sont dessinés, il y a près de dix siècles, les premiers contours de l'aventure européenne. Aujourd'hui encore, rendre plus européens les parcours est le ferment du renouveau.
Nous traversons la crise économique la plus grave depuis que l'Europe existe. Le monde en est déjà profondément bouleversé. Le 9 mai 1950, Robert Schuman a dit : nous allons rendre impossible toute guerre entre la France et l'Allemagne. Aujourd'hui, il faut rendre possible la contribution de l'Europe à l'organisation du monde - seule manière pour les Européens de rester maîtres de leur destin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2010