Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, en hommage à Philippe Séguin, Epinal le 3 juin 2010.

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Circonstance : Inauguration de la rue Philippe Séguin à Epinal le 3 juin 2010

Texte intégral

Monsieur le Maire, cher Michel,
Mesdames et Messieurs,
En inaugurant à Epinal, une rue au nom de Philippe SÉGUIN, nous venons de célébrer la mémoire d'un ami, la mémoire d'un homme qui fut pour nous tous, une référence morale. Ensemble, nous honorons un dirigeant politique qui a imprimé par ses actes et sa pensée, sa marque sur notre époque. Ensemble, nous nous souvenons de sa personnalité chaleureuse, intransigeante sur l'intelligence et sur l'honneur de la politique. Ensemble, nous devons nous souvenir aussi de ses réalisations qui furent marquées par l'ambition de la réforme et du changement.
Je suis heureux d'être parmi vous, en présence de ses amis, en présence de sa famille. C'est parce qu'il n'est pas de lieu plus propice que votre ville pour évoquer l'actualité de l'héritage intellectuel et politique de Philippe SÉGUIN. Oui, après le deuil, il est temps de dire que cet héritage est vivant et qu'il peut nous inspirer face à la tourmente où se trouvent aujourd'hui plongées la mondialisation, l'Europe, la France.
Rien ne prédisposait Philippe SÉGUIN à devenir député des Vosges en 1978, puis maire d'Epinal en 1983, lui qui était né dans la lumière de Tunis. Mais il se consacra à ce territoire comme il se consacra à la France. Epinal devint sa seconde patrie, et je me souviens qu'il aimait en comparer les mérites par rapport à ceux de Sablé sur Sarthe, que je dirigeais alors. C'était naturellement toujours pour dire que c'était mieux à Epinal. Je racontais à l'instant que j'étais entré un jour, très fier, dans son bureau de l'Assemblée Nationale pour lui dire que la ville de Sablé venait d'être sacrée ville la plus sportive de France. Il m'avait félicité avec assez peu de chaleur. Et puis j'étais passé dans mon bureau qui était juste à côté et quelques instants après, j'ai entendu des hurlements. C'était Philippe SÉGUIN qui appelait le secrétaire général d'Epinal pour lui dire : « mais alors Sablé, la ville la plus sportive de France, et nous ! ». Et je pense que ça a dû se produire plusieurs fois.
Philippe dut apprécier d'associer son destin à cette ville dont le Général de GAULLE avait exalté l'histoire douloureuse et glorieuse, dans un célèbre discours qu'il prononça ici en septembre 1946. Ce jour-là, de GAULLE avait dit : «Dans ces Vosges, où l'on a toujours pratiqué la vie publique avec ardeur et avec raison, dans ces Vosges qu'inspirent encore les grandes pensées d'un Jules FERRY, on réfléchit particulièrement bien à ce que doit désormais devenir la République. » Quelques décennies plus tard, Philippe SÉGUIN ne fit pas mentir ces paroles, lui qui se voulait encore et toujours Républicain. Il montra à Epinal, ce que peut la politique face à une crise qui dévaste un territoire. Lorsqu'il arriva dans les Vosges, la situation économique était difficile. L'effet des chocs pétroliers se faisait durement ressentir. Il marquait la fin des Trente Glorieuses. La France peinait alors à s'adapter à cette nouvelle donne. Et dans cette région des Vosges, la crise était particulièrement violente, puisque l'effondrement de l'industrie textile était aggravé par celui de la sidérurgie lorraine. Il y avait alors deux stratégies possibles. La plus confortable consistait à gérer le déclin en flattant la nostalgie d'une ville de garnison au passé industriel révolu, et en mettant sur le dos des gouvernements ou de l'Europe, la responsabilité des problèmes. L'autre stratégie, c'était de réinventer un modèle de développement pour les Vosges et pour Epinal, en reconstituant un tissu industriel, en formant la population à de nouveaux emplois, en faisant de la ville un lieu d'innovation économique, sociale et culturelle.
Si je voulais rappeler l'ensemble des projets et réalisations conduits ici par Philippe SÉGUIN, la journée ne suffirait pas. Mais je me souviens en revanche de son ambition. Philippe voulait toujours le meilleur pour Epinal. Il réhabilita les logements sociaux, il attira des entreprises, il fit venir de grands artistes contemporains, il développa l'enseignement supérieur. Je me souviens de son audace qui le conduisit à lancer une chaîne de télévision locale, ou à expérimenter un aménagement des rythmes scolaires qui, dans toute la France, fit connaître Epinal comme une ville pionnière. Je me souviens de sa méthode. Pour Philippe SÉGUIN, une ville c'était un projet politique ! Un projet qui ne peut se concevoir, surtout quand il vise à la réinventer, sans l'adhésion de ses habitants. D'où un inlassable effort de pédagogie, d'où les comités de quartiers ou les conseils de jeunes. Et les résultats sont là ! Epinal était considérée comme une ville perdue pour le développement économique ; comme une ville enclavée, à l'identité vacillante ; comme une ville peu attractive que sa jeunesse quittait sans y revenir. Elle vit aujourd'hui pleinement dans le XXIème siècle. Elle est ouverte sur l'Europe ; elle dispose d'excellentes infrastructures culturelles, sportives, technologiques, éducatives. Cet élan que Philippe SÉGUIN avait donné à sa ville ne s'est pas démenti, grâce à l'adhésion qu'il avait su obtenir de ses habitants, grâce aussi au talent de son successeur, Michel HEINRICH.
Philippe SÉGUIN, Mesdames et Messieurs, incarnait une certaine idée de la politique. Contre les intimidations de la technocratie, il défendait la démocratie où chacun a le droit à la parole et où chacun à le devoir de choisir en conscience. A la société du spectacle qui transforme le citoyen en consommateur, il opposait l'éloquence d'une réflexion qui honore l'intelligence de tous. Aux formules assassines et faciles, il préférait les idées sans lesquelles il n'y a pas d'horizon ni d'action efficace et durable. Plutôt que les affrontements des clans, il aimait la noblesse des joutes oratoires d'où chacun sort grandi d'avoir cherché le bien commun. Philippe SÉGUIN n'aimait pas les idéologies. Il était animé par des idéaux. Et au nom de ces idéaux, il se prononça pour l'abolition de la peine de mort en 1981. Il n'hésita jamais à interpeller sa propre famille politique lorsqu'elle lui semblait s'éloigner de ses principes fondateurs. Il n'eut jamais peur d'affronter la solitude, dès lors qu'il s'y trouvait en accord avec sa morale.
Philippe SÉGUIN incarnait une certaine idée de la France. Fils d'un jeune combattant mort en 1944, il débuta dans la vie avec pour héritage une douleur et une passion pour ce pays au nom duquel son père s'était sacrifié. Enfant, il demanda un jour à sa mère ce que signifiait l'expression «pupille de la Nation». «Cela veut dire, lui répondit-elle, que la France est ton père de remplacement». De la France, il connaissait l'Histoire sur le bout des doigts. Il en défendait fièrement l'indépendance. Il croyait en la valeur de son message universel. Si ce message s'exprime en France avec une intensité, avec une passion inconnue d'autres peuples, c'est parce que tout au long de son Histoire notre pays a voulu que sa trajectoire se transforme en destin. Comme d'autres auraient pu le faire, mais comme eux seuls l'ont osé, les Français ont choisi de jouer un rôle original dans le monde. Nous sommes sans doute une des rares nations à vouloir constamment vivre au dessus d'elle-même, mais cette démesure fait notre grandeur. Philippe SÉGUIN sentait et savait tout cela. Et le Gaullisme s'imposa à lui comme une évidence. Il n'en fit jamais une étiquette partisane, parce qu'au fond de son engagement, il y avait la conviction que le patriotisme républicain ne se divise pas. Du Gaullisme, il avait retenu l'exigence de la modernité économique. Il avait retenu l'exigence de la solidarité, sans laquelle c'est l'unité du peuple qui est compromise.
Philippe SÉGUIN, c'était aussi une certaine idée de l'Europe. Tout le monde se souvient de la campagne qu'il mena contre le traité de Maastricht, parce qu'elle donna la mesure de son éloquence et aussi parce qu'elle illustra la hauteur de ses convictions. Mais il n'était pas anti-européen. Il était exigeant pour l'Europe, comme il l'était pour la France. Il ne croyait pas à l'Europe des directives. Il voulait une Europe qui assume l'héritage de sa civilisation. Il voulait une Europe qui puise ses idées et ses forces dans l'Histoire concrète de ses peuples. Il nous alerta contre le risque d'une Europe où la dimension politique serait occultée sous la technocratie, comme si les nations pouvaient s'en remettre à une sorte de pilotage automatique qui résoudrait tous les problèmes par magie ; comme s'il n'y avait plus qu'à administrer les choses ; comme si la réalité ne devait plus ménager ces instants de crise où les sociétés humaines ont besoin de débattre et de trancher.
Nous traversons une crise qui montre la justesse de son diagnostic. Aujourd'hui, nous sommes au fond confrontés au même choix crucial que celui qui se présentait devant Philippe SÉGUIN lorsqu'il découvrit les Vosges en 1978 : soit nous nous enfermons dans le déni du réel et nous acceptons le déclin. Soit nous continuons de réinventer la France pour lui permettre de compter au XXIème siècle. La France est peut-être le seul des grands pays développés à n'être jamais complètement sorti des chocs pétroliers. La dernière année d'excédent budgétaire, c'est 1973. Et la dernière année de chômage inférieur à 5%, c'est 1977. La grande crise de la mondialisation nous a rattrapés au moment précis où nous nous engagions, grâce à Nicolas SARKOZY, dans la modernisation de notre pays.
Face à des bouleversements qui sont en train de modifier à grande vitesse la hiérarchie des nations et des continents, nous devons conserver la maîtrise de notre destin pour préserver l'essentiel de notre héritage.
La première exigence c'est de poursuivre la dynamique lancée dès 2007 avec comme maître-mot, la compétitivité. Au nom de notre compétitivité, nous avons desserré le carcan des 35 heures en défiscalisant les heures supplémentaires. Nous avons desserré le carcan des charges qui pesaient sur nos entreprises. Nous avons desserré le carcan de l'imposition. Nous avons desserré le carcan qui paralysait nos universités en leur accordant l'autonomie. Cet effort de modernisation, nous n'avons jamais considéré qu'il doive être suspendu par la crise. Elle le rend au contraire plus nécessaire que jamais. Mais aujourd'hui, après la déroute financière de 2008 qui a miné la croissance, la crise du capitalisme est entrée dans une deuxième phase : la crise de la dette souveraine. Elle nous oblige à un deuxième impératif qui est le désendettement. Le monde est sans indulgence pour les Etats dont la dépense publique est excessive. De jour en jour, de grands pays voient leur note souveraine dégradée.
La Grèce a inventé la démocratie. Les navires du roi d'Espagne ont découvert l'Amérique. Les Portugais se sont taillés des empires aux quatre coins du monde. Mais les salles de marché et les agences de notation n'ont que faire des gloires du passé, et ces nations sont brutalement sommées d'apurer leurs comptes.
Pendant longtemps, les Etats ont emprunté avantageusement en considérant que leur puissance régalienne valait pour une garantie absolue. Cette époque est terminée. A force de se tourner vers les marchés, les Etats se sont rendus dépendants de leurs logiques. Nous avons de bonnes raisons de les trouver excessives, de les trouver injustes, de les trouver inadéquates à bien des égards, parce que nous savons que les Etats ont des missions particulières, des missions politiques dont la légitimité ne peut pas se mesurer dans les termes de la simple comptabilité.
Et je veux rappeler qu'au moment de la crise bancaire, la France, sous l'autorité du président de la République, a été aux avant-postes pour définir avec nos partenaires une nouvelle régulation mondiale. Et cet effort nous le poursuivons et nous allons en particulier continuer de le faire entendre, lorsque nous prendrons la présidence du G8 et du G20. Il n'est pas question de se soumettre à je ne sais quels diktats des spéculateurs et des marchés. Mais il est en même temps dangereux d'ignorer les avertissements.
Parce que la vérité, c'est que nous dépensons trop et depuis trop longtemps. Alors si nous voulons diminuer notre dépendance à l'égard des marchés, eh bien nous devons tout simplement aussi, emprunter moins. Plus nous sommes en déficit, plus nous empruntons et plus nous devons courir après le remboursement des intérêts de notre dette. Il faut rompre avec ce cercle vicieux en remettant nos finances publiques sur les rails. Un Etat fort, c'est un Etat désendetté.
Philippe SÉGUIN le savait, comme le savait le général de GAULLE, lui dont la première décision en 1958, fut de rembourser la dette extérieure accumulée par la IVème République. Compétitivité et désendettement, sont les deux faces d'une même ambition fondamentale, d'une ambition qui a été tout au long sa vie celle de Philippe SÉGUIN, et qui a pour nom : la souveraineté nationale.
La souveraineté nationale - c'est-à-dire la capacité pour la France de demeurer maîtresse de ses choix politiques et à fortiori, de son mode de vie - est au coeur de son héritage. Le pouvoir de choisir notre destin ne constitue pas un acquis éternel. On a vu dans l'Histoire des nations brillantes s'appauvrir, s'affaiblir, décliner et puis chuter. La souveraineté nationale c'est aujourd'hui avoir la lucidité et la volonté de prendre toute notre place dans la mondialisation.
Et dans notre monde de 6,5 milliards d'habitants, les 65 millions de Français doivent avoir le courage de se battre avec les armes qui sont les leurs : le travail, l'intelligence, l'innovation, l'éducation et la formation. Se battre mais aussi se rassembler sur l'essentiel, et l'essentiel se confond avec le visage lumineux de la République, chère à Philippe. La République qui n'est ni de droite ni de gauche, mais qui appartient à tous ceux qui savent que le citoyen doit donner à son pays autant qu'il reçoit de lui. La souveraineté nationale dépend de l'intensité de notre unité et de notre civisme. Elle dépend aussi de notre capacité à dire et à accepter la vérité afin de sécuriser notre modèle social, qui se confond avec les plus belles pages du gaullisme social. «La vérité reste le meilleur moyen de mobiliser le corps social», disait Philipe SÉGUIN.
Et la vérité, c'est qu'on ne peut avoir la meilleure santé du monde, l'Ecole et l'université gratuites, des allocations pour tous ceux qui sont dans le besoin, des retraites dignes pour tous, sans réformer notre système et sans redoubler ensemble d'efforts. La souveraineté nationale a un prix. Travailler plus, travailler mieux, c'est la clé du progrès social.
La souveraineté nationale, c'est enfin le choix - j'y reviens - de rester maître de ses finances publiques. Et pour le rester, nous ne pouvons pas vivre éternellement à crédit, au dessus de nos moyens. A la présidence de la Cour des Comptes, Philippe SÉGUIN n'a cessé de militer pour un Etat plus moderne, pour un Etat plus responsable dans la gestion des comptes publics et des comptes sociaux. On peut toujours stigmatiser les marchés, on peut toujours accuser les spéculateurs de spéculer, il n'en demeure pas moins qu'une nation mal gérée est une nation faible et qu'une nation bien gérée est une nation respectée.
D'ici 2013, nous avons pris, avec le président de la République, l'engagement de ramener notre déficit de 8% à 3%. Je veux vous dire qu'avec le président de la République nous n'esquiverons pas nos responsabilités. Cet effort, l'Etat le fournira, et il faut que tous les acteurs publics et sociaux se sentent partie prenante de cette entreprise de redressement financier.
La souveraineté c'est aussi, à travers celle de la France, un enjeu pour l'Europe tout entière. «Nous voulons l'Europe, mais l'Europe debout», disait Philippe SÉGUIN. Notre fierté nationale doit inspirer la fierté européenne. Voilà pourquoi j'en appelle à un patriotisme éclairé. Je veux dire par-là, un patriotisme hissé au niveau de l'Europe, de cette Europe qui a tellement besoin d'être incarnée par une âme. Aujourd'hui, c'est tout notre modèle européen qui est défié. A ce défi, la réponse ne peut être que celle de la volonté politique. Cette volonté n'est pas abstraite. C'est une volonté qui vient des nations qui composent l'Union. C'est une volonté qui vient des chefs d'Etat qui sont aux commandes et qui prennent leurs responsabilités et qui font la décision.
Depuis le choc financier de 2008 jusqu'au sauvetage de la Grèce, la France a mis tout son poids dans la balance pour sauver les banques européennes, pour coordonner les plans de relance, pour convaincre de la nécessité d'une action concertée des banques centrales. Elle continue de militer pour la compétitivité européenne, qui passe par un renforcement de la gouvernance de la Zone Euro. Elle continue de militer pour une coordination efficace des politiques économiques. Elle continue de militer pour la résorption des déséquilibres sur les marchés des changes. Eh bien de cette crise, nous devons sortir en progressant sur le chemin d'une Europe politique, cette Europe que Philippe SÉGUIN voulait voir debout.
Mesdames et Messieurs, mon cher Michel, Philippe SÉGUIN aimait Epinal et les Spinaliens l'ont en retour, estimé et respecté.
En lui rendant aujourd'hui hommage, la ville d'Epinal ne fait pas seulement que consacrer un grand élu local, elle consacre un lion de la République. Ceux qui passeront dans la rue Philipe SÉGUIN se souviendront de cet homme attachant, inclassable et inlassablement dévoué à la chose publique. Ils se souviendront de ses combats solitaires, qui épousaient pourtant la voix de notre peuple, ce peuple qui de Valmy au Vercors trouve toujours la force de se soulever pour la justice et pour l'honneur. Ils se souviendront de celui qui trouva, dans les papiers de son père, ces quelques mots en guise de testament : « Adieu mon fils, sois un homme loyal, honnête et droit». Cet homme, qui tout au long de sa vie se montra fidèle à cette devise intime, cet homme s'appelait Philippe SÉGUIN.Source http://www.gouvernement.fr, le 4 juin 2010