Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 10 mai 2010, sur le plan de soutien à la Grèce mis au point par les ministre des finances de l'union européenne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

MARC-OLIVIER FOGIEL
Bonjour Christine LAGARDE.
CHRISTINE LAGARDE
Bonjour Marc-Olivier.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Vous sortez donc de la réunion à Bruxelles des ministres des Finances de l'Union européenne, un méga plan de 750 milliards d'euros a été adopté. Christine LAGARDE, c'était quitte ou double, ça passe ou ça casse ?
CHRISTINE LAGARDE
En tout cas, on a eu le sentiment de vivre un moment très, très important, les Européens ont décidé de faire front. On n'était pas tout seuls mais on a décidé ensemble de mettre un montant très significatif que le président de la République a travaillé en étroite collaboration avec la Chancelière allemande Angela MERKEL. 500 milliards d'euros, c'est une somme très importante et c'est un signal extrêmement fort donné aux marchés de ce que les Européens se défendront et se battront pour défendre l'euro.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Alors justement les marchés, tout le monde a les yeux rivés sur les marchés et notamment l'Asie qui a déjà ouvert, plutôt rassurée. Vous, quelle est votre première réaction à l'ouverture des marchés en Asie ?
CHRISTINE LAGARDE
C'est un bon premier signal, on a réussi à finaliser nos accords vers 2 h 30 du matin, donc un certain nombre de marchés asiatiques étaient déjà ouverts, la Nouvelle Zélande avait ouvert, l'Australie aussi, le Japon venait d'ouvrir. Je crois que ce qui sera important, c'est aussi le signal coordonné qui est donné par la BCE, par le Fonds monétaire international, par le G7, par le G20. C'est clairement une coordination comme on n'en avait jamais vue, pour indiquer de manière concertée que la musique s'arrête et que l'euro résiste.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Quand vous dites « une action concertée » et on sent bien la mobilisation générale, on sent aussi donc l'opération de la dernière chance, on sent qu'on n'avait pas tellement d'autres options que de faire face tous ensemble cette fois, c'est ça ?
CHRISTINE LAGARDE
Oui parce que... d'abord parce que l'union fait la force, ensuite parce que pour mettre de très gros chiffres sur la table, il faut être nombreux, 500 milliards d'euros c'est considérable, auxquels s'ajoutent les financements du Fonds monétaire international chaque fois que ça sera utile et donc, ça peut majorer de 50 % les sommes qui sont engagées. Et puis ce qui est intéressant, c'est qu'on s'est tous mis d'accord pour un mécanisme qui rassemble tous les pays membres de la zone euro sur un même instrument, puisqu'on donne tous des garanties au Fonds de stabilisation européen.
MARC-OLIVIER FOGIEL
11 h 00 de tractations pour obtenir ce résultat, est-ce que les discussions ont été difficiles, âpres ?
CHRISTINE LAGARDE
Les discussions ont été difficiles parce que ce sont des problèmes juridiques pas simples, et heureusement qu'on n'a pas à résoudre tous les jours.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Est-ce qu'il y a eu des pays qu'il a fallu convaincre, est-ce que tout le monde marchait du même pas ou alors, il y a eu des pays qui freinaient comme ça semble être le cas quand même ?
CHRISTINE LAGARDE
Ce qui a été vraiment déterminant, c'est l'action du président de la République avec la Chancelière allemande. Et puis ensuite, il a fallu organiser la structure de l'accord, là ça n'a pas été particulièrement simple. Les pays membres de la zone euro d'abord, et il fallait absolument qu'on se mette d'accord sur le même instrument. Et puis ensuite, il y a des pays qui n'avaient pas envie de participer, un pays comme la Grande Bretagne a dit de manière très claire qu'il n'était pas prêt à soutenir une autre monnaie que la sienne probablement.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Donc ce matin vous sortez de cette réunion, on va dire quoi... soulagée Christine LAGARDE ?
CHRISTINE LAGARDE
Moi, j'en sors d'abord un peu fatiguée quand même...
MARC-OLIVIER FOGIEL
On l'imagine.
CHRISTINE LAGARDE
Parce que c'est long, mais on a aussi le sentiment d'avoir passé une grosse étape et d'avoir vraiment serré les rangs pour sauver l'euro.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Mais vous diriez que c'est un tournant pour l'Europe, fini le « chacun pour soi », c'est un peu ça le message ?
CHRISTINE LAGARDE
Vous savez, c'est vraiment exactement dans l'esprit des pères fondateurs de l'Europe, l'appel de SCHUMAN c'était aussi sur ce mode-là. On avance de crise en crise, le bébé il n'est pas parfait mais il est conçu et il avance, il se transforme et c'est un peu ça l'aventure européenne.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Mais vous dites quoi ce matin, que la crise elle est derrière vous aujourd'hui, l'euro ne peut pas exploser, l'euro est garanti ?
CHRISTINE LAGARDE
Je dis qu'on est tous ensemble ligués pour défendre l'euro et que pour ce faire, on a mis tous les moyens sur la table. Rien que pour les membres de l'Eurogroupe, 500 milliards d'euros, complément de 50 % du Fonds monétaire international, action de la Banque Centrale Européenne et c'est pour défendre la cause de l'euro, c'est pour défendre aussi un peu l'Union européenne.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Alors ce mécanisme important que vous avez décrit, on souhaite évidemment qu'il fonctionne. Est-ce que vous vous êtes mis dans l'option qu'il ne soit pas suffisant ? Et s'il ne suffisait pas, est-ce qu'il y a une autre option, est-ce que vous dites aux auditeurs d'EUROPE 1 ce matin : « on est tous mobilisés, on a fait le maximum mais on a d'autres cartes en main » ?
CHRISTINE LAGARDE
Compte tenu de la multiplicité des cartes qui sont sur la table, de tous les joueurs qui sont ligués tous ensemble pour défendre l'euro, moi je suis convaincue que le mécanisme va fonctionner.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Ça, c'est une conviction profonde malgré la fatigue qu'on entend dans votre voix Christine LAGARDE.
CHRISTINE LAGARDE
Oui.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Donc ce matin en revanche, vous allez très peu dormir et vous serez à l'ouverture des marchés à votre bureau, pour voir si ce qui s'est passé cette nuit a été efficace ?
CHRISTINE LAGARDE
Oui, absolument.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Mais pour terminer Christine LAGARDE, les auditeurs se demandent forcément : tout cet argent, ces 500 milliards de garantie des pays de la zone euro, auxquels s'ajoutent les 250 milliards du FMI, il vient d'où cet argent, on l'a ?
CHRISTINE LAGARDE
La garantie c'est la garantie souveraine, ce sont chacun des Etats qui s'engagent. Et puis avec un peu de chance, on n'aura jamais besoin de l'actionner cette garantie, que tout le monde aura compris qu'on est déterminés à faire tout ce qu'il faut. C'est un peu le même mécanisme qu'on avait mis en place pour le sauvetage des banques, on avait fait une société de financement de l'économie française dans les mêmes conditions, avec des montants très, très importants qui avaient été engagés si nécessaire. Ça ne s'est pas avéré nécessaire parce que tout le monde a compris qu'on était prêt à aller jusqu'au bout.
MARC-OLIVIER FOGIEL
De l'argent, on en a donné aux Grecs, vous êtes sûre qu'ils vont rembourser ?
CHRISTINE LAGARDE
Ils ont intérêt oui.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Intérêt, ça veut dire quoi ?
CHRISTINE LAGARDE
Mais vous savez, c'est du donnant donnant, on ne débourse pas l'intégralité du prêt, ça se décaisse par échéances et sous réserve du respect par les Grecs de leurs obligations.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Et les premières échéances, c'est quand ?
CHRISTINE LAGARDE
C'est dès la fin du mois de mai.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Donc dès la fin du mois de mai, on saura si les Grecs ont commencé à rembourser leur prêt et donc si on va pouvoir continuer ?
CHRISTINE LAGARDE
Surtout, on saura s'ils ont commencé à bien exécuter leurs obligations, ce qu'actuellement ils font de manière très respectueuse.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Très bien. Merci beaucoup Christine LAGARDE, on vous souhaite quoi ? Une bonne courte nuit ?
CHRISTINE LAGARDE
Quelques heures de sommeil oui, merci.
MARC-OLIVIER FOGIEL
Merci à vous, à bientôt.

Source http://www.economie.gouv.fr, le 12 mai 2010