Texte intégral
CAROLE GAESSLER
Invitée du « Soir 3 », Christine LAGARDE, la ministre de l'Economie. Bonsoir.
CHRISTINE LAGARDE
Bonsoir.
CAROLE GAESSLER
Est-ce que vous dites aujourd'hui que les politiques ont gagné la bataille dans la guerre contre les spéculateurs ?
CHRISTINE LAGARDE
On a réussi collectivement une action permettant de défendre notre monnaie. Ce qui était exceptionnel hier, c'est la détermination de tous. On était seize Etats membres, participant à la Zone Euro, partageant la même monnaie. Il y avait la Banque centrale européenne, il y avait le Fonds monétaire international. Et puis, on a eu en même temps un communiqué du G7 et un communiqué du G20 qui soutenaient notre action et des banques fédérales à travers le monde qui ont joué le jeu.
CAROLE GAESSLER
Alors, détermination, unité, vous l'avez dit, pourquoi pas avant ? Certains disent, c'est bien, mais c'est trop tard.
CHRISTINE LAGARDE
Non. Il y a toujours un bon moment. Très clairement, ce qui s'est passé hier est arrivé au bon moment pour provoquer la réaction d'aujourd'hui. C'est vrai, ça aurait été mieux si ça avait été avant, mais on ne refait pas l'histoire.
CAROLE GAESSLER
On a toujours l'impression que les politiques sont sous la pression finalement des marchés financiers, c'est toujours par à-coups qu'on réagit.
CHRISTINE LAGARDE
Je peux vous dire qu'aujourd'hui, c'est les marchés qui étaient sous la pression des politiques. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui ont perdu de l'argent ce matin et c'est une bonne chose.
CAROLE GAESSLER
Vous avez l'impression que vous les avez rassurés durablement ?
CHRISTINE LAGARDE
Ce que j'espère, c'est qu'on a rassuré sur la capacité des Européens, membres de l'Euro Zone, les seize, pas les vingt-sept, les seize, pour défendre leur monnaie, pour serrer les rangs et pour mettre ce qu'il fallait sur la table, avec la Banque centrale européenne, avec le Fonds monétaire international. Donc, ceux qui avaient des doutes, je crois qu'ils sont maintenant rassurés.
CAROLE GAESSLER
La France apporte 88 milliards de garantie, le reste est pour les autres pays. Il n'y a pas un risque d'alourdir la dette de tous ces pays contributeurs ? C'est ce que craignent finalement certains économistes aujourd'hui.
CHRISTINE LAGARDE
D'abord, c'est autour de 88, ce sera sans doute un tout petit peu plus parce que, selon la clé de répartition qu'on utilise, on est exactement à 89... tout près de 89...
CAROLE GAESSLER
Mais ça peut peser sur la dette de ces pays...
CHRISTINE LAGARDE
Non. Non. Je vais vous expliquer pourquoi, parce que c'est une garantie. Qu'est-ce qu'on fait ? Chacun des seize Etats membres donne sa garantie à une société qui sera, on l'appelle un Fonds de stabilisation européen, qui va aller emprunter, si c'est nécessaire, pour soutenir des pays qui seraient attaqués. Mais la garantie, elle ne coûte rien aujourd'hui, elle est disponible pour l'hypothèse où il faut aller lever de l'argent ou acheter de la dette souveraine de pays qui sont menacés.
CAROLE GAESSLER
Cette hypothèse, pour vous, elle n'est pas probable ?
CHRISTINE LAGARDE
L'idéal, c'est qu'on n'ait pas besoin de l'utiliser. Que les marchés aient compris que lorsqu'on se met à seize et qu'on a en plus le Fonds monétaire international avec soi, on n'est pas loin du trilliard de dollars et de 750 milliards d'euros.
CAROLE GAESSLER
Alors après Bruxelles, vous avez participé tout à l'heure au sommet social à l'Elysée. Face aux partenaires sociaux, Nicolas SARKOZY a annoncé la prolongation des aides au chômage partiel, mais l'arrêt des mesures de soutien au pouvoir d'achat au nom, dit-il, du redressement des finances publiques. [...] Alors, arrêter les aides de soutien aux ménages modestes, est-ce que ce n'est pas un peu risqué alors que la consommation, la croissance pardon reste molle, plombée par la demande des ménages ?
CHRISTINE LAGARDE
Les mesures qu'on a prises l'année dernière, c'était des mesures de relance et le contrat qu'on avait et avec les Français et avec nos partenaires européens, c'était que c'était des mesures temporaires qui, par hypothèse, ont vocation à être retirées quand cela commence à aller mieux. Qu'est-ce que l'on voit aujourd'hui ? On voit une croissance qui repart, qui repart plus en France que n'importe où ailleurs en Europe.
CAROLE GAESSLER
Mais elle reste mollassonne ?
CHRISTINE LAGARDE
Qui repart plus que la moyenne de la zone euro.
CAROLE GAESSLER
Ce n'est pas un peu trop tôt ?
CHRISTINE LAGARDE
Mollassonne, c'est vrai que l'on n'est pas à des taux de croissance comme dans les marchés émergents ni même qu'aux Etats-Unis, mais on a la plus forte croissance de la zone euro. Il faut maintenant agir de deux façons : il faut évidemment maintenir suffisamment de relance pour soutenir la croissance et puis, en même temps, il faut tenir nos finances publiques. Sinon, on voit ce qui se passe,on se retrouve dans une situation comme la Grèce, comme l'Espagne, comme le Portugal qui sont obligés de donner des coups de frein massifs pour restaurer leurs finances publiques. Moi, je crois qu'il vaut mieux le faire doucement, progressivement et être maître de son destin.
CAROLE GAESSLER
Alors pour financer la réforme des retraites, Nicolas SARKOZY a redit qu'un effort sera demandé aux hauts revenus et aux revenus du capital. C'est le début de la fin du bouclier fiscal ?
CHRISTINE LAGARDE
Le président de la République a été très clair dans son diagnostic, il l'a très bien expliqué à l'ensemble des partenaires sociaux. Il a dit que la réforme de la retraite devait être soutenue, supportée, financée par tous, y compris les plus gros revenus, y compris les revenus du capital.
CAROLE GAESSLER
Est-ce que c'est la fin du bouclier fiscal ?
CHRISTINE LAGARDE
Il n'a pas abordé le sujet sous l'angle du bouclier fiscal. Vous savez que moi, je soutiens le bouclier fiscal. Je crois que le président de la République en a fait une des pierres angulaires de sa position, tout simplement pourquoi ? Pour dire que lorsqu'on gagne de l'argent par son travail, il n'y a pas de raison d'en donner plus que 50% à l'Etat. C'est ça, le bouclier fiscal.
CAROLE GAESSLER
Juste en un mot, est-ce qu'on peut parler de mesures de rigueur ou cela vous choque parce que c'est le grand débat ?
CHRISTINE LAGARDE
Le mot « rigueur » est connoté terriblement pour des raisons historiques politiques qui appartiennent à l'histoire de France. Moi, ce que je constate aujourd'hui ....
CAROLE GAESSLER
Pourquoi c'est tabou aujourd'hui dans la majorité ?
CHRISTINE LAGARDE
...c'est qu'on a une politique qui est responsable dans des périodes très difficiles. Cela veut dire exactement ce que je vous disais : pour moi, c'est la politique à la foi de maintien des réformes, du soutien à la croissance parce qu'il ne faut surtout pas l'étouffer et puis de la restauration des grands équilibres publics et notamment des finances publiques.
CAROLE GAESSLER
Merci Christine LAGARDE d'avoir été notre invitée.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 12 mai 2010