Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'emploi, à "Itélé" le 17 juin 2010, sur la réforme des retraites, la question de la pénibilité et sur l'emploi des seniors.

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Média : Itélé

Texte intégral

L. Bazin.- Notre invité politique ce matin, c'est L. Wauquiez. Bonjour.

Bonjour.

Secrétaire d'État à l'Emploi. On a évidemment du pain sur la planche ce matin avec la réforme des retraites que vous dites « juste et responsable », que le Parti socialiste et M. Aubry disent « irresponsable et injuste », notamment parce que vous avez oublié le capital dans votre financement. Est-ce que vous reconnaissez que vous auriez pu faire mieux du côté taxation du capital ? Que c'est les salariés qui vont payer cette réforme ?

Non, évidemment que non. Qu'est-ce qui fait l'ADN de cette réforme ? L'ADN de cette réforme, c'est la justice. Sur la répartition de l'effort, il y a une partie de l'effort qui repose sur un enjeu démographique : travailler plus longtemps. Il y a une partie de l'effort qui repose sur un meilleur rapprochement entre le régime de la fonction publique et du privé. C'est quand même une question de justice aussi, c'est des choses à ne pas mettre sous le tapis. Il est normal que, quand on est dans le public et quand on est dans le privé, le taux de cotisation soit rapproché.

Toujours le travail qui paye, jusque là.

Et puis il y a un effort qui est fait sur deux niveaux. Les entreprises, avec des efforts des entreprises, plus de deux milliards d'euros.

Toujours le travail.

Enfin, les entreprises... Et le deuxième niveau, sur les revenus du capital et les hauts revenus, avec une taxation supplémentaire...

Deux milliards. À peu près deux milliards.

...De plus de deux milliards à horizon 2020. Mais il y a une chose que je voudrais ajouter, c'est que ce qu'il y a de sûr, c'est que ce que propose le Parti socialiste, ce ne sont pas des efforts supplémentaires sur le capital, c'est le matraquage fiscal des Français et notamment des classes moyennes. Quand on propose, par exemple, de taxer l'assurance-vie, ce n'est pas taxer le grand capital et les grands méchants loups, c'est aller taxer la petite épargne des Français et des classes moyennes. Moi, j'appartiens dans ma famille politique à une sensibilité de droite sociale. Je pense que le projet qui a été présenté par le Parti socialiste est un projet qui est irresponsable. Et puis, il y a un côté un peu chez M. Aubry de Fée Clochette. Elle nous dit : « faites un voeu, je vous l'exauce à 60 ans ». Une réforme des retraites, malheureusement, c'est effectivement demander des efforts. Mais cette réforme des retraites consiste à répartir les efforts de façon équitable, et je crois que c'est vraiment ce qui fait la préoccupation majeure de cette réforme.

B. Thibault disait hier soir : « On a désormais le régime sur la table, l'un des régimes les plus rudes d'Europe. On va travailler jusqu'à 67 ans pour ceux qui n'auront pas leurs annuités à 62 ans, et ils seront extrêmement nombreux ». C'est la vérité !

Parlons concret. D'abord, qu'est-ce que fait un pays comme l'Allemagne ? Jusqu'à 67 ans. Nous, on fait 62 ans. Vous n'allez pas me dire que 62 ans, c'est plus dur.

Aujourd'hui, les Allemands partent en retraite à 61,6 ans. Nous, Français, partons en retraite à 61,3. Ce n'est pas si loin. Je veux dire, il n'y a pas un gap à ce point.

Oui, mais est-ce qu'on peut se poser une question précise ? Quel est l'horizon de la réforme allemande ? Ils vont porter la réforme à quel âge ? 67 ans. La France le fait à 62 ans. Deuxième chose. Sur des sujets là encore très précis : la pénibilité.

C'est bien que vous en parliez.

Quel est le seul pays en Europe à avoir mis ce sujet sur la table ? La France.

On n'a pas trouvé de solution. E. Woerth a annoncé hier qu'il y aura la retraite à 60 ans à taux plein pot. Combien, d'ailleurs ? Est-ce qu'on l'a évalué ? 10 000, 20 000, 30 000 personnes qui, finalement, seront malades à la fin de leur vie professionnelle, à 60 ans ?

Non, pas du tout. L'objectif du projet qui a été présenté par Eric, c'est de dire pour des personnes dont l'invalidité et la pénibilité ont été reconnues dans le cadre de la médecine du travail...

Qui sont malades, qui sont atteints.

Bien, c'est bien cela la pénibilité. Il faut prendre des exemples concrets. C'est quand vous êtes maçon et qu'à la fin de votre vie, vous avez le dos cassé à 55 ans, à 56 ans. Là, oui, là on est sur des situations de pénibilité.

Mais si votre dos est simplement usé et qu'on n'est pas à 20 % d'inaptitude, puisque c'est comme ça que ça se passe, on continuera à travailler jusqu'à 62, 63, 64, 65 si on n'a pas ses annuités ?

Mais là encore, vous me posiez une question précise : est-ce que les autres pays l'ont fait ? Non. Est-ce que la France est la première à aborder vraiment ce sujet de la pénibilité ? Oui.

Vous trouvez qu'on a fini sur ce terrain-là où il y a des aménagements possibles ? Il y aura un débat notamment au Parlement, vous le répétez beaucoup. Est-ce que vous accepterez des amendements sur la pénibilité ?

Il y aura nécessairement un débat qui va se poursuivre et la concertation même est encore en cours. La seule chose, c'est que je pense que là, on a un ensemble de mesures qui sont équitablement réparties, et notamment sur l'emploi des seniors.

Oui. Ça, je vais y venir dans une seconde. Je vous parle des régimes spéciaux une seconde.

Oui.

Les policiers, les cheminots, les pompiers, les douaniers et d'autres, comment on va juger de leur pénibilité ? Un policier, par exemple, il faudra avoir pris une balle dans le tibia, une balle dans le genou, pour pouvoir partir à la retraite avant ? Mais vous voyez, là d'ailleurs dans votre... Je caricature volontairement pour vous obliger à répondre. C'est compliqué, voyez comme c'est compliqué !

Oui, mais... Voyez comme c'est compliqué, voyez précisément pourquoi est-ce qu'une réforme n'est pas facile. Mais prenons les régimes spéciaux : vous-même vous apportez là la réponse. Si jamais on avait dit « par essence, tel métier est pénible », « par essence, être policier c'est pénible », « par essence, telle branche, c'est pénible », ça aboutit à quoi ? Ça aboutit à reconstituer ces régimes spéciaux qui sont inéquitables. Le but, au contraire, c'était à la fois de respecter les régimes spéciaux qui existaient et en même temps, de ne pas en recréer d'autres. Et je crois que c'est la démarche qui a été choisie par le Gouvernement.

Donc, c'est bien un médecin qui jugera du moment où vous avez le droit éventuellement de prendre votre retraite plus tôt. On est d'accord là-dessus.

Un point sur lequel je voudrais revenir. Vous avez évoqué, par exemple, les hommes qui sont en tenue - les policiers, etc.

Oui.

Ils ont un régime de retraite qui leur est adapté, qui reconnaît la dangerosité de ce qu'ils font. D'ailleurs pour la police comme pour l'armée, ce régime est maintenu, bien sûr.

Oui. Et après 2018, on n'y touchera plus, il n'évoluera pas. Vous pensez que c'est fini, figé ?

Non, pas du tout. Mais là-dessus, là encore, ce qu'on voit c'est qu'on a une réforme qui est, vous l'avez très bien rappelé, dans un cadre qui est très divers, qui renvoie à quelque chose de très intime chez les Français, à essayer à chaque fois, sur chacun des points d'arbitrage, de trouver la solution d'équilibre et la solution juste.

Vous n'avez pas peur que les Français vous disent, après avoir fait leurs calculs chacun dans leur coin : « c'est non » ? Le 24, par exemple, vous n'avez pas peur d'avoir un million ou deux millions de personnes dans la rue ? Ça vous ferait reculer, d'ailleurs ?

Est-ce que, vous, ça vous fait peur que d'ici l'horizon 2020, avec le système qu'on a, notre régime de retraites accumule 500 milliards d'euros de déficit ? Est-ce que ??a, ça vous fait peur ? Est-ce que ça vous fait peur sur le financement de vos retraites ? Oui, bien sûr. Aujourd'hui, notre système de retraite est un bateau ivre. Le but de cette réforme, c'est de le ramener à bon port ; et de faire en sorte que sur les années à venir, on arrête d'accumuler des déficits. Pour une raison simple : c'est que si jamais on accumule sur les dix ans à venir 500 milliards d'euros de déficit, on ne parlera même plus de retraite dans notre pays. Donc le but de cette réforme, même si ça suppose des choix courageux, même si ça suppose des efforts, c'est effectivement d'assurer un financement équitable de nos retraites.

Donc, on dit aujourd'hui : même s'il y a un, deux, trois, quatre millions de personnes dans la rue, ce projet ne sera pas retiré parce qu'il est nécessaire. Oui ou non ?

Le but est juste de poursuivre...

C'est difficile de répondre oui ou non à une question comme ça ?

Oui, parce que c'est comme si vous me disiez : « voilà, alors vous allez être les plus durs, vous n'allez rien lâcher », etc.

Je n'ai pas dit ça. J'ai dit : il y a un million, deux millions, trois millions de Français dans la rue, vous ne bougez pas ?

L'état d'esprit, il n'est pas là. L'état d'esprit, il est d'écouter les inquiétudes, d'essayer d'y répondre, d'expliquer ce qu'on fait et d'expliquer surtout pourquoi est-ce que c'est la réforme indispensable pour sauver nos retraites. Et ça, je crois que tout le monde peut le comprendre.

On va parler du travail des seniors. Après 55 ans, quand on se retrouve au chômage, et on y est un petit peu moins qu'avant, disons-le comme ça, aux alentours de 7 %...

Oui, parce qu'on s'est battus pour l'améliorer.

On a 17 % de chance de retrouver un job. On en a un peu plus de 45 avant 55 ans. Est-ce que vous pensez que le fait de mettre un milliard sur la table pour dire aux entreprises : « embauchez des seniors de plus de 55 ans », va changer quelque chose à cette donne-là ? Franchement ?

Alors, sur l'emploi des seniors. D'abord, on revient de très loin parce que la France a massacré pendant longtemps l'emploi des seniors, notamment à une période... parce qu'il y a un moment où j'aime bien les donneurs de leçons, mais il faut aussi les rappeler à ce qu'ils ont fait.

Enfin, les départs en préretraite notamment, c'est ça ?

Oui. M. Aubry est la ministre du Travail qui a le plus massacré l'emploi des seniors et qui a le plus poussé les seniors dehors. Ça fait maintenant trois ans que je m'occupe de ce sujet. Ça a fait partie de la feuille de route que souhaitait le président de la République sur la politique de l'emploi, de se battre sur l'emploi des seniors. On n'arrive pas la besace vide, on a maintenant des résultats. On a supprimé tous les dispositifs qui incitaient ou qui facilitaient pour les entreprises le fait de pousser les seniors.

D'accord.

On est même allés plus loin.

Le problème, c'est de les embaucher.

On a demandé aux entreprises d'adopter des plans d'action pour l'embauche des seniors.

Comme il reste deux minutes, je voudrais que vous me répondiez.

Oui, mais c'est...

Le tableau est global. Concrètement : vous mettez un milliard sur la table. Si demain je suis chef d'entreprise, j'embauche un senior de plus de 55 ans pour un CDD de plus de six mois - vous êtes d'accord, c'est ce que j'ai lu hier - bien, vous bénéficiez de cette aide. Vous n'avez pas peur de l'effet d'aubaine plutôt que de l'effet levier ?

Je vais vous dire les choses simplement. On a été très pragmatiques. J'ai regardé dans la crise quel a été notre meilleur outil d'emploi. Ça a été ce dispositif zéro charge. Il a permis un million d'embauches, ça a été le plus efficace dans la crise. L'idée, c'est de mettre au service de l'emploi des seniors l'outil emploi qui a été le plus efficace. Il est tout simple, il consiste à dire à une entreprise qui tend la main à un senior : « on vous accompagne et on ne met aucune charge ». Pourquoi ? Parce que souvent ce que disent les entreprises, c'est que les seniors, et c'est normal, sont expérimentés, les salaires sont un peu plus hauts que pour les jeunes...

Vous ne craignez pas une multiplication de ces CDD qui permettront de bénéficier des aides mais qui remettront les seniors au Pôle Emploi juste après ?

Vous savez, juste un point...

Je vous parle de l'effet d'aubaine. Oui ou non ?

Bien sûr. Je vais répondre très simplement non.

Regardez, 39 secondes.

Pourquoi ? Parce que quand on a fait zéro charge pendant la crise, ça a augmenté le pourcentage de CDI. Donc, ça ne s'est pas traduit par des embauches précaires. Une réponse simple : à force d'avoir des inquiétudes, on n'avance pas. Il faut essayer d'avancer sereinement sur les bases pragmatiques de ce qu'on a déjà fait. Sur l'emploi des seniors, on a des preuves, on a des résultats, il faut qu'on continue à avancer. On a là un bon dispositif dans le cadre de la réforme des retraites.

Merci. Tiens, un mot. Amandine, vous me donnez dix secondes ? A. Bégot : Allez-y. France - Mexique ; Gourcuff sur le banc, Ribéry meneur de jeu. Vous y croyez ? Vous êtes plutôt fan de Govou, vous, mais pour le coup ?

Je suis un grand fan de S. Govou parce qu'il est de Haute-Loire. J'espère surtout... Le Mexique, à mon avis, on peut arriver à les emmitoufler. Ils ont un jeu qui est très empêtré dans le milieu de terrain. J'espère qu'on en sortira par le haut.

Comme le Parti socialiste que vous avez décrit.

A. Bégot : Un petit pronostic ?

Oui. Combien vous nous donnez pour ce soir comme pronostic ?

On aurait un petit 2-1, ça ferait un beau match.

Oui. Allez, c'est 3-1 pour moi. C'était L. Wauquiez notre invité ce matin.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 juin 2010