Texte intégral
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je vais ouvrir aujourd'hui un séminaire qui porte donc un nom presque poétique, « le monde qui vient ». Le monde qui vient, celui dont nous parlerons ce matin avec Louis Chauvel et Jean-Pierre Le Goff, c'est le nôtre, celui de notre société et de notre pays. C'est le monde auquel nous appartenons et que nous avons envie de mieux comprendre. C'est le monde, aussi, dont nous essayons de mieux percevoir l'avenir, proche ou lointain.
En France, lorsque le gouvernement travaille sur l'avenir du pays et des politiques publiques, cette anticipation s'appelle la « prospective ». C'est une mission dont j'ai aujourd'hui la charge, et dont j'ai souhaité qu'elle puisse s'intéresser, davantage qu'elle en avait l'habitude, aux évolutions et aux transformations sociales. J'ai souhaité que l'État puisse être attentif aux transformations au cours, celles qui dessinent dans la société de demain, celles que l'on peut observer aujourd'hui et qui sont donc la marque du monde qui vient.
Ce travail de prospective, il me semble qu'il a besoin d'être nourri au coeur des recherches en cours, au coeur du travail sociologique qui s'élabore dans les laboratoires de recherche, dans les Universités et les Écoles. Et qu'il a besoin d'être mis en débat, publiquement.
Voilà donc la raison de notre présence ici, ce matin. Nous nous retrouverons pour une seconde séance, qui aura lieu en octobre et qui sera consacrée au travail et à ses métamorphoses.
J'en donnerai le programme au plus tôt, et nous pourrons nous retrouver ici même, à Science-Po, qui nous fait l'honneur d'accueillir ce séminaire et que je souhaite remercier très chaleureusement à travers son Directeur Richard Descoings. Merci, cher Richard, de votre hospitalité. Notre séminaire est organisé conjointement par Sciences-Po et par le Centre d'Analyse Stratégique, aux équipes duquel j'exprime également ma gratitude.
Je vais donc introduire maintenant notre séance inaugurale, consacrée au lien entre les générations, à ses aspects sociaux et à ses transformations, actuelles ou à venir. Nous entendrons deux sociologues, Louis Cauvel et Jean-Pierre Le Goff.
Vos travaux, messieurs, sont connus, vous avez tous deux l'habitude d'intervenir en public et, surtout, de prendre part au débat public, par voie de presse. Louis Chauvel enseigne ici, à Sciences-Po, et je ne veux pas m'interdire de rappeler que ses travaux sur les classes sociales et les inégalités sont beaucoup plus.
Pour sa part, Jean-Pierre Le Goff vient ici en spécialiste des organisations, tout autant qu'en fin connaisseur d'une génération, la sienne !, celle de 68, à laquelle il a consacré un ouvrage et des études remarqués.
Avant d'entendre Louis Chauvel puis Jean-Pierre Le Goff, et avant que nous puissions tous débattre avec eux, je vais vous soumettre quelques remarques introductives, qui seront autant de questions posées à nos sociologues.
Nous traiterons donc, avec les deux intervenants, du lien intergénérationnel et de son contexte social. Que les deux questions soient liées ne va pas de soi. Du moins pas immédiatement. Après tout, le rapport entre les générations n'est qu'un aspect du lien social, une question de société parmi d'autres. Voilà qui est vrai. La société n'est pas faite simplement de jeunes et de vieux, d'actifs et de retraités, d'enfants, de parents et de seniors. Elle rassemble des hommes et des femmes ; elle est tissée de liens multiples, elle possède une histoire, une culture ; elle est faite, aussi, de liens institués et de rapports de forces.
Le lien des générations n'est qu'un fait social parmi d'autres [paraphrase de Durkheim qui dit qu'il faut traiter les faits sociaux comme des choses].
Il n'en demeure pas moins que la question des générations et de leurs liens se pose aujourd'hui. Et qu'elle se pose avec une urgence et une acuité remarquables. C'est, à mes yeux du moins, et chacun ici dira son sentiment, la question sociale du jour. D'abord, parce que la démographie française et européenne change grandement, ensuite parce que le lien intergénérationnel est fragilisé.
Notre démographie est marquée par un allongement de la durée de la vie sans précédent. Et nous vieillissons. Moins en France que dans d'autres pays voisins, sans doute, mais nous vieillissons tout de même. Notre société rassemble désormais durablement trois générations adultes, parfois quatre. Les petits enfants atteignent l'âge adulte avant le décès de leurs grands parents. Cette situation démographique dont on peut se réjouir a des conséquences sociales majeures.
Une population vieillie est une population qui par définition est moins active, plus fragile et davantage demandeuse de soins.
Voilà qui est sans doute on ne peut plus actuel, puisque nous avons désormais une génération très nombreuse, celle des babby-boomers, qui prend sa retraite et qui va jouir d'une durée de vie considérablement augmentée. Et je n'ajoute pas à propos de cette génération des papy-boomers qu'elle est en outre plutôt aisée et qu'elle a bénéficié d'un taux d'activité élevé, car je suppose que Louis Chauvel le fera. Quoi qu'il en soit, la donne démographique est claire : les retraités deviennent aujourd'hui beaucoup plus nombreux et vivent beaucoup plus vieux.
Cette situation modifie l'équilibre démographique des générations. Les seniors étaient au nombre d'un habitant sur six il y a une dizaine d'années, dans trente ans, chers messieurs, nous serons en France un sur trois. Cette modification de la répartition des classes d'âge affecte bien sûr les relations entre les générations. J'espère que Jean-Pierre Le Goff en dira quelques mots.
Tels que je peux les observer, les codes et les moeurs des différentes générations sont distincts, leurs réseaux sociaux sont parfois hermétiques les uns aux autres, et je crois que nous avons là des phénomènes d'incompréhension relativement nouveaux.
Que les générations cultivent des formes de socialité spécifiques est bien sûr la norme, mais c'est leur éloignement qui paraît aujourd'hui accentué. D'autant qu'il est redoublé aujourd'hui sur le terrain de la formation et de la technologie.
Les deux dernières générations, celles qu'on appelle « Y » puis celle qu'on appelle « Z » ou « C »(C pour « Communication, Collaboration, Connexion et Créativité ») (les 8-18 ans, nés aux alentours de 1995), sont deux générations formées à des outils et des technologies que leurs parents fréquentent peu et que leurs grands parents ne fréquentent qu'exceptionnellement.
Le lien entre les générations semble donc se distendre en Europe.
Ce lien est fragilisé parce que les trois ou quatre générations qui cohabitent désormais dans la « maison » sociale n'ont pas la même formation, n'ont pas toujours les mêmes moeurs et, il faut bien le dire, ne sont pas dans la même situation sociale. Nous sommes confrontés aujourd'hui à des phénomènes d'incompréhension et même à des tensions, qui sont nouveaux et sur lesquels j'espère que nos intervenants pourront nous instruire.
Si la question intergénérationnelle est d'une grande importance sociale aujourd'hui, c'est aussi parce qu'elle manifeste ou recoupe une autre transformation sociale contemporaine, celle des classes. Je le rappelais tout à l'heure, et c'est l'un des enjeux de la réforme des retraites qui est en cours, la génération des seniors qui prennent aujourd'hui leur retraite a connu une époque d'emploi et de promotion sociale extrêmement favorable. Et bien sûr, lorsqu'on la rapporte à la jeunesse d'aujourd'hui, cette situation devient excessivement favorable.
Plein emploi pour la jeunesse hier, un quart de chômeurs aujourd'hui ; des dépenses contraintes en augmentation disproportionnée et une crise qui frappe d'abord et durement la jeunesse, au moment où ses aînés seniors se retirent de la vie active avec des pensions et des revenus protégés. Là, on le voit bien, la fracture générationnelle est autrement plus inquiétante. Elle est marquée au sceau du déclassement, qu'il soit une réalité sociale ou une inquiétude diffuse ; et elle est marquée au sceau d'un déséquilibre, sinon d'une injustice, qui affecte tous les mécanismes de solidarité et de redistribution entre les générations.
La question, je vous la pose de la manière la plus simple qui soit, est celle du caractère durable ou conjoncturel de cette distension du lien intergénérationnel. S'agit-il d'un phénomène exceptionnel, parce qu'il résulte de la rencontre accidentelle du vieillissement d'une génération exceptionnellement nombreuse et d'une crise ? Ou bien est-ce que la distension du lien social est une conséquence inhérente à l'allongement de la durée de la vie et du nombre des générations ?
On pourrait poser la question autrement, en s'intéressant aux inégalités sociales et à la distinction des classes sociales.
Il est manifeste que les classes sociales ne sont plus exactement aujourd'hui distinctes comme elles pouvaient l'être au sortir de la guerre, il y a une soixantaine d'années. Les inégalités subsistent toutefois aujourd'hui, et le temps n'est pas venu de la généralisation d'une classe moyenne ni d'une homogénéité des revenus dans notre pays. En revanche, et c'est un phénomène sur lequel j'aimerais vous entendre, les inégalités aujourd'hui ne semblent pas tant distinguer les groupes sociaux que les classes d'âge.
Les générations qui ont tant de mal à entrer aujourd'hui dans le monde du travail sont, « à classe égale », si l'on peut dire, beaucoup plus en difficulté que leurs aînées. Du coup, et c'est une question pour sociologues, on voit bien que le concept de classe sociale se trouve affaibli. J'imagine qu'au plus simple, on peut dire de la classe sociale qu'elle est définie à la fois par une communauté homogène de travail et de revenus, et par une communauté de destin et de culture. Si dans un tel groupe les jeunes n'ont ni la même « conscience de classe », ni la même histoire patrimoniale que leurs parents, eh bien l'identité de classe paraît impossible.
Et elle l'est donc d'autant moins que l'ascenseur social paraît bloqué et que la paupérisation de la jeune génération, par rapport à ses aînés, est une réalité incontestable.
Le tableau que j'esquisse peut sembler un peu sombre. Mais les remarques que je viens de faire sont sans doute contestables. À vous deux de me le dire. On pourrait d'ailleurs considérer la situation du moment comme un défi. Celui que la puissance publique doit relever pour rétablir les mécanismes et de solidarité et renforcer le lien social.
C'est du reste sur ce point de prospective que j'aimerais discuter avec vous, en vous demandant comment vous envisagez l'évolution à venir du ou des liens intergénérationnels dans les dix prochaines années.
Le débat nous en donnera l'occasion.
Je vais maintenant donner la parole à Louis Chauvel.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 25 juin 2010
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je vais ouvrir aujourd'hui un séminaire qui porte donc un nom presque poétique, « le monde qui vient ». Le monde qui vient, celui dont nous parlerons ce matin avec Louis Chauvel et Jean-Pierre Le Goff, c'est le nôtre, celui de notre société et de notre pays. C'est le monde auquel nous appartenons et que nous avons envie de mieux comprendre. C'est le monde, aussi, dont nous essayons de mieux percevoir l'avenir, proche ou lointain.
En France, lorsque le gouvernement travaille sur l'avenir du pays et des politiques publiques, cette anticipation s'appelle la « prospective ». C'est une mission dont j'ai aujourd'hui la charge, et dont j'ai souhaité qu'elle puisse s'intéresser, davantage qu'elle en avait l'habitude, aux évolutions et aux transformations sociales. J'ai souhaité que l'État puisse être attentif aux transformations au cours, celles qui dessinent dans la société de demain, celles que l'on peut observer aujourd'hui et qui sont donc la marque du monde qui vient.
Ce travail de prospective, il me semble qu'il a besoin d'être nourri au coeur des recherches en cours, au coeur du travail sociologique qui s'élabore dans les laboratoires de recherche, dans les Universités et les Écoles. Et qu'il a besoin d'être mis en débat, publiquement.
Voilà donc la raison de notre présence ici, ce matin. Nous nous retrouverons pour une seconde séance, qui aura lieu en octobre et qui sera consacrée au travail et à ses métamorphoses.
J'en donnerai le programme au plus tôt, et nous pourrons nous retrouver ici même, à Science-Po, qui nous fait l'honneur d'accueillir ce séminaire et que je souhaite remercier très chaleureusement à travers son Directeur Richard Descoings. Merci, cher Richard, de votre hospitalité. Notre séminaire est organisé conjointement par Sciences-Po et par le Centre d'Analyse Stratégique, aux équipes duquel j'exprime également ma gratitude.
Je vais donc introduire maintenant notre séance inaugurale, consacrée au lien entre les générations, à ses aspects sociaux et à ses transformations, actuelles ou à venir. Nous entendrons deux sociologues, Louis Cauvel et Jean-Pierre Le Goff.
Vos travaux, messieurs, sont connus, vous avez tous deux l'habitude d'intervenir en public et, surtout, de prendre part au débat public, par voie de presse. Louis Chauvel enseigne ici, à Sciences-Po, et je ne veux pas m'interdire de rappeler que ses travaux sur les classes sociales et les inégalités sont beaucoup plus.
Pour sa part, Jean-Pierre Le Goff vient ici en spécialiste des organisations, tout autant qu'en fin connaisseur d'une génération, la sienne !, celle de 68, à laquelle il a consacré un ouvrage et des études remarqués.
Avant d'entendre Louis Chauvel puis Jean-Pierre Le Goff, et avant que nous puissions tous débattre avec eux, je vais vous soumettre quelques remarques introductives, qui seront autant de questions posées à nos sociologues.
Nous traiterons donc, avec les deux intervenants, du lien intergénérationnel et de son contexte social. Que les deux questions soient liées ne va pas de soi. Du moins pas immédiatement. Après tout, le rapport entre les générations n'est qu'un aspect du lien social, une question de société parmi d'autres. Voilà qui est vrai. La société n'est pas faite simplement de jeunes et de vieux, d'actifs et de retraités, d'enfants, de parents et de seniors. Elle rassemble des hommes et des femmes ; elle est tissée de liens multiples, elle possède une histoire, une culture ; elle est faite, aussi, de liens institués et de rapports de forces.
Le lien des générations n'est qu'un fait social parmi d'autres [paraphrase de Durkheim qui dit qu'il faut traiter les faits sociaux comme des choses].
Il n'en demeure pas moins que la question des générations et de leurs liens se pose aujourd'hui. Et qu'elle se pose avec une urgence et une acuité remarquables. C'est, à mes yeux du moins, et chacun ici dira son sentiment, la question sociale du jour. D'abord, parce que la démographie française et européenne change grandement, ensuite parce que le lien intergénérationnel est fragilisé.
Notre démographie est marquée par un allongement de la durée de la vie sans précédent. Et nous vieillissons. Moins en France que dans d'autres pays voisins, sans doute, mais nous vieillissons tout de même. Notre société rassemble désormais durablement trois générations adultes, parfois quatre. Les petits enfants atteignent l'âge adulte avant le décès de leurs grands parents. Cette situation démographique dont on peut se réjouir a des conséquences sociales majeures.
Une population vieillie est une population qui par définition est moins active, plus fragile et davantage demandeuse de soins.
Voilà qui est sans doute on ne peut plus actuel, puisque nous avons désormais une génération très nombreuse, celle des babby-boomers, qui prend sa retraite et qui va jouir d'une durée de vie considérablement augmentée. Et je n'ajoute pas à propos de cette génération des papy-boomers qu'elle est en outre plutôt aisée et qu'elle a bénéficié d'un taux d'activité élevé, car je suppose que Louis Chauvel le fera. Quoi qu'il en soit, la donne démographique est claire : les retraités deviennent aujourd'hui beaucoup plus nombreux et vivent beaucoup plus vieux.
Cette situation modifie l'équilibre démographique des générations. Les seniors étaient au nombre d'un habitant sur six il y a une dizaine d'années, dans trente ans, chers messieurs, nous serons en France un sur trois. Cette modification de la répartition des classes d'âge affecte bien sûr les relations entre les générations. J'espère que Jean-Pierre Le Goff en dira quelques mots.
Tels que je peux les observer, les codes et les moeurs des différentes générations sont distincts, leurs réseaux sociaux sont parfois hermétiques les uns aux autres, et je crois que nous avons là des phénomènes d'incompréhension relativement nouveaux.
Que les générations cultivent des formes de socialité spécifiques est bien sûr la norme, mais c'est leur éloignement qui paraît aujourd'hui accentué. D'autant qu'il est redoublé aujourd'hui sur le terrain de la formation et de la technologie.
Les deux dernières générations, celles qu'on appelle « Y » puis celle qu'on appelle « Z » ou « C »(C pour « Communication, Collaboration, Connexion et Créativité ») (les 8-18 ans, nés aux alentours de 1995), sont deux générations formées à des outils et des technologies que leurs parents fréquentent peu et que leurs grands parents ne fréquentent qu'exceptionnellement.
Le lien entre les générations semble donc se distendre en Europe.
Ce lien est fragilisé parce que les trois ou quatre générations qui cohabitent désormais dans la « maison » sociale n'ont pas la même formation, n'ont pas toujours les mêmes moeurs et, il faut bien le dire, ne sont pas dans la même situation sociale. Nous sommes confrontés aujourd'hui à des phénomènes d'incompréhension et même à des tensions, qui sont nouveaux et sur lesquels j'espère que nos intervenants pourront nous instruire.
Si la question intergénérationnelle est d'une grande importance sociale aujourd'hui, c'est aussi parce qu'elle manifeste ou recoupe une autre transformation sociale contemporaine, celle des classes. Je le rappelais tout à l'heure, et c'est l'un des enjeux de la réforme des retraites qui est en cours, la génération des seniors qui prennent aujourd'hui leur retraite a connu une époque d'emploi et de promotion sociale extrêmement favorable. Et bien sûr, lorsqu'on la rapporte à la jeunesse d'aujourd'hui, cette situation devient excessivement favorable.
Plein emploi pour la jeunesse hier, un quart de chômeurs aujourd'hui ; des dépenses contraintes en augmentation disproportionnée et une crise qui frappe d'abord et durement la jeunesse, au moment où ses aînés seniors se retirent de la vie active avec des pensions et des revenus protégés. Là, on le voit bien, la fracture générationnelle est autrement plus inquiétante. Elle est marquée au sceau du déclassement, qu'il soit une réalité sociale ou une inquiétude diffuse ; et elle est marquée au sceau d'un déséquilibre, sinon d'une injustice, qui affecte tous les mécanismes de solidarité et de redistribution entre les générations.
La question, je vous la pose de la manière la plus simple qui soit, est celle du caractère durable ou conjoncturel de cette distension du lien intergénérationnel. S'agit-il d'un phénomène exceptionnel, parce qu'il résulte de la rencontre accidentelle du vieillissement d'une génération exceptionnellement nombreuse et d'une crise ? Ou bien est-ce que la distension du lien social est une conséquence inhérente à l'allongement de la durée de la vie et du nombre des générations ?
On pourrait poser la question autrement, en s'intéressant aux inégalités sociales et à la distinction des classes sociales.
Il est manifeste que les classes sociales ne sont plus exactement aujourd'hui distinctes comme elles pouvaient l'être au sortir de la guerre, il y a une soixantaine d'années. Les inégalités subsistent toutefois aujourd'hui, et le temps n'est pas venu de la généralisation d'une classe moyenne ni d'une homogénéité des revenus dans notre pays. En revanche, et c'est un phénomène sur lequel j'aimerais vous entendre, les inégalités aujourd'hui ne semblent pas tant distinguer les groupes sociaux que les classes d'âge.
Les générations qui ont tant de mal à entrer aujourd'hui dans le monde du travail sont, « à classe égale », si l'on peut dire, beaucoup plus en difficulté que leurs aînées. Du coup, et c'est une question pour sociologues, on voit bien que le concept de classe sociale se trouve affaibli. J'imagine qu'au plus simple, on peut dire de la classe sociale qu'elle est définie à la fois par une communauté homogène de travail et de revenus, et par une communauté de destin et de culture. Si dans un tel groupe les jeunes n'ont ni la même « conscience de classe », ni la même histoire patrimoniale que leurs parents, eh bien l'identité de classe paraît impossible.
Et elle l'est donc d'autant moins que l'ascenseur social paraît bloqué et que la paupérisation de la jeune génération, par rapport à ses aînés, est une réalité incontestable.
Le tableau que j'esquisse peut sembler un peu sombre. Mais les remarques que je viens de faire sont sans doute contestables. À vous deux de me le dire. On pourrait d'ailleurs considérer la situation du moment comme un défi. Celui que la puissance publique doit relever pour rétablir les mécanismes et de solidarité et renforcer le lien social.
C'est du reste sur ce point de prospective que j'aimerais discuter avec vous, en vous demandant comment vous envisagez l'évolution à venir du ou des liens intergénérationnels dans les dix prochaines années.
Le débat nous en donnera l'occasion.
Je vais maintenant donner la parole à Louis Chauvel.
Source http://www.prospective-numerique.gouv.fr, le 25 juin 2010