Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique à RFI le 5 mai 2010, sur la réforme des retraites, notamment l'âge de départ à la retraite, les régimes spécifiques et l'augmentation de la durée des cotisations sociales.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


 
 
F. Rivière.- Pouvez-vous affirmer ce matin sans la moindre ambiguïté qu'aucun calendrier prévoyant un repli progressif de l'âge de la retraite à 63 ans  a été arrêté par le Gouvernement ?
 
Oui, je peux affirmer exactement ce que vous venez de dire, à savoir que nous sommes dans une phase de négociations, extrêmement dense d'ailleurs, on est quasiment une cinquantaine, une soixantaine, je ne sais même plus, d'entretiens déjà faits ou à prévoir dans les prochaines semaines, aucune décision n'est prise sur le sujet.
 
Si le ministre du Travail, E. Woerth, ne veut ni diminuer les pensions, ni augmenter les prélèvements, il ne reste qu'une solution, c'est augmenter la durée de cotisations. Pourquoi tourne-t-on autour du pot et pourquoi à ce moment-là, on ne dit pas "oui, c'est sur cette piste-là qu'on travaille" ?
 
Parce qu'il faut faire les choses dans l'ordre qui a été annoncé. S'il s'agit, d'une part, de dire que des décisions sont déjà prises, les syndicats vont considérer à très juste titre que la discussion n'a pas lieu d'être. Et donc, il faut bien montrer que tout est ouvert. Et il faut le faire en second lieu sur la base d'un constat, qui, je crois, est inattaquable, même si j'ai entendu quelques attaques sur le sujet, et qui est celui du COR. A partir du moment où on comprend bien que les retraites c'est "le" problème, non pas du moment, mais c'est le problème sur la durée, que ce problème-là ne se règle pas pour nous maintenant mais qu'il se règle pour nos propres enfants dans la durée, à ce moment-là, on a une approche différente. Et aujourd'hui il n'y a pas un paramètre sur lequel il y a une façon de jouer tout seul, il y en a plusieurs et c'est pour ça que la discussion est ouverte pour essayer de les analyser. L'âge est évidemment dans un système par répartition le pivot. Qu'est-ce que c'est que la répartition ? C'est une génération qui cotise pour les retraités du moment. On voit bien par définition que l'âge est un paramètre fondamental. Il y en a d'autres qu'il ne faut pas exclure. On a exclu par exemple de baisser les pensions, on n'a pas exclu de pouvoir, par telle ou telle mesure appropriée, avoir quelques recettes supplémentaires.
 
Justement, où en est l'idée d'un prélèvement spécial sur certaines catégories de revenus évoqué il y a quelques semaines ?
 
L'idée - les syndicats ont souhaité qu'on en parle ensemble et c'est la raison pour laquelle E. Woerth actuellement mène avec son cabinet des discussions avec les confédérations sur les modes de financement - l'idée est d'une grande simplicité : si on part du principe selon lequel on peut augmenter les taxes ou les impôts, d'une part, on va avoir les prélèvements obligatoires sur la France qui iront en croissant alors qu'on est déjà quasiment les champions au monde ; et en second lieu, on ne sera jamais à hauteur du sujet. Je vous donne un chiffre, même deux si vous voulez pour illustrer mon propos : si on taxait par exemple les stock-options, que nous avons d'ailleurs déjà commencé à taxer, si on les taxait à 100 %, ça rapporterait 2 milliards d'euros ; 2 milliards d'euros, ça fait exactement 1/16ème du déficit sur cette année 2010. Si en second lieu, on augmentait la totalité de l'impôt sur le revenu de 50 %, on ne couvrirait même pas le déficit 2010. Donc, on voit bien qu'il ne faut rien exclure ; E. Woerth a dit il y a quelques jours que, notamment pour financer le Fonds de solidarité vieillesse, on pouvait penser à des recettes supplémentaires, mais ce n'est pas le principe d'avoir une augmentation globale de la fiscalité.
 
On avait cru comprendre qu'il s'agirait d'un prélèvement spécial, peut-être ponctuel sur les très hauts revenus, est-ce que c'est toujours ça qui est à l'étude ?
 
C'est ce qui a été, pas tout à fait sur cette forme-là, dit ou exprimé il y a de cela quelques semaines. Il est évident que, d'avoir une contribution pour certaines catégories sans doute plus aisées n'est pas à exclure. Je le répète, c'est exactement sur ces problèmes de financement que la discussion se déroule tout à fait en ce moment avec les syndicats.
 
La pénibilité va être un paramètre important de la future réforme des retraites, vous allez particulièrement travailler sur ce point-là. L'idée selon laquelle l'âge du départ à la retraite ne sera pas uniforme mais variera en fonction de la nature de l'activité, cette idée-là est-elle acquise ?
 
Pas sous cette forme-là. La pénibilité est évidemment un des facteurs d'approche, non pas d'ailleurs du problème de la retraite mais du problème de la carrière. Les syndicats, à très juste titre, ont fait remarquer dans les discussions auxquelles nous avons participé avec E. Woerth, que la pénibilité ne devait pas être appréciée au moment simplement de la retraite ; quand on travaille et qu'on a un travail pénible, c'est pendant la carrière qu'il faut voir comment est-ce qu'on réussit à alléger les contraintes de la pénibilité. C'est un dossier qui est très difficile.
 
Pour être concret, est-ce que vous trouvez a priori normal, que quelqu'un qui travaille sur un chantier, au marteau-piqueur toute la journée, parte plus tôt à la retraite qu'un employé de bureau ?
 
Je pose le problème exactement comme vous : est-ce que quelqu'un qui a des conditions de travail plus difficiles doit être l'objet d'un traitement, je dirais pendant la carrière comme au moment de la retraite, différent ? La réponse est sans doute, oui. Le problème, c'est d'avoir une évaluation de la pénibilité. Je vous rappelle que dans la fonction publique, il y a des catégories actives, la pénibilité est appréciée par métier. Dans le privé, il y a toute une discussion qui s'est déroulée entre les partenaires sociaux, qui, en fait, n'a pas abouti, pour définir et ensuite tirer les conséquences de la définition de la pénibilité. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Dans une discussion avec les syndicats, qui vise à savoir quelle va être en réalité l'appréciation et les conséquences à tirer de la pénibilité. C'est l'un des sujets fondamentaux que l'on a dans le cadre de cet examen du dossier des retraites. Je répète, c'est également pendant la carrière que tout doit être vu, et les discussions sont en cours.
 
Les discussions en effet avaient capoté ; elles avaient commencé en 2005, et capoté en 2008. Les organisations patronales n'avaient pas été très très coopératives. Est-ce que vous avez l'impression que vous pouvez plus compter sur elles cette fois ?
 
Vous avez très justement fait remarquer que c'est une discussion qui a duré trois ans et que cette discussion n'ayant pas abouti, il était sans doute tout à fait important de la remettre sur le chantier. C'est ce qui est fait actuellement. La différence d'appréciation entre le patronat et le syndicat porte, sans rentrer dans le détail, sur les conséquences à tirer de la pénibilité pour chacun. Est-ce que oui ou non il faut y avoir une appréciation globale des facteurs d'expositions - je travaille la nuit, je travaille avec le bruit, je travaille près d'une sorte de chaleur - est- ce que toute la catégorie professionnelle est concernée par l'appréciation de la pénibilité ? Ou, autre version, est-ce que c'est chaque agent qui doit faire l'objet d'un examen médical personnel pour tirer les conséquences de la pénibilité ? Ce sont des dossiers qui sont très techniques, au coeur de discussions du moment. Et puis la question qui se posera ensuite, c'est de savoir ensuite, je le précise, c'est de savoir si cette appréciation de la pénibilité telle que je viens de la décrire peut être transposée ou pas à la fonction publique.
 
Et cela pourrait être près pour le projet de loi dès le mois de juillet ? C'est quand même un chantier énorme.
 
C'est un chantier tout à fait important. Les discussions comme vous l'avez-vous même très bien souligné ont été largement engagées. Aujourd'hui, elles reprennent. Ce n'est pas un chantier facile, mais en toute hypothèse il faut qu'il puise aboutir, oui.
 
Est-ce que la mobilisation assez décevante pour les syndicats du 1er mai vous donne des coudées des plus franches pour la réforme ?
 
Le 1er mai, c'est quasiment une manifestation de tradition.
 
Mais elle a connu un reflux cette année ?
 
Une année il n'y en a plus, une année il y en a moins. Je n'extrapole pas les chiffres. Ce que je remarque en revanche, c'est qu'il y a une prise de conscience chez chacun des Français que le dossier de la retraite, ce n'est pas un dossier polémique par essence, c'est un dossier qui, je le disais tout à l'heure et je le répète, engage la société française. C'est chacun d'entre nous, chacun de nos enfants et sur des générations. Donc par définition, je pense qu'il y a peut-être moins matière qu'il y a quelques années à se mobiliser de façon systématique quand on dit qu'il faut le réformer pour le sauver.
 
Vous êtes un proche de D. de Villepin. Il y a aura demain trois ans tout juste que N. Sarkozy accédait à la présidence de la République. Diriez-vous que le Président a fait évoluer la France dans le bon sens ?
 
Je dis même que le Président a connu des périodes que personne ne pouvait prévoir en terme de difficulté.
 
La crise !
 
Oui, cela a été la crise. Mais dans l'ordre des choses, cela a d'abord été la crise, vous vous souvenez, en Géorgie, qui était une crise internationale de grande ampleur. L'Europe a pris toute sa place et le Président a fait en sorte qu'elle prenne toute sa place. Cela a été la crise économique et financière dans laquelle la France a réagi parmi les premiers ; elle a été plutôt moteur. Et puis c'est la sortie de crise dans lequel nous sommes maintenant. La France a bougé parce que les réformes ont été lancées. Je crois que maintenant il faut des priorités sur quelques réformes, c'est ce que nous faisons avec les retraites en particulier. C'est à nous de savoir être à la hauteur de cet enjeu.
 
Vous êtes toujours villepiniste.
 
Je vois régulièrement D. de Villepin. Je suis son ami ; je partage une grande partie de ses analyses. Il y a quelques points sur lesquels nous ne sommes pas forcément d'accord. Mais c'était le cas avant et c'est le cas maintenant.
 
Et vous souhaitez qu'il soit candidat à la présidentielle ?
 
Je n'ai jamais répondu à cette question il y a quelques semaines ou il y a quelques mois. Je ne le fais pas plus aujourd'hui, pour une raison très simple : c'est qu'on apprécie cela quelques semaines avant.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mai 2010