Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "France Culture" le 11 mai 2010, sur l'adoption d'un plan de soutien aux pays de la zone euro, sur la nécessaire régulation économique à mettre en oeuvre au niveau européen.

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Média : France Culture

Texte intégral

MARC VOINCHET
Vous buvez quoi madame LAGARDE, du thé ou du café ?
CHRISTINE LAGARDE
Chez vous du café, mais chez moi du thé.
MARC VOINCHET
D'accord. 7H41. une femme et cinq hommes se concertent tête baissée, les sourcils sont froncés, la mine est grave, les traits sont tirés, ah que les discussions ont été dures dans la nuit bruxelloise du 9 au 10 mai dernier, il y a 2 jours. Ces six personnes font la Une du journal LE MONDE, ce sont six ministres de l'Economie et des Finances de l'Union Européenne, qui ont conclu, au bout de la nuit, un plan de secours d'une ampleur inédite. Un économiste disait hier : « l'Europe a dégainé l'arme atomique pour mettre fin à la spéculation. » Quelques pages plus loin, dans LE MONDE toujours, daté d'aujourd'hui, on voit à peu près les mêmes personnes. Il y en a moins, mais vous êtes toujours sur la photo, madame LAGARDE, et cette fois vous souriez. Christine LAGARDE, je rappelle, ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi. Mauvaise mine en Une, sourire en page intérieur du MONDE, opération de sauvetage réussie ?
CHRISTINE LAGARDE
Opération collective réussie. Je ne suis pas sûre que je l'appellerai une opération de sauvetage, parce que les pays de la zone euro n'étaient pas en perdition. En revanche on a adopté un plan, un fonds même, de soutien, aux pays de la zone euro, et c'est vrai, vous avez raison, ça a duré longtemps, ça a été laborieux, et ça nous a amené vers 2H30 du matin à finir par trouver un accord.
MARC VOINCHET
Vous avez même fini à 4H00, si on lit LES ECHOS.
CHRISTINE LAGARDE
Oui, mais on a fini à 4H00 parce qu'on a trouvé un accord vers 2H30, ensuite il y a la finalisation de rédaction de documents, de vérification des documents, il y a ensuite la conférence de presse traditionnelle des représentants de l'ECOFIN, et puis moi j'ai fait un petit point de presse vers un petit plus de 4H00 du matin.
MARC VOINCHET
Vous le savez, à France Culture le temps n'est pas de l'argent, le temps est un luxe inouï pour aborder et débattre de toutes ces questions. Peut-être encore en préambule, madame la ministre, quelques notions du climat de ces négociations. Par exemple, poussons la porte, justement, de cette réunion de l'ECOFIN. Au moment où vous tous, ministres, entrez dans la salle, est-ce qu'il y a déjà un plan sur la table ?
CHRISTINE LAGARDE
Oui, bien sûr. On commence une réunion avec des projets de communiqués et de règlements. On se trouve en situation où nos collaborateurs, qui sont en général les directeurs du Trésor de chacun des Etats membres, ont travaillé eux-mêmes pendant des heures et des heures pour arriver à trouver les grandes lignes du fonds...
MARC VOINCHET
Est-ce qu'il y a des chiffres ?
CHRISTINE LAGARDE
En fait, vous savez, ce qui est intéressant, c'est qu'on n'a pas du tout commencé, au début, avec le fonds de stabilisation de l'euro. On a commencé avec des mécanismes de garanties consenties à la Commission pour que la Commission aille emprunter, ça c'est le premier volet du plan. Deuxième volet du plan, c'est l'amélioration de la politique budgétaire et la réduction des déficits par les Etats les plus fragiles, donc ça, ça avait déjà été entamé, partiellement annoncé d'ailleurs, par l'Espagne, et puis il y a le plan de l'accélération et de l'amélioration de la régulation financière, où là on avait quelques fondements aussi dans les documents. Mais, ce qui est sorti, à l'issue de la nuit, on ne l'avait pas quand on a commencé, ça c'est vrai. Le fonds de stabilisation de l'Europe n'était pas dans le document.
MARC VOINCHET
Est-ce que les coups de fil, les allers-retours de coups de fil, OBAMA/MERKEL, OBAMA/ SARKOZY, ont joué par exemple ? Est-ce qu'ils sont présents dans la discussion à ce moment-là ? Est-ce qu'il y a des consignes ?
CHRISTINE LAGARDE
Ils ont été très présents avant, ils sont encore présents pendant la nuit, et il y a eu un coup de fil déterminant entre le président de la République et la chancelière allemande, vers 18H00 à peu près, pour arriver à consolider des chiffres en particulier.
MARC VOINCHET
Ah, vers 18H00, c'est le moment où l'on sait qu'Angela MERKEL a perdu la Rhénanie Westphalie. Est-ce que ça joue, ça, politiquement ? Est-ce qu'il y a une incidence de la politique intérieure allemande sur, tout d'un coup, la décision... ?
CHRISTINE LAGARDE
Honnêtement je ne pense pas, parce que je crois que dès le matin la chancelière savait qu'il allait falloir trouver un chiffre, et un chiffre fort pour impressionner les marchés.
MARC VOINCHET
Qu'il allait falloir céder ?
CHRISTINE LAGARDE
Ce n'était pas une question de céder à ce moment-là, c'était la question du bon paramétrage des chiffres. Parce qu'on savait qu'on avait 60 milliards d'euros qu'on pouvait mettre en place très rapidement et mobiliser quasiment immédiatement, c'était disponible, il s'agissait seulement de modifier un dispositif du traité en s'appuyant sur l'article 122.2, dont je vous passe les détails. En revanche, on savait aussi que ce n'était pas suffisant pour véritablement faire une impression très forte sur les marchés. Donc, on savait qu'il fallait aller vers un chiffre. Et la chancelière, dès le matin, l'avait évoqué avec son ministre des Finances, avec lequel moi je m'étais entretenu, mais le chiffre n'était pas consolidé, et la détermination politique n'était pas définitive. C'est vraiment le président de la République, aux alentours de 18H00, qui a scellé l'accord avec la chancelière, et moi j'en étais informée quand il m'a appelé à ce moment-là.
MARC VOINCHET
Oui, donc ça veut dire que chaque ministre, pendant ces négociations, à chaque pause, a son président de la République au bout du fil, pour valider ?
CHRISTINE LAGARDE
Même entre les pauses parfois aussi.
MARC VOINCHET
Il y a des SMS, des textos.
CHRISTINE LAGARDE
Il y a des SMS et des textos qui circulent, oui.
MARC VOINCHET
Avec des zéros, et des zéros, et des zéros, sur les écrans des téléphones.
CHRISTINE LAGARDE
On utilise surtout de « M » plutôt que des zéros.
MARC VOINCHET
D'accord. Je suis peut-être un peu vieux jeu encore. Bon, Christine LAGARDE, est-ce qu'une fois que la chose, justement, est actée, on a pris en compte ou pas, et à quel moment intervient la question du FMI, qui rajoute au pot ses 220 ou 250 milliards d'euros ?
CHRISTINE LAGARDE
Le FMI il a toujours été à bord et dans le paysage, parce qu'il était intervenu en Hongrie, en Lettonie, en Roumanie, et à nouveau évidemment en Grèce dans l'élaboration laborieuse du plan de soutien à la Grèce. Donc il était dans les parages et il était même considéré par un certain nombre des partenaires européens comme indispensable. Certains Etats disaient « moi j'y vais, mais il faut que le FMI soit à bord. » Pourquoi ? Parce qu'il y a une expertise financière, parce qu'il y a des volumes très importants - parce qu'après tout on finance le FMI, il n'y a pas de raison de ne pas aussi l'utiliser - donc il a toujours été dans le paysage. En revanche, les montants, la proportion du financement FMI, n'a été définie que très tard dans la soirée. Moi j'étais à la fois en ECOFIN, et en conférence téléphonique avec le G7 et avec Dominique STRAUSS-KAHN. Donc les chiffres se sont affinés dans le courant de la nuit, et c'est vers 1H00, 1H30 du matin qu'on a vraiment cadré la participation du Fonds Monétaire International.
MARC VOINCHET
Il fallait aller très vite avant l'ouverture du marché asiatique à 2H00 du matin.
CHRISTINE LAGARDE
Oui. Alors on a raté deux ouvertures, de mémoire on a raté la Nouvelle-Zélande et l'Australie, puisque la Nouvelle-Zélande c'est minuit... oui, c'est ça, c'était minuit/ 1 heure du matin. Ces deux-la on les a ratées, et on était à peu près dans les clous pour l'ouverture de Tokyo, qui était quand même la plus importante.
MARC VOINCHET
Pour quelle raison ? Parce qu'il fallait que, enfin, Christine LAGARDE - c'est ce que commencent à dire les commentateurs - il fallait que, enfin, l'Europe - l'Europe qui était à la fête, 60 ans pile après justement les accords de la CECA par Robert SCHUMAN - est-ce qu'il fallait que l'Europe donne un geste politique, dise enfin aux marchés, voilà, la politique reprend ses droits, la politique reprend la main ?
CHRISTINE LAGARDE
Oui. Les marchés avaient besoin d'un signal très fort de ce que tous les Etats membres de la zone euro, plus des Etats participants, parce que je rappelle que la Suède et la Pologne par exemple, ont déclaré vouloir s'associer au fonds de stabilisation de l'euro ; il fallait donner ce signal de solidarité. Et dire clairement - et le marché ne comprend qu'avec des chiffres - que nous étions solidaires, qu'on serrait les rangs et que toute attaque sur l'un des pays membres de la zone euro c'était une attaque contre la zone euro, contre l'Europe.
MARC VOINCHET
C'est une guerre.
CHRISTINE LAGARDE
C'est une... oh ! Vous savez, je crois qu'un certain nombre d'opérateurs et de spéculateurs considèrent ça comme un jeu.
MARC VOINCHET
Et vous ?
CHRISTINE LAGARDE
Mais, pour nous c'est la stabilité d'une zone, c'est une monnaie qui nous rassemble, ça a à la fois une dimension politique, une dimension économique et une dimension financière. Et je suis, moi, très satisfaite que nous ayons collectivement décidé que politiquement nous disions « non » à des attaques contre l'euro et contre la zone.
MARC VOINCHET
Vous savez que c'est bientôt le Festival de Cannes, on va filer la métaphore cinématographique, Christine LAGARDE. Dans LES ECHOS de ce matin vous dites « ce n'est pas juste un plan d'urgence », vous vous souvenez de la phrase de GODARD, « ce n'est pas juste une image, c'est une image juste. » Alors, ce n'est pas juste un plan d'urgence, est-ce que c'est un plan d'urgence juste ?
CHRISTINE LAGARDE
Il est aux mesures, premièrement, et ça c'est ce qui comptait en premier lieu. Les marchés ont donné une réponse excessive comme parfois, hier, avec des montées d'indices comme on n'en n'avait pas vues depuis 20 ans, et comme on n'en n'avait jamais vues dans certains pays. Donc, ça a été excessif, ça redescendra, ça se calmera. Mais on a été à la mesure du défi dans la réplique. Maintenant il faut qu'on soit bons dans l'exécution. Parce qu'il ne s'agit pas seulement de dire, « les pays membres de la zone euro apportent leur garantie à concurrence de 440 milliards d'euros », il faut aller maintenant dans la manoeuvre et dans l'exécution, vraiment délivrer. Donc on s'y met, moi je serai demain, en Conseil des ministres je ferai une communication sur ce qui s'est passé, nous préparons le projet de loi, on viendra devant le Parlement, parce que quand un Etat donne une garantie dans ces proportions-là - qui n'est pas, je le rappelle, une dette. La garantie c'est, on met la signature de l'Etat, dans la corbeille, on l'utilise ou pas. c'est-à-dire que le fonds de stabilisation il ira ou non chercher des financements sur les marchés pour soutenir des Etats fragiles, si les Etats ne sont pas fragiles, ou fragilisés par les tempêtes boursières ou par les attaques de la spéculation, on n'aura pas besoin d'y aller. Mais le signal qu'on dit c'est : on est déterminé à le faire s'il faut le faire.
MARC VOINCHET
Et le signal, est-ce que le signal et ce tournant historique dont vous parlez dans LES ECHOS, est-ce qu'il s'incarne en particulier dans le changement d'attitude, le changement de politique, des banques centrales, de la Banque Centrale, qui désormais pourra, dit-on - certains disent en contravention, d'autres non, avec l'esprit de Maastricht - qui pourra, en tout cas, acheter de la dette publique ?
CHRISTINE LAGARDE
Les banques centrales, que je sache, en tout cas dans la journée d'hier, n'ont pas acheté de la dette publique directe, elles sont allées sur le marché secondaire, probablement.
MARC VOINCHET
C'est comme ça qu'ils peuvent le faire ?
CHRISTINE LAGARDE
Oui, c'est comme ça qu'ils peuvent le faire, tout à fait. Et ce n'est pas orthodoxe dans le fonctionnement, notamment de la Banque Centrale Européenne, mais à circonstance exceptionnelle, conduite exceptionnelle, je ne suis pas sûre que la BCE le fasse de manière régulière. Je crois qu'il y a une espèce de concertation, assez incroyable - parce que vous savez que toutes les Banques Centrales se sont mobilisées. Il y avait la FED, la canadienne, la suisse, la britannique, la japonaise et bien entendu la Banque Centrale Européenne, qui se sont coalisées sur un même plan, pour là aussi apporter une réponse collective. Je ne suis pas sûre que ce soit la vocation de la Banque Centrale Européenne, dans les conditions actuelles, que d'aller rechercher de la dette.
MARC VOINCHET
Ce n'est pas ce que voulait le traité de Maastricht.
CHRISTINE LAGARDE
Non, non non, toit à fait.
MARC VOINCHET
Est-ce qu'il y a tournant là ? Est-ce qu'il y a tournant, comme le disent certains, au fond, « enfin, enfin, l'Europe libérale construite par Maastricht se rend compte, un peu tard, qu'il faut construire une Europe solidaire » ? Est-ce que ce sont les prémices de cette Europe solidaire ?
CHRISTINE LAGARDE
C'est ce que j'allais vous dire. En l'état, ça ne me paraît pas légitime. Mais, est-ce qu'on doit maintenir le statu quo ? C'est la question. Et c'est le grand débat qui s'ouvre maintenant, dont j'espère qu'il sera rapide et efficace, de savoir de quelle manière on réforme la gouvernance européenne, et de quelle manière on permet une meilleure convergence des politiques économiques. Parce que, à zone monétaire, rassemblée autour d'une monnaie commune, il faut aussi qu'il y ait suffisamment de convergence économique et qu'on ait une gouvernance économique qui nous permette, un, d'anticiper les grands... On ne peut pas faire le grand écart en permanence. Quand vous regardez les courbes, vous avez, vous regardez la courbe de compétitivité des pays, vous avez l'Allemagne tout en haut de la courbe, puis la Grèce et l'Irlande tout en bas de la courbe, et un certain nombre d'Etats qui s'échelonnent entre les deux. On ne peut pas faire le grand écart tout le temps. Il faut qu'on ait des politiques économiques qui soient plus convergentes, ça nécessite un réexamen qui soit collectif et qui soit conçu dans l'intérêt de l'ensemble de la zone monétaire.
MARC VOINCHET
Disons-le tout de go, Christine LAGARDE, est-ce que c'est un tournant pour les tenants, depuis longtemps, des politiques libérales ? Est-ce que c'est un tournant pour, je ne sais pas, la libérale que vous êtes ?
CHRISTINE LAGARDE
Il ne faut pas brocarder le libéral, la libérale, le libéralisme. Pour moi, on peut parfaitement continuer à fonctionner dans une économie de marchés, avec des principes qui valorisent l'effort individuel, et la poursuite de l'épanouissement des talents, et ça comporte une dimension optimisation des facteurs de production, mais ça ne peut se faire que dans un système extraordinairement régulé, pour éviter les excès et les abus. Donc moi je demeure une libérale convaincue, mais la vraie libérale que je suis elle croit aussi, violemment, à la régulation et à la lutte brutale contre les abus et les excès. C'est ce que j'essaie de faire dans la mesure de mes moyens, actuellement.
MARC VOINCHET
Nous aurons bien sûr le temps de vous soumettre les critiques adversaires, notamment Thomas COUTROT qui est coprésident d'ATTAC, dans LIBERATION ce matin, on l'a entendu aussi dans le journal de 7H00, peut-être cette phrase sur le blog de Paul JORION qui raconte qu'au fond on a sorti le 9 mai la grosse Bertha. Voici ce qu'il dit dans son blog, pour conclure cette première partie : « dans l'euphorie ambiante de ce matin il ne faudrait pas perdre de vue que quelle que soit la radicalité apparente des mesures prises hier, le système qui siphonne l'argent du contribuable vers les plus grosses fortunes est toujours en place, et plus que jamais en excellente santé. » Voilà, madame la ministre.
CHRISTINE LAGARDE
On trouve toutes les expressions, y compris dans leurs excès. Le siphonage, la guerre contre les riches, ça, ça relève franchement, un peu de, à nouveau de la caricature. Moi j'essaie de travailler avec pour objectif, je vous le disais à l'instant, la lutte contre les excès, contre les abus. et je trouve que les mécanismes qui sont en train de se mettre en place, avec le G20 d'un côté, avec un ressort qui est en train de se retendre au niveau des membres de l'Eurogroupe, et de l'Union Européenne, au sens un peu plus large, sont des signes très clairs de ce qu'on doit bâtir un cadre de régulation, un cadre de contrôles, un cadre de sanctions, qu'il y ait une géographie différente. On a toujours fonctionné dans des souverainetés nationales, dans des territoires bordés aux frontières, or on le voit très bien, la crise, les épidémies, les questions de réchauffement climatique, ce ne sont pas des questions qui s'arrêtent aux frontières, ce sont des questions qui sont globales et qu'on doit régler de manière globale.
MARC VOINCHET
D'un mot. Avec vos camarades ministres, dans cette nuit de dimanche à lundi, vous avez eu le sentiment parfois qu'il fallait faire le grand écart entre la question des marchés et les opinions publiques ? Donner de l'argent, rassurer les marchés...
CHRISTINE LAGARDE
Non, pendant cette nuit-là, je vais vous dire une chose, je n'ai pas du tout eu le sentiment qu'on faisait le grand écart, j'ai eu le sentiment qu'on resserrait les boulons et qu'on travaillait en collectif. Et ça, ça n'a pas été un exercice évident, à chaque moment. On ne partait pas sur les mêmes positions. Et je voudrais, au passage, vraiment me réjouir de ce que la position allemande a évolué au cours de la réunion. Les Allemands, dans un premier temps, ne voulaient pas donner leur garantie, ne voulaient pas mettre la Commission en mesure d'aller emprunter, on a trouvé un mécanisme qui permet la constitution d'un fonds de stabilisation européen, dans ces conditions-là l'Allemagne a accepté de faire un pas en fournissant sa garantie d'Etat souverain, pour qu'on puisse aller soutenir des Etats fragiles. C'est vraiment un signe d'un tournant, me semble-t-il, dans la politique allemande.
MARC VOINCHET
Christine LAGARDE, ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, invitée des « Matins de France Culture. »
.../...
MARC VOINCHET
Madame LAGARDE, ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, est l'invitée des « Matins de France Culture. » Madame LAGARDE, il y a un instant, avant le journal de 8H00, vous disiez que les marchés avaient réagi à ce plan de sauvetage de l'euro, de stabilisation de la zone euro, avaient réagi de manière excessive. Est-ce que, au fond, ça ne veut pas dire, comme le dit un des commentateurs très négatifs sur ce plan, c'est dans LIBERATION de ce matin, Thomas COUTROT, coprésident d'ATTAC, est-ce qu'au fond cette manière de dire que les marchés ont réagi de façon trop excessive, est-ce que, au fond, on ne le résume pas de cette façon-là, le néocapitalisme a remis au pas les Etats ? C'est ce que dit Thomas COUTROT d'ATTAC. D'où peut-être l'euphorie, au fond, des marchés.
CHRISTINE LAGARDE
Non, moi je fais une lecture inverse. Ce que nous avons exprimé c'est une volonté politique de vivre ensemble, de construire nos économies ensemble, de réguler ensemble, et de faire face à, d'abord de la spéculation, et ça s'est exprimé manifestement sur les CDS, sur dates souveraines, les
espèces de coupons...
MARC VOINCHET
Credit Default Swap.
CHRISTINE LAGARDE
Voilà, coupons d'assurance contre le risque de défaillance d'un pays. Ensuite c'était moins de la spéculation que des retraits réels d'investisseurs qui étaient en train de commencer à perdre confiance dans l'Europe et dans l'euro. Donc là le signal, au contraire, c'est un signal politique fort, cohérent, collectif, qui fait face aux marchés.
MARC VOINCHET
Alors, est-ce que l'envers de ce plan, tout de même, ne sera pas de généraliser, défendre, cautionner, des politiques économiques de rigueur à l'échelle européenne ?
CHRISTINE LAGARDE
Vous savez que le mot rigueur est un mot tout à fait connoté, redoutable, inutilisable, et que je n'utiliserai pas.
MARC VOINCHET
Alain JUPPE a quand même dit arrêtons les circonlocutions, appelons un chat un chat. La rigueur c'est la rigueur.
CHRISTINE LAGARDE
Oui, mais quand on est maire à Bordeaux, on peut dire des choses, et puis pas forcément les dire ailleurs. Moi ce que je considère c'est que, on doit impérativement réduire, un, notre endettement, deux, notre déficit. Ce sont des engagements qu'on a pris vis-à-vis des partenaires européens, parce qu'on ne peut pas passer son temps à vivre à crédit. Ceci étant, l'exercice est délicat, parce qu'il faut tout à la fois continuer à soutenir la relance pour que la croissance, dans des conditions différentes - et on pourra y revenir si vous voulez - soit bien ancrée, et en même temps redresser les finances publiques. Donc il y a une espèce d'effet accélérateur frein avec une pédale d'embrayage délicate qui est, pour moi, la réforme qu'on doit poursuivre, qui fait un cocktail délicat de politiques économiques à mettre en place.
MARC VOINCHET
Mais enfin vous entendez déjà la « vox populi » qui gronde, tout de même : les gouvernements aux petits soins pour les marchés, la population qui doit faire des efforts. Au nom de quoi, sur cette crise de la zone euro, Christine LAGARDE, les Français doivent-ils faire davantage d'efforts ?
CHRISTINE LAGARDE
Je vous le répète, parce qu'on ne peut pas en permanence vivre à crédit. On ne peut pas faire des montagnes de dettes, et faire fonctionner des sociétés au dessus de ses moyens réels, et on ne peut pas transmettre aux générations futures le poids d'une dette correspondant, soit à une consommation, soit à un mode de fonctionnement, qui n'est pas à la mesure de nos moyens. On ne peut pas vivre au dessus de ses moyens en permanence. Et je reviens un peu vers votre propos. On n'est pas aux petits soins avec les marchés. On donne un coup de frein à une spéculation, ou à une perte de confiance, totalement injustifiée.
MARC VOINCHET
Une question qui va vous paraître d'une naïveté, peut-être totale. Est-ce que, finalement, la situation de l'Europe, des pays européens, s'est retrouvée dans la situation de ces ménages pauvres, surendettés, qui essaient de survivre à coups de cartes de crédit revolving contre lesquels vous vous étiez, et vous êtes notamment battue, et vous avez souhaité légiférer il y a quelques temps de cela, Christine LAGARDE ? Est-ce qu'au fond nous-mêmes, est-ce que l'Europe, au fond, et les pays européens, se sont comportés comme ces ménages-là, à vivre très au dessus de leurs moyens, à faire dette sur dette, crédit sur crédit ? Est-ce qu'il y a une similarité ou pas du tout ?
CHRISTINE LAGARDE
D'abord ce n'est pas du crédit revolving, c'est du crédit renouvelable.
MARC VOINCHET
Bien sûr.
CHRISTINE LAGARDE
Deuxièmement, je n'ai pas essayé de légiférer, j'ai légiféré.
MARC VOINCHET
Vous avez légiféré, oui.
CHRISTINE LAGARDE
Et la commission mixte paritaire va bientôt avaliser ce texte, que j'attends depuis longtemps, sur lequel j'ai beaucoup travaillé, et auquel je crois parce que je pense que le crédit renouvelable, laisser croire aux consommateurs, comme aux Etats - et c'est là que les...
MARC VOINCHET
On a fait pareil.
CHRISTINE LAGARDE
Qu'on peut vivre à crédit, qu'on peut constamment passer d'une carte à une autre et faire, comme ça, de la cavalerie, ce n'est pas raisonnable, c'est excessif, c'est abusif. Donc je reviens à ma doctrine de tout à l'heure, la lutte contre les excès, la lutte contre les abus, le juste milieu et une régulation qui permette d'encadrer tout ça.
MARC VOINCHET
Dans un instant aussi, les implications sur la politique économique nationale, française, pour l'heure c'est l'heure de la chronique d'Alain-Gérard SLAMA.
.../...
MARC VOINCHET
Christine LAGARDE, ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, vous avez pris beaucoup de notes pendant la chronique d'Alain-Gérard SLAMA.
CHRISTINE LAGARDE
Parce que sa chronique est riche, elle est enthousiaste et elle rejoint mon enthousiasme pour ce que nous avons essayé de bâtir dans la nuit de dimanche à lundi. Que vous dire de plus ?
MARC VOINCHET
Fédéralisme. Fédéralisme en route ?
CHRISTINE LAGARDE
Non, c'est compliqué que cela. Mais je voudrais simplement rebondir sur votre dernier point, qui me paraît déterminant pour l'avenir, parce qu'on a construit ce fonds de stabilisation européen, il faut maintenant que dans chacun des Etats membres on mette en place les procédures parlementaires pour faire approuve les quotes-parts de garantie de chacun des Etats, donc ça c'est en train de se mettre en place dans chacun des pays. Mais, au-delà, il va évidemment falloir qu'on engage une réflexion profonde entre les Etats membres sur, les politiques économiques, la nécessaire convergence des politiques économiques, le rapprochement, nécessaire lui aussi, des niveaux de compétitivité de chacun des Etats, avec pour objectif de resserrer ce qui aujourd'hui est écarté et s'écartait de plus en plus, et puis une réflexion aussi sur la gouvernance économique pour institutionnaliser et pérenniser des outils qu'on a bâtis dans l'urgence.
MARC VOINCHET
Christine LAGARDE, c'est le moment du débat dans « Les Matins de France Culture. » Autour de la table, Flore VASSEUR, Hubert HUERTAS, Olivier DUHAMEL, Alain-Gérard SLAMA, nous attendons Marc KRAVETZ, et puis vous le savez aussi régulièrement Jean-Marie COLOMBANI, qui s'occupe, dirige le site slate.fr, un des dirigeants du site français slate.fr, ou le dirigeant et le créateur, Jean-Marie COLOMBANI, et la rumeur du Monde. Jean-Marie COLOMBANI.
JEAN-MARIE COLOMBANI
Je voudrais poursuivre avec madame LAGARDE sur le thème qu'elle a évoqué, sans coordination. À défaut de gouvernance, à défaut de gouvernement, gouvernement pour les Français, gouvernance pour les pays de langue anglaise, guides pour les pays de langue allemande, à défaut de tout cela, c'est le mot coordination qui s'impose. Et vous aviez - alors c'est vrai que les phrases étaient un petit peu tirées par nos confrères britanniques - mais vous aviez interpellée l'Allemagne, sur, au fond, sa propre conduite de politique économique, en gros en disant « il faudrait peut-être que l'Allemagne consacre davantage à son propre pouvoir d'achat pour importer davantage. » Est-ce que c'est le genre de discussion qui est possible ou qui sera nécessaire avec vos confrères allemands, ou bien est-ce que c'est une affaire qui est... une parenthèse qui est fermée ?
CHRISTINE LAGARDE
Non non, et je pense que si elle devait l'être il faudrait la rouvrir. Mais il ne faut pas la rouvrir de manière dogmatique et unilatérale. Et vous l'avez noté, Jean-Marie COLOMBANI, je vous en remercie, vos confrères du FINANCIAL TIMES ont largement tiré le propos pour en extraire le titre qui soit le plus provocateur, à l'égard des lecteurs allemands. Puisque ce que j'avais dit, et ce que je maintiens, c'est que pour parvenir à une meilleure convergence économique, il faut que toutes les parties se rapprochent. Ça ne veut pas seulement dire que tel ou tel doit réviser, si j'ose dire, à la baisse, sa politique économique. Ça suppose que les Etats qui sont actuellement en déficit aggravé de compétitivité, en particulier, doivent faire l'effort, et c'est ça la première priorité. Que par ailleurs, les différents moteurs de la croissance dans chacun des pays, soient bien allumés, me paraît aussi indispensable pour le bien collectif. Et avoir un grand Etat membre, un grand partenaire, dont la consommation intérieure est soit atone, soit déclinante, ne me paraît pas une bonne chose pour l'intérêt collectif du groupe. Moi, si vous voulez, ce que j'ai trouvé enthousiasmant dans les événements des dernières heures, c'est ce collectif tout d'un coup qui ressort, et le sentiment que le bien commun qu'est la monnaie, ce qui nous rassemble, ce qu'on appelle la monnaie unique, c'est justement qu'elle est en train de devenir cette monnaie commune, qu'on est prêt à défendre, et pour laquelle ça vaut la peine de jouer un peu plus collectif.
MARC VOINCHET
Olivier DUHAMEL.
OLIVIER DUHAMEL
On comprend bien que, en schématisant à peine, dans toute cette affaire il y a deux blocs qui se sont opposés, ou plus exactement il y a un bloc qui existait quasi-spontanément, qui était ces marchés, ces spéculateurs, qui allaient tous dans le même sens, et faisaient courir de grands risques à plusieurs pays et à l'Europe elle-même, et puis de l'autre que s'est constitué un collectif, comme vous venez de dire. Et là vous parlez, c'est très important, du renforcement de ce collectif, de son maintien dans l'avenir etc. Mais, qu'est-ce qui doit être fait par rapport au bloc lui-même ? je veux dire, là on a l'impression que, dans un incendie, avec des gens qui jetaient des cigarettes dans la forêt, vous avez constitué une escadrille de canadairs, vous avez balancé un peu d'eau et puis vous avez dit, si ça continue on va vous en mettre des masses, donc arrêtez, et ils arrêtent. Mais est-ce qu'il ne faut pas passer à l'étape suivante qui serait, par exemple, d'interdire de fumer dans la forêt ? Je vois que la Confédération des syndicats allemands a proposé hier, par exemple, la suppression des CDS, pour que justement on ne fume plus dans la forêt. Qu'est-ce que vous avez à dire sur cet aspect-là des choses ?
CHRISTINE LAGARDE
C'est le troisième pied du trépied, dans ce qu'on a décidé dans la nuit de dimanche à lundi, et c'est un thème que nous n'avons cessé de défendre. Le président de la République, à l'occasion des sommets G20, Pittsburgh, Londres, Washington, a toujours soutenu cette position-là. Moi je considère aujourd'hui qu'on doit absolument accélérer la manoeuvre. Aujourd'hui, qu'il s'agisse des CDS, qu'il s'agisse de tous les produits dérivés, on est dans l'obscurité absolue. Quand on s'est aperçu que la dette grecque était en train d'être attaquée, moi j'ai voulu savoir qui attaquait. On ne sait pas dire. Alors on a quelques informations de marchés qui sont glanées ici ou là, et certains sont capables de voir dire c'est toujours les mêmes, quatre ou cinq opérateurs, qui fonctionnent, mais on n'a pas l'information, tangible, vérifiable, de qui fait quoi, où et pour combien. Et ça, ça me paraît un impératif absolu. C'est-à-dire qu'on doit avoir la transparence sur les opérateurs, la transparence sur les montants qui circulent, et la transparence sur les contreparties. On n'a pas tout ça.
OLIVIER DUHAMEL
Et qui vous suit... ?
CHRISTINE LAGARDE
Alors, ce qui me réjouit c'est que le commissaire européen, commissaire au marché intérieur, Michel BARNIER, est déterminé à faire ce travail-là. On lui a demandé d'accélérer et il soumettra un projet au mois de juin. Ça, ça concerne les CDS, et les produits dérivés en général. Premièrement. Aujourd'hui - je vous signale au passage que les Américains sont plus en avance que les Européens sur la question, et qu'en particulier en matière d'informations, ils sont mieux équipés que nous. Il y a un deuxième chantier qu'à mon avis on doit probablement amplifier et qui, enfin, entre en vigueur, c'est toute la question concernant les agences de notation. Et ça, ça vous donne - si on a un instant - c'est un exemple très précis de la discordance des temps, pour reprendre une référence à une émission de la maison.
MARC VOINCHET
« Concordance des temps »... le samedi.
CHRISTINE LAGARDE
Voilà ; on n'est pas en concordance, on est en discordance des temps. Parce que vous avez d'un côté le temps du marché, qui est extrêmement rapide, qui peut mobiliser ses opérateurs très vite...
MARC VOINCHET
C'est ce fameux trading à haute fréquence que vous vouliez contraindre, contrôler ?
CHRISTINE LAGARDE
Oui, par exemple, mais ce n'est pas seulement celui-là, le trading en général fonctionne très vite. Les réseaux informatiques, quand ils fonctionnent, contrairement à ce qui s'est passé à la Bourse de New York vendredi, sont extrêmement efficaces. Donc vous avez ce temps des marchés, et puis on a par ailleurs le temps de la démocratie, qui est le temps de la production, de la norme législative ou réglementaire. Présidence européenne, novembre 2008, on prend le chantier et on propose un texte sur le contrôle, l'encadrement, l'enregistrement des agences de notation, avec un certain nombre de règles sur les conflits d'intérêt, sur le dépôt des mécanismes de modélisation permettant la notation. Novembre 2008. Le texte passe par tous les cheminements nécessaires de la production de normes européennes, il entrera en vigueur le 7 juin 2010. Ce n'est pas qu'on ait traîné...
OLIVIER DUHAMEL
Non, c'est même une forme de record par rapport au...
CHRISTINE LAGARDE
Oui, absolument. Et on est là au coeur d'un sujet qui est le sujet de l'incompréhension de l'opinion publique, souvent des non-spécialistes, comme vous monsieur DUHAMEL, du processus législatif, on nous dit « qu'est-ce que vous faites ? Vous restez les deux pieds dans le même sabot. Vous laissez les marchés. » Non, on est obligé de passer par des règles, par des modes d'élaboration de la norme. Donc, je reviens à mon agence de notation. Dorénavant, à compter du 7 juin, elle est soumise à la réglementation européenne, nous on a transposé les textes, j'ai confié à l'Autorité des marchés financiers, dirigée par Jean-Pierre JOUYET, la mission de les enregistrer, de les contrôler, et l'Autorité de prendre des mesures d'urgence s'il y a des dysfonctionnements. Donc, ça se met en place, graduellement. Sur les dérivés, j'espère que ça va aller encore plus vite, parce qu'il y a manifestement urgence, et le commissaire européen, enfin, est convaincu lui aussi de l'urgence à intervenir.
MARC VOINCHET
Jean-Marie COLOMBANI, puis Flore VASSEUR.
JEAN-MARIE COLOMBANI
C'était pour poursuivre, parce que c'était le sens des interventions les plus récentes de Jean-Pierre JOUYET à la tête de l'AMF, qui demandait justement au pouvoir politique, au législateur, des moyens supplémentaires...
MARC VOINCHET
AMF, Autorité des marchés financiers.
JEAN-MARIE COLOMBANI
Il demandait des moyens, y compris coercitifs, en faisant allusion au fait très simple que, alimenter des fausses rumeurs c'est passible de la justice pénale, donc il demandait à ce qu'on puisse aller jusque là. Et comme outre-Atlantique s'est ouverte, en même temps, une enquête sur GOLDMAN SACHS, c'est très intéressant, parce que GOLDMAN SACHS a été aussi au coeur de la crise grecque, mais on s'apercevra peut-être aussi que des banques françaises ont été dans ce jeu-là.
FLORE VASSEUR
Une part croissante des transactions boursières quotidiennes aujourd'hui sont passées par des machines, 30% disent certains, 70% disent d'autres. Alors, on peut éventuellement rassurer des traders, mais qu'est-ce qu'on peut faire contre des machines ?
CHRISTINE LAGARDE
Ce qui s'est passé vendredi à Wall Street, où on a tout d'un coup eu un effondrement de 10 points en l'espace de quelques secondes, de l'indice, est l'exemple parfait du dysfonctionnement que vous évoquez. Dans un premier temps les contrôleurs du marché de Wall Street, New York Stock Exchange, ont pensé qu'il s'agissait d'une erreur d'enregistrement d'un ordre par un opérateur qui aurait passé un ordre pour 6 milliards d'actions, alors qu'il voulait dire 6 millions. Ce que j'ai entendu de mon collègue secrétaire d'Etat au Trésor américain, c'est que c'était manifestement plus compliqué que ça, que l'enquête de la Security Exchange Commission, qui est l'équivalent du gendarme de la Bourse français, aux Etats-Unis, donc ils ont commencé leur enquête et ils sont en train de décortiquer le mécanisme des ordres, les fonctionnements - moi je ne suis pas une experte en la matière, mais on a des mécanismes d'algorithmes qui déterminent des positions d'achat ou de vente - pour savoir comment le dysfonctionnement a pu intervenir et comment on peut empêcher ce type de dysfonctionnement. Mais vous avez raison, on est en face, aujourd'hui, des marchés... enfin, de titres dématérialisés, de marchés qui sont totalement électroniques, et sur lesquels l'erreur elle n'est plus humaine, mais elle est technologique, et il faut qu'on arrive à avoir des barrières, des stops, qui empêchent les mouvements de ce type.
FLORE VASSEUR
Mais est-ce que ce n'est pas proprement effrayant cette fragilité de la sophistication financière, qu'on a alimentée ? Enfin je veux dire, c'est aussi, on a laissé faire pendant des années, ces CDS et ces machines.
MARC VOINCHET
Les joies du calcul mathématique appliquées à l'économie.
FLORE VASSEUR
Exactement.
CHRISTINE LAGARDE
Ce n'est pas seulement dans ce domaine-là qu'on a laissé fonctionner un certain nombre de technologies et d'accélérations de processus, c'est tout le problème, justement, de la gestion du temps qu'on évoquait tout à l'heure.
MARC VOINCHET
Christine LAGARDE, est-ce que tout de même...
CHRISTINE LAGARDE
Mais vous savez, je reviens aux propos de Jean-Marie COLOMBANI. On ne va pas ralentir ce temps-là, le temps des transactions, le temps électronique, il est engagé, on ne va pas le freiner, même s'il y a des adeptes de la soft foot, soft sexe, soft je ne sais quoi...
FLORENCE VASSEUR
Slow...
CHRISTINE LAGARDE
Slow, voilà, le slow... en revanche, la nécessité de la règle et la certitude de l'application de la règle et de la sanction qui en résulte, me paraît déterminante. C'est pour ça que, avec Jean-Pierre JOUYET, nous nous en sommes parlés la semaine dernière, et je suis convaincue que le rappel à l'ordre, le rappel aux risques, des opérateurs, ou même des zozos qui s'amusent à lancer la rumeur parce que ça va permettre à tel ou tel de faire à la baisse ou à la hausse un certain nombre de gains, c'est coupable et c'est de la manipulation de cours.
MARC VOINCHET
Mais enfin ces zozos, à une époque, Christine LAGARDE, il n'était pas question, il n'y a pas si longtemps, de les critiquer, on disait que c'était au moins les modèles d'initiatives, de modèle économique libéral, qui, avec le jeu et le marché, faisaient...
CHRISTINE LAGARDE
Non non, la manipulation de cours ça a toujours été sanctionné. Il s'agit maintenant d'identifier ce que c'est que de la manipulation de cours, ça prend des formes différentes, avec les phénomènes d'accélération du temps qu'on évoquait tout à l'heure. Donc il faut, impérativement, s'adapter à cet environnement-là, et maintenir le principe régulation/ sanctions.
MARC VOINCHET
Dites, dans la liste des choses que vous avez réglées, et tentez de régler avec ce plan de stabilisation de la zone euro, ce n'était pas l'occasion, dans cette folle nuit, jusqu'à 4H00 du matin, Christine LAGARDE, au fond de mettre en place une taxe sur les transactions financières, voulue par Angela MERKEL et Nicolas SARKOZY à une époque ?
CHRISTINE LAGARDE
D'abord, le président de la République m'a demandé de mettre en place une taxation sur les bonus, on l'a mise en place et le système s'est appliqué pour cette période exceptionnelle, où l'Etat a dû venir renforcer le système financier et a permis aux banques de continuer à opérer dans des conditions qui étaient parfaitement avantageuses pour les opérateurs de marchés en 2009. Donc il y a une taxation des bonus en France qui s'applique pour cette période-là. Ce dont vous parlez, la taxation des transactions financières, c'est autre chose.
MARC VOINCHET
Celle qui rassurait non pas les marchés, mais les opinions publiques.
CHRISTINE LAGARDE
Non, soyons sérieux, parce que vous êtes une chaîne de radio trop sérieuse pour faire du raccourci.
MARC VOINCHET
Trop sérieuse, vous savez...
CHRISTINE LAGARDE
Mais c'est un compliment que je vous fais, parce que je respecte ça, mais l'honnêteté intellectuelle elle passe par l'analyse des phénomènes. On parle de la taxe Tobin. La taxe Tobin elle a été proposée à l'époque par un économiste, TOBIN, qui proposait de mettre un grain de sable dans les mécanismes en matière d'échanges de devises, pour empêcher qu'il y ait des écarts, à la hausse ou à la baisse, trop forts, entre les devises. C'était ça à l'origine. C'est devenu quelque chose de complètement différent. On parle maintenant de la taxe Tobin, en fait on explore à l'échelon international, parce que ça ne peut valoir que si c'est international, un mécanisme qui taxation qui s'appliquerait à une base à déterminer. Et la base à déterminer c'est tout le débat actuel, mené d'ailleurs avec le Fonds Monétaire International, et des propositions différentes. Soit on taxe chacune des transactions, difficile à appréhender, soit on taxe les banques, et à ce moment-là il faut savoir si on taxe telle ou telle partie du bilan. Est-ce qu'on prend les passifs, est-ce qu'on prend les actifs ? À l'intérieur des actifs, quel volume est-ce qu'on choisit, quelle dimension est-ce qu'on donne ? Mais deux principes. Un, il faut que ce soit international pour que tout le monde soit sur le même cadre, et deux, il faut que la base sur laquelle on assied une taxe, elle soit suffisamment précise pour qu'on n'ait pas ce qu'on appelle du « shadow banking », et que la matière sorte sur le côté, alors qu'on a essayé de l'appréhender.
HUBERT HUERTAS
Pardonnez-moi d'avance, Christine LAGARDE, je vais avoir l'air...
MARC VOINCHET
Soyez sérieux.
HUBERT HUERTAS
Sérieux, mais je vais nous ramener à nos soucis hexagonaux, aux questions...
MARC VOINCHET
Voilà, le temps de la politique intérieure aussi à aborder.
HUBERT HUERTAS
A une question que vous avez abordée un petit peu tout à l'heure, cette question du mot de la fameuse rigueur qui nous attend, ou qui ne nous attend pas. Il y a donc un débat, pourquoi y a-t-il ce débat ? Ce n'est quand même pas pour le plaisir de la poésie, de la sémantique. Que cache cette crainte, enfin semble-t-il, très visible, de votre part, de la part du gouvernement, cette crainte qu'on emploie ce mot rigueur ? Qu'est-ce que ça peut bien faire ?
MARC VOINCHET
Je rappelle qu'Alain JUPPE le revendique, ainsi que Jean-François COPE.
HUBERT HUERTAS
Et puis Pierre LELLOUCHE aussi. Donc, qu'est-ce que ça peut bien faire ?
CHRISTINE LAGARDE
Ce que ça peut faire c'est que bien souvent on utilise des raccourcis historiques et intellectuels, et on risque d'associer une politique qui aujourd'hui est une politique tout en subtilités, où il faut à la fois continuer à relancer la croissance, et continuer à appliquer le plan de relance qu'on a décidé l'année dernière, qui a été très efficace et qui a mis la France en tête des pays européen. Donc ça il faut continuer à le faire. Il y a un certain nombre de mesures qui s'appliqueront pendant l'année 2010, et qui continueront à soutenir cette croissance. En même temps on doit impérativement redresser nos finances publiques, parce que je le disais tout à l'heure, on ne peut pas perpétuellement vivre à crédit et de plus en plus à crédit, en passant la note aux générations futures. Et troisièmement, on doit poursuivre en France des réformes, de fond, qui permettent la libération des facteurs de croissance, et l'épanouissement des talents. C'est tout l'objet des propositions de Jacques ATTALI en son temps. Donc, cette politique économique compliquée, réformes, relance, redressement des finances publiques, c'est les trois R, qui est subtile et compliquée, on ne peut pas juste la résumer à une question de rigueur. Parce qu'à ce moment-là vous pensez immédiatement aux préconisations de Raymond BARRE, aux freins à la croissance, et ce n'est pas ça qu'on veut faire.
HUBERT HUERTAS
Il y a l'augmentation d'impôts, que vous refusez, elle existera.
CHRISTINE LAGARDE
On a fait de la relance, on a injecté 28 milliards d'euros dans l'économie pour relancer la machine, ce qu'on veut faire aujourd'hui c'est réformer pour que l'économie réagisse au vent, on l'espère, de la poursuite de la croissance, et on investit dans ce qu'on a considéré comme étant stratégique sur le plan industriel et sur le plan de la productivité et de la compétitivité de la France. Quand on fait un emprunt, à 35 milliards d'euros, et qu'on le mobilise, pour plus d'un tiers, sur l'éducation supérieure et sur la recherche, on investit dans l'avenir du pays. C'est un peu la différence entre s'intoxiquer à la dette d'un côté, et investir en stratégie industrielle de l'autre.
HUBERT HUERTAS
On a compris cette complexité, mais elle peut ramener à des choses simples, qu'a priori vous ne voulez pas assumer, on va dire. C'est que mécaniquement il y aura des augmentations d'impôts, par exemple le bouclier fiscal, le bouclier, il va être ébréché. Ça a été annoncé maintenant, mais il ne faut pas le dire.
CHRISTINE LAGARDE
Non, moi je ne suis pas d'accord avec vous, parce que le pari qu'on fait aujourd'hui c'est un pari à la fois de politique responsable sur le plan des finances publiques, c'est-à-dire ne pas dépenser n'importe comment, c'est-à-dire s'accorder sur le fait qu'on gèle la dépense publique, c'est-à-dire qu'on fait du zéro valeur, même s'il y a de l'inflation, eh bien on garde le même chiffre que l'année dernière. Et on le fait pendant 3 ans. Et on le fait à la fois au niveau des dépenses de l'Etat, et au niveau des dépenses des collectivités territoriales. Et moi j'espère vraiment, sur un plan politique, que les collectivités territoriales et leurs décideurs, et leurs gestionnaires, auront la responsabilité de prendre la même décision. Parce qu'on ne peut pas, dans des périodes soit de faible croissance, soit, pour le passé, de décroissance, on ne peut pas se permettre de faire croître la dépense indéfiniment, parce qu'on le fait sur le dos des Français, dans ces conditions-là. Mon deuxième pari c'est le pari du retour de la croissance et d'une croissance que j'espère un peu différente.
MARC VOINCHET
Ce n'est pas un pari un peu risqué tout de même, parce que... Jean-Marie COLOMBANI veut intervenir.
JEAN-MARIE COLOMBANI
Justement, moi je voulais demander à Christine LAGARDE ce que vont donner ces trois R, parce qu'il n'y a pas... la meilleure lutte contre la dette c'est la croissance, la meilleure lutte contre les déficits sociaux, et pour redonner du pouvoir d'achat, c'est le recul du chômage. Alors, comme nous ne sommes pas...
MARC VOINCHET
Il a bondi de 20% en Espagne.
HUBERT HUERTAS
Comme nous ne sommes pas sortis de la crise, quelles sont vos perspectives pour l'année, en matière de chômage comme en matière de croissance ? Est-ce qu'on peut espérer des mieux aussi, sinon aussi spectaculaires qu'aux Etats-Unis, du moins est-ce que les choses vont aller dans la bonne direction ?
CHRISTINE LAGARDE
Vous savez ça très bien Jean-Marie COLOMBANI. Les économies réagissent différemment, l'économie américaine a réagi brutalement dans l'accroissement du chômage, qui est passé de 4% à près de 10% de chômage, avec un accroissement de plus de 150%, notre pays, nous, il réagit moins brutalement à la hausse, moins brutalement à la baisse. Donc le chômage dans notre pays a augmenté entre 20 et 25%, selon la catégorie, A, B ou C, que l'on retient, alors qu'aux Etats-Unis ça a augmenté de 150%, en Espagne de 120%. Donc chacune des économies réagit selon ses fondamentaux, sa capacité d'amortir les chocs, et ça freine dans les deux sens, à la hausse et à la baisse. Moi je constate une chose. Un, depuis 1 an le chômage en France baisse - pardon, le rythme d'augmentation du chômage se ralentit trimestre après trimestre. Pour la première fois en mars on a eu moins de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi. On peut regretter que ce ne soit pas...
HUBERT HUERTAS
Si lent.
CHRISTINE LAGARDE
Plus brutale comme évolution, mais l'évolution elle est là dans les chiffres. Moi ce que j'espère c'est qu'avec la reprise de la croissance, qu'on observe maintenant depuis trois trimestres, avec la poursuite de ce mouvement, qui est accentué par la reprise très forte sur les marchés émergents, avec la poursuite de notre plan de relance, avec l'investissement dans les stratégies industrielles, on va continuer à redresser notre économie pour qu'elle arrive à un degré suffisant qui permette la création d'emplois de manière durable et pérenne. C'est à ce moment-là que je considérerai qu'on sera sorti de la crise.
MARC VOINCHET
Vous la faites comment cette réindustrialisation de la France, Christine LAGARDE ? C'est vrai qu'on oublie toujours - enfin on oublie, il ne faut pas l'oublier - que vous êtes ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi. Ici à votre place hier, Nicolas BAVEREZ, disait qu'il fallait, au fond, sans doute, s'attaquer à un plan de réindustrialisation de la France. Ça veut dire quoi et quels types d'industries ?
CHRISTINE LAGARDE
D'abord j'ai auprès de moi un ministre de l'Industrie qui fait très bien son travail, Christian ESTROSI, et il a mené, sous mon autorité, les états généraux de l'industrie. Les états généraux de l'industrie, pendant à peu près 6 mois, ça a mobilisé dans le pays l'ensemble des acteurs industriels, pour faire des diagnostics, pour faire des préconisations. Donc, il y a un certain nombre de lignes qui se sont dégagées. La première ligne à laquelle je pense c'est évidemment la politique par filières, parce qu'on a pendant longtemps considéré que la politique industrielle c'était tout sur l'automobile, tout sur l'aéronautique, tout sur le ferroviaire. Ces secteurs-là ce sont des secteurs qui sont bien vivants en France et qui ont réussi à travers la crise, avec d'ailleurs des soutiens, puisqu'on a mobilisé, vous le savez, 6 milliards d'euros pour soutenir l'industrie automobile, que sur un certain nombre d'opérateurs on est même allé investir au capital avec le Fonds Stratégique d'Investissement, qui sont là aussi des créatures de la crise. Mais on a plutôt tendance maintenant à raisonner par filière, en se disant, il y a des grands chefs de file, et puis autour de ces chefs de file se sont constitués des chaînes de sous-traitants, des fournisseurs qui travaillent un peu en grappes autour de ces grands chefs de file, et ce sont des filières entières qu'il faut arriver à consolider, sans se concentrer sur un acteur. Il faut tout prendre en considération, et soutenir ces filières.
MARC VOINCHET
Pour terminer, deux petits mots. Vous allez un jour ou l'autre, ou non, remettre en débat, de façon à trancher une fois pour toute, cette question de bouclier fiscal ? Pierre LELLOUCHE hier, à titre personnel, dit il faut remettre, en cause partielle, mais il faut remettre en cause le bouclier fiscal, il faut faire contribuer les hauts revenus à la réforme des retraites. C'est le débat de droite...
CHRISTINE LAGARDE
Ça c'est un autre débat. Mais je voudrais juste, un point que j'ai oublié de mentionner sur le soutien à la réindustrialisation du pays, on a modifié la taxe professionnelle, on l'a remplacée par la Contribution économique territoriale, et la taxation ne pèse plus sur les investissements en équipements. Ça c'est très important.
MARC VOINCHET
Et sur le bouclier, c'est la zizanie à jamais ?
CHRISTINE LAGARDE
Non, mais on mélange deux choses. Il y a d'une part le fait, ce qu'a exprimé le président de la République, on demande la contribution, par les très hauts revenus et par les revenus du capital, pour le financement des retraites, et par ailleurs moi je maintiens que lorsqu'on a payé 50% de son revenu en impôts, eh bien on a fait sa part civile et sa contribution au bien commun.
MARC VOINCHET
Un clin d'oeil. Demain le festival commence avec « Robin des bois » de Ridley SCOTT, il sort en salles en même temps. Vous irez voir la fameuse histoire de ce bandit qui vole aux pauvres pour donner aux riches ?
CHRISTINE LAGARDE
(Rire) - je n'ai pas beaucoup le temps d'aller au cinéma malheureusement.

Source http://www.economie.gouv.fr, le 12 mai 2010