Texte intégral
C. Barbier.- Mobilisation hier contre la réforme des retraites. Comment avez-vous jugé, vous, la mobilisation ? "Comme en mars", ce que dit E. Woerth, plus qu'en mars, moins qu'en mars ?
Approximativement, comme en mars, mais quelques jours après les premières prémices de l'annonce de la réforme, donc je considère que c'est une mobilisation qui manifeste une inquiétude sans pour autant qu'il faille en grossir la signification.
Est-ce que L. Chatel, porte-parole du Gouvernement, a eu tort de considérer cette "mobilisation à moitié réussie" comme un feu vert pour la réforme ?
Si on place le curseur très haut, on peut considérer qu'il y avait moins de monde que prévu et qu'espéré pour les organisations syndicales. Si on place le curseur sur le fait que ça révèle une inquiétude au demeurant assez légitime, il faut considérer qu'il faut toujours être l'écoute de ce type de manifestations. Mais je le répète, ce n'était sans doute pas ce qu'espéraient les organisations syndicales.
Les syndicales promettent une nouvelle mobilisation pour septembre, quand il y aura le débat au Parlement. Vous craignez ça, "l'effet rentrée sociale" en septembre ?
La rentrée sociale depuis que je fais de la politique, ça fait une trentaine d'années, a toujours été annoncée comme difficile. Cette année, on l'adosse aux retraites, à nous d'être bons dans l'explication et de bien montrer aux Français que ce n'est pas une réforme contre quelqu'un, c'est une réforme pour sauver la répartition.
On va entrer dans les explications et dans les détails. L'âge légal de départ en retraite va bouger, ça ne sera plus 60 ans. Qu'est-ce qui serait raisonnable : 62, 63, 65, 67 ont les Allemands ?
Ce qui serait raisonnable surtout, c'est de bien mesurer que, si on ne le fait pas le système par répartition s'effondre.
Ca, c'est acquis, la pédagogie a été faite.
C'est acquis mais vous venez très justement de reposer la question, il faut maintenant que les Français en soient convaincus, et c'est tout l'exercice de pédagogie, d'une part, que nous voulons, et c'est simultanément, tout l'exercice de concertation avec les syndicats. Le COR a donné des chiffres qui sont des chiffres précis. Je rappelle deux points qui sont tout à fait importants : nous avons suite à la crise 1,6 point de PIB de déficit sur les retraites, et nous avons 20 ans d'avance dans ces déficits par rapport à ce qui était prévu.
Le remède, c'est maintenant ?
Le remède, c'est de trouver la bonne mesure à discuter avec les syndicats, ce que nous faisons actuellement.
Votre sentiment, c'est 62, 63 ans, la bonne barrière, à échéance de 10 ans ?
Mon sentiment c'est qu'il faudra reculer l'âge dans des conditions qui soient des conditions de progressivité, pas question d'appliquer une réforme du jour au lendemain, mais dans des conditions qui permettent aux Français de comprendre qu'on fait un effort suffisant sans pour autant que ça leur paraisse agressif.
Et la durée de cotisations ? La réforme de 2003 avait fait une partie du chemin. Il faut continuer la même pente et monter vers 43, 44 ans ?
La durée de cotisations, vous l'avez vous-même rappelé, la réforme de 2003 l'a anticipée jusqu'à 2020, il faut donc avoir, me semble-t-il, une continuité par rapport à ce qui a été programmé en 2003.
On ne touchera pas aux régimes spéciaux avant 2018, à la date de fin d'application de la réforme votée en 2007, ça c'est une ruse pour avoir la paix sociale, les cheminots d'ailleurs n'ont pas trop bougé hier ?
On peut parler de "ruse" mais on peut également parler de mesure tout à fait logique. Je vous laisse le choix du mot "ruse" et je prends le mot "logique". Pourquoi ? Parce que la réforme qui concerne les régimes spéciaux est entrée en vigueur à partir de 2008-2009...
Avant la crise...
...On est exactement dans la situation où elle monte en puissance, et on n'est qu'au début. Je ne vois pas comment est-ce qu'on peut demander qu'on applique une seconde réforme alors que la première est en train de démarrer, ce ne serait pas logique.
Sans l'appliquer, faut-il la préparer tout de suite, est-ce que vous proposerez des choses pour les régimes spéciaux à appliquer à partir de 2018 ?
Je crois que tout simplement, il faut le dire, et d'ailleurs le document d'orientation le dit très clairement, que la réforme concernera les régimes spéciaux de la même façon que les autres Français, mais le moment venu, c'est-à-dire après la montée en puissance de cette première réforme.
Ils coûtent encore très chers ces régimes spéciaux, à tous les Français.
Et la réforme dont il s'agit pour 2007-2008, permet d'économiser 500 millions d'euros jusqu'en 2012, et à peu près 500 d'euros par an à partir de 2012. On voit bien que la réforme Bertrand porte ses effets, laissons-là monter en puissance.
Faut-il aller très vite vers une convergence des taux de cotisations entre fonctionnaires, ce dont vous avez la charge, et privé ?
Tout ça est sur la table, la question est sur la table comme les autres. Pourquoi ? Vous avez, contrairement à ce que d'ailleurs beaucoup pensent, une pension qui est à peu près équivalente dans le public et dans le privé, on est persuadé de l'inverse, on se trompe, les chiffres là-dessus sont précis. En revanche, vous avez un taux de cotisation à 4,85 dans le public, à 10,55 dans le privé, ce qui veut dire qu'à retraite égale, le coût d'acquisition de la retraite dans le public et dans le privé n'est pas le même. Il est donc parfaitement normal qu'on discute de cela avec les syndicats, E. Woerth et moi-même le faisons actuellement.
De nombreux fonctionnaires sont dits en "catégorie active", ça ne veut pas dire que les autres soient en "catégorie passive", mais ceux-là ont droit, les policiers par exemple, pompiers, à partir à 50 ou 55 ans. Vous reviendrez aussi sur cet avantage ?
Les catégories actives, il faut le savoir, ça remonte à 1825. On ne peut quand même pas considérer qu'au début du XXIème siècle, nous soyons dans la même situation ; il y a des professions qui sont plus éprouvées que d'autres, et effectivement on les connaît, par exemple les personnels en uniforme. Il faut donc voir si, oui ou non, cela se justifie encore ; il faut voir si on va avoir une application des réformes concernant l'âge, également "catégorie active"...
(...) qu'il faut leur appliquer à proportion ?
Je pense qu'il est très bon d'avoir, à l'occasion de cette réforme, un examen des situations des unes et des autres.
Vous auriez pu profiter de la réforme pour créer une Caisse de retraite spécifique aux fonctionnaires d'Etat, comme il y en a une pour les collectivités locales. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
Je vais essayer d'être le moins technique possible, et il faut dire les choses clairement. Nous avons depuis 2001, la LOLF, la Loi d'Orientation...un compte d'affectation spéciale dans le budget. Ca veut dire qu'on sait très précisément quelle est la cotisation employeur de l'Etat, quelle est la cotisation des salariés, quel montant de prestations, quel montant de cotisation, toute la transparence est déjà établie. Les syndicats nous ont dit très clairement qu'ils ne voulaient pas participer à la gestion de ce régime. Ils sont pour la transparence, elle est assurée par le document que je viens d'évoquer, ce n'était pas la peine de faire un conflit, et de tenter de forcer les syndicats à venir s'asseoir dans un conseil d'administration alors qu'ils ne le voulaient pas. C'était vraiment, me semble-t-il, un point sur lequel il était utile de les écouter, et nous avons montré à cette occasion, E. Woerth et moi-même, que la concertation porte ses fruits. Je l'ai dit plusieurs fois, je le redis ici, tout est ouvert aujourd'hui ; ceux qui nous accusaient d'aller trop vite s'aperçoivent qu'on négocie ; ceux qui pensaient que tout était bouclé s'aperçoivent qu'en réalité on peut avoir tel ou tel point sur lequel nous disons "on prend note de ce que vous dites", c'est ça la vraie concertation.
Vous n'allez pas préparer à terme une sorte de hold-up : on prend dans les économies des salariés du privé pour payer la retraite des fonctionnaires ?
Non, ce n'est pas du tout le sujet. La retraite des fonctionnaires de l'Etat est assurée par un taux de cotisation et par ensuite un versement de l'Etat en tant que telle. Donc on n'est pas dans cette logique-là, ce qui compte, simplement, je l'ai dit tout à l'heure, c'est de savoir si la différence de taux est quelque chose sur lequel on peut revenir, nous en discutons actuellement avec les syndicats.
Les salaires des fonctionnaires vont baisser en Espagne comme dans d'autres pays touchés par la crise ; la France refuse la baisse. Est-ce que vous allez au moins vers un gel des salaires des fonctionnaires ?
Je vais vous répondre deux choses : d'abord, on est en pleine discussion à partir du mois de juin, c'est dans 15 jours, trois semaines, avec les syndicats à ce sujet. Et en second lieu, ce qu'il est important de savoir c'est que dans la discussion, nous mettrons tous les paramètres sur la table. Exemple : vous savez comme moi que dans la fonction publique il y a ce qu'on appelle "le point d'indice" qui est le référent principal du salaire, mais ce n'est pas le seul. Ce point d'indice a augmenté par exemple en 2009 de 0,5 % alors que le pouvoir d'achat des fonctionnaires était supérieur à 3 %. Nous mettrons tous ces paramètres sur la table, nous en discuterons avec eux, et nous sommes dans une logique...
Rigueur, rigueur quand même...
Pas rigueur, rigueur, c'est simplement sérieux, sérieux.
Vous êtes maire de Draveil dans l'Essonne, votre police municipale n'est pas armée, vous allez leur donner des Taser, quand même puisque c'est autorisé maintenant ?
Non, parce que ma police municipale n'a pas vocation à assurer la sécurité. C'est une police de proximité et pour une raison très simple, c'est un commissariat doté de 100 personnes au coeur de la commune. J'ai considéré que je pouvais faire quelques économies de fonctionnement courant et me référer aux fonctionnaires de l'Etat pour ça.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 mai 2010