Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, sur les zones urbaines sensibles dans les banlieues et sur l'existence ou non de "ghettos" en France, Paris le 7 juin 2010.

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Circonstance : Séminaire sur le thème "Des ghettos français : abus de langage, réalité ou terme écran ?", à Paris le 7 juin 2010

Texte intégral

Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Secrétaire général, [Comité interministériel des villes]
Mesdames et Messieurs,
Merci Monsieur le Directeur général pour cette introduction ; elle nous donne, je crois, un aperçu éclairant qui éveille tout naturellement notre curiosité, notre écoute. En somme notre soif d'apprendre et de comprendre.
Il me revient l'honneur d'introduire ce séminaire. Je voudrais tout d'abord rendre hommage au Centre d'analyse stratégique pour l'avoir organisé.
En particulier son directeur général, Vincent Chriqui, ainsi que le département des Questions sociales et sa responsable, Marine Boisson.
Ce n'est pas une mince affaire que de constituer une aussi belle affiche.
Je ne crois pas me tromper en disant que nous sommes en présence cet après-midi, de quelques uns des meilleurs spécialistes français de la question des banlieues et de la politique de la ville.
Je les remercie d'avoir répondu présents aujourd'hui pour livrer leurs réflexions et le fruit de leurs travaux.
Le sujet des quartiers sensible n'est évidemment pas une nouveauté. Mais la problématique qu'il l'entoure aujourd'hui marque peut-être une rupture dans l'approche du problème.
Voilà plus de cinquante ans que sont apparus à la périphérie des métropoles, les premiers « grands ensembles », comme on les appelait à l'époque.
Des habitants venus en nombre des campagnes, des travailleurs immigrés mais aussi des cadres, s'y sont installés.
Ils devaient y vivre quelques années, le temps de conjurer la crise du logement. Mais le provisoire, comme nous le savons, a duré.
Les tours et les barres, symboles à leur apparition de la modernité et du confort pour tous, ont peu à peu révéler leurs défauts : l'éloignement du centre ville, la piètre qualité du bâti, le manque d'équipements collectifs de proximité.
Avec le départ progressif des classes moyennes qui ont pu devenir propriétaire, ne sont restées que les familles n'ayant souvent pas d'autre choix que d'habiter là.
Entre temps, la crise des années 70-80 a sévi, engendrant un chômage de masse parmi les catégories populaires, tout particulièrement les ouvriers.
A la cité des 4000, à la Grande Borne, au Haut du Lièvre comme au Val Fourré, les problèmes sociaux se sont concentrées, tandis que l'habitat souvent construit à la hâte s'est progressivement dégradé.
Longtemps ignorées ou mal connues du reste du pays, ces banlieues sont venues sur le devant de la scène médiatique lorsqu'en 1981 ont éclaté les premières émeutes dans le quartier des Minguettes.
Nous connaissons la suite : Vaux-en velin, Mantes-la Jolie, Villiers le Bel...Sans oublier bien sûr l'embrasement de l'automne 2005 qui a révélé toute l'ampleur du malaise de ces quartiers.
Des quartiers où de nombreux jeunes issus de l'immigration rencontrent des obstacles majeurs pour accéder à un emploi ou une formation. Des quartiers synonymes aussi d'enclavement lorsque l'on ne possède pas de voiture, et a fortiori, de permis de conduire.
Les pouvoirs publics ne sont pourtant pas restés inertes. Durant ces trente années d'existence, la politique de la ville aura permis de rénover bon nombre de quartiers.
Un réseau associatif puissant s'est développé, oeuvrant au soutien des familles, à la formation, à la prévention de la délinquance.
Des zones franches ont été instaurées pour encourager les entreprises à s'implanter et recruter sur place.
Selon un bilan de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles paru en 2008, les milliards injectés dans les banlieues ont eu des effets positifs.
Si le taux de chômage des jeunes reste élevé dans les quartiers - deux fois plus qu'ailleurs - il a néanmoins baissé au fil des ans.
Dans les zones franches urbaines, l'activité économique a été stimulée par les exonérations fiscales.
Malgré tout, chaque embrasement des banlieues rappelle l'ampleur des ségrégations sociales et ethniques qui persistent en France et que les nombreux programmes n'ont pas suffi à réduire.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? D'aucuns n'hésitent plus à employer un terme longtemps refusé pour évoquer certains quartiers, parmi les plus déshérités, celui de ghetto.
Le mot, a priori, ne peut que nous heurter. Il évoque des habitants vivant en repli, avec leurs propres valeurs, en rupture avec celles du reste de la société.
Le ghetto est à l'opposé de cette mixité sociale que nous appelons de nos voeux, dans la logique de nos valeurs républicaines d'égalité et de fraternité.
Il renvoie à la situation des Etats-Unis où certaines populations se voient reléguées sur des critères sociaux mais également ethniques.
Pourtant, il serait trop simple de balayer d'un revers de main ce mot de ghetto.
Car à l'évidence, son usage croissant par les journalistes comme les chercheurs, y compris certains ici présent aujourd'hui, n'est pas anodin.
S'interroger sur l'existence ou la non existence de ghettos en France, c'est réfléchir à l'évolution que connaissent actuellement ces quartiers avec une vraie liberté de pensée.
Je suis heureuse que ce séminaire réunisse des chercheurs au fait des réalités. Chacun, cela va de soi, a son approche des problèmes, son interprétation.
Mais nous ne sommes pas ici dans le jeu des postures et des opinions toutes faites. Les banlieues sensibles sont entourées, nous le savons, d'une multitude d'idées reçues et de représentations parfois caricaturales.
Bien souvent, les médias exercent un effet de loupe. Lorsqu'un fait divers surgit ou qu'un reportage est consacré au trafic de drogue ou aux bandes, le danger d'une vision réductrice des choses nous guette.
Les échanges qui vont avoir lieu sont à l'évidence une occasion précieuse de restituer la complexité des choses.
Au-delà des analyses qui vont nous être apportées, je souhaite également que ce séminaire soit l'occasion de réfléchir à des moyens d'action.
Il s'agit de poursuivre avec toutes les chances de réussite les politiques menées dans le cadre du plan « Espoir Banlieues » que pilote Fadela Amara.
Les deux tables rondes de cet après-midi sont peut-être aussi l'occasion d'envisager d'autres formes d'interventions publiques.
Le nouveau Conseil national des villes, installé par le Premier ministre le 25 mai dernier, doit donner un nouvel élan à la politique de la ville et proposer des pistes d'amélioration aux dispositifs existants.
Je me félicite de voir que ce séminaire tombe ainsi à point nommé. Vos débats, j'en suis persuadée, n'en seront que plus fructueux.
Je vous souhaite donc un après-midi studieux et riche : je serai attentive aux retours qui m'en seront faits.
Je laisse maintenant la parole aux intervenants de la première table ronde. Merci à vous.Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 8 juin 2010