Interview de M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à La Chaîne Info LCI le 10 juin 2010, sur la lutte contre la polygamie de fait, l'accès à la nationalité française et la coupe du monde de football.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- Face à l'affaire Liès Hebbadj, B. Hortefeux veut faire évoluer le droit de la nationalité pour lutter notamment contre la polygamie. Allez-vous engager cette réforme ?
 
On va voir. D'abord, notez que B. Hortefeux, lorsqu'il a dit son indignation il y a quelques semaines, était dans le vrai, puisque le procureur a mis en examen l'intéressé. Deuxièmement, sur le fond, B. Hortefeux a raison d'être indigné, c'est moralement, politiquement, inacceptable ! Ca pose des problèmes de droit qui sont quand même complexes, et que, probablement, si le président de la République et si le Premier ministre en décident, nous devrons discuter de façon interministérielle pour voir comment adapter notre législation. Donc, raison politiquement, et encore et encore sensible juridiquement.
 
Vous pourriez faciliter les procédures de déchéance de la nationalité, notamment en cas de polygamie ?
 
C'est exactement ça. Aujourd'hui, c'est très difficile à faire pour ce type de cas de figure ou pour fraude avérée aux prestations sociales. Mais on peut faire évoluer le droit si le Président et si le Premier ministre arbitrent en ce sens, c'est une question d'opportunité politique, et ensuite de difficulté juridique, parce que la polygamie de fait, on voit bien ce que ça peut être, concrètement ; de passer du fait au droit, ça n'est pas si aisé.
 
Un centriste, N. About, au Sénat, veut déposer une proposition de loi pour criminaliser, pour transformer en délit la polygamie. C'est possible ?
 
Je viens de le dire. Sur le plan des principes, on peut comprendre, ça choque tous les Français, ça me choque aussi, comme ça a choqué le ministre de l'Intérieur. Ensuite, comment juridiquement décrire ce qu'est la polygamie de fait ? Je pense que ça mérite un peu de travail.
 
Ne serait-il pas plus simple de rendre plus difficile l'acquisition automatique de la nationalité en cas de mariage ?
 
Non, là, on a déjà un certain nombre de verrous qui sont faits, nous allons en accroître les règles, puisque vous savez que dans le projet de loi que je vais défendre en septembre devant le Parlement, nous allons demander à tout étranger qui acquiert la nationalité française, de s'engager à respecter scrupuleusement les valeurs de la République, il y a déjà un cran. Là, on est dans autre chose : lorsqu'il y a non respect des valeurs fondamentales, est-ce qu'il peut y avoir déchéance de la nationalité française, est-ce qu'on peut se voir retirer la nationalité française ? Ca ne peut être fait en droit que pour un certain nombre de faits graves constatés, et puis ensuite dans un délai, et à condition que la personne ne perdre pas toute nationalité, en clair, qu'elle ne devienne pas apatride, donc c'est un peu complexe.
 
Est-ce que le ministre de l'Intérieur, est-ce que le pouvoir n'en fait pas un peu beaucoup à partir d'un simple fait divers ?
 
D'abord, ce n'est pas B. Hortefeux qui a mis l'affaire sur la place publique. B. Hortefeux a été, entre guillemets, au départ "victime" d'une conférence de presse d'une femme qui avait reçu une contravention pour "conduite en état de voile intégral" si je puis dire, conduite gênée par le port du voile intégral. Et c'est à la suite de la conférence de presse qu'il s'est intéressé au cas, et que ce qu'il a découvert, ce qui était dans le dossier et qui a été confirmé par le procureur était suffisamment grave pour qu'il veuille s'en saisir. Maintenant, cette affaire est devenue symbolique et je crois que mon collègue, B. Hortefeux, a raison de vouloir aller jusqu'au bout.
 
Est-ce que sa position n'est pas fragilisée par la condamnation en première instance qu'il a subie pour injure raciale ?
 
Non, je ne le crois pas. J'ai déjà dit sur ce sujet, c'était... on va dire les choses clairement, une mauvaise plaisanterie, personne n'a jamais soupçonné B. Hortefeux de porter en lui une once de racisme, je crois qu'on est vraiment sur deux terrains : une mauvaise plaisanterie dont les conséquences sont à mon avis bien excessives dans les commentaires, et une affaire de fond très sérieuse qui touche à l'essentiel, la colonne vertébrale et les valeurs de la République.
 
Vous revenez d'Amérique, allez-vous importer en France la cérémonie de naturalisation à laquelle vous avez pu assister, là-bas, aux Etats-Unis ?
 
On a déjà des cérémonies de naturalisation dans les préfectures. Simplement, aux Etats-Unis, elle est beaucoup plus solennelle, beaucoup plus émouvante, elle est très touchante, c'est conçu pour que ceux qui accèdent à la nationalité américaine aient l'impression que c'est le jour le plus important de leur vie, qu'ils entrent dans une famille, que cette famille (...) vont apporter, et ils prêtent serment. Serment aux valeurs américaines, serment au drapeau, c'est extrêmement émouvant. Je pense qu'on aurait du mal à transposer exactement en France, indépendamment du fait qu'à la fin, c'est que "Dieu bénisse l'Amérique" ; en République laïque, on ne peut pas le concevoir, mais même culturellement, vous savez les scrupules qui sont les nôtres à assumer la fierté d'être Français, comme eux revendiquent la fierté d'être Américain. Mais je crois que cette idée de solenniser et de rendre plus émouvante, plus sensible, plus solennelle l'entrée dans la nationalité, c'est quelque chose que nous devons retenir ; la charte des droits et des devoirs citoyens que nous allons demandé de signer au moment de l'accès à la nationalité française dans le projet de loi que j'évoquais il y a un instant, est une étape importante en ce sens.
 
Polémique autour de la mission confiée à C. Boutin sur la mondialisation. Est-ce que son rapport sur "les conséquences sociales de cette mondialisation", a une chance de vous intéresser, est-ce que vous l'utiliserez ?
 
Avec plaisir si elle me l'envoie. Je trouve cette polémique, là aussi, bien excessive et bien injuste. Chacun a le droit de porter le regard qu'il veut sur les idées que porte C. Boutin. Et quand je vois qu'on conteste le droit qu'elle aurait, après une carrière parlementaire et ministérielle plus qu'honorable, à faire partie du cabinet ministériel d'un ministre des Affaires sociales, sur un sujet, "conséquences de la mondialisation", sur lequel elle a fait des propositions depuis des années, et au moment où la France va présider le G20, à partir de la fin de cette année, je ne comprends pas l'ampleur de cette polémique qui me paraît vraiment une tempête dans un verre d'eau.
 
Est-ce qu'il ne faut pas en profiter pour mettre au clair toutes les missions possibles, toutes les commissions qui existent et faire un peu le ménage ?
 
Déjà, je peux vous dire que dans nos départements ministériels, chacun d'entre nous, nous sommes déjà contraints, par le budget, par la volonté du Premier ministre de faire, à juste titre, des efforts budgétaires importants ; nous avons des contraintes de plus en plus (inaudible). Très franchement, moi dans mon ministère, je cherche des marges de manoeuvre, je traque les possibilités que j'aurais de faire la mission qui m'est donnée avec moins de moyens. Je ne crois pas que nous vivions les uns et les autres dans une période de gabegie ou de grande facilité budgétaire.
 
La Coupe du monde de football démarre demain. Vous êtes un passionné.
 
Enfin du foot !
 
Est-ce quez vous demandez au joueurs français de chanter la Marseillaise même si ce n'est pas trop leur truc pour certains ?
 
J'aimerais beaucoup qu'ils le fassent mais il faut respecter les joueurs. Vous savez, il y a des introvertis, il y a des extravertis, chacun fait comme il le sent. La façon qu'un joueur a de libérer son énergie ou de gérer son appréhension au moment du coup d'envoi, cela ne se décrète pas. Qu'ils fassent ce qu'ils sentent chacun sur ce sujet, mais pour le reste, qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes parce qu'on a beaucoup d'attente.
 
R. Yade a-t-elle eu tort de lancer une polémique sur l'hôtel où logent les bleus en Afrique du Sud, à quelques jours de la compétition ?
 
Je n'ai pas envie de la tacler. J'ai trouvé ça inopportun. On ne va pas y revenir. Ce qui important maintenant c'est que... Vous savez, un sportif ça a besoin d'amour. Et il faut qu'on leur envoie des ondes positives et qu'on leur dise, comme a fait le président de la République, je crois cette nuit, si j'ai bien compris, en disant à R. Domenech : sachez que les Français sont derrière vous. A nous de dire aux Français : allez-y et on est avec vous.
 
Qui mettriez-vous à la pointe de l'attaque Anelka, Gignac, Henry ?
 
Je suis un sélectionneur imparfait comme tout le monde. Mais maintenant qu'on a testé pendant trois matchs Anelka en pointe, je trouve bien de continuer l'expérience qui a été entamée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 juin 2010