Texte intégral
DOMINIQUE SOUCHIER : Denis Kessler, Bonjour.
DENIS KESSLER : Bonjour.
DOMINIQUE SOUCHIER : Dans l'article que vous signez sur la transparence dans la revue " Pouvoir ", vous êtes le premier à dire que les salariés doivent être informés de la marche de l'entreprise. Vice-président du MEDEF, est-ce que vous comprenez la stupeur et la colère des victimes des plans sociaux ?
DENIS KESSLER : En tout cas, je comprends l'émotion de ceux qui perdent leur emploi, notamment après des longues années où ils ont participé à la vie de l'entreprise. C'est des chocs pour les familles, c'est des chocs pour les régions et tout ceci est, je crois, extrêmement difficile à vivre. Il n'y a aucune ambiguïté sur notre compréhension de l'émotion que ceci créé. Le problème, c'est de savoir ce que l'on fait. Et je crois qu'il faut dire aux Français, qu'il y aura, y compris dans la période de croissance que l'on connaît et la forte création d'emplois, il y aura des restructurations, il y aura des fermetures d'usines, il y aura des plans sociaux, il ne faut pas se leurrer. Ce phénomène atteindra toutes les économies et il faut trouver les modalités pour que ces difficultés, pour que ces transitions, pour que ces restructurations, ne se traduisent pas par des drames humains ou des drames régionaux comme ça a été le cas dans un certain nombre de fois.
DOMINIQUE SOUCHIER : Alors, parlons de ça. Chez Marks Spencer, concrètement, les directeurs ont été informés de la fermeture de leur magasin par e-mail en tout début de journée, les salariés dans la foulée. Est-ce que ça correspond à l'idée que vous, vous faites de l'entreprise ?
DENIS KESSLER : Il y a un conflit entre l'information des salariés d'une part et l'information des actionnaires d'autre part. Marks Spencer est une entreprise internationale et dans le monde anglo-saxon, il faut informer simultanément et les salariés et les actionnaires. Comme en plus la décision portait sur plusieurs pays, il a fallu que la décision soit prise en même temps pour l'ensemble des pays puisque Marks Spencer est coté sur des bourses étrangères où les règles en la matière sont très strictes. Mais c'est également le cas en France. Il y a une véritable difficulté, si vous voulez, pour un chef d'entreprise. Il faut qu'il informe les instances représentatives du personnel, c'est-à-dire le comité d'entreprise, autrement il s'expose à ce que l'on appelle un délit d'entrave ce qui est évidemment grave, et il faut qu'il consulte et qu'il informe le comité d'entreprise. Dans le même temps, il faut qu'il informe, ce que l'on appelle le marché financier, c'est le droit boursier, le droit financier, parce qu'autrement il y a un risque qu'on appelle le délit d'initié. Et donc, il y a là, véritablement, des contradictions entre plusieurs sources de droit.
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais c'est la question que vous pose Elisabeth Guigou ! Si on veut vraiment informer les salariés sur la marche de l'entreprise, est-ce qu'il ne doivent pas être alertés sur le bien fondé des projets de restructuration avant même qu'il n'y ait des plans sociaux.
DENIS KESSLER : Non, parce que si ils sont informés sur les difficultés, je le dis très directement, ça signifie qu'ils sont initiés, c'est-à-dire qu'ils ont des informations sur la marche de l'entreprise, que les autres acteurs de l'entreprise n'ont pas. Et donc, il y a un véritable problème. Il faut que les salariés soient informés, bien entendu, soient consultés, bien entendu, mais que les informations dont disposent les salariés soient les mêmes que les informations dont vont disposer l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise, bien entendu, le conseil d'administration et les actionnaires. Autrement vous voyez bien qu'il y aura des conflits et des conflits qui porteront tort aussi bien à l'entreprise qu'à l'ensemble de son personnel.
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais, les patrons ont leur expert. Est-ce qu'il ne serait pas normal que les comités d'entreprise puissent bénéficier eux aussi d'experts ?
DENIS KESSLER : Si, et je crois...
DOMINIQUE SOUCHIER : Pour juger de la situation de l'entreprise.
DENIS KESSLER : Sur ce point, bien entendu, on peut améliorer les choses et vous avez raison de le signaler, que les représentants du personnel, doivent avoir la possibilité d'avoir des expertises qui leur permettent de mieux comprendre le développement de l'entreprise.
DOMINIQUE SOUCHIER : Donc là, vous approuvez la décision qu'annonce Elisabeth Guigou ?
DENIS KESSLER : C'est déjà le cas, figurez-vous. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, les comités d'entreprises peuvent se faire faire des études. C'est déjà le cas, bon. Et elles le font souvent d'ailleurs, c'est pris en charge par l'entreprise et tout ceci existe déjà. Mais je crois qu'il ne faut pas, à partir de là, laisser croire que l'on peut avoir pour le personnel des entreprises des informations radicalement différentes de celles que l'on donne, notamment pour les entreprises cotés, à ce que l'on appelle le marché.
DOMINIQUE SOUCHIER : Tout à l'heure, vous parliez des pratiques à l'anglo-saxonnes. Vous pensez que les pratiques à l'anglo-saxonne doivent être en vigueur chez nous, totalement ?
DENIS KESSLER : On ne pourra pas échapper à ce que l'on appelle les règles de gouvernement d'entreprise, en anglais " corporate governance ", qui veut que les dirigeants d'une entreprise, les managers de l'entreprise, les gestionnaires de l'entreprise sont obligés d'informer tous ceux qui apportent des fonds à l'entreprise, en d'autres termes les actionnaires, dans des formes de très grandes transparences et avec une périodicité qui est fixée et dans lequel aucune information peut être dissimulée. Et cette information qui est donné aux actionnaires est aussi une information dont disposent, bien entendu, les salariés. J'ajoute que de plus en plus de salariés sont actionnaires de l'entreprise au travers des plans d'épargne entreprise ou l'actionnariat salarié et qu'en tant qu'actionnaires, ils ont aussi les mêmes informations.
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais que pèse un petit actionnaire et a fortiori un salarié face à la toute puissance des fonds de pension anglo-saxons ?
DENIS KESSLER : Les fonds de pension font une pression extraordinaire sur les entreprises pour qu'elles révèlent leurs stratégies, pour qu'elles donnent des informations pertinentes de leur développement dont bénéficient tous les acteurs de l'entreprise. Ecoutez, c'est clair ! L'avenir, c'est une plus grande transparence de l'ensemble de ce qui gouverne l'entreprise. Ceci est au bénéfice de tous les acteurs.
DOMINIQUE SOUCHIER : Les banques connaissent l'endettement des entreprises. Vous pensez que c'est anormal que le petit actionnaire ne puisse pas avoir les mêmes informations ?
DENIS KESSLER : Le petit actionnaire, bien entendu, connaît l'endettement des entreprises. Le petit actionnaire sera appelé, sans cesse davantage, à avoir toutes les informations que peut rendre publiques une entreprise. Et ces règles de transparence, de corporate governance, sont extrêmement rigoureuses, et quiconque à l'heure actuelle essaie de ne pas les respecter ou ne les respecte pas s'expose à une sanction de la part des marchés qui est extrêmement, extrêmement stricte.
DOMINIQUE SOUCHIER : Socialement, je reviens à l'emploi. Socialement toutes les fermetures d'usines n'ont pas le même poids parce que certaines régions sont plus sinistrées que d'autres. Est-ce qu'un patron ne doit pas intégrer ce souci qui dépasse le cap de l'entreprise dans sa réflexion ?
DENIS KESSLER : Bien entendu, le patron doit intégrer les trois soucis d'abord de son entreprise : son personnel, ses clients et ses actionnaires
DOMINIQUE SOUCHIER : Et la région...
DENIS KESSLER : Bien entendu, il doit tenir compte également de ce qu'on appelle les effets externes de ses décisions qui portent sur la région, sur son environnement
DOMINIQUE SOUCHIER : Et la fermeture de l'usine LU à Calais, il y a le père, la mère, parfois il y l'enfant qui travaille, voilà ! Le choc...
DENIS KESSLER : Le choc est à la hauteur, effectivement, de ce qu'on appellerait, dans mon jargon, le fait que toute la famille travaille dans le même endroit et c'est un risque majeur quand l'entreprise ferme. Mais tout ceci, encore une fois, je veux dire, il faut expliquer que l'impact n'est pas de dire " il faut interdire les licenciements, il faut interdire les plans sociaux ". Il faut au contraire quoi faire ? Il faut absolument aménager les plans de reclassement de façon à ce que ceux-ci puissent faire en sorte que 95 %, 100 % si possible des salariés retrouvent un emploi. Et l'impact devrait être mis sur les plans de reclassement, ce qui est d'ailleurs souvent le cas puisqu'il faut savoir que les statistiques montrent en France que des gens, après licenciement économique, ont une probabilité beaucoup plus forte que les autres chômeurs et demandeurs d'emplois, de retrouver un emploi. Les plans de reclassement, la plupart du temps, marchent.
DOMINIQUE SOUCHIER : Le Conseil régional de Basse-Normandie vient de demander à l'unanimité au gouvernement de constituer une cellule de crise sur Moulinex en expliquant qu'une entreprise n'a théoriquement pas de compte à rendre face aux élus sauf, dit-elle, quand il y a des retombées sur la vie économique locale.
DENIS KESSLER : Il y a toujours des retombées sur la vie économique locale. Et je crois qu'il faut pas, non plus maintenant, sur la base de ces deux plans sociaux, verser dans l'exagération. Je veux dire, c'est des entreprises privées. Ces entreprises privées sont régies par les règles d'une entreprise privée dans lesquelles il y a des risques, dans lesquelles il y a de la concurrence, dans lesquelles il y a nécessité de modernisation et restructuration et il y a nécessité et impératif de rentabilité. Je veux dire, je crois qu'il faut quand même retirer tout projet qui voudrait que les entreprises privées soient de nouveau soumises soit à l'administration soit au pouvoir politique. C'est une aberration ! Maintenant, que les pouvoirs publics locaux soient pleinement informés de ce qui se passe dans l'entreprise, de ses développements, des plans de reclassement et des réindustrialisations possibles, ceci est tout à fait légitime. Mais, vous voyez, sur la base de l'émotion, Monsieur Souchier, il ne faut pas que systématiquement on envisage des législations qui n'existent pas dans les autres pays. Parce que ce qui se passera, c'est que les entreprises françaises iront à l'étranger se délocaliser ce qui donnera des plans sociaux et que les entreprises étrangères ne choisiront plus notre pays. Nous avons fait le choix européen. Il faut que les règles en vigueur en Europe s'appliquent en France. Il faut que les règles françaises soient compatibles avec les règles en Europe autrement...
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais ça vaut des deux côtés, l'émotion. Au lendemain de son face-à-face avec José Bové, Jean-Marie Messier a dit qu'il ne fallait pas faire de provocation dans le dialogue social. On lui a demandé. On lui a dit ça vise Ernest-Antoine Seillière, il n'a pas démenti. Est-ce qu'il n'y a pas actuellement, au sein du patronat français, une vraie crise comme le titre le journal LE MONDE ?
DENIS KESSLER : Alors ceci est une élucubration totalement infondée. Je vous rappelle que la méthode à l'heure actuelle du MEDEF, c'est le dialogue. Nous avons lancé les chantiers de la Refondation sociale par le dialogue, nous ne pouvons rien faire d'autre à l'heure actuelle que de parvenir à des accords en discutant et en négociant avec les syndicats. On ne peut rien imposer par la loi, par la circulaire ou par un décret comme le gouvernement peut le faire dans la Fonction publique. Et donc, de grâce, ce procès est absolument inacceptable, il n'y a pas de crise au patronat. Il y a au contraire unité autour de l'idée qu'il faut réformer les règles du jeu social. Si nous ne parvenons pas à faire les réformes structurelles dans les domaines qui sont ceux que vous avez évoqué, Monsieur Souchier, si nous ne parvenons pas par le dialogue à réformer la protection sociale et les règles du dialogue social, et bien notre pays ira de secousses en secousses, de difficultés en difficultés, de crises en crises, et ceci n'est bon pour personne.
DOMINIQUE SOUCHIER : Et le président du MEDEF n'a pas l'obligation de réussir dans ses propres entreprises ?
DENIS KESSLER : Vous savez, le risque d'entreprise est inhérent à l'entreprise elle-même. Le risque d'un investisseur est toujours omniprésent et il faut pas faire, le matin, dire que nous rentrons dans une société dont le risque est omniprésent et après de dire que nous sommes tous gouvernés comme des entreprises publiques ou comme le secteur public. Vous me permettrez simplement de constater que nous, nous exigeons des entreprises privées de la transparence alors qu'elles s'appellent privées et anonymes, alors que du côté du secteur public, c'est l'opacité la plus grande qui règne. La preuve est que l'on ne sait pas et c'est aussi l'actualité de la semaine, nous ne connaissons toujours pas le nombre de personnes qui travaillent dans la Fonction publique, dans l'Education Nationale, pas plus qu'on ne connaît les salaires qui sont distribués, pas plus qu'on ne connaît le temps de travail de la plupart des ministères. Donc oui à la transparence dans le secteur privé, bien entendu, et bien nous souhaiterions que le principe de transparence s'applique aussi à l'ensemble du secteur public.
DOMINIQUE SOUCHIER : Merci Denis Kessler, une pause publicitaire et après la suite de l'actualité cette semaine.
(source http://www.medef.fr, le 9 mai 2001)
DENIS KESSLER : Bonjour.
DOMINIQUE SOUCHIER : Dans l'article que vous signez sur la transparence dans la revue " Pouvoir ", vous êtes le premier à dire que les salariés doivent être informés de la marche de l'entreprise. Vice-président du MEDEF, est-ce que vous comprenez la stupeur et la colère des victimes des plans sociaux ?
DENIS KESSLER : En tout cas, je comprends l'émotion de ceux qui perdent leur emploi, notamment après des longues années où ils ont participé à la vie de l'entreprise. C'est des chocs pour les familles, c'est des chocs pour les régions et tout ceci est, je crois, extrêmement difficile à vivre. Il n'y a aucune ambiguïté sur notre compréhension de l'émotion que ceci créé. Le problème, c'est de savoir ce que l'on fait. Et je crois qu'il faut dire aux Français, qu'il y aura, y compris dans la période de croissance que l'on connaît et la forte création d'emplois, il y aura des restructurations, il y aura des fermetures d'usines, il y aura des plans sociaux, il ne faut pas se leurrer. Ce phénomène atteindra toutes les économies et il faut trouver les modalités pour que ces difficultés, pour que ces transitions, pour que ces restructurations, ne se traduisent pas par des drames humains ou des drames régionaux comme ça a été le cas dans un certain nombre de fois.
DOMINIQUE SOUCHIER : Alors, parlons de ça. Chez Marks Spencer, concrètement, les directeurs ont été informés de la fermeture de leur magasin par e-mail en tout début de journée, les salariés dans la foulée. Est-ce que ça correspond à l'idée que vous, vous faites de l'entreprise ?
DENIS KESSLER : Il y a un conflit entre l'information des salariés d'une part et l'information des actionnaires d'autre part. Marks Spencer est une entreprise internationale et dans le monde anglo-saxon, il faut informer simultanément et les salariés et les actionnaires. Comme en plus la décision portait sur plusieurs pays, il a fallu que la décision soit prise en même temps pour l'ensemble des pays puisque Marks Spencer est coté sur des bourses étrangères où les règles en la matière sont très strictes. Mais c'est également le cas en France. Il y a une véritable difficulté, si vous voulez, pour un chef d'entreprise. Il faut qu'il informe les instances représentatives du personnel, c'est-à-dire le comité d'entreprise, autrement il s'expose à ce que l'on appelle un délit d'entrave ce qui est évidemment grave, et il faut qu'il consulte et qu'il informe le comité d'entreprise. Dans le même temps, il faut qu'il informe, ce que l'on appelle le marché financier, c'est le droit boursier, le droit financier, parce qu'autrement il y a un risque qu'on appelle le délit d'initié. Et donc, il y a là, véritablement, des contradictions entre plusieurs sources de droit.
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais c'est la question que vous pose Elisabeth Guigou ! Si on veut vraiment informer les salariés sur la marche de l'entreprise, est-ce qu'il ne doivent pas être alertés sur le bien fondé des projets de restructuration avant même qu'il n'y ait des plans sociaux.
DENIS KESSLER : Non, parce que si ils sont informés sur les difficultés, je le dis très directement, ça signifie qu'ils sont initiés, c'est-à-dire qu'ils ont des informations sur la marche de l'entreprise, que les autres acteurs de l'entreprise n'ont pas. Et donc, il y a un véritable problème. Il faut que les salariés soient informés, bien entendu, soient consultés, bien entendu, mais que les informations dont disposent les salariés soient les mêmes que les informations dont vont disposer l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise, bien entendu, le conseil d'administration et les actionnaires. Autrement vous voyez bien qu'il y aura des conflits et des conflits qui porteront tort aussi bien à l'entreprise qu'à l'ensemble de son personnel.
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais, les patrons ont leur expert. Est-ce qu'il ne serait pas normal que les comités d'entreprise puissent bénéficier eux aussi d'experts ?
DENIS KESSLER : Si, et je crois...
DOMINIQUE SOUCHIER : Pour juger de la situation de l'entreprise.
DENIS KESSLER : Sur ce point, bien entendu, on peut améliorer les choses et vous avez raison de le signaler, que les représentants du personnel, doivent avoir la possibilité d'avoir des expertises qui leur permettent de mieux comprendre le développement de l'entreprise.
DOMINIQUE SOUCHIER : Donc là, vous approuvez la décision qu'annonce Elisabeth Guigou ?
DENIS KESSLER : C'est déjà le cas, figurez-vous. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, les comités d'entreprises peuvent se faire faire des études. C'est déjà le cas, bon. Et elles le font souvent d'ailleurs, c'est pris en charge par l'entreprise et tout ceci existe déjà. Mais je crois qu'il ne faut pas, à partir de là, laisser croire que l'on peut avoir pour le personnel des entreprises des informations radicalement différentes de celles que l'on donne, notamment pour les entreprises cotés, à ce que l'on appelle le marché.
DOMINIQUE SOUCHIER : Tout à l'heure, vous parliez des pratiques à l'anglo-saxonnes. Vous pensez que les pratiques à l'anglo-saxonne doivent être en vigueur chez nous, totalement ?
DENIS KESSLER : On ne pourra pas échapper à ce que l'on appelle les règles de gouvernement d'entreprise, en anglais " corporate governance ", qui veut que les dirigeants d'une entreprise, les managers de l'entreprise, les gestionnaires de l'entreprise sont obligés d'informer tous ceux qui apportent des fonds à l'entreprise, en d'autres termes les actionnaires, dans des formes de très grandes transparences et avec une périodicité qui est fixée et dans lequel aucune information peut être dissimulée. Et cette information qui est donné aux actionnaires est aussi une information dont disposent, bien entendu, les salariés. J'ajoute que de plus en plus de salariés sont actionnaires de l'entreprise au travers des plans d'épargne entreprise ou l'actionnariat salarié et qu'en tant qu'actionnaires, ils ont aussi les mêmes informations.
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais que pèse un petit actionnaire et a fortiori un salarié face à la toute puissance des fonds de pension anglo-saxons ?
DENIS KESSLER : Les fonds de pension font une pression extraordinaire sur les entreprises pour qu'elles révèlent leurs stratégies, pour qu'elles donnent des informations pertinentes de leur développement dont bénéficient tous les acteurs de l'entreprise. Ecoutez, c'est clair ! L'avenir, c'est une plus grande transparence de l'ensemble de ce qui gouverne l'entreprise. Ceci est au bénéfice de tous les acteurs.
DOMINIQUE SOUCHIER : Les banques connaissent l'endettement des entreprises. Vous pensez que c'est anormal que le petit actionnaire ne puisse pas avoir les mêmes informations ?
DENIS KESSLER : Le petit actionnaire, bien entendu, connaît l'endettement des entreprises. Le petit actionnaire sera appelé, sans cesse davantage, à avoir toutes les informations que peut rendre publiques une entreprise. Et ces règles de transparence, de corporate governance, sont extrêmement rigoureuses, et quiconque à l'heure actuelle essaie de ne pas les respecter ou ne les respecte pas s'expose à une sanction de la part des marchés qui est extrêmement, extrêmement stricte.
DOMINIQUE SOUCHIER : Socialement, je reviens à l'emploi. Socialement toutes les fermetures d'usines n'ont pas le même poids parce que certaines régions sont plus sinistrées que d'autres. Est-ce qu'un patron ne doit pas intégrer ce souci qui dépasse le cap de l'entreprise dans sa réflexion ?
DENIS KESSLER : Bien entendu, le patron doit intégrer les trois soucis d'abord de son entreprise : son personnel, ses clients et ses actionnaires
DOMINIQUE SOUCHIER : Et la région...
DENIS KESSLER : Bien entendu, il doit tenir compte également de ce qu'on appelle les effets externes de ses décisions qui portent sur la région, sur son environnement
DOMINIQUE SOUCHIER : Et la fermeture de l'usine LU à Calais, il y a le père, la mère, parfois il y l'enfant qui travaille, voilà ! Le choc...
DENIS KESSLER : Le choc est à la hauteur, effectivement, de ce qu'on appellerait, dans mon jargon, le fait que toute la famille travaille dans le même endroit et c'est un risque majeur quand l'entreprise ferme. Mais tout ceci, encore une fois, je veux dire, il faut expliquer que l'impact n'est pas de dire " il faut interdire les licenciements, il faut interdire les plans sociaux ". Il faut au contraire quoi faire ? Il faut absolument aménager les plans de reclassement de façon à ce que ceux-ci puissent faire en sorte que 95 %, 100 % si possible des salariés retrouvent un emploi. Et l'impact devrait être mis sur les plans de reclassement, ce qui est d'ailleurs souvent le cas puisqu'il faut savoir que les statistiques montrent en France que des gens, après licenciement économique, ont une probabilité beaucoup plus forte que les autres chômeurs et demandeurs d'emplois, de retrouver un emploi. Les plans de reclassement, la plupart du temps, marchent.
DOMINIQUE SOUCHIER : Le Conseil régional de Basse-Normandie vient de demander à l'unanimité au gouvernement de constituer une cellule de crise sur Moulinex en expliquant qu'une entreprise n'a théoriquement pas de compte à rendre face aux élus sauf, dit-elle, quand il y a des retombées sur la vie économique locale.
DENIS KESSLER : Il y a toujours des retombées sur la vie économique locale. Et je crois qu'il faut pas, non plus maintenant, sur la base de ces deux plans sociaux, verser dans l'exagération. Je veux dire, c'est des entreprises privées. Ces entreprises privées sont régies par les règles d'une entreprise privée dans lesquelles il y a des risques, dans lesquelles il y a de la concurrence, dans lesquelles il y a nécessité de modernisation et restructuration et il y a nécessité et impératif de rentabilité. Je veux dire, je crois qu'il faut quand même retirer tout projet qui voudrait que les entreprises privées soient de nouveau soumises soit à l'administration soit au pouvoir politique. C'est une aberration ! Maintenant, que les pouvoirs publics locaux soient pleinement informés de ce qui se passe dans l'entreprise, de ses développements, des plans de reclassement et des réindustrialisations possibles, ceci est tout à fait légitime. Mais, vous voyez, sur la base de l'émotion, Monsieur Souchier, il ne faut pas que systématiquement on envisage des législations qui n'existent pas dans les autres pays. Parce que ce qui se passera, c'est que les entreprises françaises iront à l'étranger se délocaliser ce qui donnera des plans sociaux et que les entreprises étrangères ne choisiront plus notre pays. Nous avons fait le choix européen. Il faut que les règles en vigueur en Europe s'appliquent en France. Il faut que les règles françaises soient compatibles avec les règles en Europe autrement...
DOMINIQUE SOUCHIER : Mais ça vaut des deux côtés, l'émotion. Au lendemain de son face-à-face avec José Bové, Jean-Marie Messier a dit qu'il ne fallait pas faire de provocation dans le dialogue social. On lui a demandé. On lui a dit ça vise Ernest-Antoine Seillière, il n'a pas démenti. Est-ce qu'il n'y a pas actuellement, au sein du patronat français, une vraie crise comme le titre le journal LE MONDE ?
DENIS KESSLER : Alors ceci est une élucubration totalement infondée. Je vous rappelle que la méthode à l'heure actuelle du MEDEF, c'est le dialogue. Nous avons lancé les chantiers de la Refondation sociale par le dialogue, nous ne pouvons rien faire d'autre à l'heure actuelle que de parvenir à des accords en discutant et en négociant avec les syndicats. On ne peut rien imposer par la loi, par la circulaire ou par un décret comme le gouvernement peut le faire dans la Fonction publique. Et donc, de grâce, ce procès est absolument inacceptable, il n'y a pas de crise au patronat. Il y a au contraire unité autour de l'idée qu'il faut réformer les règles du jeu social. Si nous ne parvenons pas à faire les réformes structurelles dans les domaines qui sont ceux que vous avez évoqué, Monsieur Souchier, si nous ne parvenons pas par le dialogue à réformer la protection sociale et les règles du dialogue social, et bien notre pays ira de secousses en secousses, de difficultés en difficultés, de crises en crises, et ceci n'est bon pour personne.
DOMINIQUE SOUCHIER : Et le président du MEDEF n'a pas l'obligation de réussir dans ses propres entreprises ?
DENIS KESSLER : Vous savez, le risque d'entreprise est inhérent à l'entreprise elle-même. Le risque d'un investisseur est toujours omniprésent et il faut pas faire, le matin, dire que nous rentrons dans une société dont le risque est omniprésent et après de dire que nous sommes tous gouvernés comme des entreprises publiques ou comme le secteur public. Vous me permettrez simplement de constater que nous, nous exigeons des entreprises privées de la transparence alors qu'elles s'appellent privées et anonymes, alors que du côté du secteur public, c'est l'opacité la plus grande qui règne. La preuve est que l'on ne sait pas et c'est aussi l'actualité de la semaine, nous ne connaissons toujours pas le nombre de personnes qui travaillent dans la Fonction publique, dans l'Education Nationale, pas plus qu'on ne connaît les salaires qui sont distribués, pas plus qu'on ne connaît le temps de travail de la plupart des ministères. Donc oui à la transparence dans le secteur privé, bien entendu, et bien nous souhaiterions que le principe de transparence s'applique aussi à l'ensemble du secteur public.
DOMINIQUE SOUCHIER : Merci Denis Kessler, une pause publicitaire et après la suite de l'actualité cette semaine.
(source http://www.medef.fr, le 9 mai 2001)